samedi 30 novembre 2013

Le livre Théorie du vers de Benoît de Cornulier (suite)

Jusqu'à présent, j'ai donné des citations pour inciter les gens à lire l'ouvrage fondamental qu'est Théorie du vers et j'ai pu ainsi dans une première partie me contenter d'une mise en bouche pour la partie Testez votre capacité métrique en dégageant les arguments clefs qu'une lecture suivie de l'ouvrage peut parfois faire perdre de vue
J'ai surtout cité des extraits de la sous-partie de 8 pages "Confusion du mètre et du rythme : invention de l'alexandrin-tétramètre", pour que le public ait en mains les clefs d'une polémique importante dans le domaine des études portant sur la versification
Car cette polémique est retombée sur le lieu du combat, plus ou moins, pas dans la diffusion scolaire, universitaire et publique
Le monde est fait de non spécialistes de la versification qui ne daigneront pas remettre en cause ce qu'on leur a appris à l'école, 99,999999% des gens étant intimement convaincus que Dieu dicte lui-même aux professeurs ce qu'il faut enseigner dans les classes
Je vais maintenant passer aux autres chapitres de la partie sur les mesures complexe, mais avec cette fois des réserves à exprimer

Le second chapitre Les "césures mobiles" et la notion de césure commence par un paragraphe qui est un tournant du livre et il convient de le citer avec le début du suivant :

          J'ai jusqu'ici supposé évident que des structures rythmiques variables ne pouvaient pas fonder le sentiment d'égalité Pourtant on a proposé, en faveur d'une interprétation métrique des coupes rythmiques libres - sous le nom de coupes ou césures mobiles - des vues qui ne sont pas absurdes
          Rappelons que le problème fondamental de la métrique est le suivant : comprendre comment l'inégalité des vers faux, et par conséquent l'égalité des vers égaux, est instinctivement reconnue; en particulier, comprendre les bases structurelles de cette égalité dans les vers, en les distinguant soigneusement des propriétés rythmiques qui ne jouent aucun rôle, ou qu'un rôle très indirect, dans la perception de l'égalité régulière. Rappelons que, de ce simple point de vue, la différence entre les "césures mobiles" et les "césures fixes" est manifestement fondamentale : une "césure fixe" n'est pas nécessaire pour percevoir l'égalité des vers de moins de 9 syllabes; elle est nécessaire pour percevoir l'égalité des vers de 9 et surtout de plus de 9 syllabes [...]

Pour illustrer les cas de perception ou non de la césure, Cornulier cite deux quatrains de Jeune Ménage de Rimbaud, poème connu pour sa lecture métrique problématique des césures, et un quatrain de Mallarmé qui s'adonne à une syntaxe pédante, alambiquée et contournée à plaisir
La césure traditionnelle est nettement reconnaissable dans les vers de dix syllabes de Mallarmé, mais pas dans les vers de Rimbaud
Ceci dit, les exemples ne s'adressent qu'à notre intuition, puisque rien ne nous est dit des raisons pour lesquelles elle est perceptible chez l'un et pas chez l'autre
La méthode ne fera l'objet que de la suivante partie du livre, mais il se faut pénétrer aussi de l'idée que, finalement, intuitivement, il est posé que le poème de Rimbaud est complètement boiteux en fait de césures
Evidemment, dire qu'il est boiteux, ce n'est rien de précis, mais on sent que le défaut n'est pas estimé que comme une simple apparence
Cornulier ne formule même pas les éléments qui posent problème dans le cas des quatrains de Rimbaud

Il aurait pu le faire et bien sûr il ne le fait pas car il veut une composition ordonnée, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est une erreur de communication avec le lecteur que de ne pas laisser clairement entendre que les raisons de cette différence seront élucidées ultérieurement ou de ne pas donner une esquisse d'explication
Car il est manifeste que, juste après la citation des deux extraits et après avoir la césure perceptible de l'un au problème de l'autre, Cornulier présente ensuite brutalement deux vers de Jeune Ménage comme deux lignes de dix syllabes métriques qui mises en prose, juxtaposées en un court paragraphe, ont l'irrégularité de tout extrait en prose
Cornulier se moque avec raison de ceux qui parlent de l'insaisissable et de la subtilité de la mesure rimbaldienne, mais dans sa réfutation il opte déjà pour une non-reconnaissance de la césure traditionnelle sur des bases non argumentées
C'est la mesure qui est elle-même insaisissable, puisque les coupes mobiles (hypothétiques au demeurant) ne permettent pas d'en cerner une par définition, et puisque la longueur de 10 syllabes ne semble pas accessible à la perception humaine
Et Cornulier affiche le postulat erroné en le dégageant et l'isolant typographiquement de son texte : beaucoup de métriciens pensent que le nombre de 12 ou de 10 syllabes est directement perceptible. Ceci fait qu'ils peuvent admettre les vers sans césures fixes, et qu'il ne s'agit plus pour eux que d'enrichir leur commentaire de leur découpage à partir de césures mobiles, découpage qui va vaguement participer au commentaire, mais en réalité au plan de considérations rythmiques rudimentaires

Cornulier s'éloigne là de l'idée de chercher une césure aux vers de Rimbaud, mais il montre aussi que du coup comme le 10 ou le 12 en termes de longueur syllabique seraient perceptibles, ceux qui justifient les césures mobiles ont deux théories, soit une théorie du repos, soit une théorie additive
La théorie du repos est une corruption du sens premier de "repos" pour la césure
La suspension de la voix devient explicitement une aide dans le décompte des syllabes
Nous avons besoin de quelques haltes dans la ponctuation pour compter jusqu'à douze syllabes, comme si nous identifions les positions respectives de chaque syllabe vers après vers
La théorie additive suppose que le cerveau fait des additions quand il lit des vers, mais pourquoi alors n'a-t-on pas mélangé les décasyllabes aux deux hémistiches de cinq syllabes aux hémistiches de quatre et six syllabes ?
Une fois admise l'addition, bien des combinaisons seraient possibles et pourraient se côtoyer dans un poème.
Le problème de ces deux théories, c'est qu'elle n'explique pas le problème fondamental, l'existence de césures fixes.
Ces deux théories supposent également à tort que la césure a une réalité, alors que ce sont les hémistiches qui ont une réalité La césure n'a plus d'existence qu'un entre-deux-chaises nous dit Cornulier qui l'illustre par la frontière abstraite de la présentation typographique suivante : "ANTICONSTItutionnellement"
 En réalité, ce qui est perçu de vers à vers dans le cas des mesures complexes avec césures, c'est l'égalité des rapports: les décasyllabes littéraires avec une césure après la 4è syllabe présente une alternance 4 et 6 où AB=AB, un décasyllabe est égal à un autre dans la mesure où on a l'alternance de quatre et six syllabes pour les hémistiches, ce qui serait exactement la même chose dans le cas de poèmes faisant alterner un vers de quatre syllabes et un vers de six syllabes, tout simplement
Et dans le cas où les hémistiches sont égaux (alexandrins ou décasyllabes de chanson), l'égalité est de type AA=AA, sachant que la liaison des deux A est légèrement distincte de la succession de vers à vers, à cause de traitements du "e" féminin

C'est un peu le principe de la lame du rasoir d'Occam, il y a une explication simple, évidente et imparable, et les tenants des accents, de la césure mobile, courent après la Lune, sinon courent le guilledou

Le chapitre suivant apporte d'autres éléments de réfutation et remet en cause l'idée d'une suprématie métrique naturelle de l'alexandrin Il y est question aussi d'une fin de non-recevoir quant à ceux qui prétendent que le respect de l'égalité n'était qu'une vieille habitude, puisqu'il resterait à expliquer le commencement de l'habitude justement.

Je passe directement au quatrième chapitre intitulé "vers fondamental et vers d'accompagnement"

Le chapitre a le mérite de bien exposer la primauté de la césure fixe, de la reconnaissance de l'égalité, mais il entre dans la question du vers d'accompagnement qui ne se satisfait plus de la simple égalité, ni de l'alternance bien réglée
Cornulier ne parle pas alors de l'alexandrin confronté à la question du trimètre, mais du problème du décasyllabe aux hémistiches de quatre et six syllabes
Cornulier affirme que dans certains cas l'ordre de défilement des hémistiches est inversé
Le poème a toujours une césure après la quatrième syllabe, mais pour un vers (ou pour quelques-uns dans un long poème) la césure est après la sixième syllabe
L'erreur est de se concentrer sur la notion de césure et de supposer un déplacement de deux syllabes de celle-ci La réalité ce serait plutôt l'interversion de l'ordre des deux hémistiches qui, eux, contrairement à la césure, sont une réalité
Les hémistiches de quatre et six syllabes sont intervertis, voilà comment il faudrait analyser le phénomène

Mais j'utilise le conditionnel, suis-je donc sceptique ?
Le problème, c'est que cette interversion serait clairement attestée dans les vers écrits en italien Bien que ce soit la plus belle langue du monde, il m'a été impossible de l'apprendre à l'école et je ne saurais rien éprouver par moi-même
En revanche, en l'état actuel de mes connaissances, je ne connais aucun poème en français, si ce n'est Voltaire et encore il faudrait en débattre, où cette possibilité d'interversion est évidente, peut être clairement établie
Pour le XIXème, et notamment pour Verlaine, je prétends que ce constat est erroné, faussé qu'il est par l'ancienne habitude de ne pas admettre les césures audacieuses qu'acclimatèrent quelques romantiques puis les parnassiens
Et justement, plusieurs fois dans son livre, Cornulier évoque la possibilité supposée traditionnelle de cette interversion, mais il n'en donne pas le moindre exemple, y compris dans le présent chapitre sur le vers d'accompagnement où il ne parle que du décasyllabe et pas de l'alexandrin
Il décrit abstraitement le modèle sans s'appuyer sur le moindre échantillon représentatif

Du coup, même des remarques intéressantes sont fragilisées, par exemple quand il dit qu'un 6-4 dans une suite pure 4-6 ne choque pas notre oreille comme un octosyllabe au milieu d'alexandrins, ou quand il dit, mais là c'est beaucoup plus discutable que l'interversion 4-6/6-4 esquisse un chiasme comparable à l'organisation de rimes ABBA
Car, en réalité, dans la tradition française, l'existence de cette interversion n'est pas démontrée, ni illustrée par les métriciens
Et on sait que j'en ai fait un argument dans ma remise en cause de l'idée d'une variation métrique pour le poème Tête de faune.

