mardi 3 septembre 2024

Reprise de la recherche des sources chez Dierx au poème "Vu à Rome"

La recherche sur Léon Dierx reprend.
Un des axes de recherche est de découvrir des poèmes demeurés inédits.
Vu que je n'ai pas relu depuis des années les recueils de Léon Dierx, je peux éventuellement me faire avoir par un changement de titre éventuel, mais pour l'instant j'ai un poème inédit que j'ai pu lire dans un numéro du journal Le Rappel du 14 mars 1871. Ce poème s'intitule "La Paix" et il est édifiant à lire puisque quatre jours avant l'avènement de la Commune Dierx s'indigne de la calme paix et du prix auquel les français achètent leur pain blanc.
Léon Dierx a publié la plaquette Paroles du vaincu en octobre 1871, et en décembre 1871 dans un journal Le Courrier du Gard un extrait belliqueux est cité où il est demandé au forgeron de travailler pour donner des armes qui iront dans les entrailles de l'ennemi allemand.
Le Paris d'avant la Commune n'était pas satisfait de la capitulation devant la Prusse, mais Léon Dierx s'inscrit nettement dans la continuité de François Coppée. A lire ses poésies, la Commune est un événement accessoire qui a reçu son terme, tout ce qui l'obnubile c'est la revanche contre la Prusse ou désormais plus nettement l'Allemagne.
Je relie ce que je viens de dire sur Paroles du vaincu à la connaissance désormais de ce poème d'indignation devant la paix, paru quatre jours avant la Commune. Verlaine prévoyait un volume en liaison avec la Commune qui se serait intitulé Les Vaincus. On comprend que Paroles du vaincu soit pour Verlaine et Rimbaud un déni de la cause communaliste.

Le deuxième poème inédit s'intitulerait "Pacte indélébile". J'ai découvert une annonce qui précise le sommaire d'un numéro de la Revue européenne en 1861. Il y a différents sujets et puis des poésies avec "Le Vœu suprême" de Leconte de Lisle suivi de "Les Trois frères" et "Pacte indélébile" de Léon Dierx. Un poème au titre "Les Trois frères" figure dans le premier recueil de Dierx, celui de 1858 qui a été renié et qui n'est pas repris par l'éditeur Lemerre ultérieurement. En revanche, je n'ai pas repéré le titre "Pacte indélébile" dans les sommaires des recueils de Léon Dierx.

Un deuxième enjeu est d'identifier une éventuelle allusion à Dierx dans la presse en septembre-octobre 1871, ce qui aurait pu motiver l'écriture de "Vu à Rome". Pour l'instant, j'ai fait complètement chou blanc, je n'ai rien trouvé du tout, sauf cet extrait de décembre du "Courrier du Gard".

J'ai aussi un texte non poétique qui a selon moi de l'intérêt, Dierx a publié un article conséquent dans la revue L'Art dirigée par Louis-Xavier de Ricard sur les critiques et la poésie. J'espère traiter de cet article ultérieurement.

Un autre aspect intéressant est de creuser la question des amitiés littéraires de Dierx. En 1895 environ, pour un trentenaire de l'école parnassienne, il fait lire son texte par Armand Silvestre. Je rappelle que les parodies de Silvestre et Dierx par Rimbaud dans l'Album zutique sont très proches l'une de l'autre.
Ce qui revient le plus, c'est le lien entre Mendès et Dierx, déjà sensible dans la recension par Lepelletier de la soirée à l'Odéon où Verlaine tenait la main à une "Mlle Rimbault".
Catulle Mendès était complètement admiratif de Léon Dierx, et Léon Dierx a dirigé aussi une association du genre des amis de Mendès. Autre information importante, les séries du Parnasse contemporain étaient initialement publiées en plusieurs livraisons avant la sortie en volume. Or, pour le premier Parnasse contemporain de 1866, la sixième livraison réunissait les contributions de Mendès, Baudelaire et Dierx. L'aura de Baudelaire rejaillit ainsi sur Mendès et Dierx. Il est vrai que Dierx a plus de légitimité que Mendès a passé pour un grand poète.

Autre enjeu, les opinions d'époque sur la poésie de Dierx : certains formulent ce qu'est pour eux la poésie de Dierx. Des avis tardifs sont aussi intéressants à enregistrer, par exemple dans la décennie 1880 il y a eu un volume d'un certain Anthaulme (nom cité de mémoire) qui parle de son talent à parler de l'outre-vie, ce qui a du sens par rapport à la parodie "Vu à Rome" de Rimbaud, et évidemment j'avais déjà moi-même cette idée d'une spécificité de Dierx pour la mystique d'au-delà de la mort des "lèvres closes".

