Toujours en quête d'expériences nouvelles et de défis sur mon site rimbaldien, je me demandais s'il n'était pas temps d'écrire un article sur Mathurin Régnier.
Mathurin Régnier est intéressant à traiter pour l'image que s'en faisaient les écrivains du dix-neuvième siècle au plan de la forme.
Je prévois de citer le poème de Musset "Sur la paresse", lequel poème est introduit par une citation de quatre vers d'une satire de Mathurin Régnier, puis un poème de Louis Bouilhet de son recueil Festons et astragales de 1880, puis une étude comparative de Régnier et Chénier par Sainte-Beuve. Vous commencez à vous demander quel lien il peut y avoir avec Rimbaud. Serait-ce la rivière Oise qui traverse les vers de Régnier, Boileau, Banville et Rimbaud ? Je ne le pense pas, même si je pourrai en parler.
Non, Régnier m'intéresse pour les questions formelles, pour la construction du vers. Il était très critiqué pour ses irrégularités. Sainte-Beuve a publié un ouvrage sur la poésie française avant le classicisme, ouvrage qui va jusqu'à Mathurin Régnier, ouvrage qui date aussi de 1828 époque de renouveau dans le traitement du vers avec Vigny et Victor Hugo.
Régnier était le contemporain aussi de Malherbe, sauf que l'un pointe vers le passé du vers considéré comme rude, quand l'autre est considéré comme le premier moule du classicisme.
En fait, plein d'idées intéressantes sont à considérer avec Régnier.
Par exemple, vous savez qu'en ce moment je fais une recherche sur la versification de Lamartine, une recherche qui a un double orientation, puisque je cherche à préciser ce qu'il faut entendre par un beau balancement lamartinien dans "Les Chercheuses de poux" et puisque je suis à la recherche des rejets d'épithètes à la césure. Et je suis devant un constat étonnant. J'avais identifié que Lamartine n'avait jamais pratiqué le rejet d'épithète avant 1825. Ces rejets sont absents des publications faites de 1820 à 1823 : Méditations poétiques, Nouvelles Méditations poétiques et La Mort de Socrate, mais qu'il y avait deux à trois rejets d'épithètes dans les deux textes publiés en 1825 : Chant du sacre et Dernier chant du pèlerinage de Lord Harold, puis j'avais le souvenir d'avoir repéré un double rejet d'épithètes dans un poème des Harmonies poétiques et religieuses, à l'image du vers de Vigny du poème "La Frégate", sauf qu'il n'y a pas de rejet d'épithètes dans les Harmonies poétiques et religieuses apparemment et le vers où il y a bien une coordination d'épithètes après la césure a une structure nom adjectif plus adjectif et complément du nom introduit par la préposition "de", configuration qui a l'air d'être en rejet, mais qui était autorisée chez les classiques, ou qu'en tout cas les classiques pratiquaient, sauf que tout de même la coordination est un petit plus, vu que Mathurin Régnier ou les autres je trouve la structure nom + adjectif + complément du nom introduit par "de". Dans une satire, on a le modèle "chaleur + roussoyante du soleil", ce n'est pas "chaleur", mais "roussoyante du soleil" forme bien le second hémistiche. Et à cause de "du soleil", on ne classe pas "roussoyante" en rejet.
Mathurin Régnier lui-même ne pratique jamais les rejets d'épithètes dans ses poèmes, cas à part de la satire je crois quinzième qui en contiendrait deux, mais je dois encore vérifier cela à tête reposée.
J'ai trouvé des "e" languissants dans les satires de Régnier "envie" suivi d'un mot à initiale consonantique. J'ai trouvé des mots orduriers, triviaux, des tournures grammaticales particulières, j'ai vu Sainte-Beuve parler sur un autre plan des irrégularités de Régnier, j'ai vu des hiatus et le hiatus est dans la chute du poème de Bouilhet en hommage à Régnier, j'ai vu des critiques injustifiées des césures de Régnier. par exemple, en ligne sur wikisource vous pouvez lire une édition de 1853, une édition donc contemporaine de Rimbaud né un an plus tard et qui devait la consulter plus volontiers que d'autres. Cette édition de 1853 est farcie de notes qui jugent parfois les irrégularités de Régnier et proposent des remèdes, et j'ai vu un remède par déplacement de la césure, le censeur croyant que la césure entre un verbe recteur "va" et un infinitif passait mal, alors que ces césures entre auxiliaires et participes passés, et donc à plus forte raison entre verbes pour dire vite semi-auxiliaires et verbes à l'infinitif sont naturelles chez les classiques et pas du tout proscrites.
Je vais réfléchir sur le problème des rejets de compléments du verbe, de compléments du nom. Régnier est plus classique que du Bellay, Ronsard et Marot. Et plus régulier dans son vers que Chénier.
Je me dis que je suis sur les bases intéressantes d'un dossier important en terme d'études comparatives dans la pratique du vers. Je pense que je peux clarifier pas mal de perspectives.
Il y a deux trimètres apparents, mais pas pensés comme tels par Régnier, que j'ai retrouvés et que je commenterai. L'un était cité dans des traités du vers comme mal écrit, mais pas comme trimètre.
J'ai trouvé aussi une césure après le mot "après" de la conjonction "après que", et cela dans la première satire je crois.
Je compte lire aussi les poésies de son oncle Desportes et lire en parallèle Malherbe. Je compte aussi faire toutes les recensions nécessaires dans du Bellay, Ronsard, Racine, Molière, Corneille et Rotrou, et j'ai même des césures particulières de Marot à signaler à l'attention.
