samedi 30 novembre 2013

Le livre Théorie du vers de Benoît de Cornulier (suite)

Jusqu'à présent, j'ai donné des citations pour inciter les gens à lire l'ouvrage fondamental qu'est Théorie du vers et j'ai pu ainsi dans une première partie me contenter d'une mise en bouche pour la partie Testez votre capacité métrique en dégageant les arguments clefs qu'une lecture suivie de l'ouvrage peut parfois faire perdre de vue
J'ai surtout cité des extraits de la sous-partie de 8 pages "Confusion du mètre et du rythme : invention de l'alexandrin-tétramètre", pour que le public ait en mains les clefs d'une polémique importante dans le domaine des études portant sur la versification
Car cette polémique est retombée sur le lieu du combat, plus ou moins, pas dans la diffusion scolaire, universitaire et publique
Le monde est fait de non spécialistes de la versification qui ne daigneront pas remettre en cause ce qu'on leur a appris à l'école, 99,999999% des gens étant intimement convaincus que Dieu dicte lui-même aux professeurs ce qu'il faut enseigner dans les classes
Je vais maintenant passer aux autres chapitres de la partie sur les mesures complexe, mais avec cette fois des réserves à exprimer

Le second chapitre Les "césures mobiles" et la notion de césure commence par un paragraphe qui est un tournant du livre et il convient de le citer avec le début du suivant :

          J'ai jusqu'ici supposé évident que des structures rythmiques variables ne pouvaient pas fonder le sentiment d'égalité Pourtant on a proposé, en faveur d'une interprétation métrique des coupes rythmiques libres - sous le nom de coupes ou césures mobiles - des vues qui ne sont pas absurdes
          Rappelons que le problème fondamental de la métrique est le suivant : comprendre comment l'inégalité des vers faux, et par conséquent l'égalité des vers égaux, est instinctivement reconnue; en particulier, comprendre les bases structurelles de cette égalité dans les vers, en les distinguant soigneusement des propriétés rythmiques qui ne jouent aucun rôle, ou qu'un rôle très indirect, dans la perception de l'égalité régulière. Rappelons que, de ce simple point de vue, la différence entre les "césures mobiles" et les "césures fixes" est manifestement fondamentale : une "césure fixe" n'est pas nécessaire pour percevoir l'égalité des vers de moins de 9 syllabes; elle est nécessaire pour percevoir l'égalité des vers de 9 et surtout de plus de 9 syllabes [...]

Pour illustrer les cas de perception ou non de la césure, Cornulier cite deux quatrains de Jeune Ménage de Rimbaud, poème connu pour sa lecture métrique problématique des césures, et un quatrain de Mallarmé qui s'adonne à une syntaxe pédante, alambiquée et contournée à plaisir
La césure traditionnelle est nettement reconnaissable dans les vers de dix syllabes de Mallarmé, mais pas dans les vers de Rimbaud
Ceci dit, les exemples ne s'adressent qu'à notre intuition, puisque rien ne nous est dit des raisons pour lesquelles elle est perceptible chez l'un et pas chez l'autre
La méthode ne fera l'objet que de la suivante partie du livre, mais il se faut pénétrer aussi de l'idée que, finalement, intuitivement, il est posé que le poème de Rimbaud est complètement boiteux en fait de césures
Evidemment, dire qu'il est boiteux, ce n'est rien de précis, mais on sent que le défaut n'est pas estimé que comme une simple apparence
Cornulier ne formule même pas les éléments qui posent problème dans le cas des quatrains de Rimbaud