Ce chapitre est étonnamment l'un des plus faibles de tout l'ouvrage

Il est suivi par un chapitre complémentaire intitulé "équivalence naturelle et équivalence acquise" où cette fois il est question du trimètre au milieu des alexandrins

Les équivalences naturelles sont donc de l'ordre A=A ou AB=AB, on sent l'égalité des vers de 8 syllabes entre eux et exclusivement entre eux, on sent l'égalité d'une mesure complexe 4-6 à l'exclusion de 5-5 pour les décasyllabes
Suite au raisonnement du chapitre précédent, l'interversion 6-4 est admise comme naturelle, ce qui est pour moi discutable à deux points de vue D'abord, cette interversion pose problème même si on admettait que la tradition française a pu y recourir, ensuite cette équivalence n'existe pas dans la tradition française ou n'a pas été démontrée pour les rares cas locaux qui pourraient s'y prêter
Le fait que cette tradition n'est pas prouvée invite d'ailleurs à penser que le modèle du chiasme n'est sans doute pas suffisant pour l'admettre comme cas particulier de l'équivalence naturelle, attestation ou pas dans d'autres langues du phénomène

Cornulier passe cette fois au cas de l'alexandrin, mais il indique au passage que son émergence pose un problème de datation, il se trouve que son argumentation lui permet de mettre entre parenthèse cette question :

Un problème apparaît avec l'émergence des "alexandrins ternaires" au XIXè siècle (peu importe, pour le poser, la datation exacte du phénomène). Dans certains contextes théoriquement isométriques, on trouve, mélangés à des alexandrins 6-6, des vers qui ont bien 12 syllabes, mais dont la "mesure" est apparemment 4-4-4. Ils correspondraient donc à un répertoire où en plus de l'égalité 6-6 = 6-6, on exploite l'égalité 4-4-4=6, le ternaire étant un vers d'accompagnement de l'"alexandrin" au sens strict.
Le trimètre semble s'être lentement imposé et beaucoup de gens le rejetaient comme inacceptable jusqu'au début du vingtième siècle, c'était un sujet polémique
Ensuite, c'est un fait que ce modèle ne passe plus par l'égalité simple, l'alternance bien réglée
Le trimètre deviendrait plutôt un argument en faveur de la théorie additive, sauf que dans ce dernier cas pourquoi les poètes n'ont pas fait tout ce qu'ils voulaient comme combinaisons, pourquoi seulement ces deux modèles 6-6 et 4-4-4 avant au moins la fin du XIXème siècle ?

Eclipsant l'idée de la réelle datation d'origine du trimètre, Cornulier propose tout de même une mise en perspective historique à partir d'Hugo
La thèse est la suivante : Hugo s'est amusé, ingénié, exercé à dissocier la mesure du rythme "apparent" des phrases.
Il écrira plus tard des vers du genre "Ce bandit, comme s'il grandissait sous l'affront" où il n'y a ni 6-6 évident a priori, ni 4-4-4
L'équivalence serait née de ces exercices de dissociation
Ce qui a empêché de voir que cela relevait d'années d'apprentissage culturel, de familiarisation progressive, c'est qu'on a posé comme s'étant opérée d'emblée la disjonction entre mesure 6-6 et mesure 4-4-4
Soit une mesure, soit l'autre. Il fallait au contraire envisager, et cela est bien dans l'esprit d'exercices de dissociation entre mesure et apparence rythmique des énoncés, que les deux combinaisons se superposaient, l'une étant métrique, l'autre étant un rythme perturbateur
Des tensions volontaires étaient proposées aux lecteurs
Mais ce fut sans compter sans l'acclimatation rapide des paresseux et désinvoltes qui admirent précocement l'équivalence et se contentèrent d'admettre le mélange
Ceux qui ne l'admettaient ne cherchaient pas plus à vérifier si derrière l'apparence le vers n'était pas binaire, d'autant qu'il en étaient déjà à admettre la théorie moderne des accents dans le vers qui ne dissocie pas tellement rythme apparent et mesure, sauf caprices de métriciens à l'occasion.
Cornulier expose sa thèse qui pour nous est juste, mais il ne la justifie pas historiquement
Mais il commet aussi à notre sens deux erreurs importantes.
Premièrement, loin de choisir un trimètre ostentatoire comme celui de Suréna de Corneille, il choisit de présenter un trimètre qui, dans les faits, est problématique :

"D'où part la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux"

Il dit bien que classiquement le vers serait décomposé comme suit :  "D'où part la strophe ouvrant + ses ailes dans les cieux", mais son rythme naturel invite à le découper en trimètre : "D'où part la strophe + ouvrant ses ail+es dans les cieux"

Il n'est pas si évident que le rythme ternaire soit plus naturel que le rythme binaire
la coupe pour "ailes" est discutable et dans l'absolu, et en tant que césure à l'italienne, ce qui est proscrit à la césure normale Pourquoi admettre pour le trimètre ce qui ne s'admet pas pour la césure normale ? Pourquoi forcer une lecture ternaire, alors que deux lectures binaires peuvent paraître plus pertinentes, celle en alexandrin justement et celle-ci : "D'où part la strophe + en ouvrant ses ailes dans les cieux", car pour rendre cet énoncé ternaire il faut forcer le détachement du groupe prépositionnel "dans les cieux" qui fait assez naturellement corps avec la proposition participiale introduite par "ouvrant"
Cornulier a choisi pour moi un très mauvais exemple, un exemple douteux même.
Rien ne prouve que c'était un trimètre dans la pensée de Victor Hugo et quantité de vers classiques rentreraient alors facilement dans la catégorie trimètre, comme celui-ci du Misanthrope de Molière :

"Moi votre ami ? Rayez cela de vos papiers."

Evidemment, Cornulier n'a pas encore déterminé les critères méthodologiques pour identifier une césure, et ici il faudrait concurremment identifier des critères complémentaires pour distinguer un trimètre volontaire d'un rythme ternaire involontaire, bien que Cornulier soit conscient du problème puisqu'il dit tout abstraitement qu'il ne faut pas confondre le trimètre avec une structure (4-2)(2-4) comme peuvent les proposer les métriciens adeptes de la césure mobile
Le cas est ici plus flou, mais Cornulier n'identifie pas le problème
Quelques lignes plus haut, nous relevons une autre erreur importante
Cornulier rappelle à nouveau que les vers dans la chanson n'obéissent pas aux mêmes principes, car la mesure musicale dispense l'auteur des vers d'un bien grand effort de concordance entre l'énoncé et la mesure syllabique
Ce n'est déjà pas très clair comme affirmation, car le texte est du texte, et tout ce que nous comprenons, c'est que la césure peut passer au milieu d'un mot dans une chanson car la mesure de la musique va prendre le relais pour qu'on identifie bien la mesure.
Le problème, c'est que ce sont deux ennéasyllabes de Malherbe qui sont cités, et Cornulier commet la même erreur que Banville de les lire en ternaires 3-3-3, alors que ce sont des vers aux hémistiches de trois et six syllabes.

Voici le passage que nous critiquons :

Quand Sully Prudhomme (1901, p.89) coupe sans sourciller en 3-3-3 ces "vers de 9 syllabes" de Malherbe : L'air est plein - d'une halei - ne de roses, / Tous les vents - tiennent leurs - bouches closes, il oublie que ce poète n'aurait jamais détaché un proclitique par une césure : cette mesure n'émane pas du seul texte, mais d'une musique associée à lui.

 L'explication donnée n'est pas recevable. La réalité, c'est que l'ennéasyllabe est réservé aux chansons, mais sa mesure est bien toute littéraire, sauf qu'il faut donner sa vraie mesure, il est composé d'un premier hémistiche de trois syllabes et d'un second de six syllabes
Certes, Malherbe n'aurait jamais mis un proclitique à la césure, mais il n'aurait jamais non plus césuré de la sorte le mot "halei-nes". Or, la lecture en 3-6 résout le faux problème : "L'air est plein - d'une haleine de roses, / Tous les vent - tiennent leurs bouches closes" L'harmonie des seconds hémistiches est nette et évidente. Tous les ennéasyllabes de Molière sont réguliers à cette aune.
La vraie erreur de Prudhomme est celle de Banville découpant en 3-3-3 les ennéasyllabes de Scribe qui les a clairement composés en 3-6 Et les maladresses de Banville au sujet des ennéasyllabes pour lesquels il finit par proposer deux modèles qui n'ont pas l'aval de la tradition est capitale, strictement capitale, pour comprendre les ennéasyllabes de Verlaine : Art poétique, Bruxelles Chevaux de bois, Ariettes oubliées II, un Verlaine qui avait parfaitement compris que l'ennéasyllabe traditionnel est 3-6 et non 3-3-3 Le 3-3-3 n'est qu'un rythme apparent ludique, tout comme les anaphore 4-3-3 dans les décasyllabes traditionnels, tout comme les anaphores 4-4-4 au sein de la structure binaire 6-6 de l'alexandrin.
J'ai aussi une idée en tête, inédite, que je lâche au passage, le premier vers de Larme né tout entier d'une méditation sur le rythme apparent ternaire, mais dans un contexte de vers de 11 syllabes, ce qui encourage traitreusement le lecteur à chercher ou le décasyllabe ou l'alexandrin trimètre.
Mais revenons à notre compte rendu.
Je suis en train de dégager au milieu même des forces nouvelles de l'approche de Cornulier les défauts qui pour moi font que la métricométrie s'est privée d'une saine remise en cause pendant au moins vingt ans de 1980 à 2004 pour le moins. Remise en cause qui l'aurait perfectionnée, épurée, améliorée profondément.
Pendant 20 ans, les justifications et illustrations par des commentaires ont vu le jour, et ce n'est pas rien, mais le modèle a stagné et est resté en-dessous de l'histoire littéraire
Surtout, à l'heure actuelle, la recherche sur le trimètre n'a toujours pas été mise en chantier, menée à bout, mon présent travail excepté.
Malgré l'erreur sur les vers de Malherbe, les pages demeurent superbes et pleines d'idées fortes.

[...] Hugo s'entraînait à saisir un même objet à la fois comme 6-6 et comme 4-4-4; ses lecteurs faisaient le même apprentissage. Ce long ressassement leur apprenait peu à peu à sentir l'équivalence des rythmes 6-6 et 4-4-4, non pas en tant qu'additivement égaux à 12 - nombre qui dans la perception n'existe pas -, mais en tant que les deux faces rythmiques d'un même objet, fréquemment associées dans la même perception [...]

