mardi 28 juillet 2020

Il y a 150 ans... le manuscrit de "Vénus Anadyomène" du 27 juillet

En juin 1870, d'après des recoupements fiables, Rimbaud avait composé un poème "A la Musique" où, sans savoir qu'un conflit allait éclater avec la Prusse le mois suivant, il se moquait déjà de l'espèce de "patrouillotisme" des habitants de cette ville voisine de Mézières qui était la sienne.
J'ai essayé dans les précédents articles de bien poser le caractère soudain de l'événement. Mais pourquoi ce poème "A la Musique" a-t-il eu un tel caractère prémonitoire, me direz-vous ? Il faut bien comprendre que tout au long de la décennie 1860 les tensions entre la France et la Prusse sont réelles. Il y a eu la victoire de Sadowa de la Prusse face à l'Autriche en 1866, guerre que la France n'a pas su empêcher. L'idée d'unité allemande est dans l'air du temps et il ne faut pas oublier que les prussiens vivaient aussi dans une idée de revanche par rapport à Iéna et tout le Premier Empire. C'est pour cela qu'il n'est pas absurde de considérer que le poème "A la Musique" peut marier sarcastiquement dans un alexandrin : "La musique française et la pipe allemande !"
Mais, ce poème "A la Musique" va accompagner le développement de la poésie de Rimbaud face à l'imminence puis le déroulement de la guerre franco-prussienne, et nous allons en parler plusieurs fois encore dans les semaines à venir sans doute. Dans "A la Musique", le poète se détourne de la foule en liesse devant la musique militaire pour penser à l'amour et, précisément, il reprendra explicitement la logique de son poème dans sa lettre à Izambard du 25 août qui contient la satire d'amour "Ce qui retient Nina" et qui parle de ne pas remuer les bottes. Nous y reviendrons à ce moment-là. Mais, justement, après la déclaration de guerre, quelles sont les compositions de Rimbaud qui semblent émerger ? La composition non datée du poème "Le Forgeron" a tout l'air de dater de la période juillet-août, comme si à l'actualité guerrière le poète opposait un sujet politique qui lui convient. Et il faut bien mesurer que "Morts de Quatre-vingt-douze..." et "Le Forgeron" sont tous deux des appels à la Révolution, par contrepoint à l'appel pour une guerre du régime impérial. Le poème "Trois baisers" publié dans la revue satirique La Charge correspond également au geste du poète dans "A la Musique" qui se détourne de la musique militaire sous le kiosque pour s'intéresser à la montée des désirs érotiques au passage des jeunes filles. Et puis...
Il y a les énigmes dans cette évolution créatrice.
Rimbaud va revenir à la guerre franco-prussienne, avec cette originalité de l'évoquer dans la forme de sonnets, un peu comme si Banville aurait pu écrire un peu après un recueil non d'Idylles prussiennes, mais de Sonnets prussiens. Cependant, il va y avoir aussi un infléchissement des sujets amoureux, puisque nous allons passer de "A la musique" et "Trois baisers", poèmes du désir proches quelque peu de l'esprit de "Sensation", à "Ce qui retient Nina" et pour ce jour du 27 juillet à "Vénus Anadyomène". Et il conviendrait encore de parler du récit en prose qualifié finalement de "nouvelle" qu'est Un coeur sous une soutane. Rimbaud parvenait visiblement à mettre la guerre entre parenthèses.
Du poème "Vénus Anadyomène", deux autographes nous sont parvenus. Un premier manuscrit daté du "27 juillet 70" a été remis à Izambard, un second l'a été à Demeny en septembre, sinon octobre 1870.
Quelles que furent ses lectures jusque-là de poètes anciens comme Ronsard, du Bellay et quelques autres, Rimbaud ne s'était pas encore strictement avisé des règles de composition du sonnet. Il était sans nul doute sous l'influence des livraisons du Parnasse contemporain et du premier volume de 1866. "Morts de Quatre-vingt-douze..." et "Vénus Anadyomène" n'ont pas les quatrains construits sur deux mêmes rimes. On peut répliquer qu'il peut connaître les règles et simplement appliquer les libertés de son époque, mais si Rimbaud a mis ensuite un point d'honneur à respecter la règle ancienne il y a fort à parier qu'il a appris les règles de manière buissonnante et qu'il se reprochait en 1871-1872 de ne pas l'avoir connue en 1870. Qui plus est, pour les tercets, si l'ordre chronologique des compositions est bien celui que nous pouvons plaider grâce au témoignage d'Izambard, Rimbaud a d'abord composé un sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..." de la forme parfaitement régulière mais minoritaire AAB CCB, la forme marotique, avant de s'intéresser pour "Vénus Anadyomène" à la spécificité du sonnet traditionnel français qui a une forme perçue comme irrégulière dans la distribution des rimes : AAB CBC. D'après un rapide survol, Rimbaud va ensuite au cours du mois d'août composer plusieurs sonnets dont les rimes de tercets adoptent des organisations non traditionnelles dans le droit fil du Parnasse contemporain, puis en septembre-octobre 1870 il privilégiera les deux modes traditionnels avec une préférence pour la distribution régulière marotique AAB CCB.
Avant le 27 juillet, Rimbaud a composé des poèmes de rimes plates avec "Les Etrennes des orphelins", le plagiat de Sully Prudhomme et "Credo in unam", mais il a aussi composé un certain nombre de quatrains à rimes croisées ABAB : les deux quatrains bientôt intitulés "Sensation", "Ophélie" et "A la Musique". Il y a quelques excentricités dans ces compositions, mais Rimbaud a bien respecté la règle d'alternance des cadences masculines et féminines dans les rimes.
La version manuscrite de "Vénus Anadyomène" remise à Izambard offre un exemple saisissant de non respect de l'alternance de ces cadences. Comme pour "Morts de Quatre-vingt-douze...", Rimbaud a respecté cette alternance dans les quatrains de rimes croisées, et il l'a respectée également dans le cas des tercets, mais pour "Morts de Quatre-vingt-douze..." le respect existe aussi dans le passage des quatrains aux tercets, du moins dans le seul témoignage qui nous soit parvenu du manuscrit remis ultérieurement à Demeny. En revanche, Rimbaud a commis dans "Vénus Anadyomène" ce qui était considéré à l'époque comme une faute de versification. Aujourd'hui, les collégiens ont pour seule consigne de composer des rimes pour l'oreille, sans contrainte orthographique, sans discrimination des rimes masculines et des rimes féminines, sans avoir à se soucier du nombre de syllabes ni des questions de césure, sans avoir à perdre leur temps à comprendre pourquoi la variante "encor" dans les poèmes des grands auteurs, mais à l'époque de Rimbaud les règles étaient respectées par les élèves et enseignées consciencieusement par les professeurs. Toutefois, la composition en classe d'un sonnet devait demeurer un phénomène relativement exceptionnel et on peut penser que Rimbaud n'a pas appris dans un cadre scolaire l'importance d'un respect de la règle d'alternance dans les cas de poèmes complexes qui changent de régime strophique. Il pouvait certes supposer que cette règle allait de soi dans le passage des quatrains à tercets, mais ce qui est sensible dans le résultat manuscrit qui nous est parvenu c'est qu'il lui a manqué un raisonnement tactique initial pour éviter toute bévue.
Je ne crois pas un instant qu'Izambard ait remarqué lui-même la faute pourtant. Je pense que Rimbaud a été travaillé par l'idée que si l'alternance était respectée pour des quatrains de rimes croisées elle devait l'être pour le passage de quatrains à tercets. Il a certainement pris le temps après le 27 juillet de pousser quelques vérifications et c'est ce qui fait que sur le manuscrit remis à Demeny il a corrigé son erreur. Rimbaud a alors appris à hiérarchiser les libertés métriques dans une composition. Dans le manuscrit remis à Izambard, l'alternance n'est pas respectée dans l'enchaînement de quatrains et tercets, puisque les vers 8 et 9 sont deux rimes masculines distinctes. Cependant, dans cette première version, si les quatrains n'ont pas les mêmes rimes, ils sont symétriques dans l'organisation de rimes croisées ABAB. Dans le manuscrit remis à Demeny, l'alternance des rimes masculines et féminines est respectée sur l'ensemble du poème, mais au prix d'une irrégularité dans les quatrains dont l'un est en rimes croisées et l'autre en rimes embrassées. Pour considérer que l'alternance était plus importante à respecter que la symétrie des quatrains, il suffisait à Rimbaud de lire, sinon Les Fleurs du Mal de Baudelaire, le premier numéro du Parnasse contemporain de 1866 qui lui montrait un peu ce qui était les règles intangibles et les excentricités permises. Le manuscrit de "Vénus Anadyomène" remis à Izambard serait une hérésie pour Banville et les parnassiens, mais celui remis à Demeny n'entraînerait aucune objection.

Autographe remis à Izambard (en rouge, les deux rimes masculines qui se suivent)

           Venus Anadyomène. 
Comme d'un cercueil vert en ferblanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Montrant des déficits assez mal ravaudés ;
 
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent, le dos court qui rentre et qui ressort
- La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
Et les rondeurs des reins semblent prendre l'essor...
 
L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement. - On remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...
 
Les reins portent deux mots gravés : Clara Vénus ;
- Et tout ce corps remue, et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus. 
                        27 juillet 70   A. Rimbaud
Autographe remis à Demeny avec soulignement des deux vers intervertis et en rouge les rimes embrassées désormais du second quatrain :

        Venus Anadyomène. 
Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
 
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
 
L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...
 
Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
- Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.
 