Il aurait pu le faire et bien sûr il ne le fait pas car il veut une composition ordonnée, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est une erreur de communication avec le lecteur que de ne pas laisser clairement entendre que les raisons de cette différence seront élucidées ultérieurement ou de ne pas donner une esquisse d'explication
Car il est manifeste que, juste après la citation des deux extraits et après avoir la césure perceptible de l'un au problème de l'autre, Cornulier présente ensuite brutalement deux vers de Jeune Ménage comme deux lignes de dix syllabes métriques qui mises en prose, juxtaposées en un court paragraphe, ont l'irrégularité de tout extrait en prose
Cornulier se moque avec raison de ceux qui parlent de l'insaisissable et de la subtilité de la mesure rimbaldienne, mais dans sa réfutation il opte déjà pour une non-reconnaissance de la césure traditionnelle sur des bases non argumentées
C'est la mesure qui est elle-même insaisissable, puisque les coupes mobiles (hypothétiques au demeurant) ne permettent pas d'en cerner une par définition, et puisque la longueur de 10 syllabes ne semble pas accessible à la perception humaine
Et Cornulier affiche le postulat erroné en le dégageant et l'isolant typographiquement de son texte : beaucoup de métriciens pensent que le nombre de 12 ou de 10 syllabes est directement perceptible. Ceci fait qu'ils peuvent admettre les vers sans césures fixes, et qu'il ne s'agit plus pour eux que d'enrichir leur commentaire de leur découpage à partir de césures mobiles, découpage qui va vaguement participer au commentaire, mais en réalité au plan de considérations rythmiques rudimentaires

Cornulier s'éloigne là de l'idée de chercher une césure aux vers de Rimbaud, mais il montre aussi que du coup comme le 10 ou le 12 en termes de longueur syllabique seraient perceptibles, ceux qui justifient les césures mobiles ont deux théories, soit une théorie du repos, soit une théorie additive
La théorie du repos est une corruption du sens premier de "repos" pour la césure
La suspension de la voix devient explicitement une aide dans le décompte des syllabes
Nous avons besoin de quelques haltes dans la ponctuation pour compter jusqu'à douze syllabes, comme si nous identifions les positions respectives de chaque syllabe vers après vers
La théorie additive suppose que le cerveau fait des additions quand il lit des vers, mais pourquoi alors n'a-t-on pas mélangé les décasyllabes aux deux hémistiches de cinq syllabes aux hémistiches de quatre et six syllabes ?
Une fois admise l'addition, bien des combinaisons seraient possibles et pourraient se côtoyer dans un poème.
Le problème de ces deux théories, c'est qu'elle n'explique pas le problème fondamental, l'existence de césures fixes.
Ces deux théories supposent également à tort que la césure a une réalité, alors que ce sont les hémistiches qui ont une réalité La césure n'a plus d'existence qu'un entre-deux-chaises nous dit Cornulier qui l'illustre par la frontière abstraite de la présentation typographique suivante : "ANTICONSTItutionnellement"
 En réalité, ce qui est perçu de vers à vers dans le cas des mesures complexes avec césures, c'est l'égalité des rapports: les décasyllabes littéraires avec une césure après la 4è syllabe présente une alternance 4 et 6 où AB=AB, un décasyllabe est égal à un autre dans la mesure où on a l'alternance de quatre et six syllabes pour les hémistiches, ce qui serait exactement la même chose dans le cas de poèmes faisant alterner un vers de quatre syllabes et un vers de six syllabes, tout simplement
Et dans le cas où les hémistiches sont égaux (alexandrins ou décasyllabes de chanson), l'égalité est de type AA=AA, sachant que la liaison des deux A est légèrement distincte de la succession de vers à vers, à cause de traitements du "e" féminin

C'est un peu le principe de la lame du rasoir d'Occam, il y a une explication simple, évidente et imparable, et les tenants des accents, de la césure mobile, courent après la Lune, sinon courent le guilledou

Le chapitre suivant apporte d'autres éléments de réfutation et remet en cause l'idée d'une suprématie métrique naturelle de l'alexandrin Il y est question aussi d'une fin de non-recevoir quant à ceux qui prétendent que le respect de l'égalité n'était qu'une vieille habitude, puisqu'il resterait à expliquer le commencement de l'habitude justement.