A partir de là est née l'équivalence acquise, le pur 4-4-4 pouvait se mélanger aux 6-6, mais encore conviendrait-il de dater cette ultime étape, ce que ne fait pas Cornulier.
Ou plutôt, Cornulier fait l'hypothèse que les purs 4-4-4 apparaîtraient dans les années 1860, mais sans aucune preuve donnée à l'appui de cette thèse qui pour nous est fausse, qui est suspecte même pour Cornulier au vu de ses articles plus récents.
J'évite de rendre compte de la fin de l'article, dont je ne retiens que la citation d'un autre alexandrin hugolien présenté comme trimètre, ce qui me semble plus pertinent que dans le cas précédent, mais encore une fois reste à affiner les critères d'identification : "Il vit un oeil tout grand ouvert dans les ténèbres"
Cornulier se sert de ce vers pour dénoncer l'insuffisance des approches critiques qui disent que ce n'est que par timidité que Victor Hugo ne fait jamais enjamber un mot à la place de la césure normale quand son vers serait en réalité un pur trimètre
Nous approchons de plus en plus de la nécessité de fixer des critères d'identification des césures, car, finalement, ce qu'on observe, et c'est un peu normal à l'époque où Cornulier écrit, puisqu'il met en route une nouvelle façon d'étudier les vers, c'est que le débat n'arrive pas à se resserrer sur des vers spécifiques posant manifestement problème. Le débat porte sur n'importe quel vers, est-il plutôt trimètre, plutôt alexandrin binaire, mais pas sur des cas d'école, ce qui était une erreur à l'époque.
Il fallait commencer par le vers de Suréna, ceux d'Agrippa d'Aubigné, d'autant que Rochette qui a mis à jour les trimètres de ce dernier est plusieurs fois cité dans Théorie du vers (mais non les vers d'Aubigné), et commencer par des vers similaires à ceux de Corneille et Aubigné.
Cornulier débat d'emblée en s'appuyant sur des exemples problématiques et délicats à déterminer, tout comme d'emblée il suppose un traitement permissif des césures du trimètre (césure à l'italienne, césure féminine), tout comme d'emblée il admet l'interversion des hémistiches dans les décasyllabes sans aucune attestation historique à l'appui.
Cela a eu des conséquences dans le fait que pendant vingt ans la métricométrie s'est consolidé, mais n'a pas avancé au moyen de nouveaux bouleversements importants des appréciations.
Il est pertinent que je m'arrête ici pour cette fois. On comprendra qu'il y a matière à méditer.

mercredi 27 novembre 2013

Interlude, mais fort (et en lien avec mon cr de Théorie du vers)

Vous avez pu observer le glissement de la césure comme repos entre des groupes de syllabes unies rythmiquement (je n'entre dans aucun détail, trop laborieux) et la césure comme borne après un accent fixe
Et à côté des accents fixes qui en réalité ne sont que superposés sans rigueur et justification à l'idée classique de "repos" entre des groupes de syllabes unies rythmiquement
Pour les accents fixes, les groupes de syllabes unies sont les hémistiches
Pour les accents mobiles, c'est en fonction de la syntaxe mais coton à définir
Vous remarquerez aussi que Cornulier cite un passage en majuscules qui ne traite pas de l'accent mobile, mais de la césure mobile
A la façon des poupées russes, mes citations de Cornulier contiennent cette citation de Tenint et d'autres citations encore
Toutefois, j'ai déjà fait remarquer, ce qui n'a pas été relevé par Cornulier, que ni Tenint ni Banville ne parlent d'accent dans le vers
En réalité, la théorie des accents était neuve en 1844 Quicherat en est un important promoteur dans la mesure où son traité est celui de référence pour le dix-neuvième siècle
Mais, on voit que Cornulier a conscience du problème, puisque plusieurs fois je vois qu'il écrit "accent ou coupe mobile", ce qu'il n'a pas dit c'est que les théories de l'accent mobile vont fragment l'hémistiche en supposant des accents, mais que Tenint a repris ce principe en parlant simplement de coupes entre les groupes de syllabes et non d'accents
Accent mobile, c'est dans la théorie des accents
Coupe mobile, c'est dans la théorie sans accent, mais pas toute théorie sans accent, précisément celle de Tenint
Dans le cas de Banville, c'est un peu plus compliqué, mais son exposé du répertoire des mètres s'en tient à l'unique césure traditionnelle, cela devient confus différemment par la suite

Il y a aussi un problème à observer, c'est celui de poètes qui avaient lu les nouveaux traités de leur temps
C'est un problème délicat pour la réflexion, non pas sur la métrique -la démonstration-réfutation de Cornulier est claire -, mais sur les extrapolations rythmiques qu'on peut prêter aux vers
Il reste aussi à étudier pourquoi les poètes du XIXème parlaient bien d'enjambement libre et de césure mobile, cela est lié à une paresse intellectuelle, et cela a beaucoup de conséquences fâcheuses car on jurerait (à tort) que les poètes prétendent noir sur blanc qu'ils ne tiennent plus compte de la césure
Je vais revenir là-dessus

Voici ce que je voulais dire de fort
On remarque dans les vers scandés avec des accents mobiles que les "maîtres" se permettent d'étonnantes fantaisies puisque l'accent vient après un article "la", après le "e" féminin de "vivent", etc
Comme la méthode n'a pas encore été exposée par Cornulier, c'est quand on relit une deuxième fois (ou quand on sait déjà de quoi il retourne) qu'on comprend le sel de pas mal de ces citations cocasses

Mais il y a encore une chose qui me tient à coeur

Cornulier montre que seules les césures fixes sont nécessaires, et qu'elles peuvent s'appeler simplement césures, ajouter "fixes" c'est faire un pléonasme
Les césures mobiles n'ont pas de sens métrique, puisqu'elles ne prouvent rien On n'est pas avancé quand dans un hémistiche on croit avoir montré 2-4, 3-3, 1-1-2-2, etc Il y a six syllabes et on peut passer en revue toutes les formes d'addition, cela n'a aucun intérêt pour dire que nous avons affaire à un vers
Mais la dichotomie entre les césures mobiles et les césures fixes va plus loin que le constat que les unes sont inutiles et fausses, que les autres sont nécessaires et vraies
Car l'opposition des accents mobiles et des accents fixes quand on étudie les exemples des maîtres infirme la pertinence de l'approche accentuelle de manière radicale
En effet, les accents mobiles se trouvent parfois à l'intérieur d'un mot, alors que quand des mots ont chevauché la césure ou l'entrevers ç'a été la révolution
Certes, dans les cas "majestueu+sement", "Nabucho+donosor", "Avec BriTANniCUS je me réCONciLIE", la théorie des accents manque de légitimité, mais le traitement de ces exemples ne la met pas par terre par une contradiction insupportable, sauf tout de même qu'on se demande pourquoi ces mots n'ont pas plus tôt chevaucher la césure en profitant de leur accent, alors que dans l'exemple suivant de Martinon il y a un problème qui pointe le bout de son nez, celui de l'accent mis non sur la dernière syllabe stable d'un mot mais sur l'avant-dernière : "Cependant, - par un sort - que je ne con - çois pas"
Martinon s'en sortirait en prétextant qu'il y a une manière d'enclitique avec le second adverbe de la forclusion négative "pas", c'est "ne conçois pas" qui formerait un mot insécable en quelque sorte
Tout de même, malgré cela, l'exemple est difficile à digérer "con-çois" ou "que je ne con-çois pas", on voit bien que le découpage n'est pas naturel, quelque idée qu'on se fasse de ce que doit être l'accent ou la suspension pensée par Martinon
Dans mon souvenir, une note du traité de Quicherat laissait passer une bévue, une forme à enclitique avec trait d'union, du genre "entendez-moi" où il parlait de l'accent sur l'avant-dernière syllabe, mais ma consultation sur Gallica m'amène à constate qu'il n'y a pas bévue, simplement l'affirmation du report de l'accent à cause du pronom Il note bien que la forme fait corps
Ceci, "entendez" ou "entendez-moi", il va falloir se lever tôt pour prouver que "entendez" se prononce différemment dans les deux cas, je ne mets pas plus d'accent dans le second cas, juste que le [e] est un peu mangé parce que j'articule déjà la dernière syllabe "moi", mais pas de montée d'intonation, rien du tout
Aucune différence sensible
Après, je peux m'amuser à me contredire en faisant exprès d'opposer la prononciation des deux mots et m'autopersuader qu'il y a une différence et que je l'ai dégagée

Pour moi, la notion de "repos" associée à la césure est plus juste, mais le repos n'est pas nécessairement un suspens de la voix, le repos c'est un impondérable, la perception des points d'articulation dans la formulation des mots et groupes de mots
C'est des moments d'inflexion quand on parle, et ce n'est pas forcément un suspens de la voix En revanche, quand les vers sont déviants mais qu'il faut maintenir la césure et supposer un effet de sens, le lecteur a intérêt à privilégier le suspens, et non l'intonation forte ou que sais-je, dans la plupart des cas
Vu qu'il est question d'effets de sens, tout est possible, une intonation forte peut être pertinente pour une réponse "Non" par exemple au théâtre, que sais-je? Mais le suspens me semble bien la base pour faire sentir une césure peu marquée, et la lecture lente favorise inévitablement le repérage des césures difficiles