                                                    A. Rimbaud

Le sonnet "Venus Anadyomène" est encore remarquable à beaucoup d'égards. Il a une rime "Vénus"::"anus" extrêmement provocatrice. Et le mouvement du dernier tercet est impressionnant, puisque si on se représente visuellement l'action, la croupe se tend vers le lecteur ce qui justifie que le mot "anus" soit le dernier mot du sonnet. La Vénus se tourne vers le lecteur et quand la lecture du poème se termine on ne voit plus que son anus, et un anus vu "à la loupe" pour citer la fin du premier tercet. Penser à faire une chose pareille du point de vue de la composition relève du pur génie. Pourtant, c'est un sonnet qui sent encore l'élève en train de se former, pas seulement à cause du défaut d'alternance que nous venons d'évoquer. Ce sonnet est un cadre d'entraînement assez évident. Rimbaud apprend à calibrer des expressions courtes dans un hémistiche, on a les expressions lancées par des adverbes ou des adverbes et adjectifs en trois syllabes : "fortement pommadés", "assez mal ravaudés" ou les expressions ponctuées par un adverbe en "-ment" : "Horrible étrangement", "Belle hideusement". Nous relevons le travail de quelqu'un qui apprend dans tous ces recours aux adverbes en "-ment" comme dans les balancements binaires de mots courts autour d'un effet de coordination : "qui rentre et qui ressort", "Puis le col gras et gris", les échos des phonèmes confirment le caractère d'exercice et d'émulation pour un poète en train de se former. Rimbaud s'essaie encore à des effets assez premiers dans les rejets verbaux sur le modèle de Chénier : "D'une vieille baignoire + émerge...", "les larges omoplates / Qui saillent,..." Rimbaud apprend déjà à amplifier les effets, le rejet "Qui saillent" est repris dans une forme qui ne joue pas le rejet, mais la distribution claire d'un hémistiche : "les larges omoplates / Qui saillent, le dos court qui rentre et qui ressort". Rimbaud apprend aussi à jouer sur l'effet de balancement et d'unité de l'hémistiche à partir des initiales de mots, ce qui est là encore une pratique non pas classique mais de son siècle et plutôt parnassienne : "Et les rondeurs des reins". Le côté débutant se ressent dans le recours volontiers à des adjectifs d'une syllabe ou de deux syllabes mais avec un "e" final : "Puis le col gras et gris, les larges omoplates", "émerge, lente et bête," "et tend sa large croupe", etc. Les couples coordonnés par "et" et la répétition "large" trahissent bien une phase d'apprentissage d'un poète encore non expert. Il est évident que Rimbaud s'habitue au calibrage de mots et de tournures qui peuvent entrer aisément dans un vers, comme il est évident qu'il médite les petits rejets à la césure et à l'entrevers : "émerge", "Qui saillent", en n'oubliant pas de partir aussi dans la direction inverse : "une tête / De femme à cheveux bruns..." D'ailleurs, dans ce passage du vers 1 au vers 2, la forme "De femme" est à peine récupérée rythmiquement par "à cheveux bruns". En même temps, Rimbaud dans le premier vers montre qu'il comprend qu'un rejet peut facilement être solidaire d'un contre-rejet au sein d'un hémistiche avec la colocation "en ferblanc, une tête".
Et pourtant, c'est bien de ce sonnet dont nous avons commenté l'effet vertigineux de composition visuelle de l'ultime tercet, ce qui avait déjà été fait dans l'étude de référence de Steve Murphy. Quant à l'écho entre "Horrible étrangement" et "Belle hideusement", tout en respirant l'art bien sonore du débutant sur des principes un peu faciles, il a le mérite malgré tout de mimer le caractère ampoulé d'expressions orales d'artistes fort affectés !
"Vénus Anadyomène", "Roman" ou "Bal des pendus" sont trois poèmes de Rimbaud qui ont l'immense intérêt de sentir à la fois le caractère de débutant qui apprend et l'intensité du génie de haute volée. Ce n'est vraiment pas des expériences de lecture courantes.
Dans la biographie Arthur Rimbaud, Jean-Jacques Lefrère qualifie cette pièce de "sonnet misogyne et féroce". Et beaucoup de commentaires soutiennent que l'audace du sonnet est de faire un portrait hideux de la Vénus, de pratiquer une sorte de sacrilège.
Je ne suis évidemment pas d'accord avec ces interprétations. Le sonnet est certainement féroce, mais il n'est en aucun cas misogyne et il n'a rien d'un exploit sacrilège dans le portrait de Vénus.
Vous avez Internet, amusez-vous à lire "L'Antérotique de la vieille et de la jeune amie" de Joachim du Bellay. Rimbaud décrit une prostituée déchue, comme du Bellay peut décrire en vieille une ancienne beauté. Même sans parler de la "Charogne" de Baudelaire, on arrive à comprendre que Rimbaud n'a pas commis le premier un sacrilège dans la représentation esthétique d'une Vénus. En plus, il n'est pas question de Vénus elle-même, mais d'une prostituée qui essaie de tromper les ravages du temps et de sa condition. Si Rimbaud est un grand poète, pourquoi accepter de le lire n'importe comment et de faire dire à son poème ce qu'il ne dit manifestement pas ? Il n'est même pas misogyne, ce sonnet ! Autant, on peut se poser la question de la misogynie à la lecture de "Mes Petites amoureuses" ou de "Ce qui retient Nina", même si c'est pour finir par en relativiser l'idée, autant ici l'interprétation misogyne passe à côté du discours tenu, du message du poème. Cette prostituée n'est pas présentée de manière valorisante, mais cela ne suffit pas à en faire une pièce de haine contre les femmes. Nous avons la description d'une malheureuse et le dernier tercet implique clairement la société qui consomme cette prostituée, et par conséquent tout un mensonge social sur la prostitution. C'est un poème qui s'attaque à la prostitution, et non pas un poème qui rabaisserait le physique des femmes par caprice. Steve Murphy a fait une excellente lecture de ce sonnet, mais je ne comprends pas le problème évident des annotations au sujet de ce sonnet dans les biographies de Rimbaud ou dans les éditions courantes de ses oeuvres. Les gens savent-ils lire, oui ou non ?
Enfin, un aspect à ne pas négliger, c'est que ce sonnet, comme "A la Musique" s'inspire d'un poème-modèle d'Albert Glatigny. Mais, je considère aussi qu'il faut songer au dizain de Coppée qui figure dans le Parnasse contemporain, mais ne sera pas repris dans le volume Promenades et intérieurs avec l'application d' "vésicatoire à Vénus accroupie"...
Je m'arrête là, je voudrais publier l'article avant minuit pour respecter la date du "27 juillet 70" du manuscrit Izambard.
A suivre...

lundi 27 juillet 2020

Et il y a seulement 50 ans...

Je viens d'apprendre le décès de Peter Green. Je m'étais retenu de le faire, mais là je suis obligé. Il y a 50 ans, en 1970, Peter Green était l'un des principaux guitaristes rock de son époque. Il a sorti un hit blues un peu surproduit à base de violon "Need your love so bad", déjà très bon en soi, mais surtout le groupe avait donné à ses débuts, notamment le premier album, des morceaux parfaitement blues. "Love that burns" est l'une des perles méconnues de cette première phase. En 1969, le groupe a été l'un des derniers à imposer un instrumental à succès avec Albatross, morceau qui ne peut qu'être mis en lien ici pour le côté sans voix de l'au-delà. Le groupe a ensuite amorcé l'évolution des groupes rock à fortes envolées mélodiques avec l'album Then Play On, il y eut aussi en 1970 le succès du 45 tours "Man of the world" très peu commercialisé sous la forme CD, et puis les concerts de l'année 1970 avec les orgies guitaristiques raffinées du medley "Rattlesnake shake", mélange en fait de plusieurs titres de Then Play On, la virtuosité étant favorisée par le soutien d'ensemble des musiciens : grands guitaristes, grand bassiste, grand batteur. Cela n'a duré qu'une poignée d'années, la drogue ayant eu raison de l'artiste...




dimanche 26 juillet 2020

Il y a 150 ans... le 26/07, que chantaient-ils ?

Les maux de tête reprennent de plus belle depuis hier, c'en est désespérant, ce ne serait pas à cause de la guerre qui approche ? Cela me fait un point commun avec le fils de Napoléon III. Il ne doit pas bien dormir avant son baptême du feu, le pauvre !
Je compte pourtant publier des articles très rapprochés dans le temps dans les jours qui viennent, surtout à partir du 2 août pour rendre compte de l'avancée des affrontements. Mais même avant, je voudrais parler des préparatifs de la guerre et aussi du départ de l'empereur de Paris. J'ai mes raisons pour ça, vous verrez bien.
Demain, Rimbaud aura terminé le sonnet qui est en cours, "Vénus Anadyomène". J'espère en parler de cela aussi. D'ailleurs, c'est intéressant d'observer que Rimbaud aurait composé très rapidement le sonnet "Morts-de-Quatre-vingt-douze..." dans les jours où la déclaration de guerre par la France est devenue évidente, puis après il semble s'être détourné de l'actualité martiale. Il a composé un poème sur l'abus de la prostitution "Vénus Anadyomène", en faisant le portrait d'une femme de la misère, et il semble avoir composé le long poème "Le Forgeron", là encore dans le courant du mois de juillet 1870. On peut se demander si "Le Forgeron" n'est pas un fait exprès pour protester contre la guerre, puisqu'au même moment sont publiées dans la presse des courriers de l'Internationale où les ouvriers de France et d'Allemagne en appellent à la fraternité des travailleurs en faveur de la paix, du travail et de la liberté (c'est mis en italiques dans les textes). Le "- Nous sommes Ouvriers ! Sire, Ouvriers ! - nous sommes / Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir," me semble un écho à ce texte que j'ai récemment cité.
Rimbaud va publier également un poème érotique "Trois Baisers" d'ici peu dans La Charge, périodique hostile au régime.
Pour le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze...", Benoît de Cornulier a insisté sur le jeu avec la particule "de" dans un article de référence, puisque nous avons un coup exceptionnel de la préposition "de" suspendue à la césure et un parallèle cinglant entre la noblesse de ceux qui sont morts pour des valeurs et ceux qui ont un nom à particule. Cornulier fait assez justement remarquer que le poème pourrait presque se résumer en trois vers, le premier et le dernier vers du sonnet prenant en sandwich notre précieux trimètre :

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !

Mort(s) réplique à "Monsieur" ou "Messieurs" et le "de" est suspendu à la césure pour une mise en relief de la particule d'anoblissement. Les nobles ont d'ailleurs souvent pour nom des lieux, ce qui permet de conforter le rapprochement sarcastique. Les morts de la Révolution sont des nobles de Valmy, de Fleurus ou d'Italie. Il y a juste sur un point où je reprendrais l'étude de la signification métrique. Dans un enjambement ou rejet à la césure, on peut autant souligner ce qui précède que ce qui suit, et dans le cas présent, la forme "Fleurus" est également soulignée. La ville belge de Fleurus, pas loin de Charleroi, contient une étymologie de fleur. Il est donc aussi question de sève et de résurrection dans la Nature, motif explicite de sonnets qui vont suivre comme "Le Mal" ou "Le Dormeur du Val", ce qui permet bien de sentir que le choix de Fleurus n'est pas innocent dans le chevauchement de la césure sur ce trimètre. D'ailleurs, un intérêt de mon article du 18 juillet était de citer plus longuement des passages de l'appel de Cassagnac et même des extraits de l'ensemble de la première page du numéro de journal exploité par Rimbaud pour composer son sonnet. Or, Cornulier a insisté également sur les allusions à l'ensemble de "La Marseillaise" dans la composition du sonnet.
Je crois qu'aujourd'hui il serait bienvenu de s'intéresser aux chansons patriotiques du régime impérial que Rimbaud pouvait entendre à tout bout de champ, car il en avait certainement la tête pleine quand il composait ses nouvelles pièces.
Il y a bien sûr "La Marseillaise" qui, ironie du sort, est pour partie un plagiat d'un auteur germanique, mais autrichien pas allemand. Beaucoup de gens ont l'hypocrisie de ne pas admettre l'évidence, ou alors l'imbécillité est chez eux un devoir professionnel, mais il va de soi que "La Marseillaise" s'inspire d'un concerto de Mozart.
Mais, au-delà de "La Marseillaise", il faut songer aussi au "Rhin allemand", un poème de Musset mis en musique et qui était une réplique à un chant allemand d'un certain Becker mis en musique par Robert Schumann. Je vais vous mettre plusieurs liens. Il y a aussi "Le Chant du départ" et même "Le Chant des girondins".
Je mets des liens pour des performances à écouter, car bien sûr on ne chante plus ainsi de nos jours et il faut pourtant se pénétrer de l'esprit de ce qui était chanté à l'époque. Et il faut évidemment s'attarder aux paroles, car on peut apprécier comment elles entrent en résonance avec les poèmes d'époque de Rimbaud qui lui s'opposait à ce "patrouillotisme".







Le titre allemand varie parfois, on note que la musique française démarque quelque peu la musique de Schumann, pas complètement mais un peu quand même.











Je reviendrai sur tout cela ultérieurement.
A bientôt !

lundi 20 juillet 2020

Quelques bonnes idées à partager !

