lundi 2 septembre 2024

Recension : la revue 'La Parodie' de Gill, numéro par numéro (première partie : numéros 1 à 10)

       La revue La Parodie est la deuxième revue fondée par André Gill, après la Gill-Revue en 1868. Cette revue se compose de 21 numéros d’en principe 16 pages chacun qui ont paru du 4 juin 1869 au 16 janvier 1870. Eugène Vermersch et Jules Vallès, tous deux cités dans la lettre à Demeny du 17 avril 1871, furent d’importants contributeurs de cette revue. Pour rappel, dans cette lettre à Demeny, Rimbaud parle de son séjour à Paris du 25 février au 10 mars, et nous savons par d’autres sources que Rimbaud a initialement logé dans l’atelier d’André Gill. Autour du 25 février. Félix Régamey faisait partie également des collaborateurs de la revue, du côté des dessins, ce qui donne une logique à l’ajout de dizains sur l’album de Régamey lors de sa rencontre avec Verlaine et Rimbaud à Londres en septembre 1872. Enfin, Charles Cros et Paul Verlaine eux-mêmes ont plusieurs fois contribué à cette revue. Certaines pages de la revue pouvaient être en couleurs.

Le numéro 1 du 4 juin 1869 n’est pas disponible sur le site Gallica de la BNF, il nous faut commencer notre consultation par le numéro 2.

La première page offre une illustration en couleurs. En liaison avec « Vu à Rome », notez que le personnage de Pallas Athéna représenté sur la gauche de la page porte un faux-nez ose orné de lunettes. La première page de texte « A nos lecteurs » offre une série de retours sur le premier numéro. L’essentiel du numéro est rédigé par André Gill qui signe « And. Gill » et Félix Régamey est du coup l’un des rares collaborateurs à ce deuxième numéro.

La page de retours est assez suspecte avec des courriers attribués à Victor Hugo, Jules Janin, De la Bédollière, Barbey d’Aurevilly, Emile de Girardin, Alexandre Dumas, « Jules Vallès !!! » et « Gagne, avocat ». Tous ces messages sont des faux, y compris je suppose celui attribué à Vallès, et l’ensemble est ainsi suivi de la contre-signature :

 

Pour copie conforme,

LA PARODIE.

 

Les deux pages suivantes contiennent une bande dessinée intéressante : « Théâtre. Le Jeune premier et l’avant-scène, féerie en 5 actes et 10 tableaux. » Je me contente de résumer la première des deux pages. Nous avons quatre dessins représentant la scène et une loge occupée par une femme camouflée par son éventail. Nous assistons à une blague graduée qui donne son unité à la première page : « Il entre, elle risque un œil », « Il aime, elle en risque deux », « Il souffre, elle en risquerait trois », « Il risque sa vie, elle risque tout. » Les portraits de la femme sont particulièrement drôles, sous une forme de fraîcheur enfantine d’exécution. Le dessin de cette femme dans la loge, et dans une moindre le profil du jeune premier font penser aux dessins de Rimbaud qui accompagne la transcription des dizains : « J’occupais un wagon… » et « Je préfère sans doute… » On comprend mieux la nature de l’Album zutique fusionnant textes et dessins sur ce patron qu’était la revue La Parodie. Le récit en quatre étapes, érotique et comique, fait songer à la gradation des baisers dans « Comédie en trois baisers », titre théâtral ramené à « Trois baisers » puis changé en « Première soirée ». Le titre « Première soirée » reste finalement quelque peu théâtral si on songe à le rapprocher de l’expression « jeune premier ». Rimbaud a fait publier son poème « Comédie en trois baisers » dans la revue La Charge en août 1871, journal satirique ressemblant quelque peu à celui de Gill. Les titres sont d’ailleurs quelque peu synonymes et interchangeables : « La Charge », « La Parodie ». En août 1870, il n’était pas possible à Rimbaud d’envoyer son poème à la revue de Gill qui n’existait déjà plus. Je passe rapidement sur les dessins et le texte de Félix Régamey « Le Vrai Faust aux Fol.-dram. », ainsi que sur colorisation de deux pages de dessin : « Théâtre Polichinelle / Guignol » par H. Oulevay. En revanche, je me dois de citer la note de la rédaction à cause de son emploi du mot « Zut ! » :

 

Sur le refus réitéré de M. H. Oulevay d’ajouter la moindre légende explicative aux dessins ci-dessus dont il est l’auteur, nous avons cru devoir lui appliquer la question du vin des Frères Dinochau.