Les pages qui suivent dans ce que nous avons encore à rendre compte de l'ouvrage vont signaler que la césure n'existe pas, c'est les hémistiches qui existent et la césure n'est rien d'autre que le revers négatif, la frontière qui découle du fait qu'on admet l'existence des hémistiches
Cornulier illustre cela par l'exemple suivant
ANTICONSTItutionnellement
La frontière entre les deux parties du mot est une abstraction, elle n'existe pas sur le papier
Cornulier fait remarquer que l'obsession du repérage de la césure est telle que nous croyons la déterminer sur un indice ponctuelle: par exemple un blanc à cet endroit du vers
Mais le blanc n'est que l'absence de liaison entre les lettres d'un mot, et il y a de toute façon plusieurs blancs dans un vers
Or, il faut, puisque la césure n'est que l'idée que nous passons d'un hémistiche à un suivant, au moins de poser la question de l'unité mélodique de chaque hémistiche
Je remarque que malheureusement cette unité mélodique est rendue fuyante, mais qu'il y a tout de même un argument mélodique important La butée d'un hémistiche doit être plus volontiers dissyllabique, à tel point que les césures sur une préposition de deux syllabes est tolérée mais pas une césure après une préposition d'une syllabe chez les classiques, et cela vaut pour des conjonctions "tandis + que", etc
Voilà

mardi 26 novembre 2013

Le livre Théorie du vers de Benoît de Cornulier

Je voudrais rendre compte ici d'un ouvrage fondamental, Théorie du vers de Benoît de Cornulier, lequel est accompagné d'un sous-titre Rimbaud, Verlaine, Mallarmé
Les autres ouvrages de Cornulier sont beaucoup plus soumis à des efforts de synthèse et à des déploiements minutieux du raisonnement sur la rime ou le mètre Certains très importants comme l'article sur la critique du rôle de l'accent dans le vers ne sont pas évident à lire par tout le monde Quant aux commentaires de poèmes de Rimbaud, quand ils sont accompagnés d'une analyse métrique, ce qui n'est pas toujours le cas (la métrique n'est pas très présente dans les commentaires de Chant de guerre Parisien ou Jeune Ménage), il faut dire qu'ils partent toujours d'acquis antérieurs ou qu'ils apportent de nouvelles réponses à la science qu'on peut avoir acquise si on a lu les travaux antérieurs de Cornulier
Le grand livre à lire, c'est Théorie du vers car ce n'est pas une synthèse ou un supplément, c'est l'analyse à fond, à vif, avec sa pléthore d'arguments savoureux pour tous ceux qui aiment la jubilation intellectuelle, c'est aussi le rapport à tout ce que les métriciens ont écrit auparavant, c'est un ouvrage agréablement polémique mais dans les formes, polémique du moins au sens où les piques sont présentes, c'est un ouvrage qui nous renseignant sur les errements passés nous fait comprendre pourquoi la réponse cohérente est importante et neuve, c'est un ouvrage avec des exercices, c'est un ouvrage qui n'a pas encore pour l'essentiel de ces chapitres le jargon métricométricien et quand ce jargon apparaît c'est au moment où il est précisément défini et amené par les justifications de chapitres faciles à lire
Le livre est très dense, mais il reste facile à lire, on comprendra quand même immensément de choses à sa lecture
Et si la passion prend, on y revient

Alors, il y a aussi tout le problème de l'antériorité du livre de Jacques Roubaud La Vieillesse d'Alexandre C'est Jacques Roubaud qui, le premier, a donné un modèle de codage des syllabes de l'alexandrin pour en dégager les régularités et c'est Jacques Roubaud, le premier, qui a déclaré par écrit que "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur" sabrait toutes les règles de composition de l'alexandrin et notamment liquidait l'héritage de l'alexandrin déjà assoupli par Hugo
Or, Cornulier s'est imposé avec son propre système de codage et un article important sur "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur", ce qui veut dire qu'il vient après, qu'il améliore, mais que l'idée ne vient pas de lui

Déjà, il y a des points à modérer Même si dans l'édition du Livre de poche, Pierre Brunel soutient que la versification de "Qu'est-ce" est toujours celle classique de l'alexandrin, et encore, fait exprès, je ne cite pas les mots exacts qu'il a employés, les gens savaient quand même que l'alexandrin de Chénier n'était pas tout à fait classique, que celui d'Hugo encore moins et qu'on continuait de s'en éloigner avec Verlaine comme avec le Rimbaud de 1871 et 1872
Mais ces évolutions sont perçues comme secondaires parce que l'égalité de la mesure dans la composition des hémistiches n'est pas au centre des débats
Dans l'esprit des gens, la plupart des vers classiques ont deux hémistiches de six syllabes ou une forme ternaire de trois fois quatre syllabes, mais avec les romantiques dès les premières audaces de la période 1820-1833 on décrète que quand la mesure normale n'est pas évidente ça peut se mesurer de manière diverse Du coup, il n'y a plus moyen d'établir une différence objective entre les vers d'Hugo et ceux de Rimbaud en 72 autre que l'abondance de plus en plus grande des vers déviants
Par ailleurs, j'ignore si Jacques Roubaud a publié une partie de sa thèse avant ce livre, mais l'ouvrage de Roubaud et celui de Cornulier sont publiés à très peu d'années d'intervalle sachant que le livre de Cornulier fait suite à une thèse qui a pris quelques années Les ouvrages sont en partie contemporains tout de même Par ailleurs, le codage adopté par Cornulier est pour ainsi une inversion de celui de Roubaud et est bien meilleur Mais aussi, il faut se reporter à l'ouvrage de Cornulier pour juger de tout ce qu'il apporte lui de personnel, on ne peut pas lire uniquement Roubaud et positionner un livre par rapport à l'autre dans le temps, et puis c'est tout

Le livre de Cornulier a également été précédé d'un long article dans une revue universitaire et il convient de le citer car une idée essentielle a été prononcée dans l'article qui n'a pas été reprise dans le livre, le cas fameux de la césure étymologique au mot "pén+insules" du Bateau ivre Michel Murat reprend cette idée qu'il mentionne dans le livre L'Art de Rimbaud, mais il s'agit d'une idée de Cornulier publiée en 1980, qui n'a pas été envisagée par Jacques Roubaud et qui est passée à la trappe ensuite
Benoît de Cornulier a essentiellement publié des études sur la versification, mais son travail sur Rimbaud s'intéresse au commentaire de certains poèmes et il a publié aussi un livre Effets de sens qui est un des premiers ouvrages français à s'intéresser aux approches américaines (le pragmatisme, Grice) au succès si important par la suite chez les linguistes et, mais le mot n'est pas pertinent quand il s'agit de la pensée anglo-saxonne, chez les "philosophes"

 Je vais donc traiter de ce livre en suivant le fil de ses parties constitutives et en citant des extraits Il faudrait tout citer, tout lire Mais je vais donner des "morceaux choisis" si on peut dire

La première partie "Notions de métrique" qui contient des exercices permet au lecteur d'éprouver certaines vérités inattendues, de déniaiser son rapport à la versification, trop conditionné par l'acceptation des discours d'autorité en la matière
L'idée fondamentale, c'est qu'il n'y a qu'un cas de vers faux que nous percevions, c'est quand il manque au moins une syllabe à un vers ou qu'à l'inverse il y en a de trop, ce qui rompt l'égalité avec les autres, et donc si c'est la seule perception que nous ayons d'une anomalie dans le vers, c'est donc que symétriquement nous percevons cette égalité
Si nous sommes choqué par une inégalité, c'est que nous percevons une égalité
L'ouvrage va s'attacher à montrer que les études de versification n'auraient pas dû lâcher ce point pour des considérations indémontrables ou pour des considérations que précisément ce livre va infirmer
Il s'agit alors d'une redécouverte de la pertinence des définitions les plus simples du vers classique
Le vers, c'est une égalité entre des segments syllabiques Cette égalité est en fonction d'un nombre de syllabes, mais attention nous ne percevons pas ce nombre lui-même, nous sommes simplement sensible à l'égalité syllabique des vers entre eux
Nous n'entendons pas 5, puis 5, mais l'égalité qu'il y a entre deux vers de cinq syllabes
Et pour les mesures complexes, nous n'entendons pas 6+6=12, 5+5=10, 4+6=10, etc, mais nous entendons l'égalité et l'alternance 4-6 4-6 4-6, et j'oserai dire pour ne pas chercher mes mots l'alternance 6-6 6-6
Nous ne pratiquons pas l'addition quand nous lisons des décasyllabes et des alexandrins
Evidemment, cela demande aussi que soit déterminée la limite de notre perception et que soit justifiée la tradition qui veut que nous passions des mesures simples de une à huit syllabes à des mesures composées, complexes, au-delà de huit syllabes
Cornulier ne le prouve pas, est-ce seulement possible de prouver cela ?, mais il déclare que des tests qu'il a effectués l'ont amené à ne jamais rencontrer la moindre personne qui soit capable de reconnaître l'égalité de vers de neuf syllabes sans césure de son invention, alors que certains reconnaissant des égalités pour des vers de huit syllabes, encore n'est-ce pas la majorité des gens
Les exercices du début du livre nous permettent de l'éprouver pour nous-même
La vérification empirique a jusqu'à un certain point un caractère suffisant, si vous ne reconnaissez pas l'égalité de vers sans césure au-delà de neuf syllabes c'est que le problème de cette limite se pose bien et n'attend pas la dix-septième syllabe pour le faire
C'est cette question de l'égalité qui fait que le débat portant sur la césure va permettre de déterminer que seules les césures fixes, même si c'est un pléonasme grossier, ont une pertinence métrique, alors que les césures, coupes ou accents mobiles n'ont forcément aucun intérêt métrique
Si la métrique n'est affaire que de perception de l'égalité, les formes irrégulières n'ont pas l'intérêt que leur ont prêté tant de théoriciens du vers
Il faut donc éliminer le superflu et revenir à l'essentiel, car une partie des analyses métriques confondent l'analyse du rythme qu'on trouve aussi bien dans la prose que dans le vers avec les analyses qui portent sur la mesure du vers proprement dite Il faut bien distinguer rythme au sens large (pas musical) et mesure

Mais, comme des pratiques déviantes sont apparues et ont fini par devenir massives, la deuxième partie du livre présente une méthode non intuitive d'analyse de la mesure des vers pour vérifier s'il y a une mesure ou pas dans ces vers

Cet ouvrage mettait par terre l'érudition universitaire en la matière, le magistère des poètes également, et l'ouvrage fait état de ces réactions d'hostilité à quelques reprises : dans les Remerciements, il cite "Jean Molino (pour m'avoir encouragé par ses critiques), Monique Parent (pour m'avoir découragé par ses critiques)"
Note 2 page 16, en bas de page, nous lisons les réactions d'Yves Bonnefoy et Monique Parent qui sont convaincus que la perception d'une égalité entre deux vers de douze syllabes n'est pas le moins du monde problématique, et même pour des égalités de plus de syllabes encore
Il faudrait y ajouter toutes les critiques de ceux qui ne veulent pas renoncer à l'étude des accents dans les vers, ce qui entraînera d'autres mises au point importantes de la part de Cornulier

