jeudi 29 août 2024

La première série de "Promenades et intérieurs" et le dizain zutique "Je préfère sans doute...", puis quelque air d'un "Angélus" !

Comme nous l'avons rappelé dans le précédent article, le couple de deux dizains zutiques transcrit par Rimbaud au recto du feuillet 3 de l'Album zutique s'inspire du couple de dizains que Verlaine a envoyé à Valade dans une lettre datée du 14 juillet 1871. Nous avons vu que Rimbaud s'inspirait nettement des deux poèmes de Verlaine et en reprenait divers éléments (certains mots, certains thèmes, certains faits de versification et de ponctuation, certaines tendances grammaticales, certains parallèles de conception du récit,...). Vous pouvez remarquer que dans le cas du poème "J'occupais un wagon de troisième...", il existe une énigme sur la rencontre avec "l'aumônier-chef / D'un rejeton royal condamné derechef". Les deux analyses les plus poussées sur le dizain : "J'occupais un wagon..." sont contemporaines. Il y a d'un côté le chapitre de Steve Murphy de son livre Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion, étude qui n'est pas pleinement satisfaisante malgré tout, et puis les notices au poème dans l'édition du centenaire Œuvre-Vie de 1991 dirigée par Alain Borer, notices que je n'ai pas encore relues, mais il doit s'agit d'une double notice avec une intervention de Marc Ascione et une autre de Michael Pakenham. Je vérifierai cela. En revanche, ni Ascione, ni Murphy ne font le rapprochement avec le dizain de Verlaine où figure la liaison "étant orléaniste". Enfin, je crois que c'est Michael Pakenham qui, le premier, a mis en avant les réécritures du poème "La Nourrice" dans le dizain "J'occupais un wagon..., ce qui n'apparaît pas dans l'article de Murphy consacré au poème. Pour précision, le recueil Les Humbles n'a été publié qu'en 1872, mais en octobre, sinon en septembre 1871, Rimbaud a eu accès à des pré-originales toutes fraîches de certains poèmes, dont "La Nourrice".
Cela permet d'ailleurs resserrer dans l'absolu la période de composition du dizain : "J'occupais un wagon de troisième..."
Je ne vais pas m'attarder pour l'instant sur le dizain "J'occupais un wagon..." Cependant, vu certains liens avec "Je préfère sans doute...", je tiens à préciser les éléments suivants. La première mention à la rime dans "J'occupais..." est "un vieux prêtre". J'ai identifié dans cette mention une reprise au récit "Angélus", et pour la confirmer j'ai opté pour une recherche informatique originale. J'ai créé un fichier Word où j'ai mis bout à bout tous les poèmes de Coppée publiés jusqu'en 1872, recueil Les Humbles inclus. J'ai utilisé la page Wikisource consacrée à François Coppée.
Sur le fichier Word créé, j'ai lancé une recherche de mots à la rime qui me manquaient : "Hyacinthe", "jacinthe", "mois", ce qui n'a rien donné. J'ai aussi lancé une recherche sur le mot "prêtre".
J'ai un relevé de 37 occurrences du mot "prêtre" dans ce corpus. Or, trois faits confirment que j'ai raison. 1) Sur les 37 occurrences, 20 appartiennent au seul poème "Angélus". 2) Sur les 20 occurrences du seul poème "Angélus", à dix reprises nous avons la qualification "vieux prêtre", à quoi ajouter une occurrence "bon prêtre". Pour les 17 autres occurrences, il n'existe qu'une seule mention "vieux prêtre" supplémentaire, dans le poème "En province" des Humbles. Nous avons un "prêtre à cheveux blancs" et un "grand et maigre prêtre", mais plus de "vieux prêtre". 3) Sur les dix occurrences de "vieux prêtre" dans "Angélus", cinq apparaissent à la rime, à quoi ajouter une mention du seul mot "prêtre" à la rime et une mention "prêtres" au pluriel.
D'évidence, la première mention à la rime du couple de dizains créé par Rimbaud est une citation de Coppée, et précisément du poème "Angélus", et il faut insister sur ce point, car nous allons montrer l'importance des réécritures du poème "Angélus" dans "Je préfère sans doute...", mais "Angélus" est un poème qui est derrière plusieurs parodies zutiques de Rimbaud, et la difficulté vient de ce que les productions satiriques de Rimbaud ne ciblent pas souvent directement le thème de la frustration du désir de paternité qui est au centre du grand "poème moderne" de Coppée. Il faut donc comprendre parfois autrement l'importance des allusions satiriques au poème "Angélus".
A propos de "J'occupais un wagon...", la mention du brûle-gueule peut faire spontanément songer au poème "L'Albatros" de Baudelaire, mais le "brûle-gueule" est mentionné dans la pièce "Dans l'ambulance" de la section "Ecrits pendant le siège". La mention "poils pâlis" vient aussi des poésies de Coppée.
Je n'éclaire pas ces rapprochements, je mets en perspective le terrain d'investigation en donnant les indices nets de sa légitimité, voire pertinence.