Au premier litre, interrogé s’il voulait, oui ou non, le sens de ses croquis, a répondu : Non !

Au deuxième litre, interrogé de nouveau, a répondu : Zut !

Au troisième litre, a chanté : MON ÂME A DIEU, MON CŒUR A TOI.

Cet homme a un tempérament de fer !...

Déterminée à tous les sacrifices pour obtenir satisfaction, la Parodie s’engage à servir un abonnement gratuit à la personne qui, par lettre affranchie, lui expliquera lesdits dessins conformément aux lois du sens commun.

                                                                   N. D. L. R.

 

Suivent quelques pages de charge sur Jules Favre, avec une caricature et le début d’une comédie-proverbe Le Trait d’union dont la suite est remise au prochain numéro en étant attribuée à la plume de Jules Favre, concurrent de Sardou. Il était question de fournir une parodie du journal La Patrie, dont il est aussi question dans les dialogues de la comédie, mais on lui a préféré cette pièce « inédite » qui aurait été « représentée le 12 avril 1865 dans les salons de l’auteur, M. JULES FAVRE . »

Sur la dernière page, je cite que « La Parodie » se veut un « Journal bi-mensuel de 16 pages (douze pages de gravures en partie coloriées) » : « Cette feuille amusante et éminemment fantaisiste reproduit EN CHARGE l’événement du jour, la pièce ou le roman en vogue, le salon, l’actualité ». Le prochain numéro est annoncé pour le 4 juillet.

 

Le numéro 3 du 4 juillet 1869 contient toujours une première page coloriée. Son sommaire annonce la « suite et fin » de la comédie de Jules Favre, un dessin « Le Juif polonais » de Pilotell, une contribution « Le Boulevard » d’Ernest d’Hervilly, des dessins de Félix Régamey, d’Oulevay et Gill. En l’accompagnant de dessins, Pilotell fait une recension désinvolte de l’adaptation pour le théâtre d’un ouvrage du duo Erckman-Chatrian. Ernet d’Hervilly produit un texte en prose sur le thème du boulevard à partir de dessins de Régamey, ça vaut ce que ça vaut, mais je cite la fin du texte, comme témoignage de motifs d’époque (kiosque, etc.), et avec visiblement des coquilles demeurées à l’impression, et cette citation peut être comparée quelque peu au poème « Juillet » de Rimbaud décrivant le « boulevart du Régent » à Bruxelles :

 

O Boulevard ! Boulevard où les kiosques ingénus s’épanouissent à la brise nocturne ; Boulevard où les arbres ; Tronchon vendent des journaux Boulevard où les bancs eux-mêmes s’agitent ; Boulevard, c’est pour toi, c’est pour fouler un instant ton bitume, que l’exilé combine des projets de gouvernement paternel. C’est pour toi que le boyard torture et brûle ses vassaux ; c’est pour toi que la mère de famille corrompt, comme en se jouant, ses enfants du sexe faible ; c’est pour toi qu’on fait des mots !

Le Colon, c’est le serpent de l’homme, dit V. Hugo, un jour qu’il mécanisait les intestins ; eh bien, ce boulevard, c’est le Colon de Paris. Tout y passe : les colons, les armées, les grandes dames, les cocottes fragiles et respectables, les crevés, les héros, les omnibus, les chiens perdus, les honnêtes voyous.

Tout y afflue, tout y passe, tout y sert à le nourrir, et tout y finit par ce qui fait pousser les roses :

L’engrais.

 

Je ne peux m’attarder sur tout dans le cas de ma lecture suivie systématique. Je relève le texte « Autre parodie » d’André Gill, texte en prose qui décrit un ivrogne étendu la nuit sur le boulevard, ce qui ressemble un peu à l’idée de récit derrière « L’Angelot maudit », sans être une source ici à proprement parler.

On relève aussi la manière de transcrire un texte ou parfois un dessin dans une bordure de feuille imaginaire, etc.

 

Le numéro 4 du 19 juillet est l’occasion de charges littéraires : Les Parisiennes de M. Arsène Houssaye par Gill, mais aussi Saint-Paul de Renan et Le Roman d’une conspiration de Ranc. Régamey rend compte du livre de Judith Mendès Le Dragon impérial. Coinchon revient sur L’Iliade, Gill sur Le Bouscassié de Cladel, Hervilly sur « Le Théâtre de Dumas fils » et Régamey sur Le Parnasse contemporain.