Voilà dans les grandes lignes ce qu'offre ce livre, je n'ai bien sûr pas encore exposé la méthode et je ne vais en tout cas pas vous parler trop des exercices, car ce serait manger le morceau Il forme le premier chapitre (Testez votre capacité métrique) de la première partie (Notions de métrique)
J'indique qu'il y a des exercices sur l'égalité syllabique, mais aussi des exercices sur le rapport entre la rime et le mètre pour montrer que la rime n'a rien à voir avec la définition métrique du vers, ni sa reconnaissance, il y a un exercice sur l'impossibilité du dénombrement des syllabes, sur les consonnes et voyelles pour montrer qu'on perçoit l'égalité pour les syllabes, mais pas pour des suites égales de trois sons
Vous comprendrez que je ne veuille pas vous enlever la possibilité de vous laisser surprendre
Ces exercices sont accompagnés de démonstrations argumentées avec pour conclusion qu'au-delà de huit syllabes la perception n'est plus possible pour personne, elle est déjà problématique pour la plupart des gens avant huit syllabes d'ailleurs Mais aussi le seul rapport métrique est l'égalité, il n'y en a pas d'autre Pas d'addition, etc Et au passage Cornulier met à mort la légende du vers impair qui serait plus musical, le poème de Verlaine L'Art poétique n'a pas à être lu au premier degré
C'est aussi une des grandes mises au point du livre, puisqu'à l'époque c'était un lieu commun que de répéter cette idée comme essentielle à l'esthétique verlainienne
Le deuxième chapitre intitulé "mesures complexes" nous amène au problème de l'identification des césures
Il est introduit par une épigraphe de Renan : "Il se sauve en multipliant les exceptions, qui elles-mêmes sont à ses yeux des espèces de règles" (Renan, De l'origine du langage)

Le chapitre se subdivise en six sous-parties Cornulier commence par critiquer les aberrations des théories du vers antérieures avec une sous-partie traitant de leur "confusion du mètre et du rythme", et une seconde confrontant l'idée de "césures" mobiles à la notion de césure Le troisième chapitre traite de la tradition française avec le répertoire des mètres et dénonce le mythe de la "supériorité présumée de l'alexandrin" Mais, le problème de l'altération sensible dans le traitement des alexandrins à partir du XIXème siècle nous amène à trois nouveaux chapitres, l'un qui se pose la question d'un rapport possible entre un vers fondamental et un vers d'accompagnement, le suivant qui s'intéresse aux faits culturels qui permettent de passer d'une équivalence naturelle à une équivalence acquise, le dernier qui s'intéresse au statut particulier des syllabes féminines

On a vu que la limite de perception faisait grincer les dents à l'époque, et cela reste en partie vrai aujourd'hui, bien que le renouveau des études métriques ait fait un certain chemin (à l'Université du moins), mais il s'agissait là d'une fin de non-recevoir La partie sur la confusion du mètre et du rythme est une réfutation en règle des théories métriques divergentes et contradictoires dont quelques présupposés communs faisaient à tort consensus Ici, il convient de citer Cela ne peut guère être résumé, car c'est dense et des citations montreront bien mieux combien nous avons affaire à une leçon critique implacable On distinguera parmi ces noms celui de Martinon qui fut un spécialiste intéressant du vers et qui ici est sévèrement remis en cause Je précise que j'ai reçu une forme de l'enseignement ci-dessous critiqué, et au lycée, et à l'Université :

         Aujourd'hui, c'est quasiment devenu un jeu scolaire, tant les critiques modernes en ont répandu l'exemple, que de saucissonner tant bien que mal tout vers classique en petits tronçons d'à peu près une à six syllabes qu'on baptise souvent pieds, ce terme technique procurant l'illusion qu'il s'agit d'un découpage véritablement métrique, d'une analyse de la structure métrique en tant que telle Donnez à un licencié ès lettres à "scander" cet alexandrin de Malherbe : Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, il vous rendra sans hésitation, sans égard à l'identité de l'auteur, après quelques traits de crayon, une "scansion" du genre suivant : Et rose - elle a vécu - ce que vi - vent les roses (2-4-3-3), ou : Et rose -elle a vécu - ce que vivent - les roses (2-4-4-2), ou : Et rose -elle a vécu - ce que vivent les roses (2-4-6), etc heureux s'il condescend à accorder, après le mot vécu, une coupe 6è Cet étudiant fait ce que font ses maîtres taillant des pieds dans l'alexandrin Ainsi, Becq de Fouquières (1879) scandant : Roi, - père, - époux heureux, - fils - du puissant - Atrée (1-1-4-1-3-2) F de Gramont (p 83-86) scandant : Sur leurs - débris - éteints - s'étend - un lac - glacé (2-2-2-2-2-2), ou : Le siè - cle se fermait, - et la - mélancolie (2-4-2-4) Martinon (1909, p623) scandant : Cependant, - par un sort - que je ne con - çois pas (3-3-4-2), et : Nabucho - donosor, - qui régnait - dans Assur (3-3-3-3) M Grammont (1965, p 120-121) scandant : Si je vous le - disais, - pourtant, - que je vous aime (4-2-2-4), et : Ninon, - vous êtes fine, - et votre in - souciance (2-4-3-3) Deloffre (1973, p 134-135) scandant : Nature, - rien de toi ne m'émeut, - ni les champs (3-6-3) Mazaleyrat (1974, p 138) taillant majestueu - sement dans un hémistiche de Vigny  [:::] Ces multiples découpages sont rarement argumentés

Notez que la scansion d'un vers de Verlaine par Deloffre fait défaut à cette coupe 6è encore heureuse chez l'étudiant scandant un vers de Malherbe
Poursuivons :

      Quel est le sens de cette activité ? Elle paraît liée à l'idée que, du point de vue strictement métrique, un 8-syllabe ne peut pas être simplement un 8-syllabe, et un alexandrin ne saurait être une chose aussi simple qu'une combinaison de deux 6-syllabes ce serait trop simple, trop évident [:::] On méprise avec Tenint (1844, p 19-28) les "prosodistes de la vieille école", qui, faute d' "imagination", n'avaient pas découvert la césure présente dans les vers (ou demi-vers) de 5 à 8 syllabes "PARCE QU'ELLE EST MOBILE" (c'est Tenint qui imprime en capitales cette formidable découverte)

      Quant à une procédure de reconnaissance de ces pieds, ou de contrôle de leur pertinence métrique, il n'en est guère question : laissez-vous conduire par votre intuition de fin littéraire, et décidez qu'il y a une coupe (métrique) là où il vous semble naturel, plausible, heureux, de fragmenter le vers qu'il faut à tout prix fragmenter D'une manière significative, le résultat est le suivant [:::] Les scandeurs - d'hémistiches - tendent - à peu près - à scander - l'intérieur - du vers - tout comme - ils scanderaient - la prose
Je vous laisse apprécier la citation précédente que j'ai encore plus ramassé que dans l'original au moyen d'une petite coupure  C'est du 3-3-1-3-3-3-2-2-3-2 "ou quelque chose comme ça"

         Dans cette mesure, ils illustrent seulement le fait que toute suite linguistique se prête plus ou moins naturellement à une ou plusieurs interprétations rythmiques, dont chacune, forcément, a le rythme qu'elle a : ils sont là avec leurs pieds à taille variable comme un médecin militaire qui se donnerait autant de toises que de conscrits, et dirait à chacun, en somme, qu'il mesure ce qu'il mesure, et donc qu'il est "conforme" Si cette métrique avait du sens, la prose n'existerait pas
Alors, c'est pas savoureux?

Toute phrase latine ne peut pas être découpée en spondées ou dactyles, poursuit Cornulier, tandis que, selon les principes appliqués ci-dessus, toute phrase française est du vers Ces découpages posent problème dans la mesure où "ils ne sont l'objet d'aucune règle précise et contraignante caractéristique du vers"

Cornulier dénonce ensuite par les exemples cités l'inconsistance des arguments qui permettent de négocier le cas d'alexandrins qui se plient mal à une lecture avec quatre accents, puisque cette théorie de l'alexandrin alors appelé tétramètre est la théorie accentuelle la plus courante 

            Le vers de La Fontaine : Qu'est-ce donc ? lui dit-il - Rien - Quoi ? rien ? - Peu de chose, blesse-t-il vos convictions, parce que vous croyez l'alexandrin de ce poète tétramétrique, et que le second demi-vers vous semble avoir au moins trois ou quatre accents ? Martinon (1909, p 638) vous rassure : "Le second hémistiche a trois accents Or, deux suffisent à l'oreille : elle n'en prendra donc que deux" car elle sait, n'est-ce pas évident, "aisément se tirer d'affaire L'hémistiche : Nabuchodonosor, chez Hugo, vous embarrasse-t-il parce qu'il vous semble n'avoir qu'un accent et que votre théorie en veut deux ? Les métriciens se pressent pour vous soulager de ce contre-exemple entre autres, Martinon (1909, p 623), selon qui l'oreille, "incapable comme elle est de compter jusqu'à six syllabes sans le secours des doigts, supposera, instinctivement et spontanément, un accent secondaire sur une une syllabe qui, théoriquement, n'en a point" et de scander : Nabucho - donosor (3-3) ou encore Quicherat (1850, p 136), selon qui "il arrive qu'on donne deux accents aux mots trop longs", par exemple dans : Avec BriTANniCUS je me réCONciLIE ou encore Mazaleyrat (1974, p 138) qui vous garantit par l'autorité d' "expériences de diction" que dans un hémistiche comme : majestueusement, chez Vigny, un "accent secondaire de Nebenton (:::) se porte spontanément sur la quatrième syllabe"

Cornulier évoque ensuite l'idée de Guiraud selon qui l'accent secondaire (mobile), sans disparaître car alors il n'y aurait plus de tétramètre, peut se confondre avec l'accent fixe, cette configuration est baptisée le 6-0 Il n'y a plus alors à saucissonner le mot "Nabuchodonosor", il suffit de dire qu'il y a un accent intérieur à la sixième syllabe suivi immédiatement "à zéro syllabe" par l'accent fixe

J'arrête là mes citations, d'autres remarques importantes parsèment cette partie clef du livre
La conclusion en italique est sans appel : "ces scansions ne sont que des déguisements d'analyses rythmiques tout à fait rudimentaires en analyses métriques dont elles extrapolent le modèle formel"

