dimanche 15 septembre 2024

Verlaine parlait d'un balancement lamartinien, racinien et virgilien même de la fin des "Chercheuses de poux" !

Dans sa rubrique des Poètes maudits consacrée à Rimbaud, Verlaine faisait quelques remarques sur l'intérêt littéraire des "Chercheuses de poux".
Dans la continuité de ce qu'il venait de dire sur les qualités picturales à la Goya et à la Murillo des "Effarés", Verlaine introduisait son public à la lecture des "Chercheuses de poux", en parlant d'une œuvre d'un "Goya lumineux et exaspéré, blanc sur blanc avec les effets roses et bleus et cette touche singulière jusqu'au fantastique." Verlaine plaçait tout de même le poète au-dessus du peintre : "Mais combien supérieur toujours le poète au peintre et par l'émotion haute et par le chant des bonnes rimes !"
Le commentaire est un peu étrange entre des peintures non précisées bien que se référant à un unique artiste et un poème. Pourquoi Rimbaud composerait-il un poème qui puisse se réclamer de deux peintres, puis d'un seul de ces deux autres peintres, puis des poèmes ne se réclamant d'aucun de ces deux peintres, tandis que les peintres seraient toujours la même personnalité artistique quelle que soit l'abondance et le renouveau de leur production artistique ? Cela n'a aucun sens. Il va de soi que Verlaine suppose que le lecteur va identifier des images cliché de Goya ou de Murillo, et des image propres à l'époque où il écrivait sa recension (1883). Le discours de Verlaine permet de préciser un peu ses intentions. Le poème "Les Chercheuses de poux" serait du Goya, mais en plus lumineux et, note subtile, en plus exaspéré. Je me demande combien de lecteurs lisent les lignes de Verlaine en se faisant une représentation d'une peinture de Goya en plus lumineux avec des signes plus tangibles d'une exaspération artiste...
Verlaine parle de techniques picturales qu'il applique à la manière de Rimbaud : "blanc sur blanc avec les effets roses et bleus". Qu'est-ce que cela veut dire par rapport à Goya ? Qu'est-ce que cela veut dire par rapport aux "Chercheuses de poux" ?
Le rose et le bleu sont bien présents dans "Les Chercheuses de poux", mais cela se perd quelque peu dans l'ensemble comme l'atteste le relevé suivant : "rouges tourments" (à la rime), "essaim blanc des rêves indistincts", "ongles argentins" ((à la rime), "l'air bleu" (à la césure), "la rosée" (à la rime, mais mention de couleur indirecte), "longs miels végétaux et rosés" (à la rime, mais la mention de couleur est cette fois effective), "cils noirs", "grises indolences" (à la rime).
Dans ce relevé, de manière certes confuse, je rapproche l'équivoque "rosée" et "rosés" du propos technique suivant de Verlaine : "(application) blanc sur blanc avec des effets roses et bleus". Certes, il y a "l'air bleu" et les "miels végétaux et rosés", mais il y a aussi le "chant des bonnes rimes" pour citer Verlaine avec d'un quatrain à l'autre le passage du nom "rosée" à l'adjectif "rosés". Plus précisément, "rosée" est à la rime au vers 7 et "rosés" est à la rime au 10. Deux mots de deux autres rimes distinctes ponctuent les vers 8 et 9 : "charmeurs" et "craintives", mais il n'en reste pas moins que d'un quatrain à l'autre nous avons un écho significatif entre une rime féminine ("croisée"/"rosée") et une rime correspondante en cadence masculine ("rosés"/"baisers"). Les rimes à base du phonème vocalique "é" sont trop faciles en français, elles sont surabondantes et sont appuyées notamment par une foultitude de participes passés ou adjectifs d'origine verbale. C'est pour cela que les poètes étaient obligés de recourir à la consonne d'appui en ce qui la concerne. Mais, ici, d'un quatrain à l'autre, nous avons la même consonne d'appui en [z] et, surtout, une homophonie complète, "rosée" et "rosés", en-dehors de l'opposition entre cadence féminine "-e" et cadence masculine (pas de "-e").