La rareté de certains rejets chez Chénier (les rejets d'épithètes) et chez Régnier (d'épithètes, mais aussi de compléments du nom ou de compléments verbaux) va donner une tout autre dimension à ce qui s'est passé avec Vigny et Hugo. Par ailleurs, on apprend avec le texte où Sainte-Beuve compare Chénier et Régnier que Lamartine n'aimait pas la poésie de Chénier, ce que je peux confirmer, puisque Lamartine aurait fait la concession de rejets d'épithètes à sa mise en vogue en 1825 avant d'y renoncer, sauf que même s'il y a renoncé Lamartine a pratiqué des formes qui sans être les rejets eux-mêmes sont des formes approchantes de ces rejets. Peu de fois, mais j'en ai repéré quelques-unes. Et je suis en train de mettre en place un concept métrique intermédiaire nécessaire, celui de tremblé de facture qui permettrait de commenter les effets de sens métriques des poètes classiques, en se détachant du tout ou rien des lois métriques définies par Cornulier. Cornulier réagit par un rejet de tout ce qui n'est pas déviant, il le place dans le nul et non avenu pour la critique littéraire, alors que l'auteur a vécu l'écriture de son vers. Racine ou Ronsard aimaient leurs césures, cherchaient à produire des effets, et je ne suis pas satisfait du cadre restrictif posé par la méthode de Cornulier. Du coup, je veux mettre au point cette idée de tremblé de facture, expression que je reprends aux propos de Verlaine sur "Les Chercheuses de poux", mais dans une visée métrique toute différente de ce que ciblait Verlaine pour sa part.
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Petit bonus en fin d'article : Rimbaud a ajouté deux quintils au poème "L'Homme juste". Le poème "L'Homme juste" vise Victor Hugo, mais les deux quintils s'élargissent à des "Justes" et donc à ceux qui prennent le parti de Victor Hugo. Or, Rimbaud après l'incident Carjat a été éloigné de Paris pour deux mois, et quand il revient en mai il y a deux faits à noter. D'abord il y a eu des interventions zutiques, sans implication de Rimbaud, où on se moque de l'actualité d'un tableau représentant la tête coupée de Mérat. Ensuite, il y a eu le lancement de la revue La Renaissance littéraire et artistique à la toute fin du mois d'avril, dont Rimbaud va découvrir les premiers numéros avec le poème inédit de Verlaine qui deviendra la première des "Ariettes oubliées" et frustré en juin de l'imbécillité crasse de cette parade peu sauvage Rimbaud va inviter son ami Delahaye à chier sur cette revue.
Or, un peu dans le sens où comme le souligne Yves Reboul dans un article récent le poème "La Rivière de Cassis" contiendrait le mot "claire-voies" en renvoi à son occurrence dans un avant-dernier poème à rôle conclusif dans le recueil L'Année terrible, il se trouve que le premier numéro de la revue contient une recension du recueil de Victor Hugo par Léon Valade. page 4 : on a deux poèmes l'un assez mauvais de Sully Prudhomme, l'autre, dérisoire exercice banal et vague, de Pierre Elzéar. Puis, nous avons la recension par Léon Valade et sa fin à la page 5 est suivie par la première partie du texte "Parisiennes" d'Ernest d'Hervilly avec une femme qui prie et... s'agenouille, s'accordant une pause dans sa vie de belle dépravée au point qu'elle absolutise ce moment.
Dans sa recension, Valade évoque la Commune en des termes négatifs en phase bien sûr avec l'esprit du recueil hugolien, en phase avec le discours autorisé publiquement par l'époque répressive (autorisé / répressive, oui je l'ai fait exprès) : "voici venir la guerre civile sous les yeux de l'étranger, [...] et les massacres d'otages". Valade ne pense peut-être pas pleinement ce qu'il écrit, mais il donne clairement des gages de bonne conduite ici. Le discours est clairement admiratif de la pose de guide morale développée par Hugo. Le texte d'Ernest d'Hervilly n'a rien à voir, et les "genouillères en vente" de "L'Homme juste" font partie des quintils de base du poème de juillet 1871, non de l'ajout final. Mais, Rimbaud pouvait difficilement passer à côté de la coïncidence. Valade est l'ami proche de Mérat, et des années durant Verlaine va se plaindre que Valade ne lui écrit pas. On comprend que Valade a pris ses distances avec Verlaine bien évidemment.
Rimbaud n'a pu ajouter les deux quintils à "L'Homme juste" qu'à son retour à Paris vers le 7 mai 1872, moment où il a découvert précisément le premier numéro de la revue de Blémont paru le 27 avril, puis le second numéro paru le 4 mai qui contient une lettre en retour de Victor Hugo, lettre qui est suivie par une revue du "Salon de 1872" qui, précisément si je ne m'abuse, a exhibé la tête décapitée de Mérat en tableau.
Je ne sais pas pourquoi je n'avais jamais fait un lien direct entre les deux premiers numéros de la revue et les deux quintils de "L'Homme juste". Je pourrais faire quelques autres citations pour renforcer, mais aucun fantôme n'étant là pour me tourmenter, je vais me coucher. Bye.
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- Et la franc-maçonnerie ?
Moi : - La franc-maçonnerie, c'est franchement con, mets-moi sa substance clairement sur la table déjà au lieu d'être fuyant et vague, c'est antinomique de la révolution française et de la démocratie directe. Rimbaud, il voyait ces gens-là autour de lui, Blémont et compagnie, il n'a pas daigné en faire partie. Il savait que c'était complètement débile et que c'était s'asservir à un ordre hiérarchique antirévolutionnaire, à une organisation dont il ne connaissait même pas le profil des gens qui la dirigent. Il y a un moment où il faut arrêter la débilité mentale, c'est tout.
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