dimanche 18 août 2024

Petite réflexion méthodologique ASMR sur la recherche des sources au sujet du sonnet "Voyelles"

 Plic Plic psh psh ! tk tk tk!

Le sonnet "Voyelles" pose un problème de consensus quant à son interprétation, problème voulu définitif par la critique universitaire comme par la doxa. Pourtant, identifier les sources au poème permet de resserrer les possibilités de lecture de manière décisive.

toc toc toc clic clic clic clic shouh... shouh;;; ssh fafafafa fafafafa

Le sonnet contient une réécriture évidente du poème "La Trompette du jugement" dans le dernier tercet (Barrère), avec l'inversion de "clairon suprême" en "Suprême Clairon". Victor Hugo emploie deux fois l'expression "clairon suprême" dans la première édition de La Légende des siècles de 1859, la seule que Rimbaud avait pu lire en 1872. Il l'emploie dans le poème "Eviradnus" (relevé fait par David Ducoffre en 2004, Parade sauvage), puis dans le poème final "La Trompette du jugement".

Le son de la trompette est trop criard, écoutons plutôt de la harpe [Ici, imaginez le son de la harpe].

On sait que Rimbaud a décalqué des vers précis des poèmes "Pleine mer" et "Plein ciel" dans son "Bateau ivre" (David Ducoffre, "Trajectoire du Bateau ivre" en 2006, Parade sauvage). Le poème "Le Bateau ivre" et "Voyelles" ont été composés tous deux dans les premiers mois de l'année 1872, ainsi que le poème "Les Corbeaux" et que le poème "Les Mains de Jeanne-Marie". Donc, l'ensemble de La Légende des siècles a été lu ou relu par Rimbaud à cette époque, il s'est concentré sur la fin du recueil visiblement. A la fin de l'année 1871, Théophile Gautier, un des écrivains les plus célèbres encore en vie à cette époque, a publié l'ouvrage Tableaux de siège où il invite précisément à lire attentivement le poème "Plein ciel" de Victor Hugo qu'il met en avant. Et l'ouvrage Tableaux de siège est la cible satirique du poème "Les Mains de Jeanne-Marie" (David Ducoffre sur ce blog le dit depuis des années, mais il a fait une mise au point capitale dans des articles tout récents, cet été même).

Plic plic je vous enlève les cils qui dépassent plic plic plic plic, je vous recoiffe les cheveux fwou fwou ssss sssh