La négligence des rimes faciles est paradoxalement propre à la poésie classique, et à cet égard l'échange entre ces deux quatrains des "Chercheuses de poux" peut justifier une comparaison pour la grâce négligée des rimes avec soit Racine, soit Lamartine. Faut-il dès lors s'interroger plus avant sur la malignité de ces rimes au plan du sens ? si "rosée" entre dans "rosés" adjectif qualifiant des "miels" émanant des haleines des sœurs,  nous avons une anticipation de l'idée érotique du désir de pleurer qui clôt le poème et qui est aussi à la rime, "pleurer" étant le dernier mot du poème. Et, "croisée" peut prendre un sens érotique inattendu dans un rapprochement avec "baisers". Je précise que puisque nous parlons à la suite de Verlaine d'un "chant des bonnes rimes", nous avons un parallèle fascinant entre "désirs de baisers" et "désir de pleurer".  Les deux segments de cinq syllabes ne varient pour l'oreille que d'une syllabe et une consonne (d'appui) : "bais-" et "pleur-". Pour l'orthographe, il faut ajouter une opposition entre la marque du pluriel et son absence dans le cas du mot "désir", ce qu'on peut élargir à l'opposition du nom "baisers" au verbe "pleurer" : "ou désirs de baisers" et "un désir de pleurer".
Ce n'est pas tout !
Le poème "Les Chercheuses de poux" est composé de cinq quatrains de rimes croisées. Rimbaud devait exhiber dix rimes en tout. Or, à trois reprises, il a eu recours à la rime en "-é", deux fois en cadence masculine ("rosés"/"baisers", "délirer"/"pleurer"), une fois en cadence féminine ("croisée"/"rosée"). Les rimes sont répandues sur trois des cinq quatrains du poème, plus précisément sur les deuxième, troisième et cinquième. Le troisième quatrain est le centre du poème. Nous avons un effet de consécution du second au troisième quatrain, mais ça ne s'arrête toujours pas là. La première rime en "-é-" du poème est celle en cadence féminine : "croisée"/"rosée" au second quatrain. Elle apparaît aux vers 5 et 7, et vous constatez qu'elle n'est pas la rime dominante du quatrain. La rime qui fait le quatrain est celle des vers 6 et 8 : "fleurs"/"charmeurs". Le mot "charmeurs" conclut le second quatrain.
Gardez à l'esprit ce mot "charmeurs", je vais y revenir dans quelques instants. Je termine sur la rime en "-é-". Les deux rimes en "-é-" en cadence masculine se trouvent au troisième et au cinquième quatrain, milieu et fin de poème, et un parallélisme d'écho est appuyé par une répétition d'ampleur : "désirs de baisers" face à "désir de pleurer". Le parallélisme est renforcé par le fait que cette fois nous avons à chaque fois la rime des vers pairs, la rime qui conclut les quatrains et les fixe : "rosés"/"désirs de baisers" et "délirer"/"désir de pleurer". Même sans remarquer qu'il y a deux, voire trois rimes en "-é-", votre esprit ne peut pas passer à côté de la symétrie évidente des deux fins de quatrain : "désirs de baisers" et "désir de pleurer" de toute façon. La rime finale est une rime entre deux verbes à l'infinitif : "délirer"/"pleurer", et l'écho est accentué par la syllabe initial du nom "désir", syllabe initiale dont la voyelle est un "é".
Un lecteur contemporain nous affirmerait d'ores et déjà que dans le pluriel "baisers" on reconnaît le verbe "baiser" en lui prêtant un sens obscène actuellement prédominant, mais nous éviterons de tomber dans ce piège à ce niveau-là de notre réflexion.
Face à un constat aussi évident d'un parallèle voulu entre "désirs de baisers" et "désir de pleurer", nous avons déjà relevé un autre jeu de bascule similaire, mais plus discret, entre le nom "rosée" et l'adjectif "rosés". Les trois rimes sont nettement liées entre elles par des procédés de reprises. "Sur la lèvre" ai-je envie d'ajouter.
Mais ce n'est toujours pas tout.
