samedi 31 août 2024

De la revue La Parodie à l'Album zutique, un portrait de Daudet pour copie conforme...

Grâce aux interventions de Cyril Balma dans la section de "Commentaires" de ce blog, nous savons que le portrait de Daudet en "petit Chose" au verso du feuillet 3 est la reproduction fidèle d'une caricature d'André Gill qui a été publiée dans la revue La Parodie le 5 décembre 1869, à l'époque de composition des "Etrennes des orphelins", le premier poème en vers français connu de la plume de Rimbaud.




A partir du document disponible sur site Gallica de la BNF, je vous invite à consulter la première page du numéro 16 de la revue pour la semaine "Du 5 au 12 décembre 1869".
Vous avez un petit onglet où vous pouvez faire défiler les pages. Vous avez deux pages non paginées (NP), puis une suite des pages 239 à 250 et enfin deux autres pages non paginées NP. Cliquez sur la première page non paginée.  Vous avez un dessin de personnage avec un long nez et une précision du titre de la revue "La Parodie par Gill". Celui-ci en est le véritable maître d'œuvre. Puis, observez le rectangle qui contient le sommaire du numéro. Vous pouvez remarquer les contributeurs, dont un sous le pseudonyme La Palférine, vous avez deux contributeurs obscurs "A. Lemot" et "Jacques Durand", et puis vous avez deux contributions d'Eugène Vermersch et enfin trois contributions à lui seul d'André Gill, et le fait remarquable c'est la signature abrégée "And. Gill".  Dans l'Album zutique, André Gill a produit deux dizains, le premier attribué à Etienne Carjat au lieu de François Coppée : "(Oh ! n'avoir pas trouvé même...) une rime en elles ?", avec césure devant "même". Cette première contribution au verso du feuillet 7 est signée "A. Gill". Ensuite, au verso du feuillet 26, nous avons une seconde contribution qui est signée "And. G." Et il s'agit d'un dizain parodiant un poème précis de Coppée. Il me suffit de citer les premiers vers des compositions respectives pour que vous en saisissiez le lien :
Il la battait sans fiel, sans motif, sans scrupule. (Dizain zutique d'André Gill)

Il rentrait toujours ivre et battait sa maîtresse. (Premier vers de la pièce "Le Père" des Poèmes modernes de François Coppée)
Précisons que l'Album zutique égrène des mentions de dates : (sortie de Satory de Charles de Sivry, non datée, mais correspondant au 18 octobre au verso du feuillet 9), verso du feuillet 10 "22 Octobre 1871" pour la transcription par Valade d'une parodie très drôle d'Eugène Manuel, recto du feuillet non paginé 12 un avis de passage le 1er 9bre pour premier novembre, recto du feuillet disons 18 Antoine Cros "6 IXbre 1871" pour six novembre, puis date légèrement anormale "Samedi 9 Novembre 71 2h12" par X qui est Valade s'anonymisant, au recto du feuillet 23.
Au recto du feuillet 25, Rimbaud a transcrit sa parodie de Coppée "Les Remembrances du vieillard idiot" et au verso le dizain "Ressouvenir". Il s'agit des dernières contributions zutiques de Rimbaud, tandis que Verlaine a transcrit le dizain "Bouillons-Duval" au recto du feuillet 26.
Et c'est au verso de cette transcription verlaiienne que Gill a apposé son dizain "Il la battait sans fiel..."
Pourquoi est-ce intéressant, me direz-vous ?
Voici !
Le 17 novembre 1871, dans le premier numéro du XIXe siècle, une recension hostile à l'égard de Verlaine rapportait les faits publics, puis privés, suivants :

   Ils sont gentils, les petits poètes du Parnasse contemporain !
   On sait qu'ils étaient tous présents à l'appel, pour la première représentation de l'Abandonnée, de leur frère François Coppée. Nous les avons vus applaudissant avec frénésie la nouvelle pièce du poète qui fut un des familiers de la princesse Mathilde, mais ce n'était que pure hypocrisie. L'un d'entre eux, principal coryphée de la petite église, M..., après s'être fait mal aux mains d'applaudir pendant une soirée, voulut venger son amour-propre froissé en tuant à son retour au logis conjugal sa jeune femme et un nouveau-né. On l'empêcha fort heureusement de commettre ce double crime : mais si M. Coppée remporte prochainement un nouveau succès au théâtre, nous ne répondrons pas de la vie des deux pauvres êtres, condamnés à embellir à perpétuité l'intérieur du Parnassien en question.