Mais le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" offre justement des passerelles évidentes avec le sonnet "Voyelles". Les deux poèmes offrent une expression du verbe "bombinent". Le verbe n'existe pas réellement en français, il existe minimalement en tant que traduction littéraire du verbe latin "bombinare".
Antoine Fongaro a plusieurs fois fait remarquer qu'il venait non pas du latin, mais de Rabelais. Cependant, je ne comprends pas un point. Antoine Fongaro dit que Rimbaud ne décalque pas un verbe latin, mais reprend le verbe en français à Rabelais.
Quelque chose ne va pas, quelque chose ne va pas, quelque chose ne va pas.
Shhh, rassure-toi, nous allons mener l'enquête.
Je n'ai pas encore relu Pantagruel de Rabelais. Dans l'un de ses articles, Fongaro dit que l'éditeur Paul Lacroix que Rimbaud connaît puisqu'il le cite dans un mot à son professeur Izambard, l'éditeur Paul Lacroix, l'éditeur Paul Lacroix, l'éditeur Paul Lacroix, il ne faut pas que sue le juif-errant, il ne faut pas que sue le juif-errant, ne pas rester dans la suie, ne pas rester dans la suie, ne pas rester dans la suie, mais passer à la suite.
Paul Lacroix, selon Fongaro, a publié en 1862 le Catalogue de la bibliothèque de Saint-Victor au seizième siècle par François Rabelais et ledit Fongaro invite, donc sans le faire lui-même, à enquêter de ce côté-là. Saint-Victor, ce n'est pas une allusion à Victor Hugo, Alfred Jarry, qui n'était pas Musset, n'a pas écrit Ubu Roi, pour faire du mot "Ubu" une référence cryptée au grand romantique, je ne pense pas, je ne pense pas, je ne pense pas. Je ne pense rien du tout, je suis tout entier repos de l'âme et de l'esprit, tout entier repos de l'âme et de l'esprit.
[Ici une publicité Youtube brutale et sonore qui perturbe le flux ASMR]
Fermez les yeux, sshh shh sh shh, maintenant rouvrez-les  pour poursuivre la lecture ! M'entendez-vous ? Ouvrez les yeux, bien, "good ! good ! good !"
C'est ce catalogue qui figure de la sorte dans Pantagruel ? Je ne l'ai pas encore vérifié. Et je n'ai pas mes exemplaires des livres de Fongaro sous la main, ou "sous main" pour imiter Rimbaud quand il parle du poème "Stella" dans sa lettre du voyant.
Tu veux boire une Stella Artois ? Conceptualisons-la. Tu tiens la cannette, tu la décapsules, tu fais semblant de boire et tu sens la fraîcheur d'une bonne bière pleine des "rousseurs amères" d'une Vénus en bouteille.
Ta métaphore n'est pas cohérente, je sais, je suis passé de la cannette à la bouteille.
Plic plic, ploc ploc ploc.
Rabelais n'emploie que le verbe latin "bombinare" sous la forme participiale "bombinans". C'est uniquement dans les citations de Rabelais flanqués de commentaires ou de traductions que la forme "bombinans" a cette adaptation impromptue en français, surtout sous la plume de Voltaire : "bombinant ou bombillant", c'est ce qu'il écrit dans une lettre au marquis d'Argenson. Rimbaud pouvait-il la connaître directement ? Je bombine, tu bombines, il bombine, nous bombinons, vous bombinez, ils bombinent en bombillant. La variante "bombillent" de l'édition sur un support manuscrit inconnu dans Les Poètes maudits permet de dire que la référence à Rabelais et Voltaire était identifiée par Verlaine et les éditeurs initiaux des Poètes maudits. Mais, la traduction littérale est la forme participiale "bombinant". Fongaro ne cite pas, dans mes souvenirs, une autre conjugaison en français du verbe "bombiner".
Etrangement, j'ai découvert, et je ne connais personne qui l'ait fait avant moi, une citation de Rabelais où le mélange de traduction et commentaire offre la forme "bombinent". En effet, pourquoi Rimbaud pratique-t-il à deux reprises la même occurrence "bombinent" s'il ne l'a jamais lue nulle part en tant que telle ? Le livre de grammaire du début du dix-neuvième siècle de Boiste est pour l'instant le seul qui avant Rimbaud offre la conjugaison "bombinent" propre à Rimbaud poète, et ce livre de grammaire contient des réflexions qui peuvent entrer en résonance avec "Voyelles".
Les mots rares sont décidément une remarquable voie d'entrée pour baliser la recherche sur "Voyelles", et les noms mobilisés font partie de la grande histoire littéraire : Théophile Gautier, Victor Hugo, Rabelais, voire Voltaire.

- Et le rêve fraîchit !
Sh wish ! shouhou, sh sh fwou fi fafa fa fa fa fa, fafafi fafafo hop hop hop

Le vers 12 retient particulièrement l'attention, il combine une référence explicite à "La Trompette du Jugement" de Victor Hugo ("Suprême clairon") et une combinaison "strideurs" et "clairon" qui est une citation d'un vers du poème "Spleen" de Philothée O'Neddy avec un arrière-plan qui confirme que comme "Les Mains de Jeanne-Marie" "Voyelles" fait allusion à la semaine sanglante. C'est clairement le cas de la combinaison "strideurs", "suprême" et "clairon" dans le poème "Paris se repeuple". La combinaison "strideurs" et "clairon" suppose une lecture attentive de Tableaux de siège de Gautier où apparaît le mot "strideurs", et on peut commencer à penser comme l'a envisagé Jacques Bienvenu sur son blog, que Rimbaud connaît aussi la combinaison "strideur" et "clairon" dans l'Histoire naturelle de Buffon, ce qui veut dire que Rimbaud saurait pour la combinaison reprise par O'Neddy à Buffon et pour la parodie voilée de Buffon dans Tableaux de siège de Gautier. Rimbaud a-t-il appris cela oralement ? A-t-il lu la conjugaison "bombinent" dans un article de presse d'époque ? A-t-il lu quelque chose sur le livre de Gautier dans la presse ?
Mystère ! La musique féminine continue de vous tourner autour, "tout en faisant trotter ses petites bottines". takatakatakatak takatakatakatak !
Le mot "vibrement(s)" vient aussi de Gautier. le mot "virides" vient lui de la botanique, et comme "bombinent" il est une traduction paresseuse du latin, et précisément d'une désignation en latin des "petits pois", l'allusion à cette forme latine est clairement mobilisée par Rimbaud dans le poème "Entends comme brame..."