Je vous disais de garder à l'esprit le mot "charmeurs" à la rime au vers 8. Il fait écho à "charmantes" à la rime au vers 3. Nous passons à quatre rimes étroitement liées entre elles par des phénomènes de reprises. Peut-on aller au-delà ? Cela devient difficile à un moment donné, et il est inutile de chercher à prouver que toutes les rimes sont liées entre elles dans le poème de Rimbaud ? Il ne faut pas chercher à établir des liens systématiques à s'en donner mal à la tête. Ceci dit, entre le troisième et le quatrième quatrain je remarque que des échos sont entretenus au-delà des rimes elles-mêmes. Je n'hésite pas à rapprocher les mots "silences" et "salives" tous deux à la rime. Certes, ils le sont dans deux quatrains distinct, mais ils ne sont séparés que par un seul vers : "salives" est à la rime au vers 11 et "silences" au vers 13, et dans les deux cas nous avons un jeu de glissement à l'entrevers : "salives / Reprises sur la lèvre" et "silences / Parfumés". Si j'hésite à peine à comparer "haleines craintives" et "grises indolences", en tout cas, nous avons un écho entre les coordinations adjectivale pour "longs miels végétaux et rosés" et "leurs doigts électriques et doux", qui permet de ressentir un écho entre les fins des troisième et quatrième quatrains : "désirs de baisers" et "mort des petits poux". On vient de faire entrer le quatrième quatrain dans le tissage des reprises qui unissent toutes les parties du poème entre elles.
Et ce n'est pas tout. Toujours pas !
Dans les propos de Verlaine cités plus haut, il était aussi question d'une touche singulière allant jusqu'au fantastique, ce dont je n'ai pas parlé. Je devrais m'arrêter ici pour dire ce que c'est que le "blanc sur blanc, avec des effets roses et bleus" dans les peintures de Goya, ce que c'est aussi que cet accès au "fantastique". Mais, tiré par l'analyse des rimes, je dois suivre le chemin qui m'entraîne et citer le retour de Verlaine sur le poème après qu'il l'ait cité dans ses Poètes maudits. Et voici ce qu'il écrit :
   Il n'y a pas jusqu'à l'irrégularité de rime de la dernière stance, il n'y a pas jusqu'à la dernière phrase restant, entre le manque de conjonction et le point final, comme suspendue et surplombante, qui n'ajoutent en légèreté d'esquisse, en tremblé de facture, au charme frêle du morceau. Et le beau mouvement, le beau balancement lamartinien, n'est-ce pas ? dans ces quelques vers qui semblent se prolonger dans du rêve et de la musique ! Racinien même, oserions-nous ajouter, et pourquoi ne pas aller jusqu'à cette confession, virgilien ?
Verlaine décrit directement l'intérêt des vers de Rimbaud au plan de la performance esthétique, il célèbre sa capacité à tourner une expression, à trouver un équilibre magique dans la formulation de la phrase : "manque de conjonction", "suspendue et surplombante", "légèreté d'esquisse", "tremblé de facture", "beau balancement lamartinien". C'est de la critique comme tout le monde peut l'aimer, de la critique littéraire à laquelle il n'a rien à redire... Et pourtant, il y a dans ces quelques lignes une pointe de démarche de recherche des sources : "lamartinien, racinien, virgilien".
Je vais en parler, mais pour y arriver je vais passer par la question des rimes, ce qui va avoir une conséquence à la lecture. En effet, quand vous lisez cet extrait de Verlaine, vous avez déjà passé outre à l'idée du "chant des bonnes rimes" et vous séparez le constat de "l'irrégularité de rime" de l'invitation à ressentir le "beau mouvement", "beau balancement".
Or, on va faire ça ici différemment. D'abord, on prend la peine de repérer ce qu'est cette "irrégularité de rime de la dernière stance". Le mot "stance" est employé pour "strophe", je ne m'y attarde pas spécialement. L'irrégularité de rime est l'opposition de marque du pluriel entre "Paresse" et "caresses". Pour des raisons complexes et qui ne sont pas de l'ordre de l'accord du singulier et du pluriel, la rime est entre "Paresse" et "caresses" était proscrite. Soit les deux mots sont au singulier, soit ils sont tous deux au pluriel. On peut remarquer que la rime "Paresse"/"caresses" est soutenue au dernier vers par une assonance à la césure : "Sourdre et mourir sans cesse". On comprend l'idée d'un "tremblé de facture", entre le solennel "vin de la Paresse" flanqué d'une majuscule ostentatoire et le pluriel "caresses", autrement dit on comprend que le "tremblé de facture" de l'émotion haute (pour citer Verlaine) est plutôt du côté de la recherche d'effet sur "vin de la Paresse" que sur le mot "caresses". Certes, le singulier apparaissant en premier, il n'y a aucun effet immédiat sensible, c'est à la lecture de "caresses" que l'irrégularité de rime se révèle à nous. Notons que cette irrégularité de rime va de pair quelque peu avec le constat fait plus haut que nous passons du pluriel de "désirs de baisers" au singulier du "désir de pleurer".
je vais vous frustrer : je n'ai pas encore toutes les réponses, mais je pense que j'ai bien délimité le terrain des investigations futures.
