Au centre du débat, il y a le dizain "Ressouvenir".
Je le cite !
RessouvenirCette année où naquit le Prince impérialMe laisse un souvenir largement cordialD'un Paris limpide où des N d'or et de neigeAux grilles du palais, aux gradins du manège,Eclatent, tricolorement enrubannés.Dans le remous public des grands chapeaux fanés,Des chauds gilets à fleurs, des vieilles redingotes,Et des chants d'ouvriers anciens dans les gargotes,Sur des châles jonchés l'Empereur marche, noirEt propre, avec la Sainte Espagnole, le soir.
Ce poème contient la rime "redingotes" / "gargotes". Les deux mots sont rarement mis à la rime dans un poème et le fait qu'ils riment entre eux est plus rare encore. Ils appartiennent quelque peu à un registre réaliste encore audacieux pour la poésie lyrique en 1871, pourrait-on dire. Fait extraordinaire, cette rime figure dans un dizain que Coppée n'a publié que quelques années plus tard en 1874. le poème étant une parodie de Coppée, il est forcé que Rimbaud ait lu soit une pré-originale du dizain de Coppée, soit une version manuscrite.
Aucun rimbaldien n'a signalé à l'attention une quelconque pré-originale quant au dizain en question. Mais, si je parviens à montrer que Rimbaud s'est inspiré de plusieurs poèmes inédits et que cela pourrait bien être le cas aussi pour Verlaine, ce sera plus intéressant que de démontrer une source au cas par cas.
J'implique Verlaine parce qu'il a quitté le milieu littéraire parisien avec Rimbaud autour du 7 juillet 1872 pour vivre et voyager en Belgique puis à Londres. Et, à partir de juillet 1873, Verlaine a été incarcéré. Il ne sera libéré qu'au début de l'année 1875. Pourtant, entre-temps, il a composé de nouveaux dizains à la manière de Coppée.
Le but est d'étudier de près les dizains de Verlaine et de Rimbaud, voire de Charles Cros, Léon Valade, Germain Nouveau ou André Gill pour éprouver s'il y a une présence ou non d'emprunts à des pièces encore inédites de François Coppée.
Tant qu'une seule source est soupçonnée, il est tentant de tout fonder sur l'espoir d'accéder un jour à une pré-originale, mais si les sources sont multiples la recherche d'une pré-originale devient inutile : nous pouvons sans craindre de nous tromper acter que Rimbaud a eu une connaissance d'un dossier manuscrit inédit de poèmes de Coppée, et à ce moment-là il appartient à l'histoire littéraire de pointer du doigt les possibilités d'un tel événement.
Commençons par constater la présence de la rime équivalente à celle de Rimbaud dans un dizain de François Coppée. Coppée a publié un recueil de vers anciens, Le Cahier rouge, en 1874. L'ensemble épouse des formes poétiques variées, mais nous avons droit à quelques dizains, avec cette nouveauté chez Coppée qu'ils portent désormais des titres, ce qui n'était pas le cas pour les deux séries de "Promenades et intérieurs". Les dizains sont isolés les uns des autres dans ce volume collectif, ce qui justifie l'adjonction d'un titre, mais notons aussi ce paradoxe que la pratique de mettre un titre aux dizains de rimes plates a commencé dans l'Album zutique. Coppée rejoint ici ceux qui l'ont imité, à moins que très tôt les membres du Cercle du Zutisme aient eu accès à des dizains inédits de Coppée portant déjà un titre en octobre 1871. Dans l'ordre de défilement des pages de l'Album zutique, Charles Cros semble le premier à avoir flanqué d'un titre un dizain à la Coppée, il s'agit de "Oaristys" qui ne doit pas être confondu avec un autre poème de Cros portant ce titre.
Soyons plus précis, les deux dizains que Verlaine a envoyés à Léon Valade dans une lettre du 14 juillet 1871 étaient numérotés en série, mais n'avaient aucun titre. Au recto du feuillet 3, les deux dizains enchaînés de Rimbaud n'ont aucun titre. Et au verso de la page suivante, le dizain de Léon Valade "Malgré son nez d'argent..." n'a pas non plus de titre. Le premier dizain à porter un titre est comme je l'ai dit "Oaristys" de Charles Cros au recto du feuillet 4. Ensuite, nous avons un dizain tronqué, on dirait un "huitain" par Verlaine qui porte le titre "Remembrances", titre auquel Rimbaud va faire écho avec "Les Remembrances du vieillard idiot" et "Ressouvenir", deux poèmes consécutifs dans l'économie de l'Album zutique, et les deux dernières contributions zutiques de Rimbaud, partant les deux dernières parodies explicites de Coppée par Rimbaud.