Suite à mes derniers articles, j'ai eu quelques idées qui m'ont fait souhaiter de les remanier et d'ajouter un petit supplément. Je ne l'ai pas fait, je vais donc placer ici ces petites idées qui me sont venues.

Premièrement, j'ai dit que "Credo in unam" ou "Soleil et Chair" était le moteur de la création de "Voyelles" et un premier contre-modèle au christianisme. Le poème "Soleil et Chair" qui a d'abord eu le titre "Credo in unam", parle d'une foi en l'amour, mais une foi païenne en l'amour de Vénus. Il faut bien évidemment faire le rapprochement avec le titre "Livre païen" de la lettre à Demeny de mai 1873 qui parle des premières évolutions du livre Une saison en enfer à venir. Le mot "païen" demeure présent dans le texte définitif qui plus est. J'ai aussi expliqué que la notion de "charité" était la vertu théologale dans Une saison en enfer, et que Rimbaud avait produit son contre-modèle à l'idée de charité dans le poème "Génie".
En fait, mon idée lumineuse est la suivante : "Génie" est tout simplement la version de la maturité du poème "Credo in unam". Il faut absolument que je place dans un article conséquent la prochaine fois, tellement c'est une formule efficace qui parle et qui dit quelque chose d'essentiel.

Deuxièmement, j'ai souligné que dans "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs", les "étranges fleurs" et les "papillons électriques" étaient comparables aux "strideurs étranges" et que cela était conforté par l'emploi de l'adjectif "étranges". Or, je peux raccorder cela à une série de rimes entre poèmes que j'ai déjà mise en avant par le passé.
Vous allez voir !

Je commence par citer le dernier tercet de "Voyelles", composition non datée mais que plusieurs indices invitent à rapprocher des mois de février-mars 1872 : détention d'un manuscrit par Emile Blémont, directeur de la revue La Renaissance littéraire et artistique, poses pour le Coin de table de Fantin-Latour au début de 1872, lancement de la revue en avril, revue dont le poète ne veut plus entendre parler en juin, publication du poème "Les Corbeaux" dont on reparle plus bas dans cette revue. Il faut ajouter que, dans le dossier Verlaine remis à Forain vers mai 1872, vu les poèmes de mai 1872 qui s'y sont joints le sonnet a une version encore insatisfaisante avec la répétition maladroite "frissons" d'un vers sur l'autre (vers 5 et 6).

Je cite la copie autographe :

Ô, Suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Daté du mois de février 1872 sur le manuscrit du dossier Verlaine où il est d'ailleurs remanié par supplément de quatrains, le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" a plusieurs points communs lexicaux avec "Voyelles", voire avec le couple "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." du feuillet manuscrit du dossier Verlaine.
Le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" partage avec "L'Etoile a pleuré rose...", la mention du "sang noir", mention "saigné noir" dans le quatrain pour être plus précis.
Avec "Voyelles", il partage la mention rare "bombinent" flanquée d'une mention de petites créatures : "mouches éclatantes" contre "diptères". Et face à la série "vibrements divins", "fronts studieux", "Ses Yeux" de "Voyelles", j'ai bien envie de préciser que le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" offre lui aussi une mention du mot "yeux" à la rime : "Ni bruni les pieds des dieux:", "Des lourds petits enfants sans yeux." J'ajoute que le vers "Lèvres jamais désenivrées" est à rapprocher des associations du "I rouge" : "rire des lèvres belles", "ivresses pénitentes". D'autres rapprochements sont intéressants, mais je m'en tiens aux rapprochements lexicaux et aux rimes. Or, le dernier quatrain des "Mains de Jeanne-Marie" a un point commun sensible avec le dernier tercet de "Voyelles", il contient la rime "étrange(s)"::"ange(s)".

Et c'est un Soubresaut étrange
Dans nos êtres, quand, quelquefois
On veut vous déhâler, Mains d'ange,
En vous faisant saigner les doigts !

Le poème "Les Corbeaux" est pour sa part une création qui doit là encore dater de l'hiver du début de l'année 1872 et sans doute encore une fois de la période février-mars 1872. Le poème a été remis à la revue La Renaissance littéraire et artistique à des fins de publication, ce qui ne peut qu'être avant juin 1872, avant la lettre à Demeny où Rimbaud se déclare en colère contre ce journal. Le 7 juillet, Rimbaud quitte Paris, entre mars et mai, il va être tenu éloigné un certain temps de Paris. A partir de mai, Rimbaud compose des poèmes "nouvelle manière" dont l'un daté de mai précisément reprend une expression des "Corbeaux", puisque "chers corbeaux délicieux" est repris dans "La Rivière de Cassis". Le poème parle de commémorations pour le mois d'hiver. Ce poème ne contient pas la rime "ange(s)"::"étrange(s)", mais il implique une variante sur ce couple de mots :

Les longs angelus se sont tus...

Armée étrange aux cris sévères[.]

Si vous soutenez que la rime "étrange"-"ange" est banale et que tout cela ne prouve rien, c'est que vous n'êtes pas très malin et que vous n'avez pas le nez fin...
D'ailleurs, je parlais de rapprochement avec "La Rivière de Cassis". Je suppose que vous allez trouver que c'est avec une évidence de banalité que la rime "étranges"::"anges" se retrouve au tout début de ce poème nouvelle manière:

La Rivière de Cassis roule ignorée
     En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
     Et bonne voix d'anges :
[...]

Or, le dernier sizain des "Corbeaux" va participer à son tour à une autre série de rimes en commun entre poèmes.

Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.
Pour les rimes et le sens, ce sizain réplique à la dernière strophe du poème anticommunard publié en plaquette "Plus de sang" par François Coppée, mais ce que j'ai souligné est à rapprocher du poème "Le Bateau ivre" dont plusieurs indices montrent qu'il n'a pas pu être composé avant décembre 1871, sinon avant les premiers mois de 1872. Jacques Bienvenu a insisté sur le fait que la mention "l'autre hiver" semblait impliquer que le poète se supposait en hiver et évoquait l'hiver qui a précédé, ce qui au plan du déchiffrement communard de certains éléments comme les "pontons" implique de comprendre que le poème a été composé après le 21 décembre 1871 et fait référence au début de la Commune le 18 mars, en toute fin d'hiver précédent. Le poème "Le Bateau ivre" semble faire allusion à plusieurs publications dans la presse, dont certains dans le journal hugolien Le Rappel en novembre 1871. Et j'ajoute, ce que la critique rimbaldienne continue de dauber superbement avec son habituel manque d'intuition, que les cent vers du "Bateau ivre" semblent une réplique aux 200 vers, forme de ïambes à la Chénier, du poème au titre clair "Le Drapeau rouge" de Victor Fournel en décembre 1871 dans une revue où Mérat publiait également si je ne m'abuse, Le Correspondant ou quelque chose comme ça, revue consultable à Toulouse où j'ai trouvé le poème "Le Drapeau rouge" et des prépublications avec des inédits du futur recueil Les Villes de marbre du partiellement zutiste Albert Mérat.
Le poème "Le Bateau ivre" semble une composition du début de l'année 1872. Un indice en ce sens, c'est que si Verlaine ne l'a pas recopié dans son dossier il avait prévu de le faire mais lui donnait un titre différent et plus respectueux de la langue des vers : "Le Vaisseau extravagant", le mot "bateau" n'étant pas admis comme poétique. Je cite de mémoire, mais même si Verlaine écrit, "Le bateau extravagant", la variante de titre est remarquable en soi, signe que le poème était encore sujet à modifications.
Voici les passages du "Bateau ivre" à rapprocher du dernier tercet des "Corbeaux" :

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau[...]
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flacheNoire et froide où vers le crépuscule embauméUn enfant accroupi plein de tristesses, lâcheUn bateau frêle comme un papillon de mai.
Nous avons le couple "Mât perdu" et "bateau perdu" et une très forte rime similaire avec l'équivalence entre "le soir charmé" et "le crépuscule embaumé", tandis que le papillon se substitue aux fauvettes de "fauvettes de mai" à "papillon de mai".
Il va de soi que j'en profite pour faire retour sur les "papillons électriques" de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". Nous relevons aussi l'écho de "bleuisons" à "bleuités" des "Mains de Jeanne-Marie" au "Bateau ivre". Notons aussi qu'aux "papillons électriques" à la rime dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" font écho les "lunules électriques" du même "Bateau ivre".
Face aux "Yeux" qui ponctuent le sonnet "Voyelles", le voyage du "Bateau ivre" se clôt sous le regard des "yeux horribles des pontons".
Je pourrais prolonger le jeu un petit peu, mais je vais m'arrêter là.

dimanche 19 juillet 2020

Il y a 150 ans... le 19 juillet, la déclaration de guerre à la Prusse

Lundi 18 juillet, Izambard prétend que Rimbaud lui a remis un manuscrit du poème fraîchement pondu "Morts de Quatre-vingt-douze...". Izambard veut-il signifier que le titre original était "Aux Morts de Valmy ?" Nous n'en savons rien. Le 18 juillet, un événement politique a eu lieu distinct du conflit entre la France et la Prusse. Après de vifs débats, le Concile du Vatican a adopté le dogme de l'infaillibilité pontificale, une belle catastrophe.
Le 19 juillet, l'événement marquant, c'est la déclaration de guerre à la Prusse. Solidaire de la France, l'Autriche annoncera sa neutralité le 20 juillet. Ceci dit, il va falloir le temps que les armées se mettent en place. Les combats ne commenceront qu'au début du mois d'août. Il va d'abord y avoir la mobilisation. Par conséquent, entre le 19 juillet et le 28 juillet, tandis que Rimbaud va nous composer "Vénus Anadyomène", poème peu concerné par l'actualité, je vais publier des articles de synthèse sur la mobilisation et la préparation à la guerre des deux camps.
Je vais aussi faire quelques sondages dans la presse.
En attendant, vu que mon mal de tête est en train de passe, je donne le texte de l'article de Paul de Cassagnac ce 19 juillet, tant que c'est encore une date indiquée pour le faire. Je rappelle en en-tête l'épigraphe qui comme cela a déjà a été relevé (Cornulier,...) corrompt légèrement le texte original. Pour le texte original, je renonce à la marge de début d'alinéa. Les soulignements en gras sont miens pour attirer l'attention du lecteur sur ce que je commente ensuite.

"... Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc..."