Dans toute la réflexion qui précède, on comprend que Verlaine sait que les rimes ont été particulièrement travaillées dans ce poème quand il parle du "chant des bonnes rimes", et on comprend qu'il ne le fait pas sans une pointe d'humour puisque de prime abord les rimes ici sont assez négligées. Nous avons trois rimes en "-é-", une rime finale de deux verbes à l'infinitif : "délirer" / "pleurer", une symétrie sévèrement appuyée : "désirs de baisers" et "désir de pleurer". Nous avons une variation de rime pour deux mots de la même famille : "charmantes"/"charmeur". Rimbaud ne va pas jusqu'aux rimes de terminaisons grammaticales identiques, cas à part de "délirer"/"pleurer". L'adjectif "craintives" n'a pas été flanqué d'un autre adjectif avec cette terminaison, nous avons la rime "craintives"/"salives".
Bref, jusqu'à un certain point, au plan des rimes, la comparaison avec Racine et Lamartine se justifie.
Racine écrivait des pièces de théâtre en alexandrins où nous rencontrons beaucoup de rimes faciles, et beaucoup de rimes identiques rapprochées les unes des autres. Et Lamartine, malgré les débuts du romantisme, appartenait encore à ce monde-là dans la pratique des rimes.
Rimbaud rime moins facilement que les exemples caricaturaux que nous pourrions extraire des poésies de Lamartine et de Racine, mais la valorisation du "é", les choix non pas de rimes mais de mots à la rime "charmantes" avec terminaison en "-antes" ou "craintives" avec terminaison en "-ives", il y a quelque chose d'une pratique sonore affectée du côté des rimes de la part de Rimbaud dans ce poème. Ajoutons au passage qu'en exhibant l'irrégularité de rime du dernier quatrain, Verlaine crée un parallèle involontaire avec l'unicité de la rime masculine du sonnet "Voyelles", l'un des six seuls poèmes cités dans la rubrique "Arthur Rimbaud" des Poètes maudits.
Verlaine fait de l'irrégularité de rime "Paresse"/"caresses" un argument subtil pour l'expression du sens du poème. Il sous-entend que tout cela a été mûrement réfléchi et qu'il y a une intention derrière.
Pour le quatrain final, l'irrégularité de rime et le manque de conjonction sont deux composantes du beau balancement lamartinien.
Evidemment, Virgile ne composait pas des rimes, puisque la langue latine avec son système de déclinaisons rend quasi complètement absurde l'idée. Le balancement peut s'étudier au plan grammatical, et il conviendrait de faire une enquête du côté des œuvres de Lamartine, Racine et Virgile pour fixer les pièces qui peuvent avoir servi de modèle à Rimbaud, pour opérer des comparaisons fructueuses.
Vous me direz que Rimbaud n'a pas forcément pris modèle sur un extrait de Lamartine, Racine ou Virgile. C'est Verlaine qui parle ici en inspiré et le fait qu'il voyage entre trois possibilités prouverait que son propos n'a rien d'assuré. Il parle tout de même de "confession" dans le cas de Virgile. Notez que l'adjectif "virgilien" correspond à ce que disait Verlaine de la fin "suspendue et surplombante" du poème de Verlaine par son "tremblé de facture". Le même commentaire peut être fait de son placement de l'adjectif "virgilien" dans sa propre phrase. Notez par ailleurs qu'en parlant du "charme du frêle morceau", Verlaine semble citer les deux rimes du poème "charmantes" et "charmeur".
Ce n'est pas tout.
Nous savons, par Steve Murphy, que le poème "Les Chercheuses de poux" réécrit des passages du poème "Le Jugement de Chérubin", et j'ai renforcé les liens de poème à poème depuis l'étude déjà ancienne de Steve Murphy. 
Il faut désormais ajouter au dossier la nouvelle Elias que Mendès a publiée en 1868 et qui avait échappé à toute recension.