Je fais une pause, à suivre

lundi 25 novembre 2013

Progrès des Ardennes

C'est pas demain la veille qu'on me verra mettre en vente un fac-similé de Rimbaud, ni vendre aux enchères un document rimbaldien
Pour moi, ces documents ont exclusivement vocation à se retrouver dans des institutions nationales
Bon, le problème, c'est qu'après les documents sont quand même exploités par des boeufs
La Bibliothèque Nationale est incapable d'avoir un bon matériel pour les numérisations et elle se défausse sur l'entreprise privée qu'elle emploie, alors que le choix de cette entreprise relève de sa responsabilité
Ils ont des exemplaires du Progrès des Ardennes, vous demandez à les consulter, à ce qu'au moins on ait accès à une numérisation
Les universités devraient d'ailleurs avoir l'intelligence de se charger de la réalisation de CD-rom
Pensez-vous, on vous interdit la consultation
"agaga, le document est trop fragile, agaga, personne ne le lira, agaga, sauf la Sorbonne s'ils y pensent, agaga"
On conserve des documents en y mettant le prix pour que ça ne profite à rien et à personne
L'intelligence dans toute sa splendeur
"il faut respecter un protocole gnagnagnagna"
"oh moi je touche à rien, je suis pas couvert gnagnagna Ce dernier propos je l'entends pas dans les bibliothèques, mais c'est le même principe décadent
Mais comment on a pu faire pour en arriver là ?
Et ce qu'on vous cache, c'est que l'Etat avait dans ses archives tout le dossier du procès en séparation de Verlaine Les lettres de Rimbaud avaient été intégralement recopiées, c'est le travail du greffier et un document est intégralement recopié
Enid Starkie avait averti que le dossier serait consultable vers 1974
Je ne sais pas si c'est l'esprit de concurrence jalouse mais les rimbaldiens ne se sont pas concertés et n'ont jamais mis au courant les archives départementales qu'il y avait un trésor national à sauver
Ici, la vente sur ebay du fac-similé du Rêve de Bismarck, ça ne m'enchante pas, mais je fais au moins l'effort d'aller lire la page en ligne et je ne lis pas que le texte de Rimbaud, et je peste parce que je n'ai pas accès à l'autre côté du journal qui fait deux pages

En Belgique, ils valent pas mieux Je signale à l'attention qu'il y a du crayon sur un document, qu'il serait important de numériser ce document vu les risques de dégradations malveillantes (avec une gomme)
On me répond : "oui, mais nous c'est d'abord ce qui concerne la Belgique"
Mais comment on peut être aussi fin ?

Bref, j'ai faim de journaux du XIXème, donnez-moi ce qu'il faut et restez assis sur vos chaises pour le reste
Il me faut l'intégralité du contenu du Progrès des Ardennes qui a été conservé, moi je veux tout lire

Car on ne parle que du journal où figure le récit de Rimbaud, alors qu'il y avait deux autres journaux
Où ils sont ces journaux ?
Et tout le monde s'en fout

"Ah un texte imprimé inédit de Rimbaud, je veux ma relique!"
Pffh vous valez rien!

Moi, un document orioginal me passe dans les mains, vous êtes dans la merde
Pas tout-à-fait, vous êtes sûrs qu'il finit dans le domaine public rapidement, mais quand vous allez au Musée : "qui c'est qui a renversé de la soupe ? c'est Rimbaud ou c'est LUI?"

L'avis de Steve Murphy sur le livre de Kristin Ross

En 1991, dans Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion, Steve Murphy écrivait ceci :

"On a l'habitude de supposer qu'on a trop étudié les rapports entre Rimbaud et la Commune Bien sûr, le sujet a suscité beaucoup de bavardages Mais les deux livres consacrés en principe à ce sujet, par Pierre Gascar et Kristin Ross, ne contiennent pas la moindre étude de texte cohérente et définissent les rapports entre la poésie et la révolution de façon si large que rien de très précis n'en résulte"

Voilà qui m'aide à me dispenser de donner mon point de vue plus cruel encore

dimanche 24 novembre 2013

Le trimètre (pourquoi est-ce si important?)

Rimbaud n'est pas un auteur connu pour les trimètres, il en offre peu d'ostentatoires "Je crois en toi" ou "Morts de Valmy"
Pourtant, le reflet trimètre est bien présent dans plusieurs autres alexandrins de son oeuvre
Mais, on le voit bien, je ne prépare pas ainsi par l'envergure de mon approche une étude de l'utilisation du trimètre apparent ou de ce que j'appellerai le "trimètre reflet" par Rimbaud
Je le ferai, mais ce n'est pas ce qui me guide
Donc voici !

Premièrement, établir une réflexion sur le trimètre permet de bien constater que l'alexandrin n'a qu'une seule césure, que le trimètre propose on dira des "coupes" qui vont superposer un rythme fort à un rythme affaibli ou non de l'alexandrin
Du coup, au lieu d'être perdu quand la césure est brouillée, on recherche plus sereinement l'effet de sens à la césure normale
Ensuite, insister sur le trimètre me permet de combattre très fermement l'idée du vers semi-ternaire qui a d'ailleurs deux aspects, ou bien celui du binaire tronqué "4-8" ou "8-4" Le balancement est binaire, mais par effacement de l'une des bornes possibles du trimètre, ce mode n'est pas tellement envisagé par Cornulier et les métricométriciens, mais il me semble avoir bien dûment constaté son existence bête dans des poèmes à cheval sur le XIXème et le XXème siècle J'en avais relevé un quand je m'étais rendu aux archives départementales à Toulouse consulter un dossier nécrologique autour d'Armand Silvestre, mais il ne s'agit pas d'un vers de Silvestre, mais d'un illustre inconnu, et j'en ai relevé d'autres
Le semi-ternaire qui retient l'attention en métricométrie et qui vient de choses déjà formulées par Martinon au début du vingtième, ce n'est pas une radicale nouveauté loin de là et d'ailleurs cela pose même la question intéressante de l'origine du concept sur laquelle revenir Ce semi-ternaire, c'est tout simplement quand l'allure ternaire n'est pas celle de trois segments de quatre syllabes métriques, mais qu'il s'agit d'une espèce de forme approximative avec un seul membre de quatre syllabes : 4-3-5, 5-4-3, 5-3-4
Spontanément, il me semble évident que le semi-ternaire est une production paresseuse née de la désintégration continue du trimètre
Le problème, c'est que ce concept est appliqué à quantité de vers romantiques et parnassiens, alors même que le trimètre est seulement en train de devenir abondant et d'être retourné dans tous les sens
Je ne trouve pas cela logique
Et ce que je ne trouve pas logique non plus, c'est que des études prétendent observer comme un fait remarquable que quand la sixième syllabe est entravée les quatrième et huitième syllabes le sont rarement
D'abord, je n'ai pas confiance dans les tableaux qui me sont présentés, je crois qu'ils sont tous erronés et mon enjambement de mot chez Pétrus Borel n'en est pas que le seul indice suffisant
Je crois aussi que ces tableaux ont une tolérance anormale en fait de césures féminines et à l'italienne
Je crois surtout que les conclusions font fi du fait important Il n'y a aucune raison pour que, de manière inconsciente, les poètes compensent l'irrégularité de la césure normale chahutée par une harmonisation des voyelles quatrième et huitième, plutôt que par autre chose ou par rien
Je crois plus simple d'expliquer qu'il y a eu un jeu d'échange très conscient, très volontaire, entre le reflet du trimètre et le dérèglement de la césure normale
Et les techniques de brouillage touchant à tout, on finira par avoir les deux types de semi-ternaires précités, mais bien plus tard qu'on ne le prétend
Car, ce qu'il ne faut pas oublier c'est que concurremment au recours au trimètre les poètes pratiquent des rejets à la césure et des rejets entre les vers
Du coup, selon que la syllabation des rejets, selon l'emplacement des ponctuations fortes, on prétendra avoir un trimètre ou pas du tout: 4-4-4 c'est un trimètre éventuellement superposé à un 6-6, 4-3-5 c'est un semi-ternaire éventuellement superposé à un 6-6, 3-6-3 ah non! c'est un 6-6 chahuté à la césure sans aucun rythme compensation
Et comme les mots, a fortiori ceux qu'on fait rentrer dans les vers, ont souvent deux à quatre syllabes, tout est possible, on va trouver des semi-ternaires en veux-tu en voilà

Et j'en viens à un autre point sensible
Benoît de Cornulier a montré dans sa Théorie du vers que la métrique est liée à la perception des égalités syllabiques Nous percevons que deux segments de quatre syllabes sont égaux entre eux
Mais, comme le répertoire des mètres suppose que les vers simples sans césure vont de une à huit syllabes, et qu'après on passe aux vers composés avec une égalité d'hémistiche à hémistiche, un des arguments forts c'est de montrer que le genre humain perçoit l'égalité jusqu'à huit syllabes et pas au-delà
Beaucoup de métriciens avaient déjà parlé d'un maximum de la perception, mais ils ne le fixaient pas à huit, et ne tenaient aucun compte de la tradition, du répertoire des mètres Certains plaçaient cette limite à cinq syllabes, en-dessous même d'un hémistiche d'alexandrin