Passons au cas du poème : "Je préfère sans doute..."
Je préfère sans doute, au printemps, la guinguette
Où des marronniers nains bourgeonne la baguette,
Vers la prairie étroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabroués bien des fois
Viennent près des Buveurs triturer des jacinthes
De plate-bande. Et c'est ,jusqu'aux soirs d'hyacinthe,
Sur la table d'ardoise, où, l'an dix-sept cent-vingt,
Un diacre grave son sobriquet latin,
Maigre comme une prose à des vitraux d'église,
La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise.
Le poème a une composition grammaticale particulière. La grammaire était déjà particularisée dans les deux dizains parodiques de Verlaine envoyés à Valade le 14 juillet 1871, et cela se ressentait dans le poème "J'occupais un wagon..." Il y a un jeu de tension entre les formes composées plus affectées et les verbes au présent de l'indicatif plus secs. Pour "Je préfère sans doute...", nous avons un début sans heurt, deux phrases au présent de l'indicatif, l'affirmation d'un plaisir personnel en première phrase, puis une phrase descriptive qui vient apporter des suggestions. En revanche, la troisième phrase, la dernière du poème, et qui va du milieu du vers 6 au vers 10, les éléments insérés ne doivent pas empêcher d'apprécier le tour familier étrange : "Et c'est... la toux des flacons noirs qui jamais ne les grise." Nous ne sommes pas dans l'expression d'un tour présentatif simple : "C'est cela, c'est cela, et puis c'est cela. Ici, le lecteur est obligé de renforcer le sens de l'énoncé par sa perception. Il faut lire le "Et c'est" comme un appel à l'exaltation, pas simplement comme un présentatif.
Au plans des rimes, nous avons une rime de peu d'intérêt au plan sémantique : "mois"/"fois", une rime "dix-sept-cent-vingt"/"latin" plus rare mais qui ne s'impose pas comme remarquable, une rime finale : "église"/"grise" qui ne s'impose pas non plus comme saisissante. Il y a en revanche deux rimes frappantes. La première rime : "guinguette"/"baguette" appelle l'attention, à cause de la rareté d'emploi en poésie du mot "guinguette". La rime "jacinthe"/"Hyacinthe" est encore plus frappante, puisque nous avons deux mots rares à la rime, et s'il s'agit en prime d'une rime étymologique qui lie le prénom "Hyacinthe" à son origine commune avec le nom de fleur "jacinthe".
Pour l'instant, je ne relève aucune mention de "Hyacinthe" et "jacinthe" dans l'œuvre de Coppée, mais il reste les vers de théâtre (Le Passant, Fais ce que dois, etc.) et ses textes en prose. En réalité, j'ai bien un candidat, mais il pose un problème d'anachronisme, le poème "Le Liseron" paru dans la Revue des Dux Mondes en 1877. Il contient la mention "diacre", l'expression à la rime "les lettres latines" et il contient le mot "jacinthe" aussi à la rime avec "bonne sainte" dans un développement où une abbesse éprouve l'amour des fleurs en contrepoint de sa pratique sévère de la charité.
Ce que les rimbaldiens ont d'emblée remarquer, c'est la reprise de la rime "guinguette"/"baguette" à un dizain de Coppée.
D'après mon sondage, il n'y a que deux occurrence du nom "guinguette" dans les poésies lyriques de Coppée que Rimbaud a pu lire. Le mot "guinguette" apparaît dans le poème "LEtape", pièce du Reliquaire dédiée à Albert Mérat. Il apparaît au pluriel à la rime avec le pluriel "baguettes" dans le septième dizain de la série "Promenades et intérieurs" publiées dans le second Parnasse contemporain.
Je cite ce poème issu d'une série initiale de dix-huit dizains :
Vous en rirez. Mais j'ai toujours trouvé touchants
Ces couples de pioupious qui s'en vont par les champs,
Côte à côte, épluchant l'écorce de baguettes
Qu'ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes.
Je vois le sous-préfet, présidant le bureau,
Le paysan qui tire un mauvais numéro,
Les rubans au chapeau, les sacs sur les épaules,
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules,
A celle qui promet de ne pas oublier
En s'essuyant les yeux avec son tablier.
