dimanche 25 août 2024

Retour sur la chronologie des contributions zutiques (édité le 25 au matin, puis à midi, photos désormais incluses !)

Je mettrai en ligne d'autres articles dans les jours à venir, peu importe que le public suive le rythme ou non. Après tout, quelqu'un qui consulte régulièrement ce blog peut lire un groupe d'articles.
J'ai remarqué que Jacques Bienvenu avait réagi sur son blog Rimbaud ivre à mon article rendant compte de la découverte de Cyril Balma, lequel a identifié qu'un dessin sur l'Album zutique était la reprise d'une caricature d'André Gill parue dans la presse.


Le titre parodie et tacle un titre d'ouvrage sur Rimbaud et Nouveau, et c'est effectivement très amusant. Non seulement Germain Nouveau n'a pas écrit l'œuvre de Rimbaud, mais on lui attribuait un sonnet en vers d'une syllabe qui n'était pas de lui.
En rendant compte de la découverte de Balma, j'ai cité les notes de Pascal Pia à son édition fac-similaire bien connue de l'Album zutique et celles de Denis Saint-Amand à l'édition en Garnier-Flammarion. Jacques Bienvenu a cité les commentaires de Bernard Teyssèdre. Il faut ajouter le tableau sur les contributeurs de l'Album zutique de Steve Murphy dans son volume I Poésies des Œuvres complètes chez Honoré Champion (1999), puisque le sonnet est là aussi attribué à Germain Nouveau.
Il y a deux faits importants à distinguer dans cette doxa critique. Premièrement, en surface, il y a cette sorte de consensus qui consiste à attribuer le poème à Germain Nouveau. Je précise que ce n'était pas mon cas. On peut le vérifier, mais j'avais émis des réserves quant à cette attribution. Je n'ai pas l'énergie d'aller immédiatement chercher des citations de mes propres travaux. Je trouvais bizarre qu'on attribue passivement cette composition à Germain Nouveau, alors qu'elle était dès le départ entendue comme hypothétique, alors que l'écriture de Nouveau n'était pas identifiée, alors enfin que la composition n'était même pas signée d'un quelconque G. N. Ceci dit, je peux m'emmêler les pinceaux dans les souvenirs de ce que je crois avoir écrit, puisqu'un autre poème pose un problème d'attribution dans l'Album zutique, à savoir le dizain Garçons de café qui est signé de deux lettres que Pascal Pia croit déchiffre en "P. N." Pascal Pia prétend que ce dizain est de Germain Nouveau, et que la signature "P. N." vaut pour un pseudonyme provisoire "P. Néouvielle" de Germain Nouveau. Cependant, Pia n'est sûr de rien du tout, comme le montre avec évidence la notice qu'il a consacrée au dizain "Garçon de café" :   
[...]
    Fallait-il attribuer Garçon de café à P. Néouvielle, alias Germain Nouveau ? Nous avons d'abord hésité à le faire. A côté de ce dizain figure dans l'Album zutique un sonnet de Nouveau, signé de son monogramme habituel, et dont l'écriture est différente. Après nous être appliqué à toutes sortes de comparaisons, nous en sommes venu à la conclusion que Garçon de café est également de la main de Nouveau, qui ne l'aura pas écrit le même jour ni avec la même plume que le sonnet voisin. [...]
Je vous épargne les rapprochements graphologiques que Pia établit avec un autre poème copié par Nouveau. A partir du moment où il ne s'agit que d'une analyse subjective, même pas faite par un graphologue reconnu, je ne leur reconnais aucune valeur d'autorité. Ce que je constate, c'est que sur la même page nous avons un conflit entre un monogramme "P. N." (à supposer qu'il ait été correctement déchiffré) et un monogramme G. N. clairement admis comme désignant Germain Nouveau. Pourquoi celui-ci utiliserait deux monogrammes distincts dans le corps de l'Album zutique ? Pire encore, sur une même page ? Le sonnet voisin est un poème en vers d'une syllabe intitulé "Sur Bouchor". Pia avoue aussi que l'écriture de Nouveau pour le sonnet "Sur Bouchor" est très différente de celle de "Garçon de café", mais il résout la difficulté par une espèce de pirouette : les deux contributions ont fini sur la même page, mais ne furent pas reportées au même moment, ni le même jour. C'est un peu court comme raisonnement.
Le dizain "Garçon de Café" a été reporté sur l'Album zutique probablement en 1872, le mystérieux "P. N" ou "P. R." ou que sais-je était sans doute dans la compagnie des Vivants, avec Bouchor, Nouveau et quelques autres. En effet, le titre "garçon de café" est écrit avec un "g" initial en minuscule, et certaines attaques de vers ont aussi l'ait d'être en minuscules (vers 4 et 10, mais aussi cas plus probant du vers 8 avec un "d" minuscule. A noter également que le mot "Café" est écrit avec un "C" majuscule tant dans le titre "garçon de Café" qu'en toute fin du dernier vers : "le sort du garçon de Café."

Mais assez sur ce "garçon de Café" ! Ce qui nous intéresse, c'est le cas du sonnet "A un Caricaturiste".
Reprenons la chronologie des transcriptions.