Après "Remembrances" de Verlaine, dont je rappelle qu'il existe une version en dix vers, nous avons quelques pages d'autres expériences poétiques, et enfin un dizain de rimes plates faussement attribué à Etienne Carjat, et contre-signé par André Gill, son véritable auteur. Ce dizain d'André Gill au verso du feuillet 7 n'a aucun titre. En revanche, à partir du recto du feuillet 8, les dizains sans titre pour ce qui est de Rimbaud et Valade deviennent minoritaires : "Oh ! qui n'a pas rêvé..." de Valade, "Les soirs d'été..." et un dizain déchiré de Rimbaud, "Aux livres de chevet..." de Rimbaud,
les autres dizains de Léon Valade et Arthur Rimbaud auront presque tous un titre, à l'exception de "Oh ! qui n'a pas rêvé..." de Valade au recto du feuillet 9 et de "Les soirs d'été..." et un dizain déchiré de Rimbaud au recto du feuillet non numéroté 13 ou 14. Je cite les pièces : "L'Orpheline" de Valade, "Etat de siège ?" de Rimbaud, "Le Balai" de Rimbaud, "Pieux souvenir" de Valade, "Epilogue" de Valade, "L'Orgue" de Valade, "Intérieur" de Valade, "Ressouvenir" de Rimbaud. Verlaine ne met pas de titre à trois des cinq dizains qu'il transcrit, mais rappelons que deux d'entre eux furent envoyés à Valade le 14 juillet 1871. Donc, Verlaine apporte un troisième dizain sans titre : "Souvenir d'une enfance...", mais en coiffe sa quatrième contribution "Bouillon-Duval", et notez que le titre "Remembrances" est dans la continuité de l'attaque "Souvenir d'une enfance...". Charles Cros a une évolution inverse : il ne met pas de titre cette fois à son second dizain zutique : "Dans les douces tiédeurs..." Raoul Ponchon en met un à son "Intérieur (d'omnibus)" qui s'inspire du titre "Intérieur" d'un dizain de Valade, un inconnu met un titre au sien "Garçon de café". André Gill continue de ne pas fournir de titre pour sa part.
Citons le dizain de Coppée qui contient la rime "redingote"/"gargote". Il s'intitule "Croquis de banlieue", nous le transcrivons avec la dédicace, mais en rappelant qu'elle a pu n'apparaître qu'au moment de la mise sous presse du volume, tout comme le titre répliqueront les plus enquiquineurs.
Croquis de banlieueA Jules ChristopheL'homme, en manches de veste, et sous son chapeau noir,A cause du soleil, ayant mis son mouchoir,Tire gaillardement la petite voiturePour faire prendre l'air à sa progéniture :Deux bébés, l'un qui dort, l'autre suçant son doigt.La femme suit et pousse, ainsi qu'elle le doit,Très lasse, et sous son bras portant la redingote ;Et l'on s'en va dîner dans une humble gargoteOù sur le mur est peint - vous savez, à Clamart ? -Un lapin mort, avec trois billes de billard.
Observez la symétrie. La rime est au singulier chez Coppée, au pluriel chez Rimbaud, mais l'ordre de défilement est le même : "redingote(s)" puis "gargote(s)", et dans les deux dizains la rime est aux vers 7 et 8, c'est dans les deux cas l'avant-dernière rime du poème. Nous pouvons remarquer l'écho entre la rime finale de Rimbaud "noir"/"soir", et celle de Coppée : "Clamart"/"billard". Notons que le mot "noir" est à la rime au premier vers du dizain de Coppée. Rimbaud semble avoir repris également le nom "chapeaux" au pluriel à son modèle et nous pouvons envisager des équivalences "manches de veste" contre "gilets à fleurs". Il est question de progéniture et de couple dans les deux poèmes : d'un côté le souvenir de la naissance du Prince Impérial avec une description d'une promenade de l'Empereur et de l'Impératrice, la "Sainte Espagnole", de l'autre un père avec ses deux bébés, et une femme lasse qui le suit. Notons que dans le dizain de Rimbaud, l'expression "vieilles redingotes" semble se nourrir en idée de tout le vers 7 symétrique de Coppée, la femme "Très lasse" comme vieillie du coup porte sous son bras la redingote...
