Un cas de figure devenu banal pour moi : le mal de tête fait rage à chacun de mes jours de repos. J'en ai marre. Mais, déterminé à vaincre, je fais cet article de mise au point.
Il existe des périodes de repère dans l'évolution du vers français. Le premier tiers du dix-septième siècle en est un, puisque nous passons, non que dis-je ? nous ne passons pas, nous achevons de passer de la versification encore souple de la Renaissance à la versification classique. Notons que le premier tiers du dix-septième siècle correspond aussi à une époque de transition entre un français qui nous est difficile à lire (Rabelais et Montaigne) et un état de la langue française qui s'est maintenu avec une remarquable stabilité jusqu'à nous. Nous lisons sans peine les œuvres de Blaise Pascal et de René Descartes, les romans de Charles Sorel ou Scarron, etc.
Mathurin Régnier est contemporain de Malherbe, et Sainte-Beuve en 1828 fait bien de Mathurin Régnier le dernier poète à la versification pré-classique. Ajoutons un fait souvent mal apprécié : Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné sont classées dans la littérature du XVIe siècle à cause de la vie de son auteur, alors qu'elles furent publiées en 1616 seulement, l'année des morts conjointes de Shakespeare et Cervantès.
Mais, à la lecture des Satires, on se rend aisément compte que Mathurin Régnier est déjà un poète très classique. Il est irrégulier pour la langue peut-être, mais pour la versification c'est déjà presque complètement un poète classique. Malherbe, c'est un fait connu, n'a pas inventé les règles de la versification classique. Il a hérité d'une évolution dont Ronsard, du Bellay, Desportes et d'autres furent les véritables artisans, et il a joué avec Pierre de Deimier à critiquer ce qui ne correspondait pas encore au résultat final dans les œuvres de ses prédécesseurs. Un énorme coup de pute en somme !
Toutefois, à côté de la poésie lyrique, il y a la versification au théâtre. Les auteurs de comédies étaient moins scrupuleux que les poètes lyriques en fait de versification, et les premières pièces de Molière peuvent attester du fait. Les farces et les comédies sont des constructions de dialogues imaginaires en vers ou en prose, et, même quand elles sont en vers, il faut y placer des apostrophes, des incises, des parlers populaires tournées en dérision, des propos triviaux à souhait, etc.
Pour les apostrophes, l'évolution va à contre-courant de l'épuration classique, puisqu'avant Corneille, les apostrophes étaient coincées avant la césure ou avant la fin du vers. Corneille va développer les apostrophes rejetés au vers ou à l'hémistiche suivant. Je ferai des citations de Desmarets de Saint-Sorlin et de Corneille pour que vous puissiez comparer concrètement avec des preuves sous les yeux. Les incises et quelques autres faits vont dans le même sens. Les pièces de théâtre contiennent aussi des interjections, des vers partagés en deux ou trois répliques d'intervenants distincts.
Molière a été un auteur provincial pendant un certain temps. On sait que sa première pièce en vers L'Etourdi est réputée mieux écrite et mieux tournée en vers que sa seconde Le Dépit amoureux, ce qui a soulevé des débats, soit la pièce Le Dépit amoureux était en réalité sa pièce la plus ancienne remise sur le tapis, soit Molière n'avait pas lui-même mis en vers la plupart de ses pièces, et ce soupçon pèse en particulier sur L'Etourdi, invraisemblablement de meilleure facture que Le Dépit amoureux, paru trois ans plus tard. Par ailleurs, si les pièces de Molière ne sont pas égales en fait de versification, voilà qui intéresse tout particulièrement le chercheur en versification qui peut s'échiner à étudier l'évolution du vers à partir du corpus d'un seul auteur, auteur des plus célèbres qui plus est.
Je vais travailler à constater et commenter l'opposition entre L'Etourdi et Le Dépit amoureux, puis cette opposition concernera aussi les premières pièces en vers de Molière jusqu'à Sganarelle avec les pièces de la maturité.
La pièce L'Etourdi n'est pourtant pas régulière, elle contient au moins trois rejets d'adjectif épithète, ce qui fait de cette pièce une oeuvre moins régulière encore que les vers d'André Chénier finalement, puisque Chénier ne pratiquait quasi jamais le rejet d'épithète, on peine à lui en trouver. Molière est même moins régulier encore que Mathurin Régnier, qui lui aussi ne pratiquait guère les rejets d'épithètes.
En étudiant les vers de Molière, on apprend aussi à inspecter pourquoi des enjambements de verbes, de compléments d'objet, d'attributs sont admis par les classiques, alors qu'il y a un sentiment de nouveauté avec les vers de Chénier. La ponctuation brusque n'est pas la seule cause. Le nombre de syllabes joue un rôle et l'environnement, puisque les dramaturges du XVIe siècle pratiquent les incises, les apostrophes (Prince, Monsieur, Rodrigue, etc.) en rejet ou contre-rejet, ajoutent des exclamations.
Je pense qu'il y a pas mal d'informations à tirer d'une étude renouvelée de tels vers pré-classiques ou carrément classiques si on peut dire.