Cornulier a fait des tests empiriques et il a constaté qu'on pouvait reconnaître l'égalité jusqu'à huit, mais en réalité tout le monde n'est pas égal devant cette loi, reconnaître l'égalité entre segments de huit syllabes n'est réservé qu'à une infime minorité de personnes La plupart des gens n'arrivent pas à huit
Or, cela a des conséquences fâcheuses Cornulier essaie sans doute de rassurer les gens en leur disant que s'ils n'ont pas cette capacité, qu'ils se rassurent elle n'a rien à voir avec le goût et le jugement littéraires
Or, c'est là qu'est le problème
Hugo et Gautier ont produit une quantité considérable d'octosyllabes à la suite les uns des autres, on peut penser qu'ils étaient à l'aise avec ce sentiment d'égalité, mais il n'en reste pas moins que pour créer des octosyllabes on peut très bien compter sur ses doigts pour compenser ce manque d'aisance, et surtout d'autant qu'il est admis que cette perception de l'égalité n'a rien à voir avec la sensibilité il est indiscutable que quelqu'un qui ne maîtrise pas cette perception pourra malgré tout écrire des octosyllabes plus beaux que ceux des autres par son sens de l'élégance, de l'harmonie, du rythme qui ne se limite en rien à un sentiment d'égalité
Qu'est-ce qui prouve que Rimbaud et Baudelaire avaient une remarquable aisance à identifier l'égalité entre segments de huit syllabes, quand bien même ils ont composé des poèmes en octosyllabes ?
Rien
D'ailleurs, les manuscrits de Rimbaud ne manquent pas de vers faux, un octosyllabe dans Ce qui retient Nina, deux vers faux dans Famille maudite et un oubli de deux syllabes dans un alexandrin des Pauvres à l'Eglise, sans parler bien sûr des faits exprès
On ne peut pas dire que Rimbaud soit si à l'aise que ça, et d'ailleurs s'il abandonne aussi rapidement l'égalité après quelques années de pratique c'est peut-être justement que ce rapport n'est pas assez nettement perceptible pour lui
Mais, dans tous les cas, à défaut de preuve sur les capacités de tel ou tel auteur, et dans la mesure où il y avait une tradition suffisante pour justifier des choix indépendamment de la perception, je me méfie mais royalement de la théorie du semi-ternaire qui, d'une part, est contradictoire avec la métricométrie puisque du 5-4-3 c'est une forme purement irrégulière, et qui, d'autre part, va supposer par un préjugé révérencieux que l'auteur maîtrise automatiquement l'identification d'un segment de huit syllabes avec le fameux 8-4, alors même que nous ne sommes pas dans un contexte où une quelconque égalité peut être observée, puisque le semi-ternaire prétendu est isolé dans des alexandrins 6-6 et non égal à des semi-ternaires avoisinants
Le semi-ternaire en métricométrie n'est pour moi qu'une mauvaise adaptation des croyances d'anciens auteurs qui étudiant la versification tranchaient entre vers à quatre ou trois accents sans souci de la question de l'égalité
J'ai lu des tonnes de vers du XIXème siècle, et je ne vois aucune raison d'identifier des semi-ternaires, et je ne crois pas difficile de montrer que précocement des vers chahutés à la césure 6ème par des procédés violents n'était nullement lisible en trimètres ou semi-ternaires
Il y a l'enjambement de mots de Pétrus Borel, les premières césures d'Hugo sur une préposition ou un déterminant dans son théâtre, il y a le cas des rejets ou enjambements modernes adoptés dans la période 1820-1833, à commencer par le cas des contre-rejets ou rejets d'épithètes
Les premières audaces de Rimbaud sont également des preuves en ce sens

Ah ! quel beau matin que ce matin des étrennes!

La césure 6ème est sur le mot "que", les 4ème et 8ème syllabes sont entravées, et on peut noter que c'est comique, par le même mot "matin" "ma" est sur les deux syllabes du trimètre, et non "tin"
Et bien sûr on n'ira pas plaider un fait exprès : Rimbaud aurait médité ces entraves sur répétition

Les césures avec rejets d'épithètes étant banales, dois-je éviter de citer les premiers cas connus de la part de Rimbaud ?

Notez que Rimbaud a évité tout rejet d'épithète à la césure dans Les Etrennes des orphelins

Dans le cas du vers suivant, il n'y a pas de rejet puisque tout l'hémistiche est adjectival, donc le procédé est admis par les classiques :

Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,

Dans le cas du vers 2, il y a un rejet, mais dans les cas de coordination par "et", cela était toléré et on trouve de tels exemples chez les classiques Accessoirement ce vers qui joue sur l'échange des monosyllabes "triste" et "doux" dessine une possibilité de lecture ternaire, mais la bascule autour de la césure normale est tout de même ici bien sensible :

"De deux enfants le triste et doux chuchotement"

Pour éviter le rejet, Rimbaud adopte préférentiellement l'apposition, celle que les pédagogues modernes appellent, c'est une bonne farce, l'épithète détachée :

"Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée"

Pourtant, Rimbaud ne veut pas être en reste et il a choisi l'entrevers pour pratiquer le rejet épithétique, cela sent le poète soucieux d'être audacieux sans se faire taper sur les doigts :

"Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
"Béante,

On relève également ce procédé à la Chénier, mais procédé qui est aussi sous-jacent dans le traitement du trimètre, celui donc de l'enjambement d'un segment non étendu harmonieusement aux bornes métriques, mais là c'est clair, c'est du Chénier, rien à voir avec le trimètre, sauf que c'est le même principe du segment médian quand même, mais bon rien à voir parce que ce n'est pas 444 ou 534, mais 363 avec même un infléchissement 33 interne au 6 qui ramène à percevoir la césure normale

On entrait !::: Puis alors les souhaits::: en chemise,

On citera comme candidat trimètre le dernier vers avec son rejet de complément "en or"

"Ayant trois mots gravés + en or : "A NOTRE MERE!"

En réalité, il s'agit d'un simple rejet de complément et comme il ne compte que deux syllabes il suffit qu'une coïncidence favorise le non entravement de la quatrième syllabe et rien n'interdit plus d'y voir un trimètre
Mais les rejets font rarement une seule syllabe, encore en 1869 même, et donc les rejets de deux, trois syllabes étant les plus courants, la possibilité des trimètres involontaires monte en flèche

Le premier enjambement d'épithète à la césure par Rimbaud se trouve dans le plagiat de la traduction de Lucrèce par Sully Prudhomme 

La Terre étend les fleurs suaves sous tes pieds:

La césure est légèrement chahutée, mais la huitième syllabe aussi par une coupe à l'italienne si on applique par défaut le concept, césure à l'italienne produite par l'adjectif même en rejet qui tout à fait banalement a trois syllabes dont une dernière féminine

Rimbaud n'assume toujours par le rejet d'épithète à la césure dans Credo in unam Ophélie et "Par les beaux soirs d'été:::", comme si Banville était plus censeur que l'école à qui il a imposé celui du plagiat de Prudhomme
 Et observons bien que quand Rimbaud remanie Ophélie et Credo in unam les rejets d'épithète apparaissent enfin

Dans Credo in unam, il se contente du jeu sur la coordination, sensiblement le même :

"S'avance, front terrible et doux, à l'horizon"

sachant que cette fois la question du trimètre ne se pose même pas "S'avance, front", ça fait pas très heureux comme coupe de cheveux

Il y a pourtant des vers intéressants à étudier dans ce magnifique poème qui est bien plus qu'intéressant dont un trimètre apparent assoupli à l'une des modes romantiques hugoliennes

Et qu'il renferme, gros + de sève et de rayons,

Je crois en Toi ! Je crois + en Toi ! Divine Mère!

Le rejet est déjà expressif, mais il faut doubler cela d'un calembour avec une conjugaison homophone du verbe "croître", ce que justifie la stratégie de composition du poème "Montera" "croître"

Je relève encore un procédé de segment médian à la Chénier :

"Au front du dieu :  ses yeux + sont fermés : elle meurt"

On me dira c'est un semi-ternaire, je répondrai "ouais et une syllabe plus tôt ça faisait un trimètre, merde alors!"
On voit très bien le problème, il y a un rejet, mais il ne faut pas beaucoup de variations syllabiques pour tomber dans les ornières conceptuelles du trimètre ou du semi-ternaire potentiels

Mais évidemment, le vers le plus audacieux de Credo in unam est le suivant :

L'Amour infini dans + un infini Sourire!

La césure est sur la préposition "dans", cela permet une suspension soulignant la force du second hémistiche
C'est le premier vers de Rimbaud connu qui peut être griffé FMCPs6, puisque la métricométrie n'a pas inclus le mot "que" comme déviant, ce qui est dommage

Fait remarquable, encore une répétition de mot, "infini" cette fois, et c'est toujours le mot répété qui entrave les syllabes 4ème et 8ème qui ne devraient pas l'être dans la thèse qui veut que tout auteur et toute société compense d'abord le chahut 6ème par du trimètre ou semi-ternaire avant d'oser frapper encore plus fort

Dans un cas, coupe sur "fi", dans l'autre sur "in"

Donc au milieu d'un mot

C'est au cours de l'été 1870 que Rimbaud assume enfin les rejets épithétiques, mais commencent-ils par ménager un rythme compensatoire trimètre ou semi-ternaire ? Non D'emblée il est radical, le rejet monosyllabique ou à une voyelle stable

- On va sous les tilleuls + verts de la promenade
Tandis que les crachats + rouges de la mitraille
Tranquille Il a deux trous + rouges au côté droit

Et parmi les autres cas de figure, on est bien loin du trimètre dans la plupart des cas

Piqué d'une mauvaise + étoile, qui se fond
Tressaille ? Quel regret + implacable le mord?

On peut accessoirement relever ceci mais sans y croire

Et lui jeta des mots affreux, en arrachant

tandis qu'on évitera d'exploiter comme trimètre à coupe féminine 4è le suivant

Les reins portent deux mots gravés : "Clara Venus"

On voit bien que tous ces enjambements sont le fait de rejet et que l'allure désordonnée de l'ensemble quand on essaie de méditer la compensation trimètre ou semi-ternaire nous révèle que ce ne sont jamais que des coïncidences quasi inévitables ou éventuellement semi-favorisées par des tendances à créer des rejets ou contre-rejets dissyllabiques

La métricométrie ne prend pas en compte les rejets d'épithètes, mais on a vu ce qu'il en était pour la préposition "dans" de Credo in unam
On peut citer aussi les premiers enjambements de mots de Rimbaud :

Je courus ! Et les Pén+insules démarrées
N'ont pas subi tohu- + bohus plus triomphants

Deux enjambements de mots consécutifs, mais c'est le second seul qui peut se lire en trimètre, j'ai proposé une analyse poussée en ce sens dans mon article Ecarts métriques d'un Bateau ivre en insistant sur le reflet des voyelles par couples: "ohu", "u i" et altéré "ont a" et "om an"
Mais, le premier vers, le plus déviant qui pis est, n'a rien à voir
donc l'allusion au trimètre est optionnelle dans la pensée du poète

Il y a deux enjambements de mots dans L'Homme juste

L'un nous est parvenu avec une variante significative :

"Et cependant silen+cieux sous les pilastres"
"Cependant que silen+cieux sous les pilastres"

Le vers peut être lu comme trimètre dans un cas, mais pas dans l'autre

L'autre enjambement de mots n'a pas à être minimisé sous prétexte qu'il s'agit d'un nom composé sans trait d'union:

Sur d'effroyables becs + de canne fracassés

Coupes à l'italienne aux voyelles 4 et 8

Enfin, je cite le cas du poème zutique Ressouvenir

"Eclatent, tricolorement enrubannés"

