Le 13 septembre 2011, Jacques Bienvenu a mis en ligne l'article au titre suivant : "L'origine possible du titre 'Paris se repeuple' ".
L'article a un côté vertigineux dans la mesure où les mots de l'expression "Paris se repeuple" sont d'une banalité confondante, encore que la forme verbale conjuguée "se repeuple" ne soit pas non plus très courante en principe. Il est a priori peu probable de trouver une source fiable en faisant une recherche clef de l'expression "Paris se repeuple". Et pourtant, c'est ce qui apparaît avec force dans cet article. Bienvenu a découvert que l'expression "Paris se repeuple" apparaît dans un ouvrage de circonstance d'une cinquantaine de pages qui décrit Paris après les incendies de la Commune, et l'expression figure précisément sur la dernière ligne de la première page de texte du document.
Le document découvert par Bienvenu est anonyme et il ne s'agit pas du livre d'Armand Silvestre Les Ruines de Paris publié sous le pseudonyme de Ludovic Hans.
Bienvenu s'est contenté d'exhiber un fac-similé de la première page et sur l'influence éventuelle du contenu de cette brochure sur la composition d'ensemble du poème "Paris se repeuple" il est allé à l'essentiel en précisant que les communards sont décrits comme des scélérats et des bandits.
Le mot "bandits" fait nettement penser aux écrits anticommunards de Paul de Saint-Victor qui a publié en juin 1871 dans diverses revues, notamment dans Le Monde illustré un article intitulé "L'Orgie rouge" qui a pu inspirer le titre alternatif "L'Orgie parisienne" à Rimbaud. Le livre de Paul de Saint-Victor Barbares et bandits est cité depuis longtemps comme une source possible, par Yves Reboul notamment, à cause de l'emploi des mots "barbares" et "bandits" dans "Paris se repeuple". L'auteur anonyme de la brochure signalée à l'attention par Bienvenu est-il un proche de Paul de Saint-Victor ? Qui est-il dans tous les cas ? Je n'ai toujours pas pris la peine de lire le livre de Paul de Saint-Victor en vérifiant à quel point ou non il reprenait les articles qu'il avait publiés dans la presse.
Je me propose ici de citer les passages qui me semblent intéressants dans le cas de la brochure anonyme Itinéraire des ruines de Paris. Bienvenu précise aussi que l'ouvrage a été publié après le 15 juillet, ce qui a son importance, puisque très clairement le poème "Paris se repeuple" est antidaté, il est impossible qu'il ait été écrit en mai 1871, surtout qu'il parle non de la semaine sanglante, mais du repeuplement bourgeois qui a suivi, l'orgie parisienne étant celle des anticommunards finalement.
Au-delà de l'expression "Paris se repeuple", le début du texte est à citer pour son côté hyperbolique qui a son pendant dans le poème de Rimbaud :
Que de crimes ! que de désastres ! Jamais drame plus terrible n'eut un plus épouvantable dénouement ! Si la Commune, dans sa folie furieuse, a voulu laisser derrière elle des souvenirs durables, elle ne pouvait mieux choisir ses moyens. La fin a dignement couronné l'œuvre qu'elle avait conçue, et l'incendie de Paris, venant après le sac des églises, le pillage des maisons, l'assassinat des prisonniers, a fait aux bandits de l'Hôtel de Ville une auréole de flammes dont leur image restera pour toujours environnée. Quand l'esprit voudra se reporter à la funeste période que tant de forfaits ont remplie, il n'hésitera pas un instant dans ses jugements, et mettra de suite les scélérats qui ont semé de ruines la plus belle ville du monde, au rang des Erostrate, des Néron, des Omar. [...]
Cela précède de peu l'attaque de paragraphe : "Aujourd'hui que Paris se repeuple [...]".