Mais je reviens sur la série du Parnasse contemporain.
A la suite de Baudelaire, Dierx publie alors plusieurs poèmes qui feront partie des Lèvres closes, ce qui dessine l'idée d'une petite anthologie digne du maître auteur des Fleurs du Mal et une de mes idées est d'éprouver si la liste des mots de "Vu à Rome" qui se retrouvent soit tels quels soit sous forme d'équivalents dans les poésies de Léon Dierx sont particulièrement présents dans les poèmes retenus pour le Parnasse contemporain. Les poèmes retenus sont "Lazare", "Les Filaos", "La Nuit de juin", "Dolorisa mater", "Soir d'octobre" et "Les Yeux de Nyssia".  Dans le bouquet final des sonnets, après la contribution de Baudelaire "Le Couvercle", nous avons "Journée d'hiver" de Léon Dierx.
Le sonnet "Journée d'hiver" n'est pas du tout idiot à rapprocher de "Bu à Rome" avec ses "cendres", "suaires", son dernier mot : "songe aux morts" et avec cette absence de rayon et désir comparable à la problématique des nez secs et du parfum dans "Vu à Rome". Au passage, le poème "La Vision d'Eve" de Dierx, s'il ne fait pas partie du recueil Lèvres closes ouvre le précédent recueil, le premier recueil retenu par Lemerre, et on peut comparer "vision" à "vu" et le plan religieux d'Eve à Rome dans la conception des deux titres.
Le poème "Lazare" ouvre donc cette sorte d'anthologie des Lèvres closes contenue dans le Parnasse contemporain et ce poème est aussi en bonne place dans le recueil des Lèvres closes où il succède immédiatement au "Prologue".
Or, je suis désolé, mais l'adjectif "livide" à la rime dans "Vu à Rome" qualifie une "nuit", et comme je l'ai déjà dit cet adjectif "Livide" est en vedette au début du second vers de "Lazare", et comme je ne suis pas idiot dans les réticences, j'ai bien compris que "nuit livide" dans "Vu à Rome" est une allusion au vers 2 de "Lazare", et pour enfoncer le clou, je cite en intégralité ce vers 2 qui va du mot "livide" au mot "ténèbres" :
Livide, il se dressa debout dans les ténèbres[.]
Je ne sais pas comment vous faites pour ne pas voir le lien entre "Vu à Rome" et "Lazare".
Les "ténèbres" riment avec des "langes funèbres" et cet éveil est le résultat d'un appel de la voix de Jésus.
Il n'est pas difficile de voir le rapport ironique de l'un à l'autre poème.
Nous avons plus loin des "prunelles" qui semblent ne "pas pouvoir regarder au dehors".
Nous pouvons citer également les deux vers suivants qui commentent le titre du recueil de Dierx Lèvres closes et ont un sens satirique remis à neuf dans "Vu à Rome" :
Mais le mot inconnu du dernier lendemain,
Un invisible doigt l'arrêtait sur sa lèvre.
Rimbaud n'a pas donné pour rien le surtitre Lèvres closes à sa parodie "Vu à Rome", il demande à son lecteur de se rappeler le genre de mysticisme qui fait le fond poétique du recueil de Dierx, tout simplement.
Et je disais que "nuit livide" était la réécriture du vers 2 de "Lazare", mais le vers entier de Rimbaud qui contient cette réécriture est cet octosyllabe avec une forme conjuguée du verbe figer :
Où se figea la nuit livide, [...]
Il se trouve que ce verbe est utilisée précisément dans le poème en quatrains "Lazare" de Dierx, quatrains à rimes embrassées et en alexandrins quand le poème de Rimbaud est en rimes croisées et en octosyllabes, mais vous avez tout un passage d'un vers de Rimbaud "se figea la nuit livide" qui reprend deux vers du "Lazare" de Dierx, puisque voici d'où vient l'emprunt verbal :
Et le sang se figeait aux veines du plus brave[.]
J'avais fait à l'époque un relevé des mentions verbales "figer" ou "se figer" conjuguées ou non dans les poésies de Dierx. Dans mon souvenir, je n'avais quasi aucun résultat, et cette vérification est simple à refaire, je peux vous la fournir dans les jours qui viennent.
Mais ça ne s'arrête pas là, puisque, au second quatrain de "Vu à Rome", le vers 7 que j'ai cité est suivi par un vers 8 qui fournit l'adjectif "sépulcral" à la rime, et la position a son importance puisque c'est du coup le dernier mot du second quatrain, ce qui le met quelque peu en relief. Je cite ce second quatrain :
Nez d'ascètes de Thébaïde,
Nez de chanoines du Saint-Graal
Où se figea la nuit livide,
Et l'ancien plain-chant sépulcral.
Le mot "sépulcre" suit de très près la mention "se figeait" dans l'économie du poème "Lazare", puisque "se figeait" figure au vers 27 et "sépulcre", quatrain suivant, au vers 30 :
Ah ! qui dira jamais ton étrange supplice
Revenant du sépulcre où tous étaient restés !
Le supplice devient de "l'immondice schismatique" dans "Vu à Rome", et en tout cas on a bien avec les "nez" à Rome l'idée d'entretenir une "outre-vie", sauf que ça ne sent pas bon.
Rimbaud préférera dire les naissances latentes des voyelles-couleurs.
Et le poème se termine sur l'envie à l'égard de ceux qui se sont couchés dans des lits de pierres pour n'en sortir jamais, ce qui est à rapprocher du "songe aux morts" du sonnet "Journée d'hiver".
Il est indiscutable que deux vers au moins de "Vu à Rome" réécrivent deux vers de "Lazare", même si on ne trouve pas l'équivalent pour "plain-chant", et il est clair qu'il y a une résonance thématique de "Vu à Rome" avec "Lazare" et "Journée d'hiver".
Et je confirme que "ancien plain-chant sépulcral" vient bien de Léon Dierx avec la citation des mots "ancien" et "sépulcre" d'un vers à l'autre dans "Journée d'hiver", et ce que je cite n'est autre que le tercet final de "Journée d'hiver", ce qui est assez dire que d'évidence Rimbaud reprend bien ce tercet dans "ancien plain-chant sépulcral" où "plain-chant" a pour lien minimal la mention de Dierx "échos muets" :
Songe aux échos muets des anciens sanctuaires !
Sépulcre aussi, rempli de cendres jusqu'aux bords,
Mon âme, songe à l'ombre, au sommeil, songe aux morts !
Je rappelle que "Journée d'hiver" fait lui aussi partie des pièces du recueil Lèvres closes, sauf qu'il est perdu au milieu du recueil, alors que sa position dans le Parnasse contemporain de 1866 le mettait en évidence, et Rimbaud était un lecteur des volumes du Parnasse contemporain.