La première énigme est celle de la vignette "Hôtel des étrangers. Restaurant à la carte". Le problème ne vient pas du mot "Zutisme" qui sort d'une fenêtre du deuxième étage (et non du troisième), et non cela ne désigne pas la pièce où se réunissaient les membres du groupe. Cette fenêtre était pratique pour centrer le mot "Zutisme". Non, ce qui est énigmatique, c'est la vignette elle-même. Quand a-t-elle été ajoutée à l'Album ? A cause du mot "Zutisme" ajouté, le public néglige un fait capital. Il s'agit d'une vignette publicitaire authentique. En fait, on aurait aimé mettre la main sur d'autres exemplaires de cette vignette. Le gérant du "restaurant à la carte", quand l'a-t-il créée ? Surtout que nous ne sommes que quelques mois après la fin de la Commune quand se forme le Cercle du Zutisme. Existait-il des reproductions de cette vignette dans la presse ?
Ensuite, nous avons un dessin où on a fini par reconnaître les lubies du docteur Antoine Cros. Il s'agit du frontispice avec la mention Album zutique. Dater plus précisément les dessins nous importe peu en fait d'études rimbaldiennes. Ce qui nous intéresse, c'est les interactions entre les contributions poétiques.
Au recto du feuillet 1, nous avons droit à un sonnet à deux mains de Léon Valade et Jean Keck. Ce sonnet semble se dérober à la pratique de la fausse attribution parodique, sauf qu'il est un montage de citations attribués à l'ensemble des membres du groupe.
Ce sonnet à deux mains renvoie à la pratique des sonnets à deux mains de feu l'Album des Vilains Bonshommes, comme l'atteste le fait de reporter dans l'Album zutique la parodie "La Mort des cochons" du sonnet baudelairien "La Mort des amants". Le sonnet "La Mort des cochons" est une parodie à deux mains de la part de Valade et Verlaine. Au verso du feuillet 1, la célèbre parodie de L'Idole de Mérat le "Sonnet du trou du cul" est lui aussi un sonnet écrit à deux, Rimbaud et Verlaine, tandis qu'au verso du feuillet 3 nous avons un autre sonnet écrit à deux mains la parodie d'Hérédia "Ventre de jade [...]" flanquée des monogrammes "G. P" et "C C" pour respectivement Gustave Pradelle et Charles Cros.
Ce qu'il faut comprendre pour bien aborder la question de la chronologie et des interactions poétiques des membres du Cercle du Zutisme, c'est qu'il y avait des poèmes écrits à deux mains dans le feu Album des Vilains Bonshommes, détruit dans l'incendie de l'Hôtel de Ville sous la Commune. Il y avait notamment la parodie "La Mort des cochons", ce qu'on sait grâce à la correspondance de Verlaine, et ce sonnet a été reporté plus loin dans les contributions à l'Album zutique. Du coup, d'autant que Gustave Pradelle n'a pas pu participer aux réunions zutiques en octobre-novembre 1871, une lettre de Cros à Pradelle nous apprenant que Pradelle ne connaissait même pas Rimbaud directement, il semble probable que Charles Cros ait reporté la copie d'un sonnet en vers de huit syllabes qu'il avait écrit en duo avec Gustave Pradelle et qui avait été transcrit dans l'Album des Vilains Bonshommes. Ce dernier a brûlé dans l'incendie de l'Hôtel de Ville, parce que c'était Léon Valade qui le conservait et qui l'avait laissé sur son ancien lieu de travail. Et notez que le sonnet inaugural de l'Album zutique est coécrit par le sculpteur Jean Keck et Léon Valade lui-même, ce qui, parmi plusieurs autres indices, permet de dire que Léon Valade était le détenteur initial de cet Album zutique.
Passons maintenant à un niveau encore supérieur dans le raisonnement.
Léon Valade prétend dans son courrier avoir joué un rôle de "saint Jean Baptiste sur la rive gauche" dans la révélation de Rimbaud désormais prise en main par Verlaine (septembre-octobre 1871). Et Rimbaud a séjourné à Paris du 25 février au 10 mars 1871 en faisant escale à son arrivée dans l'atelier d'André Gill qui est un membre du Cercle du Zutisme. Dans sa lettre du voyant du 15 mai 1871, Rimbaud cite comme les deux voyants de la nouvelle école, Mérat et Verlaine, les deux amis et collègues de bureau de Valade. Valade, Mérat et Verlaine sont trois employés de l'Hôtel de Ville qui publient aussi tous les trois de la poésie, et qui, tous les trois, ont eu leur place dans les séries du Parnasse contemporain.
J'en arrive à un point crucial : Rimbaud a peut-être lu l'Album des Vilains Bonshommes en présence d'André Gill, Léon Valade et quelques autres à Paris entre le 25 février et le 10 mars 1871, puisqu'à cette époque ce volume n'était pas encore détruit. Les poèmes des lettres du voyant ont une nature zutique sensible et se moquent notamment de Daudet, auteur dont il va être question aussi dans nos considérations plus loin sur l'Album zutique.
Par ailleurs, Valade parle des "corruptions inouïes" de ce génie adolescent qu'est Rimbaud. De fait, il est établi par l'Album zutique qu'il n'a pas attendu longtemps pour oser proposer des compositions salaces. Rimbaud est arrivé à Paris le 15 septembre 1871 et avant la mi-novembre 1871 il a laissé quelques dizaines de contributions à l'Album zutique, ce à quoi il convient d'ajouter la part d'obscénités de poèmes tels que "Oraison du soir" ou "Les Chercheuses de poux".