J'ai même envie d'aller plus loin. Le mot "bébés" fait penser quelque peu à l'attaque du dizain de Verlaine : "Souvenir d'une enfance austèrement bébête", et surtout pour le bébé "suçant son doigt" nous avons une équivalence dans un autre dizain de Rimbaud : "Les soirs d'été..." avec le vers suivant : "Suceurs du brûle-gueule, ou baiseurs du cigare,"sachant que le vers 2 avec la mention "grilles" favorise aussi un rapprochement avec "Ressouvenir" : "Quand la sève frémit sous les grilles obscures / [...]".
Certains poèmes du Cahier rouge ont connu une pré-originale. Cyril Balma citait récemment le poème "Aux amputés de la guerre". Mais, pour en rester pour l'instant sur le cas de la pièce "Ressouvenir", j'observe encore deux faits intéressants dans le cas de "Croquis de banlieue", nous avons une qualification par l'adjectif "humble" : "une humble gargote", qualification appliqué au "balai" dans le dizain qui porte ce nom, et notons que la suite immédiate de "Croquis de banlieue" a d'autres contreparties dans le dizain "Le Balai" : "Où sur le mur est peint" face à "la peinture d'un mur". L'adjectif "humble" peut avoir été privilégié par Coppée au-delà de son recueil Les Humbles, il n'en reste pas moins qu'il ne s'en rencontre qu'une seule fois dans les deux séries de "Promenades et intérieurs" publiés, uniquement dans le dizain "Près du rail où souvent passe comme un éclair..." paru dans Le Monde illustré le 8 juillet 1871, il est question alors d'un "humble logis". Notons aussi le rôle dévolu à la femme "ainsi qu'elle le doit" qui fait écho au titre de la pièce de Coppée Fais ce que dois, ce mot d'ordre étant affiché constamment dans les pages du journal Le Monde illustré à l'époque.
Voici ce qu'écrit Coppée dans l'Avertissement qui introduit à la lecture du Cahier rouge :
[...] nous avions l'habitude, à nos heures de fatigue, d'ouvrir un mince cahier rouge qui traîne toujours sur notre table et de nous délasser en y écrivant quelques poésies fugitives, à peu près comme un enfant paresseux illustre de pierrots pendus les marges de sa grammaire.C'étaient parfois des strophes qu'on nous faisait l'honneur de nous demander, en faveur des oeuvres patriotiques fondées à la suite des récents malheurs de la France ; mais, plus souvent, c'étaient de simples fantaisies, des notes rapides, des croquis jetés, ou bien encore une plainte que nous arrachait notre mal ordinaire, le spleen. Il nous arrivait aussi de transcrire sur le cahier rouge d'anciens vers de jeunesse [...]
La phrase "nous avions l'habitude" relève probablement de la coïncidence bien farce, puisque cette préface est datée de "mai 1874". En tout cas, nous constatons que certaines pièces correspondaient à des commandes, que certains poèmes sont anciens. Nous avons donc de la matière pour supposer que Coppée ne se faisait guère prier pour montrer ses créations intimes à ses collègues et amis poètes à Paris.
Et, justement, voici ce qu'il écrit encore un peu plus loin :
[...] quelques amis, trop indulgents sans doute, furent d'un avis opposé et nous assurèrent que notre cahier manuscrit pouvait devenir une plaquette imprimée.
On peut se demander si parmi ces "amis" ne se glissaient pas quelques auteurs pince-sans-rire ayant participé au volume des Dixains réalistes deux ans plus tard.
