Le poème "Vu à Rome" ne reprend-il rien au recueil Les Lèvres closes dont il est déclaré la parodie par Rimbaud lui-même ?
La réécriture la plus manifeste d'après mon enquête concerne les vers 7 et 8 de "Vu à Rome", la deuxième moitié du second quatrain :
[...]
Où se figea la nuit livide
Et l'ancien plain-chant sépulcral.
Les mots à la rime ont forcément une importance particulière, pas besoin d'un enseignement de Banville pour y penser.
L'adjectif "livide" a des connotations très nettes. Il ne s'agit pas d'un mot indifférent à tout type de registre poétique, c'est un terme fortement orienté, aimanté, etc. Ce n'est pas un mot neutre, ni anodin.
L'adjectif "livide" est employé à cinq reprises dans la version finale des Lèvres closes qui date de 1872, mais trois de ces cinq occurrences figurent dans la sélection des contributions de Dierx au premier Parnasse contemporain de 1866. Je cite les cinq occurrences :
Livide, il se dressa debout dans les ténèbres ; ("Lazare", vers 2 : ici le personnage est qualifié de "livide" dans un décor de "ténèbres" assimilable à la "nuit", dans "Vu à Rome", c'est la nuit elle-même qui est "livide".
Fermant les yeux, j'allais dans la nappe livide, ("La Révélation de Jubal", VIII) La "nappe livide" désigne les "eaux déchaînées" qui tombent d'un "ciel de plomb" et il est question d'une "vision", ce mot de "vision" déjà présent dans le titre "La Vision d'Eve" d'un poème d'un autre recueil offre une passerelle avec le quelque peu hugolien "vu" de "Vu à Rome". Il va de soi que de "vision" à "vu" il y a un mouvement de désacralisation. L'abandon à la "nappe livide" signifie aussi l'acceptation d'un sort mortel, la "nuit livide" étant liée à l'expérience de l'approche de la mort dans "Vu à Rome".
Le mot "livide" au singulier est à la rime dans les deux poèmes ici rapprochés.
Dans "Vu à Rome", "livide" rime avec "Thébaïde" qui vient antérieurement au vers 5. Dans "La Révélation de Jubal", le mot "livide" rime avec "vide" qui vient plus loin. Nous sommes dans une épreuve surhumaine avec la mer qui remplit le vide, une épreuve pour un ascète de Thébaïde. On peut noter aussi que "nuit" et "nappe" commencent tous deux par la même consonne initiale "n".
Il entre en leur pensée, et sous sa chair livide ("Dolorosa mater")
Ici, "livide" rime à nouveau avec "vide", mais le mot "vide" apparaît avant "livide" cette fois. Il est question de "mondes suspendus à jamais dans le vide". Une Thébaïde est un lieu désertique où on s'affronte à une solitude profonde. C'est un peu une confrontation avec le vide que je sache.
Le lien entre les mots "Thébaïde" et "vide" n'a rien d'absurde.
Leur râle entrechoquant les ramures livides ("Soir d'octobre")
Nous avons un troisième emploi à la rime, certes au pluriel, mais pour un poème qui comporte "soir" dans son titre un avant-goût donc de la nuit, et le mot rime à nouveau avec "vides" lui aussi cette fois au pluriel évidemment.
Les trois occurrences de "Lazare", "Soir d'octobre" et "Dolorosa mater" figurent dans la sélection restreinte du Parnasse contemporain de 1866.
Il n'y a que deux occurrence supplémentaires dans le reste du recueil.
Citons enfin la dernière occurrence : "livides" au pluriel qui rime cette fois avec "avides" le précédant, l'avidité étant aussi une idée d'épreuve pour un ascète de Thébaïde. Avec le mot "Thébaïde", Rimbaud a réussi à faire se croiser les idées des adjectifs "vide(s)" et "avide(s)" des performances rimiques de Dierx.
Cette cinquième occurrence figure dans le poème intitulé "Jamais" et l'adjectif "livides" qualifie des "cieux", ce qui nous rapproche clairement de l'expression "nuit livide" de "Vu à Rome".
Et j'ai vérifié, les cinq poèmes contenant les cinq occurrences se trouvent tous dans l'édition originale de 1867 des Lèvres closes.
On peut me raconter tant qu'on veut que les "cieux livides" et la "nuit livide", c'est banal, mais il y a un moment où il faut savoir admettre les faits. Rimbaud n'a pas menti, il a bien extrait un adjectif caractéristique de l'esthétique ambiancée des poèmes dierxiens.
Dois-je lancer sans délai la recension du mot "livide" dans le recueil Poèmes et poésies. Nous verrons cela ultérieurement. Notons que le second Parnasse contemporain contient des poèmes du premier recueil de Dierx. Je n'ai pas encore étudié les raisons de ce chassé-croisé, comme je n'ai pas encore vérifié l'éventuelle participation de Dierx au volume Sonnets et eaux-fortes.
Le mot "nuit" étant inévitablement plus banal, ma deuxième recherche doit porter sur la forme verbale "se figea". Je choisis de chercher les formes "fig" pour "figer" et "fix" pour "fixer". Si j'écarte une mention "figure", je ne relève que deux mentions verbales "figer", et surtout une seule mention de la forme pronominale "se figer". Et comme par hasard, cette unique mention se rencontre dans le poème "Lazare", le premier poème de la série de Dierx du Parnasse contemporain de 1866, "Lazare" étant le deuxième poème des Lèvres closes mais en même temps son vrai départ après une pièce intitulée "Prologue". Quand on procède par ordre, on sait déjà que "où se figea la nuit livide" concentre deux emprunts au seul poème "Lazare", poème sur la résurrection vécue comme un accablement, sujet soulevé d'évidence par l'odeur pestilentielle fourrée dans des narines de corps momifiés.
Et le sang se figeait aux veines du plus brave, / [...]
Je relève par acquit de conscience la deuxième occurrence :
Quand sous tes seins, figés alors entre tes bras,S'élargissait un vide aux voûtes taciturnes ;[...]
Il s'agit d'une citation de "La Chanson de Mâhall" qui figure aussi dans l'édition originale de 1867 des Lèvres closes. Et nous avons une mention nouvelle du "vide" en prime. Il n'y a pas une ironie du vide dans "Vu à Rome" par hasard : "sécheresse mystique", tout ça, tout ça ?
Je relève sept occurrence de la forme "fix" pour des mots de la même famille de "fixer" et "fixement". Le relevé n'est pas inintéressant en soi, puisque la fixité exprime volontiers le figement dans les pièces concernées.
Il y a 42 occurrences de la forme "nuit" dans le recueil. D'après un rapide survol, il s'agit exclusivement de formes au singulier ou au pluriel du nom "nuit(s)". Je n'ai pas relevé la forme verbale "nuit" sauf inattention de ma part.
Le relevé est lui aussi particulièrement intéressant. Nous avons des énumérations où "nuit" et "solitude" se joignent, nous avons l'emploi de "couvert" qui justement va avec une mention de "nuit", couvert de silence et de nuit". Vous avez une "nuit" "où la voix se perdait", ce qui correspond en idée à "où se figea la nuit livide / Et l'ancien plain-chant sépulcral". Je cite là un extrait de "La Révélation de Jubal". Nous avons droit à des "abîmes de nuit", à des "anges de nuit" qui traînent de "lourds suaires", une "nuit" qui embrasse un être "de son épais linceul", avec une reprise immédiate en tête de vers similaire au cas du mot "Nez" dans "Vu à Rome" :
Et la nuit l'embrassa de son épais linceul,Nuit telle qu'un vivant n'en peut jamais connaître.
Il s'agit de deux vers du poème "Le Rêve de la Mort", pièce du recueil de 1867 toujours, et la mention suivante du mot "nuit" dans le poème est tout aussi significative dans un rapprochement avec "Vu à Rome" :
La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage ;
puisque l'immondice schismatique est comparablement filtré dans les narines ("introduit" en "poudre fine") pour un résultat opposé.
Citons l'ultime occurrence qui se trouve dans le poème conclusif du recueil de 1867 : "Marche funèbre" :
La nuit funèbre étend ses suaires immenses.
Il n'y a pas d'occurrence de "plain-chant" dans le recueil de Dierx, mais la forme "plain" révèle des mentions intéressantes de soit le nom "plaine" soit des mots de la famille de "plainte", c'est ces derniers cas qui sont intéressants à relever car il s'agit d'air plaintif, de soupir de plainte, etc., ce qui nous rapproche de l'idée d'un plain-chant sépulcral. De toute façon, j'ai montré que les chants douloureux de la Nature étaient des sortes de "plain-chants sépulcraux" dans les poèmes de Dierx et que la métaphore se déployait sur tout un poème parfois. Et cela concerne le premier Parnasse contemporain de 1866.
Je m'épargne pour l'instant le relevé de la forme "chant", je passe à "sépulcr". Je relève quatre occurrences.
La première reconduit une forme conjuguée de "filtrer", intéressant, n'est-ce pas ?
Mais le sépulcre en moi laissa filtrer ses rêves, nous sommes dans les premiers quatrains du "Prologue" seulement !
La deuxième occurrence est dans "Lazare", on revient à ce poème pour la troisième fois "livide", "se fige[r]" et "sépulcre", et "nuit" est aussi impliqué. "Lazare" est clairement cité dans "Vu à Rome", la question ne se pose pas : "Revenant du sépulcre où tous étaient restés." J'hésite à relever la construction de la relative pour une idée de mort : "où tous étaient restés", "où se figea la nuit livide", on va encore me taxer de rapprochements aventureux.
Evidemment, "sépulcre" figure aussi dans le sonnet "Journée d'hiver" avec l'amorce de l'adjectif "anciens" antéposé à "sanctuaire", lequel nom "sanctuaires" sert de relais intermédiaire pour lier "ancien" et "sépulcre". C'est évident que dans "ancien plain-chant sépulcral" on a une allusion au dernier tercet de "Journée d'hiver" :
Songe aux échos muets des anciens sanctuaires.Sépulcre aussi, rempli de cendres jusqu'au bord,[...] songe aux morts !
L'immondice schismatique c'est une façon de songer aux morts en s'occupant d'eux. La quatrième occurrence, c'est l'adjectif "sépulcrale" lui-même à la rime et cela dans le dernier poème du recueil "Marche funèbre". Rimbaud accorde l'adjectif au masculin, mais on a compris la citation voulue de "Marche funèbre" :
Le sol frappé résonne en rumeur sépulcrale.
Enfin, il y a huit occurrences de mots de la famille de l'adjectif "ancien", le relevé est là encore intéressant avec "anciennes visions", "ancien orgueil", "anciens désirs", l'oubli du "martyre ancien", l'idée que "La mort a des secrets plus anciens que la tombe !" et un "ancien secret des métempsycoses".
Vous notez bien que Léon Dierx n'emploie pas l'adjectif "ancien" pour parler trivialement de "vieilles chemises" et de personnes du troisième âge... Il a des constantes en phase avec le discours tenu dans le ramassé "Vu à Rome".
Si maintenant les rapprochements ne vous paraissent toujours pas convaincants, c'est à désespérer là !
J'ai d'autres idées encore d'investigation, mais je dois passer ma vie et mon énergie à vous prouver que j'ai raison sur chaque détail.
Vous prétendez savoir d'évidence la valeur relative de mes propos, vous prétendez savoir d'évidence la direction à donner à une étude sur un poème, vous prétendez savoir d'évidence ce que doit être ou ne pas être la ligne interprétative d'un poème, et à l'usure sur plusieurs années je fais ce qu'aucun rimbaldien n'a su faire, ce qu'aucun rimbaldien n'a été capable de prendre en route en en appréciant la pertinence. Je vous montre par A plus B que vous cachez des difficultés sous le tapis.
Vous me parlez comme à un chien, vous me donnez un os en récompense pour me nourri d'os à moelle tête si j'ai fait un truc qui vous apporte, vous êtes du genre à vous dire que je ne ramène des résultats que par obstination, persévérance, application à l'étude, alors que vous seriez naturellement brillants. Je précise que JAMAIS un rimbaldien ne m'introduit en tiers dans un débat dont un article peut rendre compte. Je ne suis cité que pour des résultats factuels, ce que je pense on s'en fout. J'ai fait du bon travail de Médor qui peut vous être utile, mais à partir du moment où sur plusieurs années vous n'avez pas voulu de mon résultat, vous n'avez pas voulu reprendre un travail que je laissais pourtant en jachère et qu'à la fin je montre que j'avais raison depuis le début, mais qu'il fallait organiser ça en un tout abouti, c'est bien qu'il y a une faille dans l'édifice d'assurance des pontes officiels.
Moi, je l'attends la mise au point sur la prose liminaire d'Une saison en enfer. Ce que j'ai à dire ça n'a pas l'air de se résumer à de l'immondice schismatique.
Le jour où un mec qui vous déplaît exhibe le manuscrit retrouvé des "Veilleurs", vous faites quoi ? Vous niez la découverte pendant quinze ans jusqu'à ce que ce ne soit plus tenable ?
Moi, mon travail sur l'Album zutique n'est pas reconnu à sa juste valeur, l'énorme quantité de mises au point sur "Voyelles" passe à l'as, mon travail phénoménal sur Une saison en enfer est daubé, sauf qu'on ne trouve rien à me répliquer. Sur la versification, mais sans être meilleur en rigueur méthodique que Cornulier, je suis allé plus loin que lui dans les conclusions, dans les découvertes. Sur les manuscrits, j'ai fait des mises au point décisives pour devoir supporter la rigolomania d'un Marc Dominicy sur "L'Homme juste". On va nier jusqu'à quand que les manuscrits des poèmes en prose on a des interventions non de Rimbaud mais de la revue La Vogue. Et la photo de la copie manuscrite de deux strophes de "Paris se repeuple", ça ne vous intéresse pas ? Vous ne vous demandez pas de qui est l'écriture ? Je ne l'ai toujours pas publiée, mais personne ne me l'a jamais demandée.
Et il faudrait que je garde mon calme.
La photographie du "Coin de table à Aden", qui me vaut une partie de mes ennuis, vous n'êtes pas mécontents qu'elle ne soit plus acceptée. Il y avait des gens qui savaient et dont le silence était comme acheté parmi les rimbaldiens.
Tout ça doit cesser !
Le plaisir des études rimbaldiennes, il est vécu personnellement quand on trouve un résultat, alors tous les résultats qui m'ont été pillés, certes c'est frustrant, mais les étapes de plaisir de la découverte c'est moi qui les a vécues de toute façon. On peut me piller, je continue tout le temps à produire. Je ne m'éteins pas, je n'ai pas d'inquiétude à ce sujet tant que je suis vivant.
Oui, s'emparer de la réputation de dire des trucs décisifs sur Rimbaud, ça aide des carrières, mais bon moi mon plaisir il est de comprendre Rimbaud et il est dans l'exaltation de savoir me confronter aux difficultés.
Et quand j'avance péniblement des résultats flous, je ne renonce pas tout de suite sous prétexte que je suis encore loin du compte. Et si on me trouve lent, pourquoi personne de rapide ne rebondit sur le début des mes enquêtes en me dérobant définitivement la vedette ?
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