L'erreur serait de croire que le "Sonnet du Trou du Cul" a été composé après le sonnet "Propos du Cercle", comme si le fait de déposer un album vierge dans un lieu avait précipité l'inspiration première.
Rimbaud est arrivé à Paris à la mi-septembre, il a assisté à un dîner des Vilains Bonshommes à la fin du mois, et il passe ses journées dans la compagnie des fréquentations de Verlaine. Valade parle de "corruptions inouïes" dans une lettre du tout début du mois d'octobre. En clair, Rimbaud a dû composer plusieurs poèmes zutiques avant le mois d'octobre, avant la première réunion du Cercle du Zutisme. Cette réunion a été l'occasion de reporter d'un coup plusieurs compositions déjà produites par Rimbaud et même par Verlaine, puisque certains dizains de Verlaine reportés dans l'Album zutique ont des transcriptions manuscrites antérieures dans ses courriers des mois de juillet et août 1871.
Bref, c'est sur le modèle des poèmes à deux mains de l'Album des Vilains Bonshommes que Verflaine et Rimbaud ont créé cette parodie de Mérat le "Sonnet du Trou du Cul". Et la composition de "Propos du Cercle" par Valade et Keck est postérieure à la création du "Sonnet du Trou du Cul".
La chronologie des transcriptions de poèmes sur le corps de l'Album zutique pour les premiers feuillets est la suivante : "Propos du Cercle" de Valade et Keck (copie de la main de Valade seul), "Sonnet du Trou du Cul" de Verlaine et Rimbaud (copie de la main de Rimbaud seul). Rimbaud a poursuivi avec le quatrain "Lys", puis deux dizains enchaînés sur le recto du feuillet 2, avec enfin un monostiche de Ricard : "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès."
Tel est le départ dont nous pouvons êtres sûrs. Après, ça se complique, mais je dirais que le plus probable, c'est que Valade a enchaîne au verso du feuillet 3 avec le faux Coppée "Malgré son nez d'argent". Puis Charles Cros a reporté son ancien sonnet à deux mains "Ventre de jade..." et a enchaîné avec la parodie d'Alphonse Daudet intitulé "Intérieur matinal". Puis, sur le recto du feuillet 4, Cros a également composé un dizain "Oaristys" qui fait écho aux deux de Rimbaud (inspirés de Verlaine) et du dizain de Valade. Et du coup, Gill lui-même je présume a dessiné entre le dizain de Valade "Malgré son nez d'argent..." et "Intérieur matinal" de Cros la tête de Daudet telle qu'il l'avait déjà représenté dans sa caricature publié dans le journal La Parodie (la découverte donc de Balma).
En l'état, nous avions un sonnet inaugural qui était centré sur le recto du feuillet 1. Sur les deux pages suivantes, Rimbaud avait laissé une importante marge gauche. Or, au verso du feuillet 3, Valade refuse de laisser une marge et crée clairement le dispositif qui va permettre d'avoir deux colonnes de transcriptions par page. J'ai tendance à penser que le dizain "Malgré son nez d'argent" et les trois poèmes ensuite reportés par Charles Cros l'ont été avant les ajouts par Rimbaud de "Vu à Rome" et "Fête galante" au recto du feuillet 3.
Et c'est là qu'il s'est passé quelque chose et cela intéresse précisément la découverte faite par Balma. Au verso du feuillet 3, nous avons Valade suivi par Cros qui créent la disposition en deux colonnes qui va ensuite prédominer, mais entre les deux Gill a glissé un dessin, une caricature de la tête d'Alphonse Daudet qui vient illustrer quelque peu la parodie "Intérieur matinal" faussement signée "Alph. Daudet" par Charles Cros.
Là, il y a un premier problème intéressant qui n'a jamais été soulevé me semble-t-il. Sous la tête dessinée a priori par Gill (puisque du groupe il était le mieux à même de reproduire son propre dessin officiel), il est écrit "Le petit Chose" désignation périphrastique pour Daudet qui reprend le titre de son roman paru en 1868, roman que parodie très clairement aussi Rimbaud dans "Mes petites amoureuses" avec le motif des "caoutchoucs". Qui a écrit "Le petit Chose" ? Jusqu'à présent, on se contente avec Pascal Pia de penser que le dessin a été fait par celui qui a composé le sonnet en vers d'une syllabe "A un caricaturiste", et on prétend de surcroît qu'il s'agit d'un ajout postérieur. L'ensemble du feuillet aurait été composé en octobre 1871 en présence de Rimbaud, à l'exception de ce dessin et du sonnet "A un Caricaturiste" qui serait le fait d'un intervenant de 1872, du groupe donc des Vivants, et on soutient qu'il s'agit carrément de Germain Nouveau.
L'attribution vraisemblable du dessin à André Gill rebat les cartes. André Gill est naturellement le meilleur candidat pour avoir exécuté ce dessin, puisque le modèle vient de lui. Notez que la mention "Le petit Chose" fait écho au deux premiers vers cinglants de "Intérieur matinal" :
Joujou, pipi, caca, dodo...
Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do...
[...]