Je passe directement au quatrième chapitre intitulé "vers fondamental et vers d'accompagnement"

Le chapitre a le mérite de bien exposer la primauté de la césure fixe, de la reconnaissance de l'égalité, mais il entre dans la question du vers d'accompagnement qui ne se satisfait plus de la simple égalité, ni de l'alternance bien réglée
Cornulier ne parle pas alors de l'alexandrin confronté à la question du trimètre, mais du problème du décasyllabe aux hémistiches de quatre et six syllabes
Cornulier affirme que dans certains cas l'ordre de défilement des hémistiches est inversé
Le poème a toujours une césure après la quatrième syllabe, mais pour un vers (ou pour quelques-uns dans un long poème) la césure est après la sixième syllabe
L'erreur est de se concentrer sur la notion de césure et de supposer un déplacement de deux syllabes de celle-ci La réalité ce serait plutôt l'interversion de l'ordre des deux hémistiches qui, eux, contrairement à la césure, sont une réalité
Les hémistiches de quatre et six syllabes sont intervertis, voilà comment il faudrait analyser le phénomène

Mais j'utilise le conditionnel, suis-je donc sceptique ?
Le problème, c'est que cette interversion serait clairement attestée dans les vers écrits en italien Bien que ce soit la plus belle langue du monde, il m'a été impossible de l'apprendre à l'école et je ne saurais rien éprouver par moi-même
En revanche, en l'état actuel de mes connaissances, je ne connais aucun poème en français, si ce n'est Voltaire et encore il faudrait en débattre, où cette possibilité d'interversion est évidente, peut être clairement établie
Pour le XIXème, et notamment pour Verlaine, je prétends que ce constat est erroné, faussé qu'il est par l'ancienne habitude de ne pas admettre les césures audacieuses qu'acclimatèrent quelques romantiques puis les parnassiens
Et justement, plusieurs fois dans son livre, Cornulier évoque la possibilité supposée traditionnelle de cette interversion, mais il n'en donne pas le moindre exemple, y compris dans le présent chapitre sur le vers d'accompagnement où il ne parle que du décasyllabe et pas de l'alexandrin
Il décrit abstraitement le modèle sans s'appuyer sur le moindre échantillon représentatif

Du coup, même des remarques intéressantes sont fragilisées, par exemple quand il dit qu'un 6-4 dans une suite pure 4-6 ne choque pas notre oreille comme un octosyllabe au milieu d'alexandrins, ou quand il dit, mais là c'est beaucoup plus discutable que l'interversion 4-6/6-4 esquisse un chiasme comparable à l'organisation de rimes ABBA
Car, en réalité, dans la tradition française, l'existence de cette interversion n'est pas démontrée, ni illustrée par les métriciens
Et on sait que j'en ai fait un argument dans ma remise en cause de l'idée d'une variation métrique pour le poème Tête de faune.

Ce chapitre est étonnamment l'un des plus faibles de tout l'ouvrage

Il est suivi par un chapitre complémentaire intitulé "équivalence naturelle et équivalence acquise" où cette fois il est question du trimètre au milieu des alexandrins

Les équivalences naturelles sont donc de l'ordre A=A ou AB=AB, on sent l'égalité des vers de 8 syllabes entre eux et exclusivement entre eux, on sent l'égalité d'une mesure complexe 4-6 à l'exclusion de 5-5 pour les décasyllabes
Suite au raisonnement du chapitre précédent, l'interversion 6-4 est admise comme naturelle, ce qui est pour moi discutable à deux points de vue D'abord, cette interversion pose problème même si on admettait que la tradition française a pu y recourir, ensuite cette équivalence n'existe pas dans la tradition française ou n'a pas été démontrée pour les rares cas locaux qui pourraient s'y prêter
Le fait que cette tradition n'est pas prouvée invite d'ailleurs à penser que le modèle du chiasme n'est sans doute pas suffisant pour l'admettre comme cas particulier de l'équivalence naturelle, attestation ou pas dans d'autres langues du phénomène

Cornulier passe cette fois au cas de l'alexandrin, mais il indique au passage que son émergence pose un problème de datation, il se trouve que son argumentation lui permet de mettre entre parenthèse cette question :