Il n'y a pas de hasard. Rimbaud fait exprès de citer la rime de ce dizain de Coppée. La rime "baguettes"/"guinguettes" est au pluriel aux vers 3 et 4, il la reprend en lui imposant quelques modifications. Rimbaud inverse les mots à la rime : "guinguette" au vers 1 et "baguette" au vers 2, et il le mets au singulier. Le sonnet de Coppée n'a pas seulement inspiré la pièce qui nous intéresse de Rimbaud, puisque le vers 5 : "Je vois le sous-préfet, présidant le bureau," est très clairement une source à l'attaque même du dizain de Verlaine : "Le sous-chef est absent du bureau..." Rimbaud avait donc identifié la source de Verlaine, ce qui l'a amené à s'y pencher et à produire sa propre création satirique s'en inspirant. Notez aussi que la révélation de tous ces liens conforte à la fois l'importance pour Rimbaud des dizains de Verlaine en tant que modèle et l'idée d'analyser ensemble les deux premiers dizains zutiques de Rimbaud.
Enfin, il est tout aussi remarquable de voir que Charles Cros a procédé tout comme Rimbaud. Sachant que Verlaine et Rimbaud s'étaient inspirés de ce dizain-là précisément, Cros a créé un dizain "Oaristys" qui reprend le récit du poème moderne "Le Banc", mais il reprend aussi des éléments à ce dizain : "épluchant l'écorce des baguettes", "couples de pioupious", "celle qui promet de ne pas oublier / En s'essuyant les yeux avec son tablier." Et on comprend aussi un lien subtil entre l'attaque du dizain de Coppée : "Vous en rirez" et la chute du dizain "Oaristys" qui est une citation du dernier vers le poème "Le Banc" certes, mais qui est aussi une forme de bouclage allusif au dizain de Coppée : "Et je n'ai pas trouvé cela si ridicule" reprend "Vous en rirez". Le poème de Cros décrit une scène de prise de plaisir sexuel sans fiançailles ni mariage en quelque sorte ce qui parachève le persiflage de la fin du poème de Coppée : "En s'essuyant les yeux avec un tablier."
Evidemment, il convient de prolonger l'exercice des rapprochements entre "Je préfère sans doute..." et les deux séries déjà publiées de "Promenades et intérieurs" de Coppée. La mention "je préfère". Rimbaud reprend tout simplement la mention à la rime "je vous préfère" au dizain XIII de la série "Promenades et intérieurs" publiée dans le second Parnasse contemporain :
Champêtres & lointains quartiers, je vous préfère
Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
S'emplit de l'odeur forte & tiède des jardins.
Mais j'aime aussi vos bals en plein vent, d'où, soudains,
S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
Les polkas, le hoquet des cruchons qu'on débouche,
Les gros verres trinquant sur les tables de bois,
Et, parmi les chaos des rires & des voix
Et du vent fugitif dans les ramures noires,
Le grincement rhythmé des lourdes balançoires.
Rimbaud a repris l'enjambement au vers 1 : "je vous préfère / Sans doute", il a éliminé le "vous" d'adresse à la Nature, et il en a fait le premier hémistiche de son poème : "Je préfère sans doute". Rimbaud n'a pas repris au dizain VII son mot "champs", ni au dizain XIII son adjectif "Champêtres", mais les mentions "au printemps" et "prairie communale" en sont des adaptations. Rimbaud reprend aussi l'idée des compléments circonstanciels de temps en incises : "au printemps" et "au mois / De mai" sont insérés à la manière de "par les nuits d'été", en cassant le rythme, en interrompant le débit continu de la phrase.
Fort des rapprochements patents déjà établis, nous pouvons dire que le vers "La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise" retient du dizain XIII d'autres éléments : "le hoquet des cruchons qu'on débouche", les "gros verres trinquant sur les tables de bois". Il y a un parallèle rythmique à faire entre les deux fins de poème : "Le grincement rhythmé des lourdes balançoires" et "La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise." La mention "tables de bois" anticipe "table d'ardoise". Notons aussi que le poème de Coppée développe en plus explicite des éléments du dizain rimbaldien. Nous avons un parallèle entre les parfums forts des plantes comme si elles étaient des flacons, les éclats de rire qui s'échappent eux aussi comme de flacons et les vins ou alcools qui jaillissent des bouteilles justement. Rimbaud ne précise pas l'idée d'une Nature odorante, il s'agit d'une dimension implicite dans son poème, mais au dernier vers nous avons une métaphore "toux" qui superpose l'idée des voix humaines au fait de vider les bouteilles.