Il est clair que les deux pièces "Les Remembrances du vieillard idiot" et "Ressouvenir" furent composées et reportées sur l'Album zutique autour du 17 novembre, un peu avant ou un peu après comment trancher ? mais en liaison avec l'actualité de la première de cette pièce L'Abandonnée. Le scandale provoqué par Verlaine, signalé ici à l'attention, fait songer au mot de l'éditeur Lemerre qui demandait à Verlaine d'enlever la jalousie et la politique de sa vie pour être un homme parfait. D'intuition, on sent que cet enfrefilet joue un rôle dans la fin des contributions zutiques de Rimbaud et Verlaine. Notons que la pièce parodiée par Gill s'intitule "Le Père" et précisément vers le 17 novembre Gill parodie un poème de Coppée qui pourrait s'appliquer aux propos de cet entrefilet sur Verlaine après une première d'une pièce de Coppée, dont le titre "L'Abandonnée" fait écho au défaut de mari et de père du protagoniste masculin. Gill n'a pas fait d'allusion à l'enfant du poème "Le Père", mais on sent que la composition n'est pas neutre. Il reste possible qu'il ne soit là question que d'une malheureuse coïncidence, mais tout de même, c'est assez curieux à constater.
Désormais, il se pose aussi la question de la part de contributions éventuelles de Gill dans le lot de dessins reportés sur l'Album zutique. Qui plus, nous devons dissocier le dessin de Daudet et la mention "Le petit Chose" du sonnet en vers d'une syllabe "A un Caricaturiste".
Mais je voudrais m'attarder sur un autre point important. Le même numéro de la revue La Parodie contient une suite de poèmes parodiant des auteurs du Parnasse contemporain. Cliquez sur le document mis en lien ci-dessus. Vous avez une série "Caprices et variations sur des thèmes parnassiens" par Eugène Vermersch avec une adresse "Aux lecteurs" en prose (page 241), parodie de "François Coupé" à la page 242 avec un poème intitulé "Chérubin" où noter la rime "farouche"/"bouche" entre autres éléments, une parodie d'Armand Silvestre en "Six-Vestes", auteur non oublié par Rimbaud en ses débuts zutiques, parodie intitulée "Les Arabesques" à cheval sur les pages 242 et 243, et il est suivi (non précédé cette fois) par une parodie de Mérat ("Cérat") avec une pièce au titre plus élevé qu'un trou du cul intitulée "Mon âme", les deux premiers rêves avec les mentions à initiale majuscule "Rêve" et "Âme" sont probablement citées en douce par Rimbaud dans les tercets du "Sonnet du Trou du Cul" :
Dans le jardin du Rêve où parmi les clartés
Mon Âme, en robe bleue, à midi, se pavane,
[...]
Les pages 244 à 247 sot consacrées à Daudet par André Gill avec donc notre caricature sur toute la page 244. La suite des parodies de Vermersch reprend à la page 249 seulement, page 248 réservée à une caricature de Michelet. Nous avons un poème IV "Le Clair-obscur" attribué à Malade autrement dit Valade, et un poème V "La Carafe de Clarisse Harlowe" attribué à "Pôle-vers-l'aine" pour Paul Verlaine, avec une préfiguration étonnante du scandale du Sonnet du Trou du Cul et de la relation sulfureuse entre Verlaine et Rimbaud. Notez l'emploi de la préposition "vers" et le recours au mot "aine" qui a son contrepoint en "aisselle" dans une lettre de Rimbaud et qui peut entrer en résonance avec les deux mentions "veine" à la rime dans deux dizains zutiques rimbaldiens.
La page 250 offre une parodie intitulée "Madrigal" de Catulle Mendès et une de Louis Ménard, sorte de Rimbaud républicain de 1848 en tout de même beaucoup moins prononcé.
Et, enfin, dans la revue La Parodie, par exemple à la page 289 du numéro du 2 janvier 1870, nous avons le principe de la fausse signature parodique suivie du vrai nom d'auteur avec la mention "pour copie conforme".
Je cite l'exemple de la revue page 289 :

Berdoulat.
Pour copie conforme :
A. Gill, A. Brun.

C'est exactement la formule de Valade au bas du quatrain "Autres propos du cercle" :

Camille Pelletan.
Pour cop. conf. L. V.

Enfin, notez aussi que le quatrain de Valade reprend la fin du sonnet "Propos du Cercle" où les deux derniers vers sont des propos rapportés de Jacquet et Rimbaud :
(Jacquet) Personne au piano ! C'est fâcheux que l'on perde
                Son temps, Mercier, jouez le Joyeux Viv... (Rimbaud) Ah ! merde !