Un problème apparaît avec l'émergence des "alexandrins ternaires" au XIXè siècle (peu importe, pour le poser, la datation exacte du phénomène). Dans certains contextes théoriquement isométriques, on trouve, mélangés à des alexandrins 6-6, des vers qui ont bien 12 syllabes, mais dont la "mesure" est apparemment 4-4-4. Ils correspondraient donc à un répertoire où en plus de l'égalité 6-6 = 6-6, on exploite l'égalité 4-4-4=6, le ternaire étant un vers d'accompagnement de l'"alexandrin" au sens strict.
Le trimètre semble s'être lentement imposé et beaucoup de gens le rejetaient comme inacceptable jusqu'au début du vingtième siècle, c'était un sujet polémique
Ensuite, c'est un fait que ce modèle ne passe plus par l'égalité simple, l'alternance bien réglée
Le trimètre deviendrait plutôt un argument en faveur de la théorie additive, sauf que dans ce dernier cas pourquoi les poètes n'ont pas fait tout ce qu'ils voulaient comme combinaisons, pourquoi seulement ces deux modèles 6-6 et 4-4-4 avant au moins la fin du XIXème siècle ?

Eclipsant l'idée de la réelle datation d'origine du trimètre, Cornulier propose tout de même une mise en perspective historique à partir d'Hugo
La thèse est la suivante : Hugo s'est amusé, ingénié, exercé à dissocier la mesure du rythme "apparent" des phrases.
Il écrira plus tard des vers du genre "Ce bandit, comme s'il grandissait sous l'affront" où il n'y a ni 6-6 évident a priori, ni 4-4-4
L'équivalence serait née de ces exercices de dissociation
Ce qui a empêché de voir que cela relevait d'années d'apprentissage culturel, de familiarisation progressive, c'est qu'on a posé comme s'étant opérée d'emblée la disjonction entre mesure 6-6 et mesure 4-4-4
Soit une mesure, soit l'autre. Il fallait au contraire envisager, et cela est bien dans l'esprit d'exercices de dissociation entre mesure et apparence rythmique des énoncés, que les deux combinaisons se superposaient, l'une étant métrique, l'autre étant un rythme perturbateur
Des tensions volontaires étaient proposées aux lecteurs
Mais ce fut sans compter sans l'acclimatation rapide des paresseux et désinvoltes qui admirent précocement l'équivalence et se contentèrent d'admettre le mélange
Ceux qui ne l'admettaient ne cherchaient pas plus à vérifier si derrière l'apparence le vers n'était pas binaire, d'autant qu'il en étaient déjà à admettre la théorie moderne des accents dans le vers qui ne dissocie pas tellement rythme apparent et mesure, sauf caprices de métriciens à l'occasion.
Cornulier expose sa thèse qui pour nous est juste, mais il ne la justifie pas historiquement
Mais il commet aussi à notre sens deux erreurs importantes.
Premièrement, loin de choisir un trimètre ostentatoire comme celui de Suréna de Corneille, il choisit de présenter un trimètre qui, dans les faits, est problématique :

"D'où part la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux"

Il dit bien que classiquement le vers serait décomposé comme suit :  "D'où part la strophe ouvrant + ses ailes dans les cieux", mais son rythme naturel invite à le découper en trimètre : "D'où part la strophe + ouvrant ses ail+es dans les cieux"

Il n'est pas si évident que le rythme ternaire soit plus naturel que le rythme binaire
la coupe pour "ailes" est discutable et dans l'absolu, et en tant que césure à l'italienne, ce qui est proscrit à la césure normale Pourquoi admettre pour le trimètre ce qui ne s'admet pas pour la césure normale ? Pourquoi forcer une lecture ternaire, alors que deux lectures binaires peuvent paraître plus pertinentes, celle en alexandrin justement et celle-ci : "D'où part la strophe + en ouvrant ses ailes dans les cieux", car pour rendre cet énoncé ternaire il faut forcer le détachement du groupe prépositionnel "dans les cieux" qui fait assez naturellement corps avec la proposition participiale introduite par "ouvrant"
Cornulier a choisi pour moi un très mauvais exemple, un exemple douteux même.
Rien ne prouve que c'était un trimètre dans la pensée de Victor Hugo et quantité de vers classiques rentreraient alors facilement dans la catégorie trimètre, comme celui-ci du Misanthrope de Molière :

"Moi votre ami ? Rayez cela de vos papiers."