Observons tout ce que doit déjà le dizain : "Je préfère sans doute..." à ces deux seuls dizains de Coppée :
Je préfère sans doute, au printemps, la guinguette
Où des marronniers nains bourgeonne la baguette,
Vers la prairie étroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabroués bien des fois
Viennent près des Buveurs triturer des jacinthes
De plate-bande. Et c'est ,jusqu'aux soirs d'hyacinthe,
Sur la table d'ardoise, où, l'an dix-sept cent-vingt,
Un diacre grava son sobriquet latin, 
Maigre comme une prose à des vitraux d'église,
La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise.
J'ai souligné en bleu les éléments repris directement, en y incluant "toux des flacons" en tant que réécriture de "hoquet des cruchons" (notez la rime possible entre "flacons" et "cruchons"). J'ai souligné d'autres adaptations : "Buveurs" reprend une idée générale à Coppée et du coup aussi à Verlaine l'autre modèle, "table d'ardoise" reprend quelque peu "tables de bois", l'adjectif "noirs" est repris à "ramures noires", "prairie" reprend "champs" et "champêtres". on pourra à la limite me reprocher de souligner directement les deux mentions de saison : "au printemps" et "au mois / De mai" dans la mesure où l'idée demeure implicite dans les deux dizains de Coppée. On peut au moins parler d'adaptation dans un cas, de l'été au printemps, entre "par les nuits d'été" et "au printemps".
Il faut aussi insister sur l'idée du rire : l'expression "Vous en rirez" se perçoit en filigrane du discours : "Je préfère sans doute... Et c'est... La toux des flacons noirs..." Le rire est très présent aussi dans le dizain XIII : "éclats de rire à pleine bouche", "chaos des rires", et ce rire passe dans le "hoquet des cruchons" devenu "toux des flacons noirs qui jamais ne les grise."
Toutefois, il y a une subtilité sur le verbe "grise". Les Buveurs ne s'avouent jamais saouls, tel est le sens premier évident en contexte, mais on a une sombre impression mélancolique qui se profile avec un autre sens du verbe "griser", proche de celui d'ivresse justement. Cette alcoolémie ne semble pas ramener le bonheur, et cela toucherait le faux Coppée imaginé par Rimbaud. Le sens premier étant évident dans le dizain de Rimbaud, il faut songer à étayer l'hypothèse de cet autre sens sur le verbe "griser".
Le premier dizain de la série publiée dans le Parnasse contemporain mentionne les vers des dizains comme de "graves historiens" s'adressant à un "lecteur mélancolique" qui se montre "Indulgent" devant le spectacle du monde qui fait alterner des "printemps" et des "hivers".
Le deuxième dizain de la série est à citer, puisqu'il s'agit d'une source directe au dizain de Verlaine : "Le sous-chef est absent..."
Prisonnier d'un bureau, je connais le plaisir
De goûter, tous les soirs, un moment de loisir.
Je rentre lentement chez moi, je me délasse
Au cri des écoliers qui sortent de la classe ;
Je traverse un jardin, ou j'écoute, en marchant,
Les adieux que les nids font au soleil couchant,
Bruit pareil à celui d'une immense friture.
Content comme un enfant qu'on promène en voiture,
Je regarde, j'admire, & sens avec bonheur
Que j'ai toujours la foi naïve du flâneur.
Je cite pour rappel le dizain de Verlaine :
Le Sous-Chef est absent du bureau : j'en profite
Pour aller au café le plus proche au plus vite !
J'y bois à petits coups, en clignotant des yeux,
Un mazagran avec deux doigts de cognac vieux.
Puis je lis - et quel sage à ces excès résiste -
Le journal des Débats, étant orléaniste.
Quand j'ai lu mon journal et bu mon mazagran
Je rentre à pas de loup au bureau ! Mon tyran
N'est pas là, par bonheur, sans quoi mon algarade
M'eût valu les brocards déplacés de plus d'un camarade.

