Molière :
L’Etourdi :
Acte I, scène 1 :
LÉLIE
Ah ! Mascarille !
MASCARILLE
Quoi ?
LÉLIE
Voici bien des affaires ;
Commentaire :
Alexandrin partagé en trois répliques. Les deux premières forment un seul
hémistiche. Surtout, nous avons un mot d’une syllabe à la césure. Mais, le
lecteur n’aura aucune hésitation, puisque la syllabe précédente est un « e »
féminin de fin de mot. Le lecteur (ou spectateur) reportera naturellement la
césure à l’exclamation « Quoi ? »
Mais, enfin, discourons un peu de ma captive :
Commentaire :
le rejet de la forme adverbiale « un peu » après la césure est naturel
chez les classiques. Il n’y a pas à imaginer une séquence étroitement solidaire :
« discourons un peu / de ma captive ».
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Commentaire :
Un aspect intéressant. Les classiques évitent les rejets et contre-rejets d’épithètes.
Ici, dans l’absolu, le premier hémistiche : « Di si les plus cruels »,
se prête à une lecture en tant que contre-rejet, mais la coordination qui lance
le second hémistiche semble régulariser psychologiquement l’ensemble du vers,
puisque les classiques se permettent à de nombreuses reprises ce genre de
configurations.
S’imaginant que c’est dans le seul mariage
Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage.
Commentaire :
le premier de ces deux vers dément les traités du dix-huitième siècle qui
prétendaient qu’il fallait éviter la césure après la forme « c’est »,
et ce n’est pas un cas isolé.
Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,
Commentaire :
appréciez la structure de ce vers. Malgré la virgule après « que »,
la césure est après l’infinitif « savoir », le mot « que »
est bien placé en tête de second hémistiche, quand bien même il est suivi d’une
possibilité de repos importante. Ce profil de vers, banal chez les classiques,
montre que la césure n’est pas une question de pause, de repos, mais qu’il y a
une sensibilité abstraite aux articulations grammaticales des énoncés qui joue
dans la perception des césures.
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Commentaire :
appréciez le rejet, naturel pour un classique, de l’adverbe « alors ».
Comparez avec la forme « un peu » plus haut.
Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher ?
Commentaire :
notez que la césure est après « rien » et non après « acquiert »,
« rien de bon » n’était pas considéré comme une unité au dix-septième
siècle.
Et Mascarille est-il ennemi de nature ?
Commentaire :
nouvel exemple, rendu plus évident encore par l’inversion « est-il »
que la forme « est » peut aisément être placé à la césure chez les
classiques.
Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire ;
Commentaire :
l’incise « vous dis-je » est placée en rejet et ne s’étend pas non
plus à l’ensemble du second hémistiche, exemple de la souplesse de
versification des classiques.
LÉLIE
Eh bien ! le stratagème ?
MASCARILLE
Ah ! comme vous courez !
Commentaire :
Exemple à opposer aux trois répliques plus haut avec le mot « Quoi ? »
à la césure, ici l’exclamation « Ah ! » est placée à la césure.
La comparaison des deux cas prouve assez que le public doit avoir une certaine
attention pour sentir les césures. Il ne s’agit pas de croire passivement que
la syntaxe et le vers marchent d’un pas uniforme.
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
Commentaire :
la même remarque vaut pour la position des verbes. Le vers monosyllabique « marche »
vient ici après la césure, mais on aurait très bien pu avoir ce verbe avant la
césure avec un profil grammatical similaire pour l’ensemble de l’alexandrin.
Mais si vous alliez…
LÉLIE
Où ?
MASCARILLE
C’est
une faible ruse.
Commentaire :
Selon Verluyten (années 1990), appuyé par Dominicy, les classiques ne
pratiquent pas de ponctuation forte après la cinquième syllabe, ou alors ils l’atténuent
par une marque de « e » de fin de phrase en cinquième syllabe. Ici,
nous avons une preuve que c’est inexact.
Mais ne pourriez-vous pas… ?
LÉLIE
Quoi ?
MASCARILLE
Vous ne pourriez rien.
Commentaire :
Comparez avec la première citation plus haut. Ici, le même « Quoi ? »
interrogatif et solitaire est placé après la césure.
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Commentaire :
le vers n’a pas une césure étonnante, on pourrait se dispenser de le citer,
mais on pourrait imaginer un lecteur qui identifie une séquence solidaire :
« si vous aviez en main ». Or, notez que les classiques pratiques la
transposition (figure aussi appelée l’inversion) : « si vous aviez
force pistoles en main », « si vous aviez en main force pistoles ».
Il faut vraiment être sensible à ces subdivisions internes des énoncés.
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Commentaire :
un contre-rejet d’épithète. Ils vont disparaître du théâtre de Molière, comme
ils sont extrêmement rares chez Corneille, et totalement absents chez Racine.
Ils sont extrêmement rares chez André Chénier lui-même, chez Lamartine !
Et ce vers ne plaide pas pour une attribution de la mise en vers de la comédie L’Etourdi à Corneille, puisqu’il savait
éviter d’y recourir.
Je sais bien qu’il serait très ravi de la vendre :
Commentaire :
rejet de l’attribut du sujet et preuve qu’il ne faut pas sous-estimer la grande
souplesse d’emploi du verbe « être » à la césure chez les classiques.
Mais le mal, c’est…
LÉLIE
Quoi ? c’est…
MASCARILLE
Que
monsieur votre père
Commentaire :
césure sur suspension de la parole et après la forme « c’est ».
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