Evidemment, Cornulier n'a pas encore déterminé les critères méthodologiques pour identifier une césure, et ici il faudrait concurremment identifier des critères complémentaires pour distinguer un trimètre volontaire d'un rythme ternaire involontaire, bien que Cornulier soit conscient du problème puisqu'il dit tout abstraitement qu'il ne faut pas confondre le trimètre avec une structure (4-2)(2-4) comme peuvent les proposer les métriciens adeptes de la césure mobile
Le cas est ici plus flou, mais Cornulier n'identifie pas le problème
Quelques lignes plus haut, nous relevons une autre erreur importante
Cornulier rappelle à nouveau que les vers dans la chanson n'obéissent pas aux mêmes principes, car la mesure musicale dispense l'auteur des vers d'un bien grand effort de concordance entre l'énoncé et la mesure syllabique
Ce n'est déjà pas très clair comme affirmation, car le texte est du texte, et tout ce que nous comprenons, c'est que la césure peut passer au milieu d'un mot dans une chanson car la mesure de la musique va prendre le relais pour qu'on identifie bien la mesure.
Le problème, c'est que ce sont deux ennéasyllabes de Malherbe qui sont cités, et Cornulier commet la même erreur que Banville de les lire en ternaires 3-3-3, alors que ce sont des vers aux hémistiches de trois et six syllabes.

Voici le passage que nous critiquons :

Quand Sully Prudhomme (1901, p.89) coupe sans sourciller en 3-3-3 ces "vers de 9 syllabes" de Malherbe : L'air est plein - d'une halei - ne de roses, / Tous les vents - tiennent leurs - bouches closes, il oublie que ce poète n'aurait jamais détaché un proclitique par une césure : cette mesure n'émane pas du seul texte, mais d'une musique associée à lui.

 L'explication donnée n'est pas recevable. La réalité, c'est que l'ennéasyllabe est réservé aux chansons, mais sa mesure est bien toute littéraire, sauf qu'il faut donner sa vraie mesure, il est composé d'un premier hémistiche de trois syllabes et d'un second de six syllabes
Certes, Malherbe n'aurait jamais mis un proclitique à la césure, mais il n'aurait jamais non plus césuré de la sorte le mot "halei-nes". Or, la lecture en 3-6 résout le faux problème : "L'air est plein - d'une haleine de roses, / Tous les vent - tiennent leurs bouches closes" L'harmonie des seconds hémistiches est nette et évidente. Tous les ennéasyllabes de Molière sont réguliers à cette aune.
La vraie erreur de Prudhomme est celle de Banville découpant en 3-3-3 les ennéasyllabes de Scribe qui les a clairement composés en 3-6 Et les maladresses de Banville au sujet des ennéasyllabes pour lesquels il finit par proposer deux modèles qui n'ont pas l'aval de la tradition est capitale, strictement capitale, pour comprendre les ennéasyllabes de Verlaine : Art poétique, Bruxelles Chevaux de bois, Ariettes oubliées II, un Verlaine qui avait parfaitement compris que l'ennéasyllabe traditionnel est 3-6 et non 3-3-3 Le 3-3-3 n'est qu'un rythme apparent ludique, tout comme les anaphore 4-3-3 dans les décasyllabes traditionnels, tout comme les anaphores 4-4-4 au sein de la structure binaire 6-6 de l'alexandrin.
J'ai aussi une idée en tête, inédite, que je lâche au passage, le premier vers de Larme né tout entier d'une méditation sur le rythme apparent ternaire, mais dans un contexte de vers de 11 syllabes, ce qui encourage traitreusement le lecteur à chercher ou le décasyllabe ou l'alexandrin trimètre.
Mais revenons à notre compte rendu.
Je suis en train de dégager au milieu même des forces nouvelles de l'approche de Cornulier les défauts qui pour moi font que la métricométrie s'est privée d'une saine remise en cause pendant au moins vingt ans de 1980 à 2004 pour le moins. Remise en cause qui l'aurait perfectionnée, épurée, améliorée profondément.
Pendant 20 ans, les justifications et illustrations par des commentaires ont vu le jour, et ce n'est pas rien, mais le modèle a stagné et est resté en-dessous de l'histoire littéraire
Surtout, à l'heure actuelle, la recherche sur le trimètre n'a toujours pas été mise en chantier, menée à bout, mon présent travail excepté.
Malgré l'erreur sur les vers de Malherbe, les pages demeurent superbes et pleines d'idées fortes.