J'ai l'impression de lire "Meuh" sur le manuscrit de l'Album zutique, mais peu importe.
Le dizain de Coppée a aussi inspiré l'autre dizain de la lettre à Valade, puisque l'énumération verbale dépouillée au présent de l'indicatif du vers 9 : "Je regarde, j'admire & sens avec bonheur..." et l'asyndète du vers 3 : "Je rentre lentement chez moi, je me délasse...", la coordination du vers 5 : "Je traverse un jardin, ou j'écoute..." nous valent l'idée de fin abrupte de la part de Verlaine : "Je m'endors et j'aime Rocambole !" Verlaine avait repéré le caractère poétiquement claudicant des suites de verbes à l'indicatif présent dans les dizains de Coppée. La claudication n'est pas dans le rythme, mais dans le côté coq-à-l'âne des successions de présents de l'indicatif dans les poèmes de Coppée.
Etant donné cette influence du dizain II "Prisonnier d'un bureau...", je n'hésite pas à effectuer un rapprochement entre les "marronniers nains où bourgeonne la baguette" et le "cri des écoliers". Les "écoliers" sont des humains encore nains, et je rappelle que l'expression "marronniers nains où bourgeonne la baguette" suppose de jeunes pousses "bourgeonne" avec équivoque grivoise à la clef, mais cette expression démarque un passage d'un dizain de Coppée où des pioupious vont par couples sous les bosquets. Et si le texte est de Coppée lui-même, les lecteurs zutiques peuvent se demander si les pioupious sont en couples avec des femmes, ou entre eux.
Ce qui tend à conforter le rapprochement entre les "écoliers" et les "marronniers nains", c'est qu'il y a le mot "friture" à la rime. Le bruit des oiseaux dans les nids au couchant est comparé à une friture. La ressemblance phonétique entre "friture" et "triturer" me paraît des plus conséquentes : séquence identique "-ritur-". Je considère que la phrase du dizain rimbaldien glissé entre trois vers : "Des jeunes chiens rabroués bien des fois / Viennent près des Buveurs triturer des jacinthes / De plate-bande" est une prolongation comique des vers suivants de Coppée : "Les adieux que les nids font au soleil couchant, / Bruit pareil à celui d'une immense friture."
L'hypothèse d'une équivoque entre "marronniers nains" et "écoliers" reçoit le renfort du dizain suivant III de la série coppéenne, avec son vers 1 : "C'est vrai, j'aime Paris d'une amitié malsaine ;" et son vers 4 où "Je rêve" correspond quelque peu à un "Je préfère" : "Je rêve d'un faubourg plein d'enfants & de jeux[.]
Le dizain IV conforte l'idée d'une revue générale de la part de Rimbaud : "J'adore la banlieue..." Notons qu'à son dernier vers, ce dizain IV introduit la mention mélancolique du noir : "Je prends un chemin noir semé d'écailles d'huître."
Au plan des idées, des thèmes, le dizain V ne semble pas devoir être rapproché de "Je préfère sans doute...", mais les deux premiers vers méritent une mention :
Le soir, au coin du feu, J'ai pensé bien des fois
A la mort d'un oiseau, quelque part, dans les bois.
Nous relevons plusieurs éléments qui intéressent d'autres parodies des dizains de Coppée : "Le soir" ou "j'ai pensé bien des fois", mais nous relevons aussi cet effet d'émiettement des compléments circonstanciels juxtaposés et un peu vagues : "quelque part, dans les bois", c'est ce que Rimbaud pratique avec "au printemps", "au mois / De mai". Notez aussi l'effet d'allongement "sans doute, au printemps". Rimbaud imite de tels effets d'étirement des dizains coppéens. Notons que si la mention "mois" n'apparaît pas à la rime chez Coppée, nous avons ici une comparaison entre deux rimes de monosyllabes passe-partout : "fois"/"bois" et "fois"/"mois" qui devient un emprunt manifeste de l'un à l'autre une fois  qu'on identifie la séquence commune "bien des fois".
Je cite les vers de Rimbaud, où notez la reprise et l'inversion dans l'ordre de défilement :