Pss Psss Psss Pss Psss Psss

Mais il y a un autre point de méthodologie demeuré latent et comme dirait Banville en son traité je vais te le révéler en cette audience.
Le sonnet "Voyelles" a été composé au début de l'année 1872, et on peut chercher à débusquer des mentions "bombinent", "strideurs" (c'est le cas avec Gautier), à proximité de la date de composition du sonnet "Voyelles", une mention dans la presse à la fin de l'année 1871, ou au tout début de l'année 1872.
Mais, en août 1871, Rimbaud a envoyé à Banville le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" où il est question d'une exaltation des couleurs du sonnet "Voyelles" jusqu'au Bleu. Le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" n'a pas été retenu par Rimbaud pour faire partie de l'élite de son œuvre en vers apparemment. Verlaine n'en a pas recopié de version, il ne le cite pas dans les poèmes à recopier. C'est assez étrange ! Il n'est pas exclu que Verlaine l'ait connu, il n'est pas exclu qu'il était aussi prévu de le recopier, mais pour des raisons inconnues Verlaine n'en aurait pas mentionné le titre dans sa liste à compléter. Il n'en parle pas comme d'un grand poème perdu dans Les Poètes maudits et dans les écrits qu'il produit pour valoriser Rimbaud.
Il n'empêche que le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" a une importance capitale dans la genèse des idées de Rimbaud, dans la genèse de "Larme" et de "Voyelles" notamment quelques mois plus tard. Même si Rimbaud a pu s'inspirer d'écrits publiés entre août 1871 et janvier-février sinon mars 1872, une idée précise de "Voyelles" était déjà en train de germer !
Zut zut zut, voyez comme le motif des lys passe de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" au quatrain "Lys". La suite sonnet et quatrain de l'Album zutique avec le "Sonnet du Trou du Cul" et le quatrain "Lys" a été imitée par Pelletan et Valade en marge de la même page manuscrite. David Ducoffre a bien insisté sur l'ordre des transcriptions dans ses études sur l'Album zutique : la colonne de gauche a été transcrite après la colonne de droite, et en s'en inspirant.
Zut zut zut zut, joue-moi un air de flûte !
Zut zut zut zut
Zut alors, si tu ne sais pas jouer de la flûte, partons plutôt chercher de l'or, au fond d'une larme au fond d'un lac.
Poup poup poup, poup poup poup !
Cataclop cataclop cataclop !
Psh shiouwww ffwww shouwww fww !
Tu as bien fait de partir, Article Rimbaud.
Bruit de moto-neige, dans la neige, justement !
Ceci n'est pas l'été !

Et avant il y eut encore la lettre du voyant, avec l'académicien qui peut devenir fou en se penchant sur la première lettre de l'alphabet.
Il y a donc une lecture décisive de Rimbaud avant le 15 mai 1871 qui a permis une maturation du projet d'écriture du sonnet "Voyelles" sur plusieurs mois, et la lettre à Demeny du 15 mai 1871 ou le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" peuvent permettre de dénicher d'autres sources au sonnet "Voyelles" de RimbiRimbo, rimbirimbarimborimbu je suis rincé.

Ce qu'il y a de bien avec un article ASMR, c'est que tu peux le relire et le relire encore, il finira bientôt par t'endormir.

Goodnight ! Sleep time !

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