A mon avis, les zutistes qui avaient envie de s'amuser ont dû habilement amener Coppée à leur faire confidence de sa production intime réservée, et cela dès le mois d'octobre 1871, au vu d'échos zutiques probables à des poèmes demeurés inédits de Coppée. Il y a eu un dîner des Vilains Bonshommes à la fin du mois de septembre 1871, et Rimbaud y était. Tous les jours à Paris, à ce moment-là, Rimbaud pouvait faire diverses rencontres littéraires. Je remarque aussi que les transcriptions des "Remembrances du vieillard idiot" et de "Ressouvenir" datent de la mi-novembre 1871, vu les dates jalonnant les pages de l'Album zutique, et c'est précisément à la mi-novembre qu'un entrefilet va dénoncer l'hypocrisie des parnassiens qui sont allés applaudir la première de L'Abandonnée de Coppée alors qu'il semble y avoir des divergences politiques avec lui de quelques-uns et aussi de la jalousie. Et l'entrefilet évoque sans le nommer le cas de Verlaine qui rentré ivre chez lui a battu sa femme devant son enfant d'à peine trois semaines. Et remarquons à ce sujet à quel point est ironique et grinçante la présence dans l'Album zutique le dizain parodique d'André Gill : "Il la battait sans fiel..." où il est d'ailleurs question d'un enfant. André Gill a-t-il agi par en-dessous contre Verlaine ?
Notons que l'entrefilet coïncide avec la fin d'existence du premier cercle du Zutisme. On parle souvent de Mérat ou des frères Cros, mais l'hostilité de Mérat en cache sans doute d'autres, et la rupture avec les frères Cros semble plus tardive. En revanche, pourquoi n'est-il plus jamais question d'André Gill, chez qui Rimbaud avait logé en arrivant à Paris en février 1871 ? L'Album zutique était visiblement détenu par Valade, le proche ami de Mérat, et Verlaine va souvent se plaindre que Valade ne répond pas à son courrier par la suite.
Mais revenons à notre sujet. De la mi-septembre à la mi-novembre 1871, il est évident que Rimbaud a eu accès aux poèmes inédits de Coppée, éventuellement encore au-delà.
Je remarque que au-delà de "Plus de sang" daté d'avril 1871 et paru à ce moment-là Coppée a écrit plusieurs poèmes en 1871 en octosyllabes avec mention d'une ou plusieurs fauvettes, avec mentions aussi de corbeaux, ce qui relance l'idée d'une allusion à Coppée dans le poème "Les Corbeaux", d'autant qu'il est aussi question de "soir embaumé" dans les pièces récentes de Coppée. Après tout, le mot "angelus" mentionné dans "Les Corbeaux" peut lui aussi être une allusion au "poème moderne" de ce titre.
A propos du dizain "Le Balai", l'expression "L'usage en est navrant", bien que Coppée utilise plusieurs fois auparavant la forme verbale "navrer", sinon parfois l'adjectif "navrant", m'a semblé très proche d'un hémistiche du Cahier rouge, mais je ne l'ai pas noté, je le citerai ultérieurement. Et puis, il y a le long récit Olivier... Il ne doit pas être confondu avec Le Cahier rouge, me direz-vous ! Mais expliquez-moi pourquoi certains passages de ce récit Olivier sont d'indéniables sources au poème "Ressouvenir" !
Je cite les vers suivants au milieu de la partie II du récit :
[...]Olivier habitait un de ces boulevardsDes faubourgs qui s'en vont du côté des banlieues.Là-bas, vers l'horizon et les collines bleues,Le peuple du quartier populaire et lointainBornant le Luxembourg et le pays latin,Allait aux bois voisins, foule bruyante et gaie,- Car c'était justement un dimanche de paie, -Pour revenir le soir, les chapeaux de travers,Les habits sous le bras et les gilets ouverts,Et chantant le vin frais comme on chante victoire.Les marronniers touffus, près de l'Observatoire,Embaumaient, énervants, et sur les piétonsJetaient leurs fleurs avec les premiers hannetons.En gants blancs et tout fiers de leur grande tenue,Des couples de soldats émaillaient l'avenue.Des amoureux allaient, gais comme une chanson,Faire leurs nids d'un jour à Sceaux, à Robinson,Sous les bosquets poudreux où l'on sert des fritures.Des gens à mirlitons surchargeaient les voitures.Entre les petits ifs, aux portes des cafés,On buvait ; et, jetant des rires étouffés,Nu-tête et deux par deux, passaient des jeunes filles.A la foule joyeuse ouvrant ses larges grilles,Le Luxembourg, splendide et calme, apparaissait,Inondé d'un soleil radieux qui faisaitPlus vert les vieux massifs et plus blancs les vieux marbres.A quelques pas, Guignol s'enrouait sous les arbres.Et le chant des oiseaux dominait tous ces cris.C'était bien le printemps, un dimanche, à Paris.