Après "Lazare", vient le poème "Les Filaos" dont vous pourriez dire qu'il n'a rien à voir avec "Vu à Rome". Mais n'allez pas si vite en besogne. Le poème "Les Filaos" déplace dans un cadre non spécifiquement chrétien une thématique comparable de l'outre-vie. Et vous avez une sorte de "plain-chant sépulcral" en continu avec plusieurs mots de la famille du nom "chant" : "Un chant grave et houleux", "Tu fais chanter ton rêve, ô bois !", "Fatidiques chanteurs au douloureux destin", et je ne peux que vous donnez un échantillon représentatif du "plain-chant sépulcral" du poème : "frais échos", "bruit lointain de la mer sur les sables", "gémissement lugubre, immense, et doux", "D'un frisson nonchalant pris sans trêve" (Nota bene : ça définit un aspect du plain-chant, non ?), "Le vent frémit sans cesse", "sans relâche, on entend / Sous la ramure frêle une sonore haleine", "ce soupir, ce murmure éternel", "Dans l'air religieux des solitudes hautes", "C'est ta voix / Qui gémit tristement", "Exhalant ton arôme aux éthers diaphanes", "Roule ton froissement solennel et profond", "Vous bruissez toujours au penchant des ravines", "Vous m'emplissez encore de vos plaintes divines", "votre soupir immense et continu", et tout cela se finit par l'idée que ce plain-chant "meurt dans l'inconnu", idée de plain-chant soutenue également par les répétitions fréquentes de la comparaison : "Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables".
Dierx n'utilise pas le mot "plain-chant", mais vous voyez bien que ce poème illustre le principe du "plain-chant sépulcral" appliqué à la Nature. Nous avons le gémissement triste du sépulcral, nous avons le soupir verbal et chantant continu, nous avons le caractère liturgique. Il y a une disons "parodie" du plain-chant chrétien ici, non ?
Vous avez aussi un glissement du côté des parfums des arômes, idée de parfum qui se retrouve dans le poème suivant "La Nuit de Juin" avec du baudelairien dans "riche encensoir des fleurs mélancoliques" au vers 4 et "chauds parfums dans l'air pris de torpeur" au vers 6. Le poème évoque une âme qui plane sur toutes choses et s'essaie à de multiples métempsycoses en vivant plusieurs morts, et cela se finit sur une femme qui va avec le poète échanger un regard soutenu fixement.
Vous sentez bien que "Vu à Rome" tourne en dérision les principes mystiques que Dierx entretient même s'il n'affiche pas une obédience chrétienne.
Je trouve ça évident, mais bon...
On passe ensuite à "Dolorosa mater" dont le titre latin justifie déjà un rapprochement avec "Vu à Rome" et ce poème est en quatrains de rimes croisées comme "Vu à Rome", mais en alexandrins.
Le poème offre un retour de l'adjectif "livide" et cette fois précisément à la rime, comme c'est le cas pour "Vu à Rome".
Nous avons aussi l'idée important de la "nuit" qui quand elle vient approfondit l'impression vécue par le poète, et cela par le truchement d'un "hurlement sans fin" de la terre. Et on voit aussi le contrepoint entre l'appel à la mort comme repos chez Dierx et le fait de déranger les gens dans les cercueils en leur fourrant de cette "immondice schismatique" dans les narines. Après cette nuit, le personnage se lève comme Lazare et exprime l'épouvante d'une révélation.
En clair, Rimbaud a repéré les liens profonds entre "Lazare" et "Dolorosa Mater" comme entre les différents poèmes de Dierx réunis dans le volume du Parnasse et il en joue dans "Vu à Rome" :
La nuit vient, allumant les sphères innombrables.
Il sent rouler la terre ; et vers le sourd destin,
Il l'entend par-dessus nos clameurs misérables,
Elle-même pousser un hurlement sans fin,