Vers la prairie étroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabroués bien des fois
Les rimes des quatre premiers vers du dizain de Rimbaud sont fondées sur la reprise de deux rimes de dizains de Coppée parus dans le second Parnasse contemporain.
Je montre ici que j'exploite pour l'instant de manière continue l'idée de rapprochement entre chaque dizain de Coppée et le dizain : "Je préfère sans doute..." Outre les dizains VII et XIII, nous avons exploité un élément au moins dans chacun des six premiers dizains. Il se trouve que le dizain VI ne déroge pas à la règle, celui qui précède le dizain VII avec sa rime "baguettes"/"guinguettes".
N'êtes-vous pas jaloux en voyant attablés
Dans un gai cabaret entre deux champs de blé,
Les soirs d'été, des gens du peuple, sous la treille ?
Moi, devant ces amants se parlant à l'oreille
Et que ne gêne pas le père, tout entier
A l'offre d'un lapin que fait le gargotier,
Devant tous ces dîneurs, gais de la nappe mise,
Ces joueurs de bouchon en manche de chemise,
Cœurs satisfaits pour qui les dimanches sont courts,
J'ai regret de porter du drap noir tous les jours.
Il est clair que "dîneurs" est à la source de "Buveurs" avec même suffixe en "-eurs", ce qu'appuie la notation superbe en style : "gais de la nappe mise". Notons au vers 5 le rejet "Et que ne gêne pas + le père" qui pourra être cité dans un commentaire des "Remembrances du vieillard idiot". L'expression "en manche de chemise" suivie du calembour par écho "les dimanches sont courts" fait de loin en loin songer à "Bonne pensée du matin", mais n'allons pas si loin, et contentons-nous de voir dans "joueurs de bouchon" un autre élément lié à "Buveurs" et "toux des flacons noirs qui jamais ne les grise". La mention "gai cabaret" correspond bien sûr par équivalence à "guinguette", j'éhsite à faire une série : "attablés", "tables de bois" et "table d'ardoise", mais de toute façon Rimbaud a vu la continuité thématique des dizains VI à VII de la première série de "Promenades et intérieurs".
Mais, arrêtez-vous un instant sur le dernier vers du dizain VI : "J'ai regret de porter du drap noir tous les jours". On le sent que la notation "noir(s)" est mélancolique dans les dizains de Coppée, ce qui invite à ne pas considérer comme une description neutre la mention "flacons noirs" dans le dizain de Rimbaud : il y a une note trouble en cette fin de poème avec cette "toux des flacons noirs qui jamais ne les grise."
Je poursuis férocement mes rapprochements, quitte à user la patience de tous mes lecteurs, mais le dizain VIII à son tour vaut la peine d'être cité. Il contient une reprise de la rime "bien des fois" / "bois" sous la variante : "bois"/"quelquefois", mais surtout il prolonge l'idée de la préférence du poète coppéen pour un cadre de vie campagnard arrangé et étroit à la limite de la ville :
Un rêve de bonheur qui souvent m'accompagne,
C'est d'avoir un logis donnant sur la campagne,
Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
Où je vivrais ainsi qu'un ouvrier rangé.
[...]
Et la pépite est au dernier vers qui doit être relié au précédent dizain zutique de Rimbaud : "J'occupais un wagon de troisième...", puisque nous avons un joueur de "flageolet" à sa "fenêtre", le mot "fenêtre" étant le dernier mot à la rime de tout le dizain :
[...]
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très-loin pourraient me reconnaître
Jouant du flageolet assis à ma fenêtre.
Ce lien n'a jamais été relevé il me semble auparavant avec le dizain "J'occupais un wagon..." Pourtant, outre l'emploi du mot "fenêtre" à la rime, outre l'équivalence entre fumer la pipe à une fenêtre et jouer du flageolet, le mot "flageolet" est l'occasion pour Rimbaud de parler des haricots et de pétomanie avec son vers final, faisant allusion aux haricots de Soissons et à l'entrejambe (aine) : "près Soissons, ville d'Aisne." Je cite Rimbaud :