**

                 Autres propos du cercle

Dans ce taudis sombre où le blond Jacquet se sert de
Tapis infects ainsi que de crachoirs (verrat
Hideux), Valade dit : "Merde !" L'âpre Mérat
Répond : "Merde!" Henri Cros dit : "Merde, merde, merde!"
Notez le même jeu d'entre vers sur une même rime "se sert de / Tapis", "perde / Son temps". Pourquoi citez spécialement Jacquet, on dirait que les deux poèmes font allusion à une réelle scène où Rimbaud aurait coupé la parole à ce Jacquet.
Je dois m'arrêter là, mais Cyril Balma a retrouvé l'extrait que je cherchais, celui où Achille Jacquet dit "Zut".

A suivre...




Le blog en interaction avec le nouveau commentaire de Cyril Balma sur l'Album zutique

Je cite ici le dernier commentaire fait par Cyril Balma à la suite de mon récent article "Retour sur la chronologie des contributions zutiques". Je ne le connais pas, mais je le remercie et je mets en avant un commentaire qui contient pas mal de sources dont il serait dommage de se priver. Le commentaire (que j'ai mis en ligne sous l'article correspondant) est transcrit ci-dessous en bleu, puis je reprends la main pour quelques remarques.
Pour compléter votre article, je souhaiterais revenir sur divers sujets évoqués sur le blog.


- D’abord, c’est Philippe Gille (1) qui signe Le Masque de Fer dans la rubrique des Échos du Figaro (2).

- Ensuite, j’ai retrouvé le document où Achille Jacquet dit : Zut ! (3) Il s’agit des Lettres et souvenirs d’Henri Maréchal, publié dans le Ménestrel puis en volume.

- J’ajoute aussi un pré-original d’E. Manuel : La Mère et l’Enfant (4), qui inspira l’Aumône de Valade, publié dans l’Univers illustré en août 1871. Postérieurs à la transcription du 22 ou 29 octobre dans l’Album, les Poèmes Populaire ont été publié en volume la semaine du 7 novembre 1871 (5).

- Puis deux discussions autour de Vu à Rome :
L’Odeur sacrée de L. Dierx semble être un succès tardif ajouté à la réédition des Lèvres Closes en 1894. Publiée dans le Revue Parisienne du 10 janvier 1894 (6) elle n’a probablement pas inspirée les vers de Rimbaud.
Plus convaincante est la caricature du Père Hyacinthe (7) par Mailly publiée dans le Hanneton du 12 mars 1868. D’esprit zutique (Verlaine, Valade et Mérat sont au comité de rédaction) elle s’accompagne d’une épithète faisant un rapprochement entre l’homme d’église et le nez : « Hyacinthe n’est pas un homme : C’est un nez !

- J’ai identifié un pré-orignal de Croquis de Banlieue (8) : onzième poème d’une troisième série de dizain publié les 11 et 18 mars 1873 (9) dans le Gaulois. Une fois encore la date l’exclu de la période d’activité du Zutisme (à moins d’un accès aux manuscrits).

- Enfin, la Chaumière incendiée ait été publié en plaquette en 1872 d’après ce document (10) de la bibliothèque nationale. Cela rend d’autant plus probable l’accès au texte par Rimbaud.

(1) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6458534j/f13.item
(2) https://cths.fr/an/savant.php?id=121866
(3) https://www.retronews.fr/journal/le-menestrel/11-novembre-1911/130/998841/2
(4) https://www.retronews.fr/journal/paris-journal/15-aout-1871/4024/5317396/3
(5) https://www.retronews.fr/journal/le-constitutionnel/7-novembre-1871/22/753465/3
(6) https://www.retronews.fr/journal/la-loi/18-janvier-1894/1703/3114167/3
(7) https://www.retronews.fr/journal/le-hanneton/12-mar-1868/3374/5033554/1
(8) https://www.retronews.fr/journal/le-gaulois/11-mars-1873/37/661835/1
(9) https://www.retronews.fr/journal/le-gaulois/18-mars-1873/37/661923/1
(10) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5444728s?rk=21459;2


Merci pour la source que j'avais perdue sur Achille Jacquet. Je vous avoue que je ne vous citerai pas comme me l'ayant fournie, puisque c'est une aide seconde et que les rimbaldiens avaient déjà eu la malveillance de me faire remercier Pakenham pour une source que j'avais trouvée par moi-même, mais je vais m'empresser de la consulter. Dans mon souvenir, c'était difficile d'aller plus loin, mais là je peux réfléchir à nouveaux frais sur la manière de rebondir.