Français de tous les partis, républicains, orléanistes, légitimistes, bonapartistes, écoutez, car d'ici peu d'instants le canon étouffera nos voix.
Unissons-nous pour la défense de la mère patrie, soyons frères devant l'ennemi.
Vous, républicains, souvenez-vous qu'à pareille époque, en 1792, les Prussiens entraient en Lorraine, et la Convention déclarait la France en danger. Vous fûtes grands et nobles ; souvenez-vous !
Vous, légitimistes, n'oubliez pas que vous êtes revenus en 1815 par ce même chemin qui garde encore vos pas. Ces traces, effacez-les !
Vous, orléanistes, vous avez tout à faire, mais vous pouvez tout faire, en pensant qu'un d'Orléans était vainqueur à Steinkerque et à Nerwinden, et qu'un autre d'Orléans était présent à Jemmapes et à Valmy.
Nous, bonapartistes, nous battrons des mains et nous nous contenterons de suivre ; nous avons assez longtemps occupé le premier rang pour le céder un jour.
Et chacun poussant son cri de guerre, faisant comme les preux du moyen âge, se précipitera tête baissée sur l'ennemi.
Après, quand nous serons vainqueurs, quand nous serons revenus de Berlin, eh bien, nous reprendrons nos querelles intestines, et nous ressaisirons nos haines.
Que c'est beau la guerre, quand elle plane au-dessus des intérêts particuliers et lorsqu'elle est déclarée pour la sécurité de la patrie !
C'est pour le passé, pour le présent, pour l'avenir, que nous allons nous battre !
C'est pour le passé ; c'est pour Waterloo, nom lugubre qui nous arriva comme un sanglot répercuté par deux générations d'hommes.
C'est pour le présent : c'est pour l'insulte froide et méditée.
C'est pour l'avenir : c'est pour que les chevaux prussiens ne viennent plus brouter nos blés et leurs maîtres violer nos filles.
Et quelle noble mission que cette mission de la France !
Elle a fait l'Alma, Sébastopol, pour sauver la Turquie.
Elle a fait Solferino pour délivrer l'Italie.
Et maintenant sa main généreuse va briser les fers de l'Allemagne. Hanovriens, Danois, qui depuis quatre ans tendez vers nous vos mains suppliantes chargées de fer, espérez ! Saxons, Bavarois, qui tremblez pour votre indépendance, rassurez-vous ! La France arrive, la France approche, vous allez être libres.
Ce n'est pas une guerre de conquête, ce n'est pas une guerre d'invasion, c'est une guerre de délivrance et d'honneur.
Et la grande Armée va reprendre la route qu'elle connaît bien. D'ailleurs, les jalons en sont marqués, et chaque grand arbre qui s'élève de Paris à Strasbourg a puisé sa sève nourrissante dans un cadavre de Prussien, tué par un paysan et enterré là.
Qu'elle se batte comme elle a l'habitude de se battre !
Nous sommes derrière elle, et si les boulets et les balles font de trop grands trous dans les rangs, nous les boucherons avec nos poitrines.
                                                                                                  Paul de Cassagnac.

Rimbaud n'a pas gardé la mention de tous les partis, il n'a conservé que la confrontation des bonapartistes aux républicains. J'ai souligné l'idée qu'après la bataille les partis ressaisiraient leurs haines, car cela s'entend dans la pointe du sonnet rimbaldien : "- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !"
Nous ne nous attarderons pas à critiquer l'article pour lui-même. Il y a énormément de phrases sur lesquelles ironiser, énormément de phrases employées comme du verbe ronflant qui n'a pas lieu d'être, etc.
On remarque que la mention de "93" s'oppose précisément au texte de Cassagnac qui ne cite que "1792". Nous observons également que la mention de Valmy est liée aux orléanistes dans le texte de Cassagnac, mais Rimbaud en récupère naturellement la mention au profit de la cause républicaine. D'ailleurs, Rimbaud va jusqu'à citer des guerres qui impliquaient Napoléon Premier, les campagnes d'Italie, il retourne le système de Cassagnac travaillant à inclure les républicains et les orléanistes dans l'oeuvre bonapartiste. Pour information, la signification politique du mot "bonapartisme" vaut pour Napoléon III, pas pour Napoléon Ier. Le bonapartisme implique la référence à Napoléon Ier, mais c'est un mouvement né du Second Empire. En ne choisissant pas dans les dates révolutionnaires, Rimbaud fait sentir que la contradiction n'est pas dans son camp au sujet du sens de l'Histoire. C'est Napoléon Ier, puis Napoléon III qui ont pris l'histoire révolutionnaire à rebrousse-poil.
J'ai souligné l'idée que les républicains furent grands et nobles, puisque cet hommage qui ne rejaillit pas ainsi sur les orléanistes et légitimistes dans le discours de Cassagnac, est développé dans le sonnet de Rimbaud, lequel s'est donc abondamment inspiré des formules hugoliennes des Châtiments, mais sans oublier de multiplier les références à l'article d'ensemble de Cassagnac.
Notez que le vouvoiement des adresses de Cassagnac aux partis d'aujourd'hui est repris par Rimbaud, mais au profit des morts pris à témoin, encore une fois à la façon de certains poèmes des Châtiments.
Ensuite, quand notre adolescent ardennais parle de "bris[er] le joug", si là encore il faut songer au modèle hugolien, il est intéressant de noter que c'est une allusion fine au discours de Cassagnac avec reprise du verbe "briser" lui-même, et l'idée du "baiser fort de la liberté" double la référence au même alinéa de l'article du journal Le Pays : "va briser les fers de l'Allemagne", "vos mains suppliantes chargées de fer", "vous allez être libres". Le premier quatrain de Rimbaud répond à cet alinéa qui vient assez tard dans le discours de Cassagnac.
L'idée du sang qui lave vient d'autres horizons de lectures, Châtiments de Victor Hugo toujours, et c'est le cas également pour les Morts au combat devenus figures christiques. Toutefois, l'idée de Morts ayant un aspect de résurrection christique sont une inversion évidente de la phrase assez sotte de Cassagnac sur les arbres de France nourris du sang de Prussiens jadis tués par des paysans. Enfin, si on pouvait pressentir que cet article méritait d'être cité au sujet du sonnet "Le Mal", le dernier alinéa en donne la confirmation éclatante avec l'idée des balles qui font d'énormes trous dans les rangs. Le sonnet "Le Mal" n'est pas daté, mais il devient sensible qu'il ne doit finalement pas être de beaucoup postérieur à la composition de "Morts de Quatre-vingt-douze..." :

Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;
 
Tandis qu'une folie épouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
[...]

Les six premiers vers du sonnet "Le Mal" sont encore une réplique amplifiée au discours léger de Cassagnac dans le dernier alinéa de son article. En même temps, "Morts de Quatre-vingt-douze..." et "Le Mal" sont des expériences littéraires singulières. D'une part, ces deux poèmes, bientôt suivis par quelques autres, sont saturés de reprises aux Châtiments de Victor Hugo. Il ne s'agit pas de plagiats, mais de compositions originales saturées de reprises lexicales ou d'allusions aux Châtiments de Victor Hugo. D'autre part, la forme adoptée est celle du sonnet : outre que le modèle Victor Hugo n'en a encore jamais publié un seul à l'époque, il s'agit d'une forme qui normalement (pas dans l'absolu, mais pour ce qui est des repères culturels à propos des valeurs d'emploi d'une ressource poétique) ne convient pas à des sujets politiques d'une telle importance traités satiriquement ou non. Le sonnet n'a pas vocation au discours épique, à secouer la nation. Rimbaud fait véritablement quelque chose de singulier avec un tel usage de la forme sonnet au plan de la raillerie politique. C'est complètement inattendu...
Pour observation, sur la première page du journal Le Pays du 16 juillet, le premier article sur la première colonne est aussi signé par Paul de Cassagnac, il s'agit de la séance au Sénat où le duc de Gramont s'indigne contre la dépêche d'Ems. Le second article signé Henri Maquet cite la riposte de Thiers, quoique sur un mode écourté et moins vif, qui dénonce le fait de partir en guerre pour une question de susceptibilité, de se pencher sur la forme quand sur le fond on a satisfaction. Préparant une transition pour l'article de Cassagnac, l'article de Maquet se termine par cet alinéa qu'il convient de citer, il intéresse l'épigraphe rimbaldienne.

La guerre est déclarée. Français de tous les partis, aux armes ! Vive la France !
Nous retrouvons la mention "Français de tous les partis" qui justifie le recours au pluriel dans la pointe du sonnet : "- Messieurs de Cassagnac [...]". Henri Maquet est un des messieurs de Cassagnac de la revue Le Pays et il est piquant de songer au texte de La Marseillaise dans la mention "aux armes !" Rimbaud l'a forcément envisagé puisque son poème contient plusieurs clins d'oeil, explicites ou moins (voir Cornulier), au fameux chant révolutionnaire. L'article suivant sur "Les Manifestations" souligne que les chants privilégiés dans la rue sont La Marseillaise, Le Chant du départ et Mourir pour la patrie. Les Parisiens ont de l'humour : "Les voyageurs pour Berlin en voiture !" Nous avons bien une scène digne de la fin du roman Nana de Zola, mais ici par un journaliste qui ne fait nullement un portrait-charge ironique et cinglant. Etnous relevons plusieurs le cri de "Vive l'Empereur" que Rimbaud va épingler dans "L'Eclatante victoire de Sarrebruck".
Il est piquant dans cet article de voir une reprise sans doute involontaire du discours de Thiers qui figure deux articles auparavant sur la même page : "On manifestait, non pas contre l'ordre de choses établi, mais contre une nation séculairement hostile et dont l'attitude insolent froisse au plus haut point les susceptibilités françaises." Cet article est signé Ruellan, lequel signe aussi l'article suivant sur la même colonne et qui est une citation du journal Le Figaro au sujet de Paul de Cassagnac. Nous pouvons bien penser que Rimbaud s'est fait une impression d'ensemble de cette page ou de ce numéro du journal Le Pays. Donc, pour l'intérêt d'une critique minutieuse et historienne, nous devons également citer ce passage :

On lit dans Le Figaro : 

M. Paul de Cassagnac a été l'objet d'une manifestation d'autant plus flatteuse que, jusqu'à présent, on ne l'avait guère gâté à cet égard. On sait avec quelle vigueur il prêche, depuis l'origine des négociations, la croisade antiprussienne. Comme il débouchait de la rue Laffitte, il a été reconnu, entouré et littéralement acclamé. Cette ovation insolite a vivement ému notre jeune confrère, et aux cris enthousiastes de :- Vive Paul de Cassagnac !Il n'a pu que répondre :- J'avais besoin de ça pour me faire oublier d'être bonapartiste !Dans la journée, le rédacteur du Pays avait déjà reçu la visite d'une députation d'ouvriers qui venaient le consulter sur la conduite à tenir devant les hésitations du ministère. Le rôle était difficile, et nous ignorons la réponse que son patriotisme a dictée à M. Paul de Cassagnac. 

Par un sentiment délicat que l'on comprendra, nous n'aurions pas reproduit ce récit, s'il ne s'y était glissée une petite erreur que nous devons rectifier :
M. Paul de Cassagnac n'a pas dit qu'il avait besoin de cette ovation "pour lui faire
oublier," mais bien pour lui faire pardonner d'être bonapartiste.

Vous en connaissez beaucoup des écrits rimbaldiens qui vous donnent toute la matière méditée par Rimbaud pour composer son poème ? On sait que Rimbaud a lu ce journal, donc il faut le lire en entier pour vérifier qu'on ne laisse rien échapper d'important quant à la compréhension et à la genèse du sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..."
Toujours sur cette première page du journal en six colonnes, nous découvrons une lettre ouverte d'un "ancien soldat" adressée "A Monsieur Paul de Cassagnac".
Rimbaud n'a pas pu mettre tout le journal en son sonnet, mais sur la dernière colonne de la première page du Pays, cette lettre et la "chanson de circonstance" livrée aux lecteurs parlent toutes deux de "coeur chaud", quand le sonnet de Rimbaud décrit une tout autre étreinte : "Vous dont les coeurs sautaient d'amour sous les haillons[.]" Il est question aussi dans la chanson La Française de trinquer, motif repris dans le poème "La Rivière de Cassis" au sujet d'un "paysan matois". Vous pouvez vous reporter enfin aux trois autres pages de ce numéro du Pays, puisque j'en ai mis le lien dans mon article du 16 juillet, mais c'est vraiment la première page qui rassemblait toute la matière intéressante quant à la genèse de la réplique rimbaldienne.