Verlaine, Cros et la plupart des membres du Zutisme pensaient (à juste titre) qu'Alphonse Daudet était un écrivain assez gaga, et André Gill leur fait ici cortège, ce qui fait évidemment sourire quand on connaît la suite.
Mais donc, il faudrait une étude graphologique pour dire si oui ou non la mention "Le petit Chose" est bien de la main d'André Gill. Précisons que nous avons un terme de comparaison dans l'Album zutique même avec le dizain ; "Il la battait..." au verso du feuillet 26 qui est signé "And. G." Et à première vue, ça a bien l'air de correspondre comme écriture, mais il faudrait une expertise autre que mon avis au doigt mouillé. Et j'allais oublier cette autre pièce au verso du feuillet 7 la parodie de Carjat sous forme de dizain à la Coppée.
En revanche, désormais, il faut distinguer l'écriture du titre "Le petit Chose" de la main de Gill du sonnet en vers d'une syllabe : "A un Caricaturiste" où le titre, même s'il vise aussi le Daudet du Parnassiculet contemporain par superposition des suggestions, est clairement un hommage d'un tiers à la personne d'André Gill.
Pour moi, ce sonnet a été reporté sur le corps de l'Album zutique en octobre 1871 même, en présence donc tant d'André Gill que d'Arthur Rimbaud, mais le travers de raisonnement qu'on peut avoir, c'est de se dire que puisque le poème n'a pas été recopié ultérieurement en 1872, il ne s'agit pas du tout d'un ajout postérieur aux autres transcriptions.
Mon raisonnement est le suivant.
Il y a des familles de poèmes dans les contributions zutiques. Il y a quatre premiers schémas qui s'entremêlent. Il y a le cas des sonnets à deux mains, le cas de poèmes quatrains, puis le cas des dizains parodiant la manière de François Coppée et enfin une attaque contre Daudet.
Donc, Valade et Keck invente un sonnet où ils font parler les quatorze membres initiaux du Cercle : "Propos du Cercle". Cela permet d'introduire à ce qui avait d'évidence un succès de scandale depuis quelques jours ou quelques semaines parmi ce petit groupe, le "Sonnet du Trou du Cul" coécrit par Verlaine et Rimbaud. Mais Rimbaud enchaîne avec un poème-quatrain intitulé "Lys", puis avec deux dizains à la manière de Coppée, sachant que, d'après sa correspondance, Verlaine venait lui-même de composer deux dizains à la manière de Coppée enchaînés. Ces deux dizains, mais dépareillés, ont été reportés par Verlaine dans l'Album zutique. Et quand Valade reprend la plume, il reporte à son tour un dizain à la manière de Coppée : "Malgré son nez d'argent..." Cros intervient à son tour pour trois contributions. Il reporte un sonnet à deux mains déjà ancien de lui et de Gustave Pradelle, sa parodie d'Alphonse Daudet et un dizain "Oaristys". En clair, les premiers intervenants tendent à s'appliquer à des prouesses sur les schémas zutiques. Valade et Keck ont eu à coeur de produire un sonnet à deux mains pour accompagner le "Sonnet du Trou du Cul", tandis que Cros en a reproduit un plus ancien, probablement pour compenser la perte d'une transcription plus ancienne dans l'Album des Vilains Bonshommes, tout comme c'est le cas pour "La Mort des cochons" plus loin. Or, Rimbaud a imité le procédé de Verlaine des deux dizains enchaînés. Verlaine a créé deux parodies de Coppée, mais il les a enchaînées par un procédé de numérotation en chiffres romains. Rimbaud a créé deux dizains que le peu d'espacement rend solidaire sur leur transcription au recto du feuillet 3, et la composition se ressent de la lecture des deux pièces de Verlaine. Valade n'a pas eu l'inspiration pour deux dizains, mais il a fait l'effort d'en créer un qui, sans le monostiche attribué à Ricard, succéderait directement aux deux premiers dizains de Rimbaud, du recto du feuillet 3 à son verso. Cros a donc eu à cœur parmi ses trois contributions de glisser un sonnet à deux mains et un dizain, "Oaristys" en l'occurrence.
Ma conviction, mais je la plaide en signalant les indices sur lesquels se fonde ma réflexion, c'est que c'est la fin d'une première phase de transcriptions sur le corps de l'Album zutique. Jusqu'à présent, l'ordre de défilement des poèmes correspondait à l'ordre de transcription.
Mais, étant donné la création des colonnes à partir du verso du feuillet 3, ce que confirme la disposition de "Oaristys" de Cros au recto du feuillet 4, un retour a été effectué sur les deux pages en vis-à-vis de transcriptions par Rimbaud. Celui-ci, encore quelque peu scolaire oserait-on dire, avait laissé une importante marge gauche comme nous l'avons dit plus haut. Le "Sonnet du Trou du Cul" a été l'occasion pour un nouveau membre du Cercle, Camille Pelletan, de composer un sonnet "Avril, où le ciel est pur" qui parodie Charles Cros. Le poème est en vers de sept syllabes et non en alexandrins comme la parodie de L'Idole. Il peut se rapprocher des vers de huit syllabes du sonnet "Ventre de jade..." Mais, après cela, Léon Valade lui-même a imité la forme du poème-quatrain "Lys" de Rimbaud en créant la pièce "Autres propos du Cercle" qui renvoie par la même occasion au sonnet inaugural ou liminaire. Le quatrain de Valade est faussement attribué à Pelletan puis nous avons la mention zutique "pour cop. conf. L. V.", zutique dans l'esprit d'Eugène Vermersch composant ses fameuses "Binettes rimées" dans les pages mêmes du numéro de La Parodie où figure la caricature de Daudet identifiée par Cyril Balma !
Rimbaud a ensuite reporté une parodie de Léon Dierx "Vu à Rome" et une parodie de Verlaine "Fête galante". Un poème est en trois quatrains et l'autre en trois tercets, il s'agit donc d'une forme d'amusement sur deux poèmes à partir de la référence aux deux quatrains et deux tercets d'un sonnet : en gros, au lieu d'un sonnet à de"ux auteurs, une allusion biaisée à la forme du sonnet sur deux poèmes. Telle est la feinte de Rimbaud. Mais la parodie de Verlaine qu'est "Fête galante" tend aussi, en écho d'ailleurs avec le cas de la création en duo qu'est le "Sonnet du Trou du Cul", à faire écho à la démarche de Valade qui dans "Autres propos du Cercle" cite son ami Mérat. L'Album zutique, qui appartient visiblement à Valade, s'ouvre par un sonnet de Valade et se poursuit par une parodie de son meilleur ami Mérat. Il y a une autre subtilité à relever. Au même moment que Mendès avec Philoméla, Mérat et Valade ont publié en 1863 un recueil de sonnets composé à deux et sous couvert d'anonymat. En clair, on passe de la composition d'un recueil de sonnets à deux à la composition d'un sonnet à deux, et ce recueil sans nom d'auteur s'intitulait Avril, mai, juin. Je remarque que le nom de mois "Avril" est le premier mot du sonnet que Pelletan a mis à côté de la parodie de Mérat par Rimbaud et Verlaine... En clair, Pelletan parodie Cros mais épingle en passant le possesseur de l'Album zutique qu'est Valade et il épingle Mérat la cible du "Sonnet du Trou du Cul". La mention "Avril", par son emplacement clef, est vraisemblablement une allusion fine au titre du recueil Avril, mai, juin, à moins d'une coïncidence vraiment farce.