La pré-originale de Manuel, là, c'est très important, je vous citerai et je vais fouiller tout ça.

Pour "Vu à Rome", je dois me rafraîchir la mémoire. En gros, tous les poèmes parodiques qui désignent leurs cibles ont une quantité élevée de réécritures de passages des cibles concernés. J'ai pris les recueils d'Armand Silvestre, j'ai identifié les réécritures du quatrain "Lys" et j'ai mis en avant le sonnet païen qui a principalement inspiré Rimbaud. Les parodies de Coppée, c'est une avalanche de réécritures, et j'y apporte la réflexion intelligente supplémentaire que les modèles de Verlaine sont aussi des sources. D'ailleurs, je cherche à déterminer pourquoi il y a deux fois le mot "veine" à la rime dans les dizains zutiques de Rimbaud. C'est peut-être propre à Rimbaud, il n'y a peut-être pas de source à chercher, mais sait-on jamais ? Ratisbonne, Pommier, Daudet, Verlaine, il y a une avalanche de réécritures. Il y a évidemment une réécriture aussi pour le monostiche attribué à Ricard.

Pour moi, les réticences ne valent rien, c'est évident que "Les Chercheuses de poux" réécrit du Catulle Mendès, évident que "Oraison du soir" réécrit du Baudelaire avec un peu de Catulle Mendès. C'est évident que les échos, communards qui plus est, entre "Les Mains de Jeanne-Marie", "Voyelles" et "Paris se repeuple" ne sont pas anodins. Pour "Les Corbeaux", les liens à Coppée et au "Bateau ivre" sont difficilement contournables aussi.

Dans le cas de Léon Dierx, Teyssèdre prêtre-nom d'un groupe de quatre Lefrère, Pakenham, Murphy et Teyssèdre, puisque le livre n'a pas été écrit par un seul, on a tout un long développement improvisé, plutôt de Teyssèdre ou de Teyssèdre et Lefrère, et il osait dire que "Vu à Rome" s'inspirait plus de Silvestre que de Dierx. C'était idiot, je venais de prouver que "Lys" parodiait des passages précis de Silvestre, alors que jusque-là sans avoir lu Silvestre, Murphy compris, les gens prétendaient que non, que la parodie ne s'appliquait pas tant à Silvestre qu'aux Parnassiens en général.

La subtilité de "Vu à Rome", c'est que la parodie de Dierx est plus discrète. Dierx compose plutôt en alexandrins qu'en vers de huit syllabes, mais à ce moment-là sa plaquette Paroles du Vaincu faisait exception. Cela étant dit, "Vu à Rome" ne reprend pas le discours propre à cette publication, sauf à considérer une ironie sur l'idée de vaincu.

Mais, Rimbaud a donné pour surtitre à son "Vu à Rome" le recueil des Lèvres closes. C'est là qu'il faut concentrer la réflexion.

En 2009, j'avais d'abord donné dans un article une liste sommaire, pas complète de liens lexicaux. J'avais raison, c'était important, mais je semblais ne rien en faire, ne rien savoir en faire. Puis, dans une autre étude, j'ai signalé que la plaquette parue en octobre 1871 Paroles du vaincu était en octosyllabes, sauf que les textes n'ont rien à voir, ne communiquent pas entre eux. Là, des rimbaldiens comme Yves Reboul ont cru que l'affaire était pliée.

Mais non ! Il faut revenir à mon article de 2009 dans la revue Europe, compléter la liste, et il faut mettre en avant bien évidemment deux points subtils. D'abord, la revue du "nez" doit rappeler la revue des "yeux" dans "Les Yeux de Nyssia" un des poèmes les plus importants de Dierx. Et il faut évidemment jouer sur le titre Lèvres closes face aux narines de "Vu à Rome".

Après, il y a une recherche à faire du côté des discours romains, et donc de Veuillot. Il y a la rime "saint Graal" dans un poème du dernier recueil de Dierx dont se demander s'il n'est pas plus ancien.

Pour Hyacinthe, je devrai reprendre ça à tête reposée.

Je note le cas intéressant d'une plaquette "La Chaumière incendiée" publiée en 1872, un peu tard pour notre sujet tout de même.

Pour "Croquis de banlieue", c'est intéressant. La publication d'une troisième série en 1873 permet de tirer des conclusions.

Dans mon dernier article, j'ai fait un raisonnement qui réclame une intelligence maximale dans le domaine de la critique rimbaldienne. On ne trouvera pas visiblement de pré-originale de "Croquis de banlieue" avant octobre et même novembre 1871. Le découvrir en pré-originale en 1873 conforte cette conclusion.