Qui s'élève, grandit, et monte, et tourbillonne,
Fait de chants, de sanglots, et d'appels incertains,
Et dans l'abîme où l'œil des vieux soleils rayonne,
Se mêle aux grandes voix des univers lointains.

Ces mondes suspendus de tout temps dans le vide,
Il les voit tournoyer, il les entend gémir ;
Il vit de leur pensée, et sur son front livide,
Sent le mortel frisson de l'infini courir.
Vous ne sentez pas que ces trois quatrains font écho à "Bu à Rome" avec l'idée de "nuit", avec adjectif "livide" à la rime, mais on passe du front de l'observateur à la nuit qui a rendu livide l'observateur dierxien, puis on peut même comparer la formule un peu baudelairienne : "où l'oeil des vieux soleils rayonne", avec le choix de la construction relative chez Rimbaud : "où se figea la nuit livide" et avec le choix "ancien plain-chant sépulcral".
Moi, ça me paraît évident.
Je ne me pose même pas la question, je n'ai pas de doute. Rimbaud s'inspire aussi de ce passage-là en écrivant le second quatrain de "Vu à Rome".
Rimbaud a signé son poème "Léon Dierx" et il vous a invité à des comparaisons avec le recueil des Lèvres closes. Je vous donne très clairement ce qu'il y a à prendre.
Pour "Soir d'octobre", Dierx nous ressert son plat : "Le frisson de la nuit", "l'angelus du soir dans les soleils couchants". Et c'est toujours la même obsession : "Sous une haleine froide au loin meurent les chants", on est bien toujours dans une sorte de "plain-chant sépulcral". Et que nous offre le poète une troisième occurrence de l'adjectif "livide" et précisément à la rime, quoiqu'au pluriel cette fois :
Leur râle entrechoquant leurs ramures livides.
Rimbaud fait une rime "Thébaïde"/"livide" quand Dierx fait la rime "vide(s)"/"livide(s)" au singulier puis au pluriel, et en inversant l'ordre de défilement des deux mots.
Non retenu par Rimbaud, le mot "cendre" revient aussi volontiers dans les poèmes de Dierx que sont "Lazare", "Journée d'hiver" et "Soir d'octobre". Et la série du Parnasse contemporain se termine donc par le poème "Les Yeux de Nyssia". Vous me direz qu'aucun rapprochement ne peut être fait, et je vous démentirai rapidement.
Sans m'attarder au motif du "Lac" qui a de quoi faire songer au célèbre poème de Lamartine, nous avons une fascination du poète pour le regard et les yeux de Nyssia, et cette contemplation est soulignée par une répétition dont Rimbaud rend la note avec l'anaphore "Nez" aux vers 5 et 6 du second quatrain de "Vu à Rome", la répétition de "nez" chez Rimbaud étant étendue aux vers 4, 5 et 6 de son poème avec liaison du premier au deuxième quatrain, c'est la manifestation de l'obsessionnel, comme dans le passage ramassé suivant du cinquième quintil des "Yeux de Nyssia", Dierx s'inspirant des faux-quintils des Fleurs du Mal soit dit en passant (soulignements nôtres) :
- Je répondis : "Tes yeux, Nyssia, tes yeux clairs,
Ces yeux que mes soupirs sans les troubler traverse,
Fascinent par l'attrait de leur langueur perverse.
Un magique pouvoir aiguise leurs éclairs
           Qui filtrent dans mes chairs."
Ce quintil est le modèle de la construction des vers 4 à 6 dans "Vu à Rome" :
[...]
Où sèchent des nez fort anciens.