Le début d'un ouvrage est évidemment une sorte de vitrine et il s'agit donc d'une cible de choix dans le cas d'une parodie satirique. Il faut que le lecteur de "Paris se repeuple" puisse rapidement identifier la source d'époque s'il la connaît. Ici, nous avons un emploi du mot au pluriel "bandits". Nous avons aussi un paradoxe, les communards sont des assassins, mais l'expression "Paris se repeuple" suppose un autre assassinat, celui des communards par les versaillais, à moins que les communards ne soient même pas considérés comme des hommes.
Ces propos ne sont pas remarquables, il s'agit d'une copie ironique assez banale en 1871 avec un préjugé anti-italien selon lequel Paris serait la plus belle ville du monde, ce qui est absurde, mais l'expression négative hyperbolique : "Jamais drame plus terrible [...]" a son écho dans les quatrains de "Paris se repeuple" : "quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité...". La "folie furieuse" a son écho aussi dans les alexandrins de Rimbaud : "Ô lâches ! soyez fous !" puis "Syphilitiques, fous,..." L'auteur de la brochure ironise sur les "souvenirs durables" engendrés par le dénouement spectaculaire, ce que le poème "Paris se repeuple" retourne en foi dans le modèle d'avenir du mouvement parisien. Rimbaud affirme sa foi en un "fauve renouveau" malgré la douleur des temps présents. L'expression : "Quand l'esprit voudra se reporter..." a sa réponse sublime : "Quand tes pieds ont dansé si fort... Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires, / Un peu de la bonté du fauve renouveau..."
L'expression "le pillage des maisons" est retournée contre les pro-versaillais également : "Le cri des maisons d'or vous réclame..." ou "vous fouillez le ventre de la Femme", etc. D'évidence, Rimbaud reprend aussi le motif des incendies : "on préviendra les reflux d'incendie".
En clair, les échos sont importants entre le début de la brochure et le poème de Rimbaud. Il ne s'agit pas de résonances puisque les discours s'opposent, mais il y a bien une sensible reprises d'éléments clefs à ce texte en prose.
Le motif clef de l'ouvrage des "ruines de Paris" a lui aussi sa réponse dans l'injonction : "Cachez les palais morts dans des niches de planches !" Le mot "palais" peut être appelé par la description des dégâts concernant le palais de justice ou bien par celle du Palais royal.
L'ouvrage anonyme se veut un deuil de l'art et de la science, ce à quoi Rimbaud répond en poète voyant à la manière prophétique hugolienne.
Je passe assez vite sur la description de l'Hôtel de Ville, lieu de travail de Verlaine, Valade et Mérat, rappelons-le. Il est question de Cariatides, etc., mais je passe ainsi que sur quelques autres descriptions de monuments incendiés ou abîmés.
A propos de la rue de Rivoli, je relève l'extrait suivant : "arrêtons-nous un instant au milieu des désastres que le vandalisme des insurgés a fait subir, dans ce quartier, à la propriété privée." On pense à la formule de Proudhon. Nous passons des "féroces communeux" à la "férocité des fédérés", puis à la "rage des communeux", discours bien uniforme. L'auteur anonyme n'hésite pas à colporter les ragots. Au Théâtre-lyrique, les communards auraient brûlé vive la concierge si elle n'avait pensé à s'enfuir, propos qui n'a aucun sens commun. Au niveau du Palais-Royal, les fédérés auraient tiré sur les pompiers et civils venus travailler à éteindre l'incendie. Calomnions, calomnions, il en restera toujours quelque chose...
Parmi les dangers de l'incendie, l'auteur anonyme a l'idée de parler des meubles de la princesse Mathilde, ce qui est inévitablement un propos politique partisan.
La mention clef "barbares" apparaît de manière significative à propos des livres partis en fumée dans la bibliothèque du Louvre : "[...] tout cela rappelle, par un spectacle de désolation, le vandalisme des barbares que le 18 mars a vus envahir l'Hôtel de Ville." Et il est encore une fois question de cariatides.
A propos des Tuileries, il est questions d'habitations sous les combles qui n'ont pas cessées d'être occupées pendant la Commune, contrepoint léger à l'idée de repeuplement.