André Gill se vante de la satisfaction de ne pas avoir lu Les Parisiennes et donne le change avec un extrait déclaré altéré de La Couronne des Bluets du même auteur Arsène Houssaye. L’emploi de l’adjectif « suave » pour commenter fait penser à Rimbaud dans Un cœur sous une soutane :

 

Oh ! La Couronne des bluets, c’est cela qui est suave !

[…]

Eh bien ! voyons ? franchement, là ? n’est-ce pas que c’est suave ?

 

Je dois avouer ne pas avoir lu le texte attribué à Houssaye, je me réserve la lecture pour plus tard.

La légende de Régamey à son illustration pour Le Dragon impérial de la fille de Thophile Gautier parodie le vers de « La Nuit du Walpurgis classique » de Verlaine, poème déjà ciblé par Alphonse dans le Parnassiculet contemporain :

 

Tel le nouveau livre de Madame Judith Mendès, exotique, ridicule et charmant.

 

Au sujet du Parnasse contemporain, Régamey fait une pleine page d’un dessin représentant une femme à terre les jambes en l’air, plus lubrique que charogne, il s’agit de « La Muse » et la légende joue sur l’homonymie entre « Lemerre » et l’autre éditeur… « Lemer ». Quant aux pages souvent coloriées sur L’Iliade, elles se finissent par un « Zut » encore une fois : « C’est bien intéressant, n’est-ce pas ?... Eh bien, non, Zut ! […] »

 

Un numéro du 4 août était annoncé, mais aucun numéro ne sortira au mois d’août. Il faut donc se reporter au numéro 5 qui va du premier au 15 septembre. Il ne s’agit pas de n’importe quel numéro puisqu’il contient deux poèmes de Charles Cros : « L’Archet » avec « musique de Cabaner » et « L’Orgue » avec « musique de Gousien » pour « Gouzien » il me semble. Nous avons deux nouvelles contributions d’Ernest d’Hervilly : « A Baden-Baden » et « Le Système de Mme O », mais aussi deux contributions d’une connaissance de Verlaine « A. [Alfred] Le Petit » avec « Le Nerf du voyageur » et « La Rivière ». Ayant abandonné l’Iliade, Coinchon passe à un nouveau sujet « Les Sirènes ». Parmi les contributions de Gill, le titre « La Bouquetière » retient l’attention.

La page sur « La Bouquetière » contient un dessin incluant un poème attribué à Nina de Callias : « Anna La Bouquetière […] Bade, 6 août 1869. Nina de Callias. »

 

Malgré une sortie annoncée pour le 15, le numéro 6 suivant est arrivé dix jours en retard et suppose pourtant un passage au format hebdomadaire en se disant le numéro qui va du « 25 septembre au Ier octobre ». Notons que la revue est désormais celle de Gill et Coinchon. Le passage au format hebdomadaire, si je ne me trompe, s’accompagne de la disparition des pages coloriées.

Le thème dominant est celui de la féerie. Ernest d’Hervilly et Félix Régamey continuent de faire partie des contributeurs principaux à côté de Gill lui-même. Nous avons une participation de Francis Enne avec le titre « Métamorphoses tristes ».

La pièce Le Loup a été écrite en duo par André Gill et Ernest d’Hervilly. Il s’agit d’une variante, en vers, du récit du Petit Chaperon rouge.

 

Le numéro 7 de la revue courait « Du 2 au 9 octobre 1869 ». La table de sommaire commence par mentionner une rubrique « Aphorisme » signée « X ». « X » est la signature d’une contribution zutique de Valade, un jour qu’il ne trouva personne au lieu de réunion. La liste des contributeurs évolue un peu avec Hadol et Gédéon.

Le numéro 8 du « 9 au 16 octobre », avec un petit chevauchement de date par rapport au précédent numéro, introduit un nouveau contributeur Lemot.

Les publications se tiennent régulièrement, avec le numéro 9, puis le numéro 10 qui le 23 octobre offre le retour de la première page partiellement coloriée. Mais ce numéro 10 n’a pas de sommaire en première page, à la place un dessin avec un titre incrusté « Le Voyage de Constantinople ».

Je me réserve de parler dans une seconde partie des contributions d’Eugène Vermersch. Je décide donc d’interrompre ici ma recension. Je n’ai pas lu les numéros 7 à 10, mais j’y remédierai si je trouve quelque chose d’important à dire pour la recherche « zutique » ou rimbaldienne.

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