[...] Hugo s'entraînait à saisir un même objet à la fois comme 6-6 et comme 4-4-4; ses lecteurs faisaient le même apprentissage. Ce long ressassement leur apprenait peu à peu à sentir l'équivalence des rythmes 6-6 et 4-4-4, non pas en tant qu'additivement égaux à 12 - nombre qui dans la perception n'existe pas -, mais en tant que les deux faces rythmiques d'un même objet, fréquemment associées dans la même perception [...]

A partir de là est née l'équivalence acquise, le pur 4-4-4 pouvait se mélanger aux 6-6, mais encore conviendrait-il de dater cette ultime étape, ce que ne fait pas Cornulier.
Ou plutôt, Cornulier fait l'hypothèse que les purs 4-4-4 apparaîtraient dans les années 1860, mais sans aucune preuve donnée à l'appui de cette thèse qui pour nous est fausse, qui est suspecte même pour Cornulier au vu de ses articles plus récents.
J'évite de rendre compte de la fin de l'article, dont je ne retiens que la citation d'un autre alexandrin hugolien présenté comme trimètre, ce qui me semble plus pertinent que dans le cas précédent, mais encore une fois reste à affiner les critères d'identification : "Il vit un oeil tout grand ouvert dans les ténèbres"
Cornulier se sert de ce vers pour dénoncer l'insuffisance des approches critiques qui disent que ce n'est que par timidité que Victor Hugo ne fait jamais enjamber un mot à la place de la césure normale quand son vers serait en réalité un pur trimètre
Nous approchons de plus en plus de la nécessité de fixer des critères d'identification des césures, car, finalement, ce qu'on observe, et c'est un peu normal à l'époque où Cornulier écrit, puisqu'il met en route une nouvelle façon d'étudier les vers, c'est que le débat n'arrive pas à se resserrer sur des vers spécifiques posant manifestement problème. Le débat porte sur n'importe quel vers, est-il plutôt trimètre, plutôt alexandrin binaire, mais pas sur des cas d'école, ce qui était une erreur à l'époque.
Il fallait commencer par le vers de Suréna, ceux d'Agrippa d'Aubigné, d'autant que Rochette qui a mis à jour les trimètres de ce dernier est plusieurs fois cité dans Théorie du vers (mais non les vers d'Aubigné), et commencer par des vers similaires à ceux de Corneille et Aubigné.
Cornulier débat d'emblée en s'appuyant sur des exemples problématiques et délicats à déterminer, tout comme d'emblée il suppose un traitement permissif des césures du trimètre (césure à l'italienne, césure féminine), tout comme d'emblée il admet l'interversion des hémistiches dans les décasyllabes sans aucune attestation historique à l'appui.
Cela a eu des conséquences dans le fait que pendant vingt ans la métricométrie s'est consolidé, mais n'a pas avancé au moyen de nouveaux bouleversements importants des appréciations.
Il est pertinent que je m'arrête ici pour cette fois. On comprendra qu'il y a matière à méditer.

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