Nez d'ascètes de Thébaïde,
Nez de chanoines du saint Graal
[...]
La répétition obsédante du mot "yeux" a des précédents dans les quatre premiers quintils des "Yeux de Nyssia" :

Le mot "yeux" est le dernier mot à la rime du premier quintil, et il s'inscrit dans une série de trois vers rimant entre eux qui relie "cils soyeux" à "yeux" en passant par "silencieux". Ce premier quintil fait au passage songer à Hugo et à un poème tel que "Elle était déchaussée..." des Contemplations. Nous avons des reprises du verbe "regarder" ou du nom "regard" : "Nyssia regardait", "le regard profond", et au troisième quintil qui rapporte des paroles du poète nous avons à nouveau des mentions du mot "yeux" : "Larges yeux de la femme" assimilés à des "clartés", à des "regards" (ce qui peut aller de soi) et cela amène à les requalifier en "yeux diamantés". Le quatrième quintil rapportant la réplique de Nyssia ne contient pas le mot au pluriel "yeux", mais une forme conjuguée du verbe "regarder" : "regarde" à l'impératif, et nous en arrivons alors à ce cinquième quintil cité plus haut qui est le modèle de référence pour l'écriture des vers 4 à 6 de "Vu à Rome".
Le jeu se poursuit. Au quintil suivant, la belle formule l'injonction "Vois" et puis il faut attendre le quintil du poète pour voir revenir les mentions du mot "yeux" avec deux occurrences supplémentaires : "Dans tes yeux [...] yeux froids [...]". Et la même remarque vaut pour les deux quintils suivants : "Suis... ces images" contre deux nouvelles occurrences : "Dans tes yeux je contemple", "Dans tes yeux enfermé". Pour la variation, nous avons deux quintils plus loin l'attaque "Prunelles" et une nouvelle mention des "cils". Mais, dans un quintil rapportant les paroles de Nyssia cette fois, je relève un vers dont Rimbaud a pu éventuellement s'inspirer : "l'ancien secret d'une métempsycose" pour "l'ancien plain-chant sépulcral". Nyssia peut être évoqué dans la "sécheresse mystique" quand elle parle de reflets du lac qui ont "tari toute sève" : "tout revit sous l'eau si tout meurt sur les bords". Nyssia finit par persifler le poète en lui expliquant qu'elle emporte son âme, et celle-ci disparaissant le poète se dit en guise de consolation que son reflet à lui lui survivra quand sa vie s'éteindra.
J'allais oublier deux faits par moi relevés. Nyssia finit par employer le mot "yeux" tandis que en écho aux reflets qui tarissent toute sève dans la bouche de Nyssia on a le poète qui dit :"mon sang se tarit dans mes veines", ce qui est à rapprocher de "Où se figea la nuit livide".
Dierx n'est pas chrétien spécialement, comme on peut le voir avec de telles créations, mais il joue sur une mystique de foi en l'autre vie que démonte précisément Rimbaud dans la chute de "Vu à Rome".
Il est certain que toutes les énigmes de "Vu à Rome" ne sont pas résolues par ces rapprochements. Il faut chercher à comprendre où Rimbaud veut précisément en venir, mais soutenir que les rapprochements avec Dierx ne sont pas pertinents, ça c'est de la faiblesse d'orgueilleux qui ne veut pas admettre que sa compréhension du poème est restée en-dessous de ce qu'a créé Rimbaud.
Voilà, comme d'habitude, beau sujet à suivre.

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