Je réfléchis à la chronologie la plus vraisemblable, sachant que cette fois-ci il est questions de compositions toutes fraîches. Pelletan écrit un sonnet "Avril..." qui répond au "Sonnet du Trou du Cul", tandis que Valade fait écho, et au sonnet liminaire "Propos du Cercle" et donc au quatrain "Lys" de Rimbaud. Mon idée, c'est que Pelletan a reporté "Avril..." puis Valade son quatrain, jusque-là rien que de très logique, et ensuite sur le feuillet suivant Rimbaud a à son tour comblé la marge gauche initiale par la transcription de "Vu à Rome" et "Fête galante". Et ensuite, j'imagine qu'André Gill a exécuté son dessin au verso du feuillet 3.
Après, j'ai un problème dans ma réflexion. Je ne parle pas encore du sonnet en vers d'une syllabe "A un Caricaturiste" puisque j'ai une raison de penser qu'il a été ajouté un peu plus tard que je vous livrerai dans quelques instants. Non, le problème, c'est le recto du feuillet 4, Charles Cros a transcrit proprement le dizain "Oaristys" en formant une première colonne. Sur le bas de cette première colonne, nous avons le début d'une parodie d'Eugène Manuel par Camille Pelletan, avec une plume bien grasse puisque les lettres sont épaisses et sales. La fin du poème occupe le haut de la deuxième colonne du feuillet. Mon problème, c'est que je me demande si initialement le reste du feuillet n'était pas demeuré blanc après la transcription du dizain "Oaristys". Au verso du feuillet 4, nous avons sur deux colonnes transcrits proprement le sonnet Cabaner composé à deux mains visiblement par Valade et Pelletan, avec leur double signature donc, puis le dizain tronqué en huit vers de Verlaine intitulé "Remembrances". lequel est suivi d'un dessin obscène représentant Coppée avec un sexe géant qui, astiqué, éjacule au sol. Puis, au recto du feuillet 5, nous avons la série des trois sonnets en vers d'une syllabe de Valade "Eloge de l'Âne", "Amour maternel" et "Combat naval", trois poèmes complétés par trois dessins dont deux proviennent de collages pour corriger les premières versions à nous inconnues.
J'imagine que le dessin obscène représentant Coppée a précipité la furie de Pelletan qui est revenu sur les pages antérieures de l'Album pour y mettre des remarques obscènes du genre "marque de mon doigt" avec un autre dessin de sexe en érection, bien décalotté pour citer la pièce de Verlaine. Et dans le même ordre d'idées, je considère que c'est les trois sonnets en vers d'une syllabe de Valade qui ont précipité la composition du sonnet "A un Caricaturiste".
Et c'est d'une certaine rigueur logique. Outre que je ne crois pas à une obscénité gratuite de Pelletan qui aurait précédé le profil plus précis du poème "Remembrances" flanqué d'un dessin, ce que je comprends, c'est qu'après la prestation de Charles Cros "Intérieur matinal", Daudet était la cible des propos échangés par les membres du cercle zutique, et Valade a composé très clairement des poèmes en vers d'une syllabe qui poursuivent sur le mode gaga mis en avant dans "Intérieur matinal". Et évidemment, le sonnet en vers d'une syllabe, s'il est une invention de Paul de Rességuier, est une spécificité de Daudet avec sa contribution "Le Martyre de saint Labre" au Parnassiculet contemporain. Au poassage, la pièce "Fête galante" de Rimbaud doit aussi être pensée dans cette relation conflictuelle entre Verlaine et Daudet. Tout se tient étroitement dans la logique des contributions zutiques initiales.
 Je pense que le sonnet "A un Caricaturiste" fait retour sur le dessin de Gill et le poème "Intérieur matinal" de Cros, suite à la création des trois sonnets en vers d'une syllabe de Valade. L'auteur de "A un caricaturiste" savait évidemment que Valade se payait la tête de Daudet avec "Combat naval", "Amour maternel" et "Eloge de l'Âne". La boucle est bouclée.
Pelletan aurait-il composé le sonnet en vers d'une syllabe "A un Caricaturiste" et transcrit le poème "Quand la danse saisit..." au même moment comblant certains vides, et créant notamment une troisième colonne au verso du feuillet 3, trois colonnes précisément comme le format des trois sonnets en vers d'une syllabe au recto du feuillet 5.
J'ai une masse d'indices qui permettent de soutenir ma chronologie des compositions comme fort vraisemblable. Je ne dois pas me tromper de beaucoup, et surtout je montre qu'il est possible de raconter une histoire sur les interactions entre les membres du groupe à travers leurs transcriptions a priori personnelles.
Je note qu'au verso du feuillet 5 Valade a laissé un monostiche, ce qui prouve qu'il veut faire cortège aux choix formels de Rimbaud, et au recto du feuillet 6 Charles Cros a glissé entre "Soleil couchant de Valade et Pantoume négligé de Verlaine, une parodie de Daudet, un sonnet en vers d'une syllabe "Sur la femme" qui crée une troisième colonne de la même manière brusque que c'est le cas avec "A un Caricaturiste".
Malgré un vis-à-vis de deux pages chaotiques, le verso du feuillet 6 et le recto du feuillet 7 conserve les indices de schémas imités entre zutistes puisque nous avons un poème quatrain de la main de Valade, des sonnets en vers courts de Rimbaud réunis en série, un sonnet en vers d'une syllabe de Cabaner, un sonnet à deux mains repris de l'Album des Vilains Bonshommes "La Mort des cochons"
A partir de ces deux pages, les transcriptions sont plus erratiques, beaucoup moins propres, et si auparavant la transcription par Pelletan de sa parodie de Manuel est déjà très sale, c'est peut-être que c'est ce même jour-là qu'ont été transcrites les deux premières "Conneries" de Rimbaud, qu'a été reporté le sonnet "La Mort des cochons" et autres éléments du verso du feuillet 6 et du recto du feuillet 7.
Nous sommes très loin de la lecture naïve de Benrard Teyssèdre dans son livre Le Foutoir zutique où il imagine que les compositions suivent l'ordre de défilement des pages manuscrites. Certes, l'ordre des feuillets est assez bien suivi, ce qui est naturel, mais ce que je mets en avant, c'est certains retours significatifs et je souligne des transcriptions en série avec des influences entre les contributeurs. Certains poèmes zutiques portent témoignage de la lecture d'autres contributions zutiques. Et cette dynamique de compréhension du mode d'écriture zutique a une réelle importance en soi.
Pour l'instant, mais sans certitude vu la fragilité de l'affirmation au plan graphologique, j'envisage que "A un Caricaturiste" soit de Pelletan. En tout cas, il s'agit d'une composition des premiers membres du groupe.
Quant à Pelletan, soit il a été un nouveau venu après la soirée inaugurale et le poème "Propos du Cercle", soit Miret était un surnom d'époque de Pelletan, ce que j'ai dit à titre purement hypothétique et sans aucune assurance.
Ce sera tout pour l'instant.