A suivre...

vendredi 17 juillet 2020

Transition vers le 18 juillet et réflexions sur le cas Bardel

J'avais annoncé que je compléterais l'article du 16 juillet avec la citation in extenso de l'article de Paul de Cassagnac, mais j'ai mal à la tête en continu depuis trois jours, ce qui m'arrive depuis quelques années et plusieurs fois par an. Je ne me vois pas rédiger avec l'impression à tout moment qu'un courant électrique va me faire m'évanouir. On va essayer de transformer cela en avantage malgré tout. Demain, je mettrai la suite. Après tout, selon le témoignage d'Izambard, Rimbaud lui a remis la composition le 18. Depuis hier, Rimbaud doit sans doute être lancé sur la création de son poème, il doit certainement continuer de le travailler aujourd'hui.
**
Pour Une saison en enfer, c'est évidemment avec un immense dégoût que j'assiste aux publications d'Alain Bardel sur son site. Il a ajouté le 15/07 L'Introuvable (En relisant Une saison en enfer / Conclusion).
Normalement, Bardel, quand il a créé son site, ne se déclarait pas un rimbaldien. Il relayait les travaux des autres et il émettait ses hypothèses personnelles sans prétention. Il a ensuite publié de premiers articles dans la revue Parade sauvage et dans la revue Europe, dans la mesure où il donnait le son de cloche de la revue Parade sauvage et était du coup une vitrine internet pour ce discours-là. En même temps, les deux premiers articles de Bardel furent visiblement supervisés de près par Steve Murphy. Tout cela n'est pas bien gênant, mais comme je l'ai pressenti on voit bien dans le développement du site d'Alain Bardel une parole envahissante qui est sur tous les fronts et qui veut avoir raison, et qui donc pose en spécialiste ultime de Rimbaud. Là encore, on peut avoir l'envie de se poser comme tel, mais dans le cas de Bardel il n'a pas le niveau requis pour de telles prétentions. Et, enfin, j'en arrive au coeur du problème. Bardel a inventé un système de communication assez retors. 1) Quand il rend compte des travaux des rimbaldiens, il joue les arbitres avec un aplomb extraordinaire. Or, si, au football, l'arbitre n'est pas l'équivalent d'un joueur, ici son arbitrage consiste à faire la même chose qu'un rimbaldien : défendre une opinion, sinon une découverte fiable, en émettant des arguments. Il est certes normal qu'il fasse sa propre évaluation des travaux des autres, mais il le fait en distribuant les bons et les mauvais points, en glissant une réflexion ironique ou un peu grondeuse, etc. Bardel oublie complètement qu'il n'est pas un rimbaldien compétent et qu'il a un manque de mesure dans ses réactions pour quelqu'un qui prétend être neutre, désintéressé.
2) Le système de communication s'est affiné. On a maintenant droit avec sa section "En relisant Une saison en enfer" et plus largement avec tous ses derniers articles sur Une saison en enfer à un partage entre la parole des autres rimbaldiens et la sienne. Il va mettre d'un côté un florilège de citations de critiques rimbaldiens, selon bien sûr ses préférences et selon encore une sorte de consensus qui lui convient très bien. Il ne faut pas oublier que le monde du rimbaldisme, c'est des relations mondaines entre personnes, avec des susceptibilités et des enjeux de séduction qui n'ont rien à voir avec l'explication de la poésie de Rimbaud. Et puis, d'un autre côté, il s'habitue, et beaucoup de rimbaldiens lui ont appris la marche à suivre, sauf qu'il la radicalise, à publier des articles personnels où il n'est pas question une seule fois de citer un rimbaldien. Avant, il en citait et on voyait le mode préférentiel. Ici, il ne cite plus personne. Les articles sont très longs et se veulent donc le fait d'un spécialiste du texte de Rimbaud. Ces articles très longs sont l'occasion de créer une sorte de discours continu où on mélange des avancées critiques, des corrections de son point de vue à un discours ancien intégralement préservé. Il n'y a plus d'enjeu de vérité, parce qu'on est face à une masse qui fera toujours un pied-de-nez pour réaffirmer les convictions que Bardel a toujours soutenues sur Une saison en enfer et les contradictions sont absorbées, rendues avec une note qui les euphémise, les rend imperceptibles, etc. Et évidemment, ce discours ne cite personne, c'est la réflexion de Bardel tout seul qui ne doit rien à personne ou qui ne doit qu'aux lectures qu'il a toujours valorisées et qu'il n'a pas besoin de rappeler.
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Bon, je ne vais pas m'éterniser. Le 21/06/2020, j'ai mis en ligne un article "La charité, vertu théologale dans la prose liminaire d'Une saison en enfer" qui a un sous-titre au passage et que Bardel a référencé dans sa rubrique "Actualités". Or, cet article m'a permis de mettre en boîte l'hypocrisie du système Bardel en rappelant qu'en 2009 celui-ci niait que la "charité" soit la vertu théologale dans la prose liminaire d'Une saison en enfer, alors que maintenant il affirme que c'est bien la vertu théologale, mais évidemment en continuant de soutenir que c'est différent pour les autres occurrences et que du coup même si dans la prose liminaire il est question de la vertu théologale Rimbaud a eu une recherche personnelle d'une charité non chrétienne dont il rendrait compte dans Une saison en enfer. Il croit pouvoir tirer parti d'une mention telle que "sa charité est ensorcelée" pour ce faire. Bardel n'admet pas s'être trompé en 2009, il ne citera pas la personne qui est à l'origine de cette correction et qui est moi-même, il a corrigé subrepticement son discours sur un passage textuel parce qu'évidemment il était coincé, mais il essaie de sauver tout le reste sur un effet de masse. Toute la lecture d'un Rimbaud à la recherche d'une charité laïque vient de l'article de Jean Molino qui, le premier, à partir de contresens de lecture sur la prose liminaire, a soutenu que le mot n'avait pas le sens de vertu théologale. Bardel qui a lu tant de critiques rimbaldiens refuse d'envisager que sa lecture est sous l'influence de Molino ou des rimbaldiens qui ont ensuite été influencés par l'étude de Molino. Et il a refusé de considérer que l'annulation de la critique de Molino faisait s'effondrer l'édifice. Bardel refuse même de rendre compte de l'article de Molino, de le mentionner. Il se réfugie dans une critique hors-sol, il nous fait du rimbaldisme hydroponique.
Prenez son texte nouvellement mis en ligne, L'Introuvable, l'introduction, c'est du charabia : "Diversité des voix, des modes de narration, des avatars du locuteur, des genres, des projets d'écriture [...] une figure de cet introuvable qu'est l'auteur [...] la simple question de savoir qui parle, à tel moment ou à tel autre, est à soi seul un problème" Nous voilà bien partis !
Et je cite un extrait du dernier paragraphe de l'introduction :

[Il y a quelqu'un, sans doute en réponse à la question : "esprit es-tu là ?"] Quelqu'un de "caché", mais que l'on reconnaît à son style oral caractéristique, au cheminement contradictoire et chaotique de sa pensée, et surtout au retour régulier des mêmes thèmes. Si le locuteur, dans le prologue, semble bien rejeter l'idée d'une "conversion" au sens religieux du terme, la nécessité d'une (re)conversion n'en est pas moins très sincèrement ressentie par le jeune poète.
C'est toujours du charabia, parce que je n'imagine pas que beaucoup de lecteurs trouvent limpide la formule "et surtout au retour régulier des mêmes thèmes". Aujourd'hui, Bardel admet, non pas admet, nous enseigne que le mot "charité" a le sens de vertu théologale dans la prose liminaire d'Une saison en enfer. Il le fait en en-tête de certains de ses écrits récents pour bien nous en avertir charitablement et il met une définition. Ceci dit, comme en 2009 et avant, dans son nouvel article, il nous fait le coup de la modalisation : "semble bien rejeter l'idée d'une "conversion" ". Et ce n'est pas que l'expression "semble bien" que je vise : avez-vous bien noté la présence des guillemets au mot "conversion" qui n'est pas une citation du texte ? C'est très discret, mais il faut l'observer. Ensuite, même les lecteurs les plus inattentifs ne peuvent manquer l'affirmation étonnante : "la nécessité d'une (re)conversion n'en est pas moins très sincèrement ressentie". Ces formes écrasées "(re)conversion" sont devenues à la mode dans la seconde moitié du vingtième siècle. Je considère, et c'est pareil pour l'écriture inclusive, que ces formes de réécriture ne sont pas compatibles avec la pratique orale, et partant avec l'effort intellectuel de la lecture. Ecrivez "les amies et les amis", n'écrivez pas "les ami-e-s" sauf si vous voulez à tout prix être identifié comme idiot en société. Et comment rendez-vous à l'oral "instituteurs-trices" ou autre billevesées ? Les créations du genre "co(n)texte" pour confondre cotexte et contexte posent des problèmes similaires dans les écrits universitaires. Ce truc-là a vécu, n'en parlons plus ! C'est un moyen pour économiser le temps d'écriture, pour économiser les signes graphiques, mais c'est contre-productif dans la communication, sauf dans les cas de calembours qu'on veut souligner. Autrement dit, Bardel nous parle plus précisément de "la nécessité d'une conversion sinon d'une reconversion du poète". Dis clairement, ça fait mal, hein ! Et plus loin, on a du "très sincèrement".
Plus loin, dans l'article L'Introuvable, nous avons une sous-partie intitulée "Une (re)conversion existentielle" qui commence par nous parler de la section "Alchimie du verbe". Nous sommes passés sans que ce ne soit dit de la notion chrétienne de conversion (avec son prolongement bâtard que serait la reconversion) à une notion existentielle ! Avez-vous vu l'imposture ?
Je n'ai pas encore lu tout cet article pour l'instant, je fais uniquement quelques sondages. Mais ce n'est pas inutile comme vous pouvez le constater. Nous avons plus loin une sous-partie intitulée "L'entreprise de la charité". Et cette sous-partie est flanquée d'une épigraphe, pour mettre en valeur la mention "sa charité est ensorcelée", une formule qui est mise dans la bouche de la Vierge folle.
Et là, à nouveau, on joue le jeu docile de reconnaître que la notion est chrétienne (je suis passé par là). Rappelons que ni "conversion" ni "reconversion" ne sont des mots de la prose liminaire, ce sont des substituts pour la phrase "La charité est cette clef." On ajoutera pour "le festin ancien", mais c'est pareil.
Donc, on voit un article qui a développé d'un côté l'idée d'une conversion existentielle et qui de l'autre accorde de partir de la notion chrétienne de charité, alors que cela part du même extrait lu de deux manières contradictoires !
Cette sous-partie sur la charité devient l'occasion pour Bardel d'affirmer que le couple de Verlaine et Rimbaud représentait une entreprise de charité. Et tout à la fin de son article, Bardel implique clairement l'idée que le livre Une saison en enfer consacre la "rupture avec Verlaine", je cite Bardel.
Et pour qu'on pense que la notion de "charité" devient quelque chose d'étrange dans la pensée de Rimbaud, Bardel cite la phrase de la section "Adieu" : "Suis-je trompé, la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?"