Trimètre exclu

Je vais revenir sur ce vers avec césure sur adverbe en "-ment" car c'est aussi très important dans ma grande enquête
On le voit, il ne reste pas beaucoup de marge pour plaider les rythmes compensatoires ternaires ou semi-ternaires
Les relevés sont bien trop bordéliques pour abonder en ce sens, d'autant que certains vers sont d'emblée des contre-arguments sérieux et forts


Récapitulons ! (proscriptions à la césure)

La mesure du vers en français est purement syllabique et ne suppose que le seul contraste du "e" instable opposé à la stabilité de toutes les autres voyelles C'est ce qui explique que certains "e" sont surnuméraires et non comptés dans la longueur du vers
Le rythme des vers est très libre, mais il existe un petit nombre de proscriptions fondamentales pour que les césures soient aisément reconnaissables, il existe aussi des tours tolérés mais déconseillés

Au sommet de cette hiérarchie, règne la proscription de la césure au milieu d'un mot, c'est le critère M, et si une césure passe au milieu d'un mot malgré tout on peut encore affiner en distinguant les cas où la césure passe au milieu de morphèmes, soulignant l'étymologie du mot, par exemple "pén-insules" relevé par Cornulier dans Le Bateau ivre
Deux proscriptions l'accompagnent de près, car parfois des groupes de mots peuvent former un bloc soudé, c'est le cas du lien d'un déterminant avec le nom auquel il se rattache, et c'est le cas des pronoms placés avant le verbe et dans sa dépendance, il s'agit de la catégorie des proclitiques à laquelle adjoindre encore l'adverbe de négation "ne" Attention, la proscription ne vaut que si le proclitique ne contient qu'une voyelle stable, par exemple "lequel homme", "lequel" peut figurer à la césure

La voiture, un train, ce chien, son voisin, une maison, cette personne

"La, un, ce, son" : ce sont des déterminants du nom monosyllabiques exclus à la césure
"Une, cette" : ce sont des déterminants du nom dissyllabiques avec une seule voyelle stable, mais comme ils se terminent par une voyelle féminine, il se trouve qu'à moins de précéder une voyelle et encore, on ne les trouve pas dans la poésie parnassienne, je trouve d'ailleurs assez importante cette remarque sur leur rareté, absence même, quand pourtant l'hémistiche suivant commence par une voyelle
Sinon, ils sont de toute façon évités à cause de proscriptions sur le "e" féminin dont il sera question plus bas

Dans la phrase : "que je ne vous y reprenne plus", l'adverbe "ne" et les pronoms préverbaux très usuels "je", "vous", "y" sont quatre proclitiques, ils sont inséparables du verbe

Les proscriptions sur les proclitiques déterminants du nom ou pronoms préverbaux (+ adverbe "ne" pour le détail) relèvent du critère C

Dans le même ordre d'idées, les césures sur prépositions d'une seule syllabe sont interdites, et notez encore une fois l'importance du monosyllabe, car Racine peut très bien placer à la césure une préposition de deux syllabes du genre "après" Il s'agit du critère P applicable à quantité de prépositions "sur" "dans" "sous" "par" "pour" "à", etc etc

Il existe en français neuf catégories de mots : les grandes catégories du nom, du verbe, de l'adverbe, du pronom, de l'adjectif et les catégories plus proches des mots-outils catégories de la conjonction, de la préposition, du déterminant et des interjections
 Peu importe les nuances sur le sujet, notamment les prépositions On voit que ces proscriptions portent plutôt sur des mots-outils monosyllabiques : les prépositions et les déterminants, ou bien sur des pronoms
En réalité, mais cela demanderait des nuances, quelques conjonctions monosyllabiques ("que", "et", "comme", etc), des interjections monosyllabiques et des adverbes monosyllabiques ("très", "trop", "ne") sont également concernés par les proscriptions à la césure
Mais on s'en tient à trois grandes catégories dans l'analyse métricométrique : M, C et P

Il faut ajouter à cela les proscriptions autour du "e" instable, ce qui ouvre à un peu plus de cas que celui du "e" féminin de fin de mots, mais peu importe ici pour le niveau de compréhension souhaité

Le "e" de fin de mot ne peut pas être à la césure, parce que ce n'est pas une voyelle ayant assez de relief Si cette césure a été pratiqué à cause de l'accompagnement musical à la fin du Moyen Âge, en impliquant la poésie de rien moins que Villon, elle est proscrite depuis le XVIème et a autant de poids que la proscription de la césure M au milieu d'un mot
Dans le cadre de la poésie médiévale, on parle de césure lyrique à cause de l'accompagnement musical qui la rend tolérable Pour l'analyse le "e" féminin relève du critère F

Le "e" est également proscrit en tant que récupéré pour former le second hémistiche d'un vers, ce qui doit être distingué du cas des enjambements de mots, puisque cette césure est autorisée en anglais ou italien, sans que ne soit autorisé pour autant les enjambements de mots au milieu cette fois des autres voyelles stables le composant
Il s'agit ici du critère "s"

FMCPs, c'est la réunion des cinq grands critères et nous pourrions y ajouter les cas complémentaires dans une catégorie !
De 1550 à 1850, on constate que les vers n'ont jamais de césure qui peuvent marqués de l'un de ces signes! C'est la preuve de la régularité de la versification classique à travers les siècles
Et cette stabilité était déjà importante avant 1550

Une proscription n'est pas notée, celle du "e" sunruméraire
Il y a deux cas, soit la proscription du "e" surnuméraire à la césure, comme si l'hémistiche était un petit vers autonome dans un plus grand vers, la fameuse césure épique
soit le "e" qui suit une voyelle et qui est non compté à l'intérieur d'un mot Dans ses Aspirations, Léon Dierx a placé le mot "futaies" au milieu d'un octosyllabe Par provocation, Rimbaud n'a pas compté le "e" de "Entourée de bois" dans Larme et celui de "vallées" dans Fêtes de la faim
Normalement, ces "e" étaient comptés dans la poésie du XVIème, mais la proscription qui a suivi n'était pas métrique, mais prosodique, puisqu'il s'agissait de ne plus pratiquer du tout de "e" languissants en s'interdisant certains emplois Rimbaud et accessoirement Dierx ne reviennent pas au système du XVIème siècle, puisque chez eux le "e" n'est pas compté pour la mesure  

Maintenant, il faut ajouter à ces proscriptions pures des zones de relative tolérance
Ces tolérances ne sont pas notées par la métricométrie
Mon étude sur l'héritage d'André Chénier et sur le premier renouveau métrique du XIXème dans la période 1820-1833 nous apprend qu'il s'agit

de la césure détachant un adjectif épithète d'un nom sans ménagement rythmique au plan des hémistiches
de celle détachant un verbe de son complément (COC, COI, attribut, complément de lieu) dans les mêmes conditions d'instabilité rythmique
de celle détachant un sujet du groupe du verbe dans les mêmes conditions d'instabilité rythmique
de celle détachant un complément du nom d'un nom toujours dans les mêmes conditions
de la ponctuation forte à une syllabe de la césure ou de la rime

Il me resterait à travailler sur le cas des incises, soit des propositions, soit des compléments
Et je passe aussi sur certains points originaux, certaines nuances inattendues

Enfin, nous observons l'existence du trimètre qui suppose une symétrie ternaire suffisamment appuyée que pour concurrencer la lecture binaire Il s'agit d'un procédé d'enjambement à la césure par un segment médian
Parfois, cet enjambement est régulier, c'est le cas inévitablement des rares trimètres classiques, parfois il suppose une discordance de l'un des types s'étant banalisés dans la période 1820-1833 Il va finir par impliquer les proscriptions fondamentales FMCPs

Le trimètre est important dans notre étude, car il est à l'origine de l'idée qu'une mesure de substitution peut apparaître au milieu des alexandrins, et cette thèse de la substitution pèsera également, mais selon un modèle réadapté, dans le cas des autres vers où la césure est difficile à identifier
Le trimètre est important encore dans notre étude, car objet de débat pour les romantiques et les parnassiens il est nécessaire d'envisager son influence avant de prétendre observer que quand un vers a une reconnaissance de la césure entravée à la sixième syllabe soit la quatrième syllabe soit la huitième syllabe, soit les deux ne sont pas entravées
La métricométrie peut servir par les critères FMCPs6 appliqués aux alexandrins à étudier la régularité, l'existence ou non d'une césure normale dans un poème, mais elle a aussi servi à plaider l'idée que, sans en avoir conscience, les poètes réglaient le vers en trimètres ou semi-ternaires 4-8 ou 8-4
Je considère cette thèse comme une illusion
Elle ne tient déjà pas pour moi au niveau des faits
Voici, en 1833, un enjambement de mots particulièrement précoce qui dément catégoriquement l'idée que les poètes aient progressivement déréglé le vers
"Adrien, que je re+dise encore une fois" Pétrus Borel
Et voici l'un des premiers enjambements de mots connus de Rimbaud:
"Je courus! et les Pén+insules démarrées!"
Et je trouverais par ailleurs impertinent au possible qu'on puisse observer des gradations constantes des audaces comme si les poètes s'étaient donné le mot et fixé un rôle, chacun se tenant bien à sa place pour laisser le dernier poète pratiquer l'insolence qu'ils n'avaient pas osé prendre eux-mêmes en charge

Je ne crois absolument pas aux études "statistiques" sur le semi-ternaire, aux observations sur une évolution progressive parfaite, et les régularités observées, qui ne sont que relative, ne relèvent dans les faits que de l'importance consciemment accordée au trimètre, et pas du tout le fait de réflexes inconscients délivrant une harmonie de substitution
Je crois également que la plupart des semi-ternaires présentés ne le sont que par des a priori de l'approche critique
Je crois que oui le semi-ternaire soit du genre binaire tronqué 4-8, soit du genre irrégulier 3-5-4 a existé, mais seulement à la toute fin du XIXème siècle quand Rimbaud n'écrivait plus depuis longtemps déjà
Le semi-ternaire (binaire tronqué ou ternaire irrégulier) n'est que le fruit de la longue démolition du trimètre lui-même et que, véritable anachronisme, on a rétroactivement identifié des semi-ternaires dans la poésie d'Hugo, Rimbaud, etc

Je n'y crois pas deux secondes aux semi-ternaires indépendants de la question du trimètre dans la poésie d'un Hugo ou Rimbaud
Maintenant, je vais m'intéresser à l'histoire romantique du trimètre justement