***

Ajout effectué le 25 au matin :

Je reviens sur l'attribution à Pelletan et sur certains points intéressants à partir des notes de Pascal Pia dans son édition fac-similaire.
Depuis 2009-2010, j'ai insisté sur le problème de l'ordre des transcriptions dans l'Album zutique. J'explique ce qu'il faut bien entendre par cela ci-dessous.
Pour la plupart des gens, seules les contributions zutiques de Rimbaud, Verlaine, Cros et Nouveau sont connues. Ils les lisent dans les œuvres complètes respectives de chacun de ces quatre poètes. Pour un certain nombre de lecteurs, il était possible d'acquérir une édition fac-similaire de l'Album zutique avec des notes de Pascal Pia, édition fac-similaire qui a existé en deux volumes, l'un de fac-similé, l'autre de transcriptions en caractères d'imprimeries avec des notes, puis les deux volumes ont été fondus en un seul, et la plupart du temps les collectionneurs possèdent une édition en un seul volume. J'ai acheté à Avignon une édition de 1962 avec une couverture verdâtre en tissu fragile et je possède depuis plus longtemps une réédition à couverture noire par Slatkine qui date de 1980. La version originale a le mérite de faire apparaître la mention manuscrite "Assez" en-dessous des "Hypotyposes saturniennes ex Belmontet", mention "Assez" qui figure sur les deux jeux de plaques photographiques sur verres qui existent de l'Album zutique. Jean-Jacques Lefrère s'en est servi pour illustrer mon article sur Belmontet paru dans la revue Histoires littéraires, ce qui indique qu'il avait accès à une des deux collections de plaques sur verres de l'Album zutique, et la mention "Assez " figure aussi sur l'autre jeu de plaques photographiques sur verre, ce que j'ai pu vérifier (mais je n'y ai plus accès).
On peut évidemment s'amuser à lire les pages fac-similaires en déchiffrant les écritures manuscrites, mais il faut avouer qu'il est plus commode de se reporter aux transcriptions en caractères d'imprimerie, avec des notes en vis-à-vis pour éclairer la lecture. Or, Pascal Pia suit le principe d'une lecture de gauche à droite. Après le sonnet liminaire "Propos du Cercle", page 21 de son édition, il fournit le texte du sonnet de Pelletan : "Avril, où le ciel est pur..." page 23, puis le texte du quatrain "Autres propos du cercle" de Valade page 25 et seulement après les transcriptions successives du "Sonnet du Trou du Cul" page 27 et du quatrain "Lys" page 29, gommant pour les lecteurs l'idée que Pelletan a composé son poème avec la parodie de L'Idole en regard, tout comme Valade a composé son quatrain avec pour modèle le "Lys" de Rimbaud. Et cela se poursuit sur les pages suivantes avec "Vu à Rome" page 31 et "Fête galante" page 33 qui passent avant les dizains "J'occupais un wagon..." et "Je préfère sans doute..." pages 35 et 37, avant le monostiche attribué à Ricard page 39.
Notons que l'édition en Garnier-Flammarion par Denis Saint-Amand procède de la même manière, même si dans les notes mes avertissements sont un peu pris en considération sur l'ordre des transcriptions.
Passons à la suite. Par la force des choses, Pia publie le premier l'ensemble des productions zutiques. Il n'a pas eu divers retours pour améliorer l'appareil critique. Il part de convictions personnelles au doigt mouillé et à son époque, en 1962, il y a une certaine excitation à attribuer les poèmes aux membres du cercle les plus importants, et Germain Nouveau était alors considéré comme un poète d'une grande importance, ce qui ne s'est pas maintenu.
Donc, face à certaines difficultés d'attribution, il fut tentant pour Pia de considérer que certaines pièces devaient être de Germain Nouveau, c'est le cas du sonnet en vers d'une syllabe "A un Caricaturiste" et du sonnet en alexandrins "garçon de Café" signé pourtant "P. N." ou quelque chose d'approchant.
Mais il y a un autre problème posé par l'approche de Pia, c'est qu'il sous-évalue complètement les projets parodiques et les schémas suivis par les membres du cercle.
Il lisait les poèmes zutiques et décrétait sans crier gare qu'ils n'imitaient pas le style de l'auteur parodié. Très souvent, Pia n'a effectué aucune recherche sur les ciblages parodiques. Il ne va pas identifier les dizains précis parodiés par Valade, André Gill ou d'autres, alors même que les sources sont évidentes pour qui a lu l'un après l'autre les dizains de Coppée "Promenades et intérieurs" (deux séries), le recueil Les Humbles, les poèmes de Coppée de ses premiers recueils et les productions zutiques. Pour le dizain "Malgré son nez d'argent..." de Valade, Pia n'identifie pas le dizain modèle dans les pièces de Coppée, il offre en note une anecdote générale sur la légende de l'Invalide à tête de bois. A propos de la pièce tronquée "Remembrances" de Verlaine, Pia déclare imprudemment que Coppée n'écrivait pas de poèmes érotiques, ce qui veut dire qu'il n'a pas lu attentivement Intimités de Coppée parmi ses premières publications en vers.
Pia identifie que pour "Propos du Cercle" les deux signatures de Léon Valade et Jean Keck sont celles des deux auteurs du sonnet recopié par le seul Valade, il s'agit d'une création à deux comme c'est le cas pour le "Sonnet du Trou du Cul" et pour le sonnet de Charles Cros et Gustave Pradelle.
Mais il y a d'autres cas.
Dans l'absolu, on ne sait pas clairement si "Avril est pur..." est un sonnet de Pelletan parodiant Cros ou une composition à deux de Pelletan et Cros. Il est vrai que la première solution tend plus naturellement à s'imposer, mais il y a d'autres cas.
Le sonnet "Cabaner" est recopié par Valade qui signe et Camille Pelletan a ajouté son nom à côté. Et, deux pages plus loin (on passe du verso du feuillet 4 au verso du feuillet 5) nous avons un sonnet Cabenr-cantinière recopié par Léon Valade et accompagné de la signature Jean Keck, avec une présentation à virgbule : "Léon Valade, Jean Keck."
Pour moi, Valade étant le déteneur de l'Album zutique, il écrit à deux plusieurs pièces avec ses amis Keck et Peletan. Cros a pu écrire à deux avec Pelletan et je remarque aussi une constante : Cabaner est cité dans "Avril est pur..." "la langue des Cabaners", alors qu'il est le sujet des pièces "Cabaner" et "Cabaner-cantinière" duo Valade-Pelletan puis Valade-Keck, le rôle de cantinière de Cabaner étant déjà fixé dans "Propos du Cercle" de Valade et Keck.
Dans ses notes, Pia dit que Propos du cercle" et "Cabaner-cantinière" sont des créations à deux de Valade et Keck, mais pour le sonnet "Cabaner" signé Valade et Pelletan, voici ce qu'il affirme :
   Le sonnet sur Cabaner s'accompagne de deux signatures : celle de Valade et celle de Pelletan, mais la seconde paraît usurpée. Toute la pièce, titres compris, est de la main de Valade, qui n'avait nul besoin d'assistant pour venir à bout d'un sonnet.
Le raisonnement est absurde. C'est comme dire que Verlaine n'avait nul besoin de l'assistance de Rimbaud pour écrire le "Sonnet du Trou du Cul", nul besoin de l'assistance de Valade pour écrire "La Mort des cochons". Pia oublie qu'il y a plusieurs poèmes écrits à deux dans l'Album zutique : "Sonnet du Trou du cul", "Mort des cochons", "Ventre de jade...", et bien sûr les deux pièces coécrites par Keck et Valade où d'ailleurs on pourrait tout aussi bien dire que "Cabaner-cantinières" sont recopiés par le seul Léon Valade, la signature de Keck étant une usurpation. Et "Propos du Cercle" serait de Keck seul sans participation de Valade.
Dans le cas du sonnet "Avril où le ciel est pur..." on peut se demander si au lieu d'un jeu zutique de parodié (Cros) à parodieur (Pelletan), ce n'est pas un création à deux de Cros et Pelletan pour être mise en vis-à-vis au "Sonnet du Trou du cul".
J'en viens au cas du sonnet "A un Caricaturiste". Pia a fait une page à part dans ses transcriptions au passage difficilement lisible "marque des doigts" avec le chiffre "cinq" en différentes langues : "marque des doigts de Charles Cros. Les 5, cinq, cinque, quinque, pente, five, fünf. panéca, doigts. (addition du doigteur. [...] savinq, etc.)"
Voici ce que dit Pia dans la note consacrée à ce passage :
   Ces lignes difficilement lisibles, et dont la première a été en partie recouverte par la fin du sonnet A un caricaturiste, sont de la main de Camille Pelletan. Cros avait laissé sur cette page de l'Album de légères traces de doigt que le temps a estompées.
    Mentionnant les cinq doigts de Cros, Pelletan écrit le mot cinq de toutes les façons et le traduit successivement en latin, en grec, en anglais, en allemand et en sanscrit. A l'instigation du "doigteur",il ajoute même à cette nomenclature un mot que nous n'avons pas su déchiffrer, et, pour finir, le mot savinq, qui correspond au mot cinq dans l'argot dit "javanais".
Je ne pense pas que les marques de doigt s'apprécient sur les plaques photographiques, il s'agit d'une remarque faite en fonction d'une consultation du manuscrit lui-même. Mais derrière l'érudition sur le chiffre 5, Pia ne doit pas nous impressionner pour son identification de la main de Pelletan. Il se trouve que sur la page voisine, Pelletan a transcrit une parodie d'Eugène Manuel : "Quand la danse saisit..." qu'il a signé "Manuel. (Eugène). / marque de mon doigt. Camille Pelletan."
Ce qui m'intéresse surtout dans la note de Pia, c'est qu'il précise que la fin du sonnet "A un Caricaturiste" est écrite par-dessus ces lignes sur les marques des doigts de Cros, sachant que l'allusion au sanscrit relève de l'intention fine au sujet de Charles Cros, puisque sa légende veut qu'il écrive des poèmes en sanscrit.
J'en viens donc enfin au sonnet "A un Caricaturiste". Voici ce qu'écrit Pia à son sujet :