J'occupais un wagon de troisième : un vieux prêtre
Sortit un brûle-gueule et mit à la fenêtre
Vers les brises, son front très calme aux poils pâlis.
[...]

Et ce "chrétien" demande ensuite au poète une chique :
Pour malaxer l'ennui d'un tunnel, sombre veine
Qui s'offre aux voyageurs, près Soissons, ville d'Aisne.

J'en arrive alors à l'influence éventuelle du dizain IX. Ce dizain est particulier, puisqu'il prend le contrepoint des pièces précédentes : au lieu de s'intéresser au plaisir de la foule, cette fois le poète en décrit les souffrances.
Quand sont finis le feu d'artifice & la fête,
Morne comme une armée après une défaite,
La foule se disperse. Avez-vous remarqué
Comme est silencieux ce peuple fatigué ?
Ils s'en vont tous, portant de lourds enfants qui geignent,
Tandis qu'en infectant [leçon à vérifier] les lampions s'éteignent.
On n'entend que le rhythme inquiétant des pas,
Le ciel est rouge. Et c'est sinistre, n'est-ce pas ?
Ce fourmillement noir dans ces étroites rues,
Qu'assombrit le regret des splendeurs disparues.
Le second vers : "Morne comme une armée après une défaite" est le modèle du vers 9 de "Je préfère sans doute..." : "Maigre comme une prose à des vitraux d'église", et il est rejoint par la mention adjectivale dans "étroites rues" qui nous vaut "prairie étroite et communale" dans le poème de Rimbaud. Enfin, nous avons une phrase finale qui opte pour le même  tour présentatif que la parodie de Rimbaud : "Et c'est sinistre [...] Ce fourmillement noir [...]." Rimbaud n'a pas conçu une structure attributive : "Et c'est [...] La toux des flacons noirs..." On peut penser que le poème décrit cette "toux" comme heureuse. Le poète dirait "Et c'est joyeux cette toux..." mais en réalité en ne précisant pas sa pensée dans "Je préfère sans doute", le poète introduit la possibilité d'un mélange de joie et de mélancolie, de joie et de regret. Le "fourmillement noir" confirme l'emploi spécifique en ce sens dans les dizains de Coppée de l'épithète "noir". Nous avons à nouveau la mention d'un "regret" et nous avons l'idée de la fête finissant. Nous avons l'envers du décor. Dans "Je préfère sans doute...", les "Buveurs" n'arrivent pas être grisés. La soirée se finit sans but atteint.
Je vous rassure, je ne vois pas de raison sensible de citer un extrait des dizains X à XII en regard de "Je préfère sans doute..." et nous avons déjà traité du dizain XIII plus haut.
Je peux également m'épargner de citer comme nécessaires les cinq derniers dizains de cette première série, y compris les "noces" du XVII, je me contenterai de citer deux vers successifs du dizain XVIII pour les mentions "buveur" et "prêtre" :
[...]
Tel un buveur malade & forcé d'être sobre,
Tel un prêtre du bruit d'un baiser éperdu,
[...]
J'ai évité de citer certains passages qui intéressent le dizain "J'occupais un wagon...", et seul remords final, je cite tout de même ce vers du dizain numéroté XVII : "Tandis qu'en un bosquet le marié s'égare," puisque ce vers n'est pas seulement une source au vers : "Dans le kiosque mi-pierre étroit où je m'égare," mais il participe de la feinte de l'admiration pour les "marronniers nains où bourgeonne la baguette".
Il existe une deuxième série de "Promenades et intérieurs", celle qui a été publiée dans Le Monde illustré le 8 juillet 1871, mais on voit la prédominance de la première série en terme d'influence sur la composition de Rimbaud, et nous pouvons maintenant en venir au sujet capital, la référence sous-jacente au poème "Angélus".
Un fait très simple à observer : vous avez deux dizains enchaînés de Rimbaud : "J'occupais un wagon..." et "Je préfère sans doute..." qui rassemblés citent deux fois la pièce "Angélus" des Poèmes modernes de Coppée, et ces deux fois sont les extrémités du couple formé par ces compositions : "vieux prêtre" à la rime du premier vers, et la rime "église" / "grise" pour conclure le tout.
La rime "église"/"grise" vient du poème "Angélus".
La première rime est différente chez Coppée, puisqu'il s'agit d'un cas d'homonymie entre l'adjectif "grise" et la forme conjuguée "grise" du verbe "griser" :