J'ai aussi une étude importante à faire de certaines configurations. On peut étudier à l'intérieur d'une phrase la nature des mots ou la fonction des groupes de mots.
Au plan de la nature des mots, on peut très vite délimiter des objets d'étude intéressants. Le nom et le verbe sont deux catégories reines, mais au sein des verbes il y a les auxiliaires et pour dire vite les semi-auxiliaires. Il est facile de constater que Molière, mais aussi Corneille et Racine, n'ont aucun problème pour placer le verbe "être", ou un semi-auxiliaire, ou mieux un auxiliaire avoir ou être, y compris d'une syllabe, à la césure. Je vais citer des exemples transversaux, ce qui suffira à évacuer le débat, à ceci près qu'il me semble que Victor Hugo dans les vers de La Légende des siècles a tendance à jouer sur le couple auxiliaire d'une syllabe et participe passé d'une seule syllabe, et il y a quelques remarques à faire sur les adverbes liés aux verbes et notamment sur la négation. Je ferai aussi une mise au point sur les adverbes vagues d'au moins deux syllabes. on peut étudier les prépositions, les pronoms, les conjonctions et les déterminants.
Les classiques jouaient avec les limites en pratiquant la suspension de parole, c'est le cas déjà étudié et connu des Plaideurs de Racine, sans oublier la tragédie même d'Athalie, mais la pièce L'Etourdi est remarquable aussi, une suspension sur un article défini "La" à la césure, une suspension de parole sur la conjonction "si..." La pièce est pleine d'intérêt, une césure sur un mot élidé par un faux parler suisse, et des jeux très intéressants à la rime : "vi" pour "vie" rimant avec un participe passé masculin, toujours en parler suisse, ou le calembour "des... agréable" où le singulier de la rime pour le lecteur permet de cerner le quiproquo joué par Mascarille qu'à la scène il faut savoir rendre oralement pour le spectateur.
La comédie L'Etourdi contient aussi des "e" languissants, à deux reprises sur la forme de subjonctif "aie(s)" du verbe avoir. Je pense qu'une synthèse ne va pas manquer d'un intérêt d'ampleur sur l'histoire globale de la versification et va permettre de réfléchir à nouveaux frais sur une différence nuancée de pratique du rejet ou de l'enjambement entre Molière et d'autres anciens d'un côté et Chénier, Vigny ou Hugo de l'autre.
Ceux qui me suivent depuis longtemps savent que j'y vois un intérêt majeur depuis très longtemps, ça fait quinze au moins que je prévois d'un jour produire cet ouvrage. J'ai commencé à m'y atteler. Je sais aussi que les gens allergiques aux études métriques mais qui font ou pas semblant de maîtriser, de s'y intéresser officiellement quelque peu, ne liront pas volontiers une étude de longue haleine, il va falloir synthétiser, rester concis et clair, ne pas s'amuser à détailler ce qui nous plairait d'approfondir, etc. Il faudra trouver le moyen de ne rien manquer d'important à dire sans lasser, et c'est extrêmement difficile.
Il y a enfin un nouveau cas à aborder, c'est la relation de la grammaire à la poésie en vers. La versification peut être régulière pour un classique, il y a des patrons grammaticaux suivis par les poètes dans la longueur de leurs productions en vers, et cela se caractérise aussi, et j'ai envie de voir ce qu'on peut dire de neuf, d'intéressant là-dessus. Et, au moins, là, les réfractaires aux études métriques pourront pour une partie d'entre eux du moins s'y retrouver, ressentir l'intérêt pour l'écriture artiste des poètes, sans se dire qu'on les assomme d'une froide étude abstraite et mathématique de césures et entrevers...
Je citerai des propos précis de Sainte-Beuve notamment pour montrer que ce débat existe aussi et qu'il a été perdu de vue.
Je serai plus rapide sur certaines synthèses d'auteurs, mais il y a des périodes clefs avec des auteurs clefs : Molière, Régnier et Agrippa d'Aubigné sont parmi les clefs à approfondir, puis il y a Chénier, Vigny, Hugo. Il y a un contraste à faire avec des critères entre les poètes disons de la Renaissance, les poètes du Moyen Âge, les poètes classiques, les poètes romantiques et parnassiens, puis le désordre mal compris de la nouvelle versification relâchée de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours, laquelle ne se confond pas avec la versification du dernier Verlaine, ni avec celle de Rimbaud en 1872, ni avec celle du vers libre moderne.
Cette toile de fond, elle est capitale pour tout lecteur des vers de Rimbaud qui se veut aguerri, et les études issues des impulsions initiales de Roubaud et de Cornulier ne suffisent pas à l'établir, d'autant que Cornulier s'est trompé sur les césures de Rimbaud en 1872, en ne prenant pas la mesure de l'idée de lecture forcée des césures, et Cornulier sous-évalue la réflexion du Rimbaud versificateur s'amusant à jouer avec la limite de la prose dans ses Illuminations, que ce soit dans les purs poèmes en prose ou dans le cas particulier de "Mouvement".
A suivre...
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