Alors, reprenons.
En juin 1871, la plupart des gens, Bardel compris, pensent que Rimbaud ne connaissait pas encore Verlaine. Ce n'est évidemment pas mon cas, il est clair comme de l'eau de roche que Rimbaud a rencontré Verlaine à Paris entre le 25 mars et le 10 avril, et que c'est à partir de là que s'est préparée sa montée à Paris pour septembre. Mais, dans tous les cas, en juin 1871, Rimbaud n'est pas en phase de rupture avec Verlaine, c'est même l'inverse, Rimbaud aspire à monter à Paris où réside Verlaine. Et Rimbaud parle avec intérêt de Verlaine dans ses courriers à Izambard et Demeny depuis un an déjà (25 août 70, 15 mai 71). En revanche, Rimbaud a adhéré à la Commune qui a été réprimée dans le sang à la toute fin du mois de mai.
C'est dans ce contexte que Rimbaud compose un poème intitulé "Les Soeurs de charité". Pour information, au dix-neuvième siècle, les plaisirs de la vie n'étaient pas les mêmes que de nos jours. Il n'y avait pas le cinéma, la télévision, internet, les jeux vidéo, etc., etc. Aujourd'hui, il n'y a presque personne qui lit des poètes contemporains. Or, au dix-neuvième siècle, il y a plein de revues et de temps en temps le quidam a le bonheur de voir une de ses compositions publiées dans les pages d'un journal, un peu comme ce fut le cas de Rimbaud pour "Les Etrennes des orphelins" ou "Trois baisers". Et justement, des poèmes portant le titre "La Soeur de charité" ou "Les Soeurs de charité", il y en avait plusieurs dans la littérature sans lendemain du dix-neuvième siècle, ce qui fait que pour les références du poème de Rimbaud il nous manque sans doute une synthèse sur cette question, vu qu'on n'a pas de poèmes d'Hugo, Baudelaire, Banville, etc., qui porte le titre "Les Soeurs de charité". C'est un premier souci. Au passage, j'ai découvert des sonnets avec le mot "latente(s)" à la rime dans cette littérature sans lendemain, mais postérieurs de publication au sonnet "Voyelles" de Rimbaud. Mais revenons-en aux "Soeurs de charité".
Il se termine par le vers : "Ô Mort mystérieuse, ô soeur de charité."

Je vérifierai si Bardel a songé quelque part à faire le lien entre ce poème de 71 et la fin du livre Une saison en enfer. J'ai l'impression que non. Dans mon idée, très peu d'écrits rimbaldiens ont fait le rapprochement, et personne n'insiste dessus.
C'est tout de même assez ballot, parce que dans "Vierge folle", quand il est question du problème des femmes, "coeur et beauté sont mis de côté", c'est exactement en phase avec "Credo in unam" : "La Femme ne sait plus être Courtisane" (citation de mémoire) et "Les Soeurs de charité" :

Mais, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce,
Tu n'es jamais la Soeur de charité, jamais,
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.
Dans ce quatrain, il y a, en plus d'une rime approximative selon moi : "jamais"::"formés", qu'on peut faire passer au bénéfice de réalisations orales particulières, il y a deux enjambements à la césure pour mettre en relief "d'entrailles" et puis "de charité".
Il ne faut pas faire un faux procès à Rimbaud qui répugnerait à la femme laide "porteuse de mamelle" et qui préférerait les jolies femmes suggérées par ses lectures. Ce quatrain parle bien de l'acte où "coeur et beauté" sont "mis de côté". Et c'est effectivement sur ce terrain que se déploie l'idée du nouvel amour rimbaldien, qui est le fameux "Vénus ! c'est en toi que je crois" du poème "Soleil et chair" ou "Credo in unam" et dont je fais un moteur explicatif du sonnet "Voyelles". Bardel qui prétend mieux que tout le monde chercher l'idée de charité rimbaldienne personnalisée n'a jamais cité une seule fois dans sa rubrique "Actualités" un quelconque de mes dizaines d'articles sur "Voyelles". Il n'a même jamais daigné citer les articles qui ont été publiés dans Parade sauvage ou Rimbaud vivant. Il faut dire que tous les rimbaldiens ont fait pareil que lui à ce sujet.
Je me demande si on aura prochainement un article de Bardel sur la "charité" dans Une saison en enfer où il me citera en train d'expliquer le lien aux "Soeurs de charité". Boah, il est tranquille, il suffit de citer un rimbaldien du passé qui l'a déjà fait.
Au passage, vous observerez que ce lien d'Une saison en enfer avec un poème écrit au lendemain de la Semaine sanglante confirme lourdement la nécessité de penser au Rimbaud communard dans la révolte des textes "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et quelques autres.

Je reviendrai sur les mentions de la charité dans Une saison en enfer au-delà de la prose liminaire. Ce qui m'importe pour l'instant, c'est d'interdire à Bardel d'essayer de lire la prose liminaire comme l'annonce d'une quête d'une forme de charité personnalisée. La prose liminaire parle exclusivement de la charité en tant que vertu théologale, et il n'y a aucun sincérité du poète quand il se tourne vers elle pour deux raisons : d'abord, il la rejette immédiatement, ensuite, le festin n'est qu'un prétexte que le poète se donne pour échapper à la mort.
Bardel essaie ensuite de se servir de la mention "pavots" pour créer une nouvelle zone d'ambiguïtés. Le mot "pavots" renverrait aux "paradis artificiels" et annoncerait certains discours de la section "L'Impossible". Bardel fait du mot "pavots" un véritable cheval de Troie pour essayer de soutenir que les allusions de la prose liminaire sont plus floues qu'il n'y paraît.
Or, dans la prose liminaire, le poète a évacué toute "espérance humaine" et il appelle les fléaux, se bat contre la justice, etc. Loin de vivre dans des paradis artificiels, le poète affiche un sourire idiot devant le printemps et vit dans la boue. On notera par ailleurs que Bardel cite un titre de Baudelaire "paradis artificiels", ce qui montre qu'il est aussi sous l'influence d'une lecture selon laquelle la "Beauté" injuriée au début de la prose liminaire est une référence à Baudelaire, ce qui est un contresens grossier partagé par de nombreux rimbaldiens.
Si Bardel admet enfin que la charité est la vertu théologale, il doit comprendre que les lectures sont erronées qui dissocient la "Beauté" injuriée de la sphère d'une société chrétienne à la charité bien ordonnée. Le texte "Alchimie du verbe" autorise la réflexion esthétique sur l'allégorie de la Beauté, mais il n'y a pas la filiation baudelairienne qu'on prétend.
Et je pourrais m'amuser à citer tous les rimbaldiens qui soutiennent que la "beauté" injuriée vient des poèmes des Fleurs du Mal, parmi lesquels quelques-uns passent pour des gens spécialisés sur Une saison en enfer.
Mais il y a un autre point étrange qui m'amène à citer Bardel au sujet des "pavots", c'est dans la sous-partie "Un réquisitoire général contre le mensonge et l'illusion", titre de sous-partie visiblement influencé par les articles de Claisse, alors que Bardel ne cite jamais Claisse au sujet de ce livre, mais toujours exclusivement au sujet des Illuminations, mais peu importe :

Il a trop pris de ces "pavots", de cet opium que Satan lui a aimablement administrés, c'est-à-dire métaphoriquement de ces contrefaçons à la promesse chrétienne que sont les "paradis artificiels", l'évasion hors du monde, les mysticités romantiques, la pratique raisonnée de l'hallucination, cette porte ouverte sur la folie[.]

C'est un peu déconcertant. Comme dirait le bourgeois gentilhomme, combien Rimbaud explique de choses en un mot. Le mot "pavots" ou mieux le pronom "en" dans "J'en ai trop pris" veut dire tout ça ! Mais surtout, ce qui me fait tiquer, c'est l'idée de "contrefaçons à la promesse chrétienne". Bardel fait entendre une concurrence entre Dieu et Satan au sujet de la notion de charité. Satan en aurait des contrefaçons. Ce n'est pas du tout ce que dit la prose liminaire et on voit très bien que cette nouvelle embrouille permet à Bardel de continuer de faire que Rimbaud cherche sincèrement une idée de la charité.
Alors, je vais être très précis. Non ! Rimbaud se révolte contre la charité chrétienne, et il cherche à pratiquer un toilettage de cette notion. Toutes les fois où la religion semble brimer l'amour, le poète va considérer qu'il faut revoir la notion de charité. C'est la démarche dans "Credo in unam". Il oppose Vénus à la charité. Il y a une autre façon de voir les choses, c'est l'hypocrisie d'une société qui n'a de charitable que les apparences, puisqu'évidemment il y a très peu d'élus. La charité ne s'applique pas aux gens qui sont rejetés par exemple. Et effectivement, à ce moment-là, mais ce n'est pas difficile à lire et à comprendre, le texte de Rimbaud va ironiser en opposant les actes de bonté des non élus au mépris des gens censés être l'expression de la charité. Rimbaud a écrit "Génie" où il donne son contre-modèle à la charité, mais dans Une saison en enfer les mentions de la charité ne sont pas pour évoquer la construction du contre-modèle, mais bien pour mettre en tension la notion chrétienne même.
Il y a aussi un autre point à soulever. La section "Vierge folle" introduit l'idée d'un compagnon d'enfer, quand le poète dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" s'est décrit comme seul, sans un camarade et avec une compagnie des femmes interdite. Bref, la prose liminaire fonctionne pour l'ensemble d'Une saison en enfer, mais il y a le paradoxe du "Drôle de ménage !"
Nous aurons à y revenir lors de prochains articles sur Une saison en enfer.

mercredi 15 juillet 2020

Il y a 150 ans... le 16 juillet, un article signé Cassagnac !

Il existe de Rimbaud un sonnet sans titre "Morts de Quatre-vingt-douze..." qui est accompagné d'une épigraphe tirée d'un article publié le 16 juillet 1870. En voici le texte, tel qu'il a été délivré par Rimbaud :

"... Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc..."
         -Paul de Cassagnac
-Le Pays.-

Le poème est suivi d'une autre épigraphe en-dessous de la signature : "fait à Mazas, 3 septembre 1870."
L'unique version manuscrite connue de ce sonnet, avec bien sûr cette épigraphe, a été remise à Paul Demeny à Douai et il va de soi que, à moins d'avoir été mis sur cette piste, Rimbaud n'avait aucune raison de relire en septembre le détail de la presse quotidienne du mois de juillet et des journées ayant précédé la guerre. On peut toujours imaginer qu'il le fasse pour mieux apprécier comment la presse s'enflammait à la veille d'un événement aussi majeur que la guerre franco-prussienne. Mais le professeur Izambard a apporté son témoignage en 1911. Selon lui, le poème lui a été remis le lundi 18 juillet 1870, "après la première classe". Et la composition datait vraisemblablement de la veille, puisque la composition ne pouvait pas avoir été faite pendant les heures de cours. Izambard intitulait également cette composition "Aux morts de Valmy". Izambard semble avoir été marqué par cet événement et on peut se demander si cela ne l'a pas effrayé, puisque le manuscrit d'Izambard ne nous est pas parvenu. On peut se demander si entre le 18 juillet et la chute de l'empereur à Sedan Izambard n'a pas préféré faire disparaître cette pièce compromettante. Mais peu importe. L'idée qui s'impose, c'est qu'il y aurait eu deux versions distinctes du poème, dont une première dans la foulée de l'article de Cassagnac. Il va de soi que le sonnet n'a pas pu être composé dans la prison de Mazas un 3 septembre, lieu où Rimbaud n'avait sans doute pas accès à un exemplaire ancien du journal Le Pays d'où il tire son épigraphe. L'idée assez naturelle, c'est que Rimbaud a composé ce sonnet sous une première forme soit le 16 juillet même, soit du 16 juillet au 18 juillet au matin (Izambard bornant la composition au seul 17 juillet par une approche hypothétique un peu sommaire). Le titre était-il "Aux Morts de Valmy" ? Rien ne le prouve. Izambard a très bien pu donner un titre de son cru en se penchant sur le trimètre assez évident du milieu de premier tercet : "Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie[.]" Puis, en septembre, éventuellement en octobre, à Douai, Rimbaud a recopié son sonnet et l'a remis à Demeny. Lorsqu'il nous est possible de comparer avec des versions antérieures, Rimbaud a toujours apporté des modifications, il est donc probable que ce sonnet ait subi quelques remaniements, mais il a en tout cas joui d'une adjonction finale : "fait à Mazas, 3 septembre 1870". Il est clair qu'en relisant son poème Rimbaud s'est rendu compte de l'opportunité satirique que représentait cette façon d'antidater la composition. Du 16 juillet au 3 septembre, nous passons de l'exaltation du régime à sa chute, et le tour de force consiste à superposer l'idée des voix muselées par le second Empire au sort particulier de Rimbaud qui était effectivement incarcéré à Mazas le 3 septembre même, mais pour ne pas avoir payé son transport en train et apparaître comme un enfant vagabondant en pour dire vite toute illégalité.
Le titre "Aux Morts de Valmy" proposé par Izambard a fait envisager à Steve Murphy que cela pouvait être l'indice d'un remaniement profond du poème. Dans son édition critique Oeuvres complètes I Poésies de 1999, il fait le développement suivant dans une note page 254 "Sur la datation du poème et sur une version perdue" :