Ayant sonné la cloche et dit les oraisons,
Les deux vieillards allaient regagner leurs maisons
Et se disaient adieu sur le seuil de l'église,
Quand ils virent, gisant sur une pierre grise,
Quelque chose de blanc qu'on avait laissé là ;
Et, s'étant approchés tous deux, il leur sembla
Que cela remuait vaguement. Le vieux prêtre,
Inquiet, se pencha vite et put reconnaître
Que c'était un pauvre être à peine emmailloté,
[...]

L'extrait bref suivant contient les trois mentions à la rime : "église", "grise" et "vieux prêtre".
Le mot "église" revient plus loin à la rime avec la forme conjuguée "paralyse", et toujours à peu de distance devant une nouvelle mention de "vieux prêtre" à la rime :

[...]
Qu'être seul, cela tue et cela paralyse ;
Que la famille, c'est la patrie et l'église ;
Que l'épée au fourreau doit orner le foyer ;
Que les yeux de l'enfant font croire et font prier ;
Que si tous deux, le vieux soldat et le vieux prêtre,
Ils n'avaient pu sauver ce pauvre petit être,
A qui pourtant leur cœur entier se dévouait,
C'est qu'ils l'avaient aimé comme on aime un jouet ;
[...]

La suite immédiate est d'ailleurs à rapprocher de "Oaristys" le dizain zutique de Cros, puisque les deux vieux en mal de paternité sont comparés défavorablement à la mère humble qui "met les légumes au pot", etc. Le poème se poursuit avec à la rime "pâli" pour le "Dernier baiser qu'on pose au front déjà pâli", ce qui est à rapprocher de "J'occupais un wagon..." Et le prêtre doit donc faire la messe finale pour l'enfant qu'il avait élevé et les pleurs se mélangent alors au vin du ciboire :
Le prêtre - il était prêtre, hélas ! - dut sur le corps
De son enfant chanter les prières des morts,
Lui jeter l'eau bénite en sanglotant, et boire
Ses pleurs qui se mêlaient au vin dans le ciboire.
Et en écrivain chrétien pré-mauriacien, Coppée décrit un couple initialement de "justes" qui a presque perdu la foi suite à cette perte de leur enfant, et cela avec une reconduction de la rime complète "église"/"grise" :
[...]
C'est à peine s'ils ont encor gardé la foi.
On lit dans leurs regards je ne sais quel effroi
Quand ils sortent tous deux en grand deuil de l'église,
Au moment où le soir répand son ombre grise.
Et le pêcheur, qui passe et qui les reconnaît,
Regarde, tout timide, en ôtant son bonnet,
Descendre du parvis les deux vieillards funèbres,
Tandis que vibre encore au loin dans les ténèbres,
Long, triste et solennel comme leur désespoir,
Le dernier tintement de l'angélus du soir.
Je viens de vous citer la fin même du poème, ce qui veut dire qu'au-delà du rapprochement de rime "église"/"grise" je vous invite à comparer la fin des deux poèmes, à comparer "Le dernier tintement de l'angélus du soir" avec "La toux des flacons qui jamais ne les grise."
L'angélus est une prière à la Vierge Marie et c'était le nom donné à leur enfant adopté par ces deux hommes en mal de paternité.
Pour l'instant, l'explication est encore peu posée. Vous vous dites que ce lien entre "Je préfère sans doute..." et "Angélus" est un peu gratuit, sinon bancal, vu qu'il n'y a pas ce drame de la paternité dans "La toux des flacons noirs" qui est celle de "Buveurs" dans une "guinguette".
Vous vous doutez bien que vous refoulez les liens parce que vous demandez à Rimbaud une contrainte dans les rapprochements qui l'empêcherait d'être plus subtilement abstrait danbs l'arrière-plan de sa satire poétique.
Il faudra y revenir.
Mais d'ores et déjà apprécions d'autres éléments de preuve.
Une de vos réticences, c'est le fait que l'adjectif "grise" ne soit pas assimilable à la forme verbale "grise". Notons tout de même que dans "flacons noirs" Rimbaud récupère subrepticement quelque chose des mentions à la rime "grise", puis "ténèbres" du poème "Angélus" de Coppée, mais le mot "grise" est plusieurs fois à la rime dans "Angélus", et à côté des occurrences de la couleur "grise" nous avons bien des exemples de la forme verbale "grise". Les deux nouvelles occurrences que nous avons à mentionner riment cette fois avec "surprise" :
[...]
C'est dit. L'enfant aura d'abord quelque surprise
De votre robe noire et de ma barbe grise ;
[...]
Chaque jour amenait sa nouvelle surprise.
Et comme le bonheur nous égare et nous grise,
Le petit Angelus n'avait pas seulement
Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement,
Effort de la pensée éclose qui s'envole
Et qui ressemble encore à la parole,
Que déjà le curé, plein d'ardeur et rêvant
A le faire bientôt devenir très-savant,
Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque
Son vieux savoir latin et sa science grecque,
[...]
Notez que "Angélus" est quelque peu une espèce de "sobriquet latin" !
Dans "Angélus", il est question du "maigre sein" qui n'a pas nourri l'enfant de celle qui l'a abandonné. Le mot "maigre" est d'ailleurs à rapprocher de "Vitrail" poème de Coppée dédidé à Verlaine qui fait partie des sources aux "Pauvres à l'Eglise", mais la confirmation de l'importance du poème "Angélus" dans la genèse de "Je préfère sans doute.." vient de la mention "plate-bande" à la rime :

[...]
Son père le soldat qui tenait l'arrosoir
Ou passait le râteau sur quelque plate-bande,
En écoutant au loin chanter la folle bande,
Grommelait, de son air affable et belliqueux :
"Voyons donc, fainéant, va jouer avec eux !"

L'enfant refuse, il préfère lire et le ferait même trop. Il se refuse donc aux jeux des enfants qui vont "au bois voisin" "Cueillir des mûres ou chasser des papillons".

Alors, je vais m'arrêter là, mais vous le sentez l'intérêt de bien s'imprégner du poème "Angélus" avant de savourer les perfidies de Rimbaud dans si pas "Les Etrennes des orphelins" au moins toutes ses contributions zutiques de "J'occupais un wagon..." à "Ressouvenir" en passant par "Je préfère sans doute..." et "Les Remembrances du vieillard idiot" ?

A suivre...


















1 commentaire:

  1. Quelques coquilles à corriger dont "grave" en "grava" dans un poème de Rimbaud que je cite.
    Sinon, j'annonce que j'ai découvert un moyen de plaider comme probable la connaissance par Rimbaud ET Verlaine de poèmes du "Cahier rouge" qui ne fut publié qu'en 1874. Ce recueil contient la rime "redingote"/"gargote" reprise par Rimbaud dans "Ressouvenir" à la mi-novembre 1871. Rimbaud ne semble pas avoir lu une pré-originale du poème, personne ne l'a jamais mentionnée. Seulement, il reste l'accès immédiat au "Cahier rouge", et je rassemble un dossier pour établir qu'avec certitude Verlaine et Rimbaud l'ont parcouru.

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