   Comme le croquis au-dessous duquel il figure dans l'Album Zutique, ce sonnet a été inséré après-coup dans une page que Cros et Valade avaient à eux seuls presque entièrement remplie. Texte et dessin sont apparemment de la même main. Ni l'un ni l'autre ne comportent de signature, mais nous pensons qu'il s'agit de Germain Nouveau, dont on trouvera plus loin d'autres pièces, accompagnées de son monogramme.
     La légende du dessin dit : le Petit Chose. Le dessin représente en effet, sinon le Petit Chose, du moins son père, Alphonse Daudet, qui, en 1871, avait trente et un ans.
Il va falloir reprendre à tête reposée la réflexion sur l'attribution de ce sonnet à un membre du Zutisme, et de préférence à un membre de la première heure. L'écriture de Nouveau n'est pas identifiée par Pia, mais la pièce n'est pas signée et est postérieure à l'intervention sur les marques du doigt de Pelletan.
Pelletan ayant composé et transcrit dans l'Album "Conseils à une jeune moumouche" avec des rimes communes au sonnet "A un caricaturiste", il reste un candidat potentiel, mais il convient de demeurer prudent.
En tout cas, les pièces non signées sont essentiellement le fait des membres du Cercle en octobre-novembre 1871. Les interventions ultérieures sont systématiquement signées par Ponchon, Cros et les autres.
Valade n'a pas signé le monostiche : "L'idée à Bergerat, et la forme à Coppée !" Il n'a pas signé son quatrain "Le divin Cabaner..." suivi de la mention source : "Légende des siècles". Verlaine ne signe pas tellement ses propres productions, maximes ou "Pantoum négligé".
Au sujet du "Pantoum négligé", une remarque importante s'impose qui concerne l'ordre des contributions zutiques.
Si on lit l'Album zutique, page après page, nous avons d'abord la parodie de Daudet "Intérieur matinal" par Charles Cros puis le "Pantoum négligé" de Verlaine.
Mais j'ai déjà soulevé l'idée que plusieurs poèmes de l'Album zutique pouvaient être des reports de feu l'Album des Vilains Bonshommes. C'est le cas de "La Mort des cochons", c'est probablement le cas de "Ventre de jade..." écrit à deux par Cros et Pradelle. Notez d'ailleurs que "Ventre de jade" est un blason du ventre écrit à deux, ce qui le rapproche d'une parodie de L'Idole à deux comme l'est le "Sonnet du Trou du cul".
Or, si le poème "Pantoum négligé" a été publié en 1872 dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, il s'agit de toute évidence d'une pièce plus ancienne de Verlaine. Il parodie de près Daudet et "Intérieur matinal" de Cros s'inspire vraisemblablement du "Pantoum négligé" de Verlaine. De "Do do l'enfant do" à "Joujou, pipi, caca, dodo... / Do, ré , mi , fa, sol, la, si, do"
Tout cela passait loin au-dessus de la tête de Pia qui à propos de "Intérieur matinal" dit naïvement ceci : "Cette pièce est de Charles Cros, qui s'est amusé à y mettre le nom d'Alphonse Daudet [...]". Pia constate que le poème a été ensuite publié dans Le Coffret de santal sans aucune mention de Daudet.
Pia a tendance à interpréter les fausses attributions zutiques comme des actes gratuits, aléatoires...
Notons que c'est précisément à côté du "Pantoum négligé" que Cros a introduit de force la colonne centrale d'un sonnet en vers d'une syllabe qu'il a signé de son monogramme, encore un signe qui relie "Intérieur matinal" et "Pantoum négligé", et ce qui fait du coup de Verlaine un autre candidat à la composition du sonnet "A un Caricaturiste". Toutefois, son écriture aurait été identifiée. Il ne doit pas y avoir beaucoup de zutistes dont l'écriture corresponde à celle du sonnet "A un Caricaturiste". Difficile de croire que le problème soit insoluble.

***

Edité (25 août, à midi) :

Liste des membres du cercle d'octobre-novembre 1871 :

Albert Mérat, poète troyen.
Michel Eudes dit Penoutet, beau blond.
Jean Keck, sculpteur.
Verlaine.
Henri Cros, sculpteur
Léon Valade
Miret (à moins d'une transcription mal écrite de "Mérat", surnom éventuel de Camille Pelletan, sinon inconnu)
Henri Mercier
Ernest Cabaner
André Gill, caricaturiste
Antoine Cros, docteur et futur roi en Amérique du sud.
Charles Cros, poète et inventeur.
Jacquet, probablement Achille dont certains témoignages tardifs disent qu'il aimait dire "Zut", homme blond nous apprend Valade.
Arthur Rimbaud.