le titre [donné par Izambard] comporterait des implications politiques moins radicales, répondant à l'objurgation de Paul de Cassagnac : "républicains, souvenez-vous de vos pères en 92", sans forcément ajouter à l'évocation des "Morts de quatre-vingt-douze" l'invocation des morts de 93, dont les connotations révolutionnaires sont très différentes. Comme l'a écrit J.-F. Laurent, "dès le premier vers, en mettant sur le même plan "Quatre-vingt-douze" et "Quatre-vingt-treize", [Rimbaud] se démarque clairement de Hugo" [1988]. Et aussi, sans doute, du républicain modéré qu'était Izambard, ce qui expliquerait probablement le verbe perpétr[er] qu'il emploie en évoquant le sonnet, la connotation péjorative visant en tout état de cause le contenu politique et non la forme du poème.

La distinction révolutionnaire entre 92 et 93 est bien réelle et importe à Victor Hugo. Au début des Châtiments, il précise que le géant quatre-vingt-treize n'est grand qu'à condition de ne pas revenir. La Révolution française a été faite par des enfants de l'Ancien Régime, ce qui explique qu'il y ait eu Quatre-vingt-treize, mais, pour Hugo, nous savons d'autre chose, nous ne sommes tout de même pas immergés dans l'Ancien Régime, Quatre-vingt-treize ne saurait plus être naturel aux Français de 1870. Hugo ne publiera le roman Quatre-vingt-treize que quelques années plus tard, il n'en sera pas question ici. En revanche, l'organe de presse hugolien, c'était le journal Le Rappel qui a publié son premier numéro le 3 mai 1969, comme je l'ai évoqué dans les précédents articles de notre naissante saga "Il y a 150 ans". Le 4 mai 1869, Victor Hugo parrainait la naissance de cette revue en des mots cités par Francis Choisel dans sa chronologie La Deuxième République et le Second Empire au jour le jour :

La légion démocratique a deux aspects : elle est politique et littéraire. En politique, elle arbore 89 et 92; en littérature, elle arbore 1830. Ces dates à rayonnement double, illuminant d'un côté le droit, de l'autre la pensée, se résument en un mot : Révolution.

La référence à 93 est clairement évitée dans le discours d'Hugo. Ceci dit, suite à cette guerre franco-prussienne, Rimbaud va écrire un certain nombre de poèmes satiriques saturés de reprises aux Châtiments de Victor Hugo et j'ai quelques réserves à émettre au sujet de l'idée d'un éventuel remaniement du poème. Quand on compare les manuscrits remis en 1870 à Banville, Izambard, Demeny et au journal La Charge, les modifications apportées aux vers ne modifient pas les logiques des poèmes. Il n'y a aucun moyen de vérifier une évolution du discours politique de Rimbaud entre juillet et septembre. Rimbaud peut très bien trouver la date "Quatre-vingt-treize" comme importante dès le mois de juillet 1870. L'hypothèse d'un remaniement ne repose sur rien et il n'y a aucune raison de se sentir obligés d'en tenir compte. D'ailleurs, prenons ce sonnet. S'il faut imaginer une première version qui ne contenait pas la mention "Quatre-vingt-treize", nous perdons tout le second hémistiche du premier vers et sans doute tout le second hémistiche du vers 3. Quant aux vers 10 en forme de trimètre, il met sur un même plan la bataille de Valmy (92), la bataille de Fleurus (94) et les batailles d'Italie qui impliquent précisément la référence de l'empire, l'oncle Napoléon Ier (première campagne de 96-97 puis seconde de 1799-1800). Cela fait trois vers qui auraient été bien différents de ce que nous connaissons, et en même temps dans la version définitive l'année "Quatre-vingt-treize" est mentionnée à la rime du premier vers, mais elle n'est plus mentionnée ensuite, pas même par clin d'oeil. Il y a des allusions voilées à la Marseillaise, sur lesquelles Benoît de Cornulier a insisté, mais la Marseillaise a été mise sur le devant de la scène durant l'année 1792 et puis au cours de l'année 1795 pour son statut d'hymne. Bref, je n'y crois pas du tout à un remaniement du poème. En tout cas, c'est une idée dont on ne peut rien faire. Le remaniement, il est dans l'épigraphe "fait à Mazas, 3 septembre 1870", remaniement qui s'est fait en marge du sonnet lui-même.
Pour moi, le témoignage d'Izambard m'autorisant à oser un discours un peu au-delà du manuscrit, tout porte à croire que ce sonnet a été composé le 16 juillet ou bien les samedi et dimanche 16 et 17 juillet... il y a 150 ans tout rond. Et même s'il y a des variantes dans le manuscrit Demeny, c'était sans aucun doute dans un état équivalent à ce qui nous est parvenu, tout comme les différences entre les versions de "Première soirée", "Ophélie", "A la Musique", etc., peuvent être considérées comme mineures.
Rappelons un peu le contexte d'époque. Tout au long de la décennie 1860, la puissance de la Prusse augmente et il s'agit aussi de faire barrage à une unification des états allemands. Au début de juillet 1870, le régime, moins l'empereur que ses partisans et l'impératrice, s'est enflammé à l'idée que le trône d'Espagne pouvait passer à un Hohenzollern et renforcer la position prussienne en encerclant la France. La France avait le jeu diplomatique pour elle et le roi de Prusse Guillaume Ier avait accepté que le prince de Hohenzollern renonçât à la couronne espagnole. Même si Bismarck pouvait avoir envie d'en découdre, c'est bien le peuple français qui est responsable de cette guerre, tout comme les allemands sont les principaux responsables des deux guerres mondiales qui ont suivi. Alors que la guerre était évitée, les discours belliqueux persistaient dans les rues de Paris et le gouvernement français a demandé une confirmation au roi de Prusse de cette renonciation au trône d'Espagne, démarche française assez naturellement désapprouvée par la Grande-Bretagne. Le roi de Prusse a émis une dépêche où il a fait savoir qu'il refusait toute nouvelle discussion où il aurait apporté des garanties. La réponse du roi de Prusse est passée à Ems entre les mains de Bismarck qui l'a retouchée à la marge, pour la rendre plus agressive, et il faudrait croire que cela a précipité la guerre. Une fois vainqueur, Bismarck s'en vantera, mais tout cela n'a pas de sens. Les gens ne se sont en aucun cas pénétrés des prétendues finesses verbales de Bismarck, puisque les députés français n'ont pas voulu entendre que leur demande était déplacée et ont simplement pris acte d'une fin de non-recevoir du roi de Prusse pour précipiter une guerre. La dépêche d'Ems, c'est des fariboles pour séries télévisées, de l'épiphonème, un prétexte aggravant mais dans l'esprit des français désirant en découdre. Depuis le 6 juillet, une grande partie de la population française avait perdu son sang-froid et voulait la guerre, et c'est pour cela que, mécaniquement, il y a eu une guerre. Le Gouvernement espagnol lui-même avait pris acte de la renonciation. Or, le 14 juillet, le rappel des réserves était déjà ordonné, le 15 juillet le conseil des ministres décidait de lancer le pays la guerre (la déclaration aura lieu le 19) et Ollivier lit au Corps législatif une communication du Gouvernement valant justification de la future entrée en guerre, avec l'interruption et opposition de Thiers qui dénonce que la guerre est faite pour des questions de susceptibilité et de détail formel quand sur le fond la France avait gain de cause. C'est très précisément à cet avertissement de Thiers sur une précipitation qu'on pourra regretter amèrement plus tard, qu'Ollivier lancer la phrase célèbre : "Nous l'acceptons d'un coeur léger..."
Il convient donc de citer le texte de cette altercation entre Thiers et Ollivier, le "Compère en lunettes" du sonnet ultérieur "Rages de Césars", citation qui montrera clairement à tous ceux qui sont un tant soit peu intelligents que la dépêche d'Ems, la retouche bismarckienne, n'a pas causé la guerre, mais bien l'état d'esprit du gouvernement français :

Thiers : "J'ai le sentiment que je représente ici [Interruption] non pas les emportements du pays, mais ses intérêts réfléchis. [Interruptions] J'ai la certitude, la conscience au fond de moi-même, de remplir un devoir difficile, celui de résister à des passions patriotiques si l'on veut, mais imprudentes. [...] Est-il vrai, oui ou non, que sur le fond, c'est-à-dire sur la candidature du prince de Hohenzollern, votre réclamation a été écoutée, et qu'il y a été fait droit ? Est-il vrai que vous rompez sur une question de susceptibilité ? [Mouvement] [...] Voulez-vous que l'Europe tout entière dise que le fond était accordé et que pour une question de forme, vous vous êtes décidés à verser des torrents de sang ! [...] Le fond était accordé, et c'est pour un détail de forme que vous rompez ! [...] Je suis certain qu'il y aura des jours où vous regretterez votre précipitation. [...]"
Ollivier : "Oui, de ce jour commence pour les ministres, mes collègues, et pour moi, une grande responsabilité. Nous l'acceptons d'un coeur léger..."
[...]
M. Esquiros : "Vous l'acceptez d'un coeur léger ? Et le sang des nations va couler !"
Ollivier : "Oui, d'un coeur léger, et n'équivoquez pas sur cette parole, et ne croyez pas que je veuille dire avec joie ; je vous ai dit moi-même mon chagrin d'être condamné à la guerre, je veux dire d'un coeur que le remords n'alourdit pas, d'un coeur confiant, parce que la guerre que nous ferons, nous la subissons [Interruptions dont celle de Desseaux : Vous l'avez provoquée !] parce que nous avons fait tout ce qu'il était humainement possible de tenter pour l'éviter et enfin parce que notre cause est juste et qu'elle est confiée à l'armée française."

Dans "Rages de Césars", où Ollivier est évoqué par la périphrase "Compère en lunettes", il est justement question du "remords" qui ronge l'empereur déchu. En tout cas, ce 15 juillet, cette déclaration parvient au roi de Prusse qui signe de son côté l'ordre de mobilisation.