Mais, et Murphy le rappelait déjà dans son étude de 1991, Catulle Mendès qui dénigre la poésie de Rimbaud dans son Rapport fait un sort à part au poème "Les Chercheuses de poux", et il se trouve que dans son roman à clefs Dinah Samuel Félicien Champsaur imagine une lecture des "Chercheuses de poux" par un peintre devant Catulle Mendès (je passe sur les travestissements des identités), lequel félicite ce poème d'un mauvais poète. Ce passage de Champsaur a eu une première version publiée dans la presse en 1880, et le peintre à identifier n'était plus Paul Cézanne, mais Renoir. Mais, le fait notable, c'est que Champsaur parle lui aussi d'un style "racinien", alors que ni en 1880, ni en en 1882, il n'a pu avoir connaissance du texte des Poètes maudits paru à la toute fin de l'année 1883.
Je cite l'extrait de la version du passage dans le roman Dinah Samuel. L'équivalent de Cézanne, Paul Albreux, déclare que Rimbaud est le plus grand poète du monde, ce qui fait rire Catulle Tendrès, alias Mendès, sous sa barbe. Cézanne lit alors un poème de Rimbaud, "Les Chercheuses de poux", et la compréhension sexuelle est mise en avant avec l'équivalent verlainien "nuance" de la nouveauté des peintres impressionnistes si on peut dire (même si en réalité les techniques n'ont rien à voir entre poésie et peinture) : "deux sœurs nubiles" et "nuance les langueurs de bébé". Champsaur ne cite que les troisième et quatrième quatrains du poème, puis il décrit la réaction amusée son Paul Albreux, et il est explicitement question de "rimes raciniennes" :
    Albreux, s'abandonnant aux souvenirs provoqués par ces rimes raciniennes, de sa voix qui traîne marmotte une élégie : - Qui de nous n'a éprouvé une indicible volupté à sentir des mains féminines caresser sa chevelure en promenant sur le crâne, en pattes d'araignées, les papilles délicates des bouts de doigts ? [...]
Le mot "élégie" fait songer à certaines qualifications connues pour la tragédie connue de Racine Bérénice. Il se trouve que le 14 juillet 1871 Verlaine a envoyé à Léon Valade une lettre avec un post scriptum qui contenait une parodie de deux dizains enchaînés à la manière des "Promenades et intérieurs" suivie d'une parodie des "Princesses" de Banville avec un sonnet intitulé "Bérénice". La parodie des Promenades et intérieurs est à l'origine de la surabondance de dizains de Rimbaud, Valade et d'autres dans l'Album zutique, tandis que le poème "Bérénice" a été retravaillé par Verlaine qui en a envoyé une deuxième version dans une lettre à Emile Blémont datée du 22 juillet. On parlait de l'unique rime masculine finale de "Voyelles", de l'irrégularité de rime au dernier quatrain des "Chercheuses de poux", et voilà que le sonnet "Bérénice" retravaillé et qui est une parodie de Banville contient un défaut de rime inspirée d'un exemple antérieur d'un sonnet sans rime au dernier vers du recueil Philoméla de Catulle Mendès.
Je citerai les pièces du dossier dans un prochain article d'ici quelques jours.
Vous commencez à découvrir des indices troublants qui permettent de relier Mendès, Banville et Racine au sujet des "Chercheuses de poux". Cette histoire d'un "chant des bonnes rimes" a tout pour inviter Banville à la danse. Désormais, c'est fait.
Qui était Champsaur ?
Le Champsaur est une haute-vallée du département des Hautes-Alpes qui fait partie par exception du bassin de l'Isère, et non de la Durance. Elle a un hymne officieux, une version trafiquée d'une chanson du groupe anglais Queen : "We are the Champsaur, we are the Champsaur / Of the world..." Et On y voit des marmottes, mais elles ne chantent pas d'élégies.
Trêve de plaisanteries.
Félicien Champsaur est né dans les Basses-Alpes et il est monté à Paris en quête de succès, genre Rastignac et Rubempré, sauf qu'il sent trop la bêtise pour faire un personnage de roman intéressant. André Gill a lancé la carrière du bonhomme en 1877 et Champsaur a tenu un rôle dans la rubrique des Hommes d'aujourd'hui avant que Verlaine ne lui succède.