Camille Pelletan

membre de passage, mais à partir de la mi-octobre : Charles de Sivry, libéré de Satory.
.
Autres inconnues :
Participation ou non de Forain ?
un mystérieux JM le premier novembre. Je me demande s'il ne s'agit pas d'Henri Mercier, l'apparence de J trompant peut-être l'enquête à son sujet.

Note en passant, remarquez à quel point pour le "Ah merde", Jacquet est relié à Rimbaud. Les deux derniers vers de "Propos du Cercle" sont un propos rapporté du seul Jacquet, ce qui fait une mention conséquente avec l'interruption "Ah merde" de Rimbaud, et il est mis en vedette à nouveau dans "Autres propos du cercle" où ne sont cités que les amis Valade et Mérat par ailleurs.

Plusieurs n'ont rien écrit sur le corps de l'Album zutique : Albert Mérat (cas le plus frappant), Michel Eudes dit Penoutet, Jacquet, Miret en tant qu'inconnu. On peut réduire à la portion congrue Henry Cros, Antoine Cros, le mystérieux JM, Henri Mercier.

On ne reconnaît pas l'écriture de Valade ou de Rimbaud dans la transcription du sonnet "A un Caricaturiste".
Les candidats sont Jean Keck, Camille Pelletan, Charles Cros, Paul Verlaine, Ernest Cabaner et André Gill.

Observons que au verso du feuillet 2 le sonnet : "Avril, où le ciel est pur," Pia prétend identifier l'écriture de Camille Pelletan qui parodierait Charles Cros. Voici ce qu'écrit Pia en note à "Avril..." : "Ce sonnet est de la main de Camille Pelletan, dont le nom a été ajouté après coup. Pelletan, ou un autre Zutiste, y avait mis d'abord le nom de Charles Cros, en imitant la signature de celui-ci ."

Le raisonnement est bancal, je mets une photographie du manuscrit. On dirait plutôt que le poème a été recopié par Cros qui l'a signé, puis Camille Pelletan a ajouté sa signature sur le côté.




Pia prétend identifier l'écriture de Pelletan et non celle de Charles Cros, mais j'observe que les t sont barrés et les r allongés de la même manière dans le cas du poème "Oaristys..." clairement admis comme une copie de Charles Cros lui-même.




Je remarque que sur le poème "Cabaner" recopié par Valade, Camille Pelletan a adjoint son nom avec une écriture fort similaire à celle qui apparaît à la suite de celle de Cros pour "Avril, où le ciel est pur..."



L'écriture du sonnet "A un Caricaturiste" est assez soignée. On semble pouvoir écarter Charles Cros, Camille Pelletan lui-même et Jean Keck, ainsi que Paul Verlaine. On ne reconnaît pas non plus l'écriture d'Henri Mercier. On imagine mal André Gill se désigner lui-même par l'adresse "A un Caricaturiste" et son écriture ne correspond pas non plus. Ce n'est pas l'écriture de Cabaner non plus.
Finalement, nous nous sommes peut-être emballés. Le dessin de Gill date d'octobre 1871 tout comme les transcriptions de Valade et Charles Cros sur le feuillet, tout comme la série "marques des doigts de Charles Cros" par Pelletan, mais le sonnet serait réellement un ajout ultérieur de 1872. L'emploi de minuscules en tête de vers plaide en ce sens. Comme ce n'est pas l'écriture de Raoul Ponchon, Germain Nouveau reste un bon candidat. Le bouclage du C majuscule avec un petit rond qui apparaît, ce serait un indice plausible de l'écriture de Germain Nouveau.

1 commentaire:

  1. Pour compléter votre article, je souhaiterais revenir sur divers sujets évoqués sur le blog.

    - D’abord, c’est Philippe Gille (1) qui signe Le Masque de Fer dans la rubrique des Échos du Figaro (2).

    - Ensuite, j’ai retrouvé le document où Achille Jacquet dit : Zut ! (3) Il s’agit des Lettres et souvenirs d’Henri Maréchal, publié dans le Ménestrel puis en volume.

    - J’ajoute aussi un pré-original d’E. Manuel : La Mère et l’Enfant (4), qui inspira l’Aumône de Valade, publié dans l’Univers illustré en août 1871. Postérieurs à la transcription du 22 ou 29 octobre dans l’Album, les Poèmes Populaire ont été publié en volume la semaine du 7 novembre 1871 (5).

    - Puis deux discussions autour de Vu à Rome :
    L’Odeur sacrée de L. Dierx semble être un succès tardif ajouté à la réédition des Lèvres Closes en 1894. Publiée dans le Revue Parisienne du 10 janvier 1894 (6) elle n’a probablement pas inspirée les vers de Rimbaud.
    Plus convaincante est la caricature du Père Hyacinthe (7) par Mailly publiée dans le Hanneton du 12 mars 1868. D’esprit zutique (Verlaine, Valade et Mérat sont au comité de rédaction) elle s’accompagne d’une épithète faisant un rapprochement entre l’homme d’église et le nez : « Hyacinthe n’est pas un homme : C’est un nez !

    - J’ai identifié un pré-orignal de Croquis de Banlieue (8) : onzième poème d’une troisième série de dizain publié les 11 et 18 mars 1873 (9) dans le Gaulois. Une fois encore la date l’exclu de la période d’activité du Zutisme (à moins d’un accès aux manuscrits).

    - Enfin, la Chaumière incendiée ait été publié en plaquette en 1872 d’après ce document (10) de la bibliothèque nationale. Cela rend d’autant plus probable l’accès au texte par Rimbaud.

    (1) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6458534j/f13.item
    (2) https://cths.fr/an/savant.php?id=121866
    (3) https://www.retronews.fr/journal/le-menestrel/11-novembre-1911/130/998841/2
    (4) https://www.retronews.fr/journal/paris-journal/15-aout-1871/4024/5317396/3
    (5) https://www.retronews.fr/journal/le-constitutionnel/7-novembre-1871/22/753465/3
    (6) https://www.retronews.fr/journal/la-loi/18-janvier-1894/1703/3114167/3
    (7) https://www.retronews.fr/journal/le-hanneton/12-mar-1868/3374/5033554/1
    (8) https://www.retronews.fr/journal/le-gaulois/11-mars-1873/37/661835/1
    (9) https://www.retronews.fr/journal/le-gaulois/18-mars-1873/37/661923/1
    (10) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5444728s?rk=21459;2

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