Le coup de génie de mon dernier article, c'est de considérer que si on cherche une pré-originale pour un seul élément du Cahier rouge on va demeurer dans la frustration de ne pas trouver. Mais si on commence à constater de manière imparable que Rimbaud, Cros et Verlaine se sont inspirés de plusieurs passages du Cahier rouge (peu importe que Coppée l'ait publié tel quel ou l'ait réarrangé, trié à la publication), la frustration s'en va, puisqu'on se dit que, là, c'est plusieurs pré-originales qu'on ne retrouve pas. Donc la conclusion va de soi : Rimbaud, Cros et Verlaine ont consulté un dossier manuscrit inédit de Coppée. D'ailleurs, Coppée faisait lire ses créations à des proches et il publie "Croquis de banlieue" dès 1873, donc il ne devait pas trop cacher jalousement cette production. S'il était sollicité, il montrait ce qu'il avait. La force de mon raisonnement tient dans l'identification de "couples de soldats" pour "couples de pioupious", dans les liens entre "Croquis de banlieue" et les passages que je cite de "Olivier", dans le fait que le seul "Ressouvenir" s'inspire à la fois de "Croquis de banlieue" et des passages en question de "Olivier", et enfin il y a la longueur conséquente du récit Olivier qui exclut l'idée d'une pré-originale.

De plus, cela crée du récit, puisque Le Cahier rouge est un ouvrage un peu comparable à un Album zutique, et puisque après les parodies de poèmes publiés par Coppée dans la presse Rimbaud parodie des pièces inédites de Coppée avec "Ressouvenir". C'est fascinant tout ça ! Le jeu zutique prend une réelle ampleur.

Il y a des manifestations d'intelligence plus élevées que celle qui consiste à raisonner sur la nécessité que Rimbaud ait eu accès aux manuscrits de Coppée, mais c'est le saint Graal dans le monde de la critique littéraire universitaire.

Enfin, voilà.


Sinon, je précise au passage que je me suis emmêlé les pinceaux. Il n'y a pas de dizain zutique de Germain Nouveau, "Intérieur (d'omnibus)" est de Raoul Ponchon, et j'ai fait une erreur aussi sur le dizain obscène de Valade qui reprend "Remembrances".

Mais, bon, je ferai une synthèse à un moment donné, je vais continuer à publier des articles sur le sujet.
Ah oui, la suite sur Ricard attend toujours...




jeudi 29 août 2024

Prouvons l'accès de Rimbaud à des manuscrits inédits de Coppée ("Ressouvenir", "Je préfère sans doute...", "Les soirs d'été...")

Au centre du débat, il y a le dizain "Ressouvenir".
Je le cite !

                Ressouvenir

Cette année où naquit le Prince impérial
Me laisse un souvenir largement cordial
D'un Paris limpide où des N d'or et de neige
Aux grilles du palais, aux gradins du manège,
Eclatent, tricolorement enrubannés.
Dans le remous public des grands chapeaux fanés,
Des chauds gilets à fleurs, des vieilles redingotes,
Et des chants d'ouvriers anciens dans les gargotes,
Sur des châles jonchés l'Empereur marche, noir
Et propre, avec la Sainte Espagnole, le soir.
Ce poème contient la rime "redingotes" / "gargotes". Les deux mots sont rarement mis à la rime dans un poème et le fait qu'ils riment entre eux est plus rare encore. Ils appartiennent quelque peu à un registre réaliste encore audacieux pour la poésie lyrique en 1871, pourrait-on dire. Fait extraordinaire, cette rime figure dans un dizain que Coppée n'a publié que quelques années plus tard en 1874. le poème étant une parodie de Coppée, il est forcé que Rimbaud ait lu soit une pré-originale du dizain de Coppée, soit une version manuscrite.
Aucun rimbaldien n'a signalé à l'attention une quelconque pré-originale quant au dizain en question. Mais, si je parviens à montrer que Rimbaud s'est inspiré de plusieurs poèmes inédits et que cela pourrait bien être le cas aussi pour Verlaine, ce sera plus intéressant que de démontrer une source au cas par cas.
J'implique Verlaine parce qu'il a quitté le milieu littéraire parisien avec Rimbaud autour du 7 juillet 1872 pour vivre et voyager en Belgique puis à Londres. Et, à partir de juillet 1873, Verlaine a été incarcéré. Il ne sera libéré qu'au début de l'année 1875. Pourtant, entre-temps, il a composé de nouveaux dizains à la