C'est dans ce contexte que Paul de Cassagnac publie un article auquel le sonnet de Rimbaud donnera la réplique. Rimbaud se sert d'une amplification, en englobant toute la famille dans le pluriel du dernier vers : "- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !" C'est amusant dans la mesure où Rimbaud deviendra plus tard un camarade d'exil londonien de l'historien de la Commune, Lissagaray, qui est un cousin germain de Paul de Cassagnac, si ce n'est que les Cassagnac et Lissagaray sont donc opposés au plan des opinions politiques.
L'article de Paul de Cassagnac est publié dans le journal Le Pays, "journal des volontés de la France" selon son sous-titre, le 16 juillet et il peut être consulté sur le site Gallica de la BNF.


La suite de l'article avec le commentaire de ce journal, je publierai cela d'ici ce soir. Mais je mets en ligne cette première version de l'article (je ne reviendrai pas sur ce qui précède) parce que je ne voudrais pas désappointer les lecteurs intéressés par ma saga "Il y a 150 ans" s'ils viennent consulter ce site dans la journée et s'étonnent tout frustrés que je ne fasse rien pour ce fameux article du 16 juillet 1870 cité par Rimbaud !
A tout à l'heure !

dimanche 12 juillet 2020

Il y a 150 ans... le 12 juillet

Dans mon précédent article du 6 juillet, j'ai joué sur l'anniversaire de la date officielle du début de conflit entre la France et la Prusse. On aura remarqué que ma composition a été conçue à partir de l'idée d'un effet de surprise. Le chroniqueur maîtrise l'information, mais pas celle du jour même qui lui est rapportée par son vis-à-vis. Il faut bien comprendre que le conflit franco-prussien n'a pas été prévisible. Il a mûri, je vais revenir là-dessus, mais quand il éclate il a un caractère inattendu. Je ne l'ai pas fait, mais j'aurais pu citer la presse d'époque. En effet, pour consacrer le caractère soudain du conflit, il suffit de sonder la presse dans les jours qui ont précédé le 6 juillet. Il peut être question de la presse quotidienne, comme il peut être question des périodiques publiés à de plus longs intervalles, je pense par exemple à la Revue des deux Mondes et puis à toutes les revues qui pouvaient développer plus longuement certains sujets politiques. La France prend conscience d'un conflit naissant qui imposerait un devoir de faire la guerre, suite à une "interpellation". Tout va très vite ensuite. Pour l'instant, nous sommes le 12 juillet, la guerre n'a pas été déclarée. Je reviendrai plus tard sur ce que la presse a développé du 6 juillet jusqu'à la déclaration de guerre. Pour l'instant, on peut se limiter à ressentir l'effet de soudaineté de cette annonce d'un conflit au sujet de la succession au trône d'Espagne, il n'y a pas une semaine encore. Dans mon article du 6 juillet, j'ai mis en avant des informations sur le rapport à la Prusse dans le discours du chroniqueur qui ignorait pourtant l'interpellation et l'intervention du duc de Gramont. Je voulais montrer un état d'esprit qui annule la prescience de l'historien et qui donc considère ces informations sans les impliquer comme signes avant-coureur de la guerre franco-prussienne. Je suis assez content de la composition d'ensemble de mon article du 6 juillet que je trouve vraiment très efficace pour se représenter la soudaineté d'une prise de conscience. Maintenant, mes articles au fur et à mesure permettront aux lecteurs qui auront la chance de me suivre d'avoir un guide pour se représenter le temps qui s'écoulait pour Rimbaud et tous les gens ayant vécu l'année terrible. Libre à mes lecteurs de pousser le jeu plus loin et de lire jour après jour la presse d'époque en respectant scrupuleusement les dates, etc. Je ferai sans doute de tels sondages ultérieurement. Pour l'instant, rien ne presse.
Cette soudaineté est intéressante à rapprocher du poème "A la Musique". Izambard soutient que ce poème a été composé en juin 1870, et donc à un moment où il n'est nulle question de guerre franco-prussienne, malgré le vers étonnant : "La musique française et la pipe allemande !" qu'on soupçonne parfois d'être une allusion au conflit naissant. Les rimbaldiens ont mis la main sur deux annonces du programme de musique militaire jouée "Place de la gare, à Charleville", l'un de ces programmes concerne précisément "les jeudis soirs" et nous sommes bien renvoyés à un spectacle typique de Charleville antérieur au 6 juillet. Ensuite, si on relit mon article du 6 juillet, on observe que le sentiment de conflit latent avec la Prusse existe depuis des années, mais qu'il est un sujet de conversation courant qui n'implique pas l'idée d'un affrontement imminent. Rimbaud pouvait très bien ironiser sur les tensions entre la France et l'Allemagne dans un poème de juin 70, sans rien soupçonner de la gravité du conflit au sujet de la succession au trône d'Espagne.
Je considère qu'Izambard est fiable quand il dit que le poème date du mois de juin, d'autant plus que lui-même, comme Rimbaud, a vécu la naissance du conflit. Si le poème avait été lié au conflit, Izambard s'en serait souvenu. Qui plus, une lettre de Rimbaud à Izambard en août réécrit explicitement certains motifs du poème "A la musique" dans le contexte critique de la guerre qui a démarré avec les premiers combats. Il n'est besoin d'aucune compétences d'analyste littéraire pour faire le rapprochement entre le poème "A la Musique" et cette lettre. Or, jamais Izambard n'a pris prétexte de la lettre pour la dater du mois d'août, en la faisant passer pour envoyée avec la lettre par exemple. J'en conclus qu'Izambard identifiait clairement la lettre d'août 70 comme un rappel du poème de juin où Rimbaud s'ingéniait à transposer le "patrouillotisme" en temps de paix en "patrouillotisme" en temps de guerre.
Je reparlerai de cette lettre.
Intéressons-nous maintenant à l'actualité du 12 juillet 1870. Le prince Antoine de Hohenzollern a annoncé que son fils Léopold, pour lors injoignable à cause d'un voyage dans les Alpes, renonçait au trône d'Espagne. La nouvelle étant connue au Corps législatif, Clément Duvernois dépose une interpellation du Gouvernement "sur les garanties qu'il a stipulées ou qu'il compte stipuler pour éviter un retour des complications successives avec la Prusse". Il ne fait aucune demande pressante au sujet de la date à fixer pour discuter de son interpellation. Toutefois, depuis quelques jours, la presse et les gens dans la rue témoignent d'un esprit belliqueux bouillant, pendant que, Nana, l'héroïne du roman éponyme de Zola, vit ses derniers jours. L'heure est à la demande de garanties.
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Dans la chronologie de l'ouvrage de Francis Choisel La Deuxième République et le Second Empire au jour le jour, car je continue de m'en servir comme support, un autre événement d'époque retient l'attention de l'historien. Le 8 juillet, pour la troisième fois, la branche parisienne de l'Internationale a été dissoute par voie de justice. Trente-quatre membres ont été condamnés à des peines d'emprisonnement. Je cite un extrait du jugement cité dans cette chronologie même :

Il n'est pas permis de douter aujourd'hui que cette société, qui pouvait être utile au bien, si elle était renfermée dans les termes de ses premiers statuts, est devenue un danger social, et un danger formidable si l'on tient compte du nombre de ses membres [...] et de l'ardeur avec laquelle elle s'est jetée dans les questions les plus irritantes de la politique actuelle, n'abandonnant pas, il est vrai, son premier programme, mais déclarant qu'il ne peut être réalisé que par la révolution et par l'avènement de la république démocratique et sociale.
Parmi les condamnés, nous trouvons Varlin qui s'est enfui à l'étranger, Malon, et quelques autres. Le 12 juillet, le journal Le Réveil publie un appel contre la guerre venu des membres parisiens de l'Internationale, appel que cite là encore notre chronologie de support, et cet appel sera repris le lendemain dans le journal Le Rappel :

Travailleurs, Français, Allemands, Espagnols, que nos voix s'unissent dans un cri de réprobation contre la guerre. [...] La guerre pour une question de prépondérance ou de dynastie ne peut être aux yeux des travailleurs qu'une criminelle absurdité. En réponse aux acclamations belliqueuses de ceux qui s'exonèrent de l'impôt du sang ou qui trouvent dans les malheurs publics une source de spéculations nouvelles, nous protestons, nous qui voulons la paix, le travail et la liberté. [...] La guerre, c'est le moyen détourné des gouvernements pour étouffer les libertés publiques. La guerre, c'est l'anéantissement de la richesse générale, oeuvre de nos labeurs quotidiens. Frères d'Allemagne ! [...] la guerre entre nous serait une guerre fratricide.

Parmi les manuscrits d'Izambard, nous retrouvons une première version incomplète du poème "Le Forgeron" et dans le souvenir d'Izambard, au moment des vacances, au milieu de juillet, Rimbaud était lancé dans la composition d'un grand poème. Dans la chronologie politique de Francis Choisel, l'actualité sur le monde ouvrier est assez copieuse pour l'année 1869. Le 31 mars 1869, le Gouvernement s'intéresse au lancement d'une loi pour supprimer l'obligation du livret d'ouvrier, projet reconduit le 21 mars 1870, mais qui n'aboutira toujours pas. La commission du Corps législatif chargée de l'examiner ne sera nommée que le 10 juin 1870, ce qui nous rapproche cette fois de la date de composition du poème "Le Forgeron". Mais, l'année 1869 connaît surtout un certain nombre de grèves et cela intéresse les poésies de Paul Verlaine, François Coppée, Eugène Vermersch et Arthur Rimbaud à plus ou moins court et moyen termes.
Le 16 juin 1869, lors d'une grève dans la Loire, treize mineurs sont tués par l'armée alors qu'ils essayaient de libérer certains de leurs camarades qui avaient été arrêtés. Plusieurs vagues d'arrestations vont avoir lieu dans les semaines suivantes. Mais tout ceci a eu lieu un an avant la composition du poème "Le Forgeron" lui-même. Les grévistes de La Ricamarie seront graciés le 14 août, en prévision du centenaire de la naissance de Napoléon Ier, huit jours après leurs condamnations. Toutefois, le 8 octobre 1869, lors d'une grève dans l'Aveyron, quatorze mineurs et trois autres personnes sont à nouveau tués par l'armée. Le 8, les mineurs ont voulu empêcher les ouvriers des forges de travailler et ont affronté la troupe qui a fait feu. Il y a en outre vingt-deux blessés, dont certains accroîtront le nombre des décès dans les jours suivants. La fin de l'année 1869 a été marquée par un manifeste de vingt-sept députés républicains se désolidarisant de l'extrême-gauche, le 15 novembre. Nous y relevons les noms de Favre, Gambetta, Garnier-Pagès, Grévy, Pelletan, Picard et Simon. Ils s'opposent notamment au mandat impératif qui ne peut "conduire [...] qu'à la tyrannie des minorités". Le 22 novembre, lors d'élections législatives partielles, Henri Rochefort est élu à Paris et le 19 décembre 1869 celui-ci lance encore le premier numéro de son journal politique La Marseillaise. L'organe de presse hugolien, Le Rappel, a publié son premier numéro le 3 mai 1869.
Tous ces événements plus anciens ont leur importance dans la genèse de bien des poèmes de Rimbaud, mais en-dehors de la liaison littéraire par les publications de Vermersch et Coppée il nous manque sans doute encore des références plus récentes qui auraient précipité la composition du poème "Le Forgeron" à la veille de la guerre franco-prussienne...
A suivre !