Champsaur a été un proche des hydropathes, Goudeau et consorts. Champsaur et Rollinat sont les deux détesteurs de Rimbaud qui eurent accès à des manuscrits alors inédits de Rimbaud. Rollinat cite dans sa correspondance le "Sonnet du trou du cul" et participe aux Dixains réalistes. Champsaur était un écrivain productif. Posant en baudelairien, Rollinat détestait Rimbaud et Verlaine, et la même chose vaut pour Champsaur comme on le voit par les citations faites plus haut. Champsaur était anticommunard. Au moment de l'amnistie, en 1879-1880, il agressait Rochefort dans la rue, ce qui est paradoxal pour une personne lancée et couvée par André Gill. Il y a eu un regain de lectures de poésies de la génération parnassienne en 1880, époque qui anticipe le succès des Poètes maudits et du Chat noir, des lectures étaient faites du côté de la rue du Moulin rouge, son nom m'échappe à l'instant, au bas donc de Montmartre.
Tout ça, je l'ai repéré en lisant des journaux de l'époque, et cela nous rapproche des citations inédites de vers de Rimbaud en 1883 et 1885.
Champsaur savait que les admirateurs des "Chercheuses de poux" parlaient de "rimes raciniennes", mais il n'était pas dans la confidence visiblement.
Il avait peut-être entendu Verlaine lui-même en parler. Peut-être que Mendès avait eu connaissance des "Chercheuses de poux" à l'époque même où Rimbaud et Verlaine étaient ensemble à Paris entre septembre 1871 et mars 1872, sinon avant le 7 septembre 1872.
Il y a quelque chose à chercher du côté de Racine sans doute. Remarquons que pour Virgile Verlaine parle d'une confession. Virgile écrivait en latin, la recherche pourrait être plus compliquée.
Enfin, il y a le cas de Lamartine.
J'ai acheté cette semaine à la librairie La Comédie humaine à Avignon un roman de Delphine de Girardin le roman La Canne de M. de Balzac (justement !) et en le parcourant j'ai été surpris et scandalisé par la présentation mal faite d'un poème incrusté dans un des derniers chapitres. Les éditeurs n'ont pas respecté les règles d'émargement différentes pour les alexandrins et les vers de six syllabes. Je citerai cela dans un article à part, et j'en ferai un outil intéressant pour revenir sur un sujet rimbaldien. Mais il y a un autre poème cité dans ce roman, un poème inédit de Lamartine, poème qui n'est plus inédit, puisqu'il a été inclus aux Nouvelles Méditations poétiques à partir de la réédition remaniée de 1848. Ce poème est en octosyllabes, donc peu de chances d'y trouver le "beau balancements lamartinien" modèle et source pour Rimbaud. Mais ce qui est intéressant, c'est le thème de la main passée dans les cheveux...
Le poème porte pour titre sa dédicace : "A Monsieur Léon Bruys d'Ouilly". Je ne sais pas comment on peut s'appeler "Bruys d'Ouilly", mais nous avons encore ici une preuve des étendues infinies du possible. La note apportée au roman nous apprend que le poème a été publié en tant qu' "épître inédite" en tête de Thérèse, roman en vers paru en 1836, et roman effectivement de Léon Bruys d'Ouilly au nom qui douille.
Je n'ai pas encore lu le roman de Girardin, j'ai d'emblée voulu connaître la teneur des poèmes en vers intégrés. J'ai lu la note avant de lire le poème, donc je n'ai pas joué à découvrir si c'était du Girardin ou d'un poète d'époque. L'autre poème est de Girardin elle-même.
Enfin, bref ! Je vous cite les passages qui sont thématiquement intéressants à rapprocher de la pièce de Rimbaud, en passant sur le côté duo et les "herbes parfumées", ou sur le fait de "Chercher nos jeunesse fanées" :
Et je pensais, par aventure,
En contemplant cet or mouvant
De ta soyeuse chevelure,
Où ses baisers pleuvaient souvent :

"Charmant visage, enfance heureuse !
"Sans prévoyance et sans oubli,
"Que jamais la gloire ne creuse,
"Sur ce front blanc, le moindre pli.

[...]

"Que jamais ses serres de proie
"N'éclaircissent avant le temps,
"Ces cheveux où ma main se noie,
"Feuillage épais de tes printemps !

[...]

Plein d'ivresse et d'inquiétude,
En écoutant grandir ta voix,
Je repense à ta solitude,
A ton enfance au bord des bois.

Pleure ton fils, ô ma vallée !
[...]
Il y a un gros morceau à réfléchir, ce n'est pas une partie de plaisir pour un rimbaldien, je vais faire comme tous, aller me coucher !

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