Il faut inévitablement citer le principal passage littéraire de cette brochure, le voici : "Cette horloge, qui a sonné tant d'heures de joie et marqués tant d'heures d'angoisse, a donné l'heure pour la dernière fois le mercredi 21 mai, à minuit et demi." Ce sera tout pour la poésie en ce qui concerne cette brochure, donc profitez.
Progrès dans la caractérisation des insurgés, ils deviennent les "stupides Vandales" à la page 16.
A propos de la colonne Vendôme, l'auteur anonyme avoue involontairement dans sa leçon d'Histoire quel es royalistes ont voulu eux aussi la mettre bas. C'est assez comique cette manière inconséquente de traiter les événements. L'auteur souligne aussi un paradoxe, les communeux n'ont pas touché aux maisons des quartiers riches. La mention des "boulevards" ne semble pas décisive dans cette brochure, mais nous avons une partie consacrée au "boulevard des Italiens". Et, dans la section suivante sur la "Chaussée d'Antin", nous avons l'expression "Les communeux, - race de voyous aux bottes éculées [qui] en voulaient à toutes les élégances."
Pour les commerces, l'auteur parle souvent d'une "maison" qui ouvre à nouveau ses portes aux gens désireux d'en goûter les richesses, notamment un "Grand Hôtel" où pour les "lectrices" admiratrices des "foulards des Indes" à la mode l'auteur s'attarde sur les produits et sur une annonce publicitaire en anglais citée conséquemment (pages 21 et 22).
De manière étrange, l'auteur parle tout le temps de la peur de la mort d'habitants supposés neutres, mais jamais du drame de la mort des communeux. La commisération n'est pas le point fort de l'auteur. Plus étrange encore, il souligne souvent que les balles et les obus sur les façades des bâtiments sont une variante destructrice des incendies de la Commune, alors qu'ils résultent des combats eux-mêmes.
Variante au titre "Paris se repeuple", une commerçant madame Drouart a trouvé où "se réinstaller".
Dans la longue section sur le faubourg Saint-Honoré, le mot "bandits" affleure à nouveau : "Quand les bandits eurent enduit de pétrole l'habitation [...]"
La section "Les Champs-Elysées" orchestre la fin de parenthèse de l'effroi causé par la Commune : des réparations ont été faites en quinze jours, et on constate la permanence de la bonne humeur et des habitudes du peuple parisien repeupleur. Les lieux charmants permettent d'apprécier l'air sous l'éclairage au gaz.
A "bandits" vient s'offrir la variante "bande de fédérés" (page 34). Et à partir de Neuilly, les destructions de la Commune se mêlent à celles de la guerre franco-prussienne.
Le général Eudes est personnellement qualifié de "bandit" à son heure (page 28) juste après des pages sur le retour d'une vie parisienne des élégances après la Commune.
Je passe sur des propos répétitifs : "bande d'insurgés", "bande des fuséens", sur la destruction de tableaux de grands peintres, sur la destructions d'archives, etc., etc. Un incendiaire, Mégy, est à son tour qualifié de "bandit" en même temps que d'assassin.
Signalée à l'attention, la "Rue du Bac" a sa propre section où il est question de "deux chefs des brigands communeux". Le nombre de fois où il est question de maisons éventrées renforce l'idée d'un rapprochement avec les ventres fouillés des femmes dans "Paris se repeuple".
L'ouvrage se termine par une section sur le cimetière du père Lachaise, lieu de lutte finale insurgés. Les dernières pages sont autant d'encarts publicitaires dont un avis d'un magasin qui dit ne pas avoir trop souffert des incendies et proposé tous ses produits comme avant les désastres.
D'une lecture complète de la brochure, je retiens l'emploi constant du mot "bandits", poncif d'époque qu'on retrouve sous la plume de Paul de Saint-Victor et qui est épinglé par Rimbaud dans son poème. Je retiens bien sûr l'expression "Paris se repeuple" et la brochure permet juste d'apprécier une idée de repeuplement de gens désireux de courir les magasins et les élégances, ce qui cadre parfaitement avec le propos satirique du poème rimbaldien.
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