L'extrait cité est conséquent. Il reprend clairement la continuité de "Croquis de banlieue". Nous avons la mention de la banlieue, mais aussi l'occurrence à nouveau des "chapeaux", et nous avons aussi la reprise de l'idée de la redingote sous le bras de la femme avec "Les habits sous le bras et les gilets ouverts". Je suis donc en train de montrer que deux passages inédits distincts des poésies de Coppée ont inspiré la composition du poème "Ressouvenir" par Rimbaud, mais qu'en plus il y a des reprises de Coppée lui-même de l'un à l'autre passage en question. Enfin, dans le récit Olivier, pourtant très long, nous avons une localisation qui coïncide avec "Ressouvenir" une promenade à Paris du côté des "grilles du palais" du Luxembourg. Ce n'est pas tout. J'aurais des alexandrins de Coppée à citer pour le balancement binaire : "Aux grilles du palais, aux gradins du manège", et il y en a au moins un de sensible dans les vers précédents du récit Olivier, mais la reprise du mot "chapeaux" est plus sensible par rapport à cet extrait du récit Olivier que par rapport au dizain "Croquis de banlieue". En effet, vous avez une concentration de termes clefs repris par Rimbaud : "gilets", "chapeaux" et "grilles". Le terme "gilets" n'apparaît pas partout dans les vers de Coppée. Ici, vous avez, avec en prime une mention "le soir" à la césure, deux vers qui rassemblent en une énumération les "chapeaux" et les "gilets" :
[...]Pour revenir le soir, les chapeaux de travers,Les habits sous le bras et les gilets ouverts,[...]
La symétrie est sensible avec les deux vers consécutifs de Rimbaud :
[...]Dans le remous public des grands chapeaux fanés,Des chauds gilets à fleurs, des vieilles redingotes,[...]
Notez aussi que Coppée n'emploie jamais "marronniers" dans ses vers. Dans l'extrait cité ci-dessus, vous avez des "marronniers touffus" qui peuvent enfin faire un écho coppéen aux "marronniers nains" de "Je préfère sans doute..." Vous avez au même endroit l'idée que ces marronniers jettent leurs fleurs sur les passants, ce qui est inversé par les chiens massacrant les fleurs de plate-bande dans le dizain rimbaldien correspondant. Preuve accablante, nous avons un lien avec le premier dizain zutique porteur d'un titre "Oaristys", puisque "couples de pioupious" de Charles Cros réécrit visiblement "couples de soldats" du présent extrait cité du récit Olivier. On retrouve les amants du côté des "bosquets poudreux", des "ifs", des fritures, des "cafés", le fait de boire ("On buvait"), l'importance des "larges grilles" du Luxembourg reprises en "grilles du palais" dans "Ressouvenir", l'idée du soleil dans "Paris" est transposée en "Paris limpide" avec des "N d'or ou de neige". Et la promenade dominicale de l'Empereur est comparée à la splendeur du jardin du Luxembourg : "Le Luxembourg, splendide et calme, apparaissait"[,] avec césure entre les deux adjectifs coordonnés, et "l'Empereur marche, noir / Et propre" avec chevauchement à l'entrevers cette fois des adjectifs coordonnés.
Alors, si vous avez encore d'invraisemblables réticences, je vous assomme tout de suite avec un troisième extrait des publications futures de Coppée, et donc avec un deuxième extrait du long poème intitulé Olivier. Il s'agit de la section III du poème :
[...]L'ouvrier promenait son enfant et sa femme.Sur les trottoirs les plus paisibles du Marais,Le petit monde, assis dehors, prenait le frais.C'était un jour de fête et de boutiques closes.Plein de chapeaux de paille et de toilettes roses,Sur la Seine fumaient les bateaux à vapeur.Dans les squares publics, la bonne et le sapeurCommençaient sur les bancs l'idylle habituelle.Pas d'humble carrefour, pas de triste ruelleQui ne servît aux jeux d'enfants endimanchés !Des mariés d'hier, l'un vers l'autre penchés,Allaient, l'homme un peu fier, et la femme un peu pâle,Ayant encor la fleur d'oranger et le châleDe noce, et tous les deux très gênés de leurs gants
Notez la mention d'un "châle" à la rime, cela deviendra "châles jonchés" sur le passage de l'Empereur. L'adjectif "endimanchés" fait songer au choix rimbaldien "enrubannés". Nous relevons une scène rappelant le poème "Le Banc" qui a inspiré le dizain "Oaristys" à Charles Cros. Nouvel élément qui laisse à penser que Cros a écrit "Oaristys" en ayant le cahier rouge des poésies inédites de Franbçois Coppée... Cette lecture a été partagée je ne sais quand, par Rimbaud et Verlaine. Et cela a l'air même d'avoir eu lieu avant les réunions du Zutisme.
Le poème Olivier se poursuit avec des éléments suggestifs pour nous : "nobles jardins", "grands plis des drapeaux", "L'Arc e Triomphe au loin doré par un rayon," et je vous invite maintenant à un quatrième extrait à rapprocher de l'unique dizain "Ressouvenir". Nous sommes dans la partie IV, et Olivier s'est refusé à la fête de la foule pour s'enfoncer dans la solitude et il commence à vivre par... le souvenir :
Et comme si ce fût un souvenir d'hier,Il revécut les temps lointains de son enfance.
Dans le dizain rimbaldien, le "souvenir cordial" est du côté de la foule parisienne en revanche, mais notez aussi que ces deux vers entrent en résonance avec l'incipit du dizain verlainien : "Souvenir d'une enfance austèrement bébête..."
Le récit exalté du souvenir se poursuit et j'y relève ces deux vers avec la même rime "noir"/"soir" que les deux derniers vers de "Ressouvenir" :
[...]
- Puis l'école, où parfois le tirait par l'oreille
Le maître en pince-nez de fer, en bonnet noir,
Et l'orme de la place où l'on dansait le soir
[...]
Le maître est retourné en figure d'Empereur.
Après ce rêve, Olivier embarque dans un train et il met son front par-delà la fenêtre d'un wagon.
Après ce rêve, Olivier embarque dans un train et il met son front par-delà la fenêtre d'un wagon.
Voilà, je continue d'imposer des sources coppéennes inédites. Je précise que cela fait des années que je plaide pour un accès de Rimbaud à "Croquis de banlieue" et au récit Olivier, mais j'ai amélioré mon étude des points de comparaison, et j'ai mobilisé le dizain "Oaristys" de Charles Cros, les mentions "marronniers" pour "Je préfère sans doute..." et "suçant" pour "Les soirs d'été,..."
Le dossier est accablant, n'est-ce pas ?
A suivre donc !
Bonjour...
RépondreSupprimerLes dizains du Cahier rouge avaient paru dans le Gaulois en mars 1873, sans titre. Celui avec redingote le 11 mars.
https://www.retronews.fr/journal/le-gaulois/11-mars-1873/37/661835/1?from=%2Fsearch%23allTerms%3DRedingote%2520gargote%26exact%3Dtrue%26sort%3Dscore%26publishedStart%3D1869-01-01%26publishedEnd%3D1875-12-31%26publishedBounds%3Dfrom%26indexedBounds%3Dfrom%26advancedUi%3Dtrue%26page%3D1%26searchIn%3Dall%26total%3D21&index=9
Oui. Il faudra que je fasse un tableau récapitulatif de ce qui a été publié au-delà de 1871. Mais, si je ne m'y attarde pas, c'est que pour le cas de Rimbaud on sait que les faux Coppée zutiques datent d'octobre et novembre 1871. Ce qui veut dire que soit cela a été publié avant, soit Rimbaud a eu accès aux manuscrits. En mars 1873, Rimbaud se prépare à revenir d'Angleterre et à composer Une saison en enfer. Il n'a pas lu Le Gaulois pour reporter de nouvelles contributions zutiques. En revanche, en septembre, octobre et novembre 1871, Rimbaud assiste aux dîners des Vilains Bonshommes, à des rencontres avec Lemerre, à des premières à l'Odéon ou ailleurs de pièces de Glatigny et Coppée (Fais ce que dois, L'Abandonnée). Il est évident qu'à défaut de publications Rimbaud a eu un accès à des manuscrits de Coppée dans ces cadres collectifs. Mais, hélas, pour la science, c'est une sorte de monde sans preuves objectives. On regrette alors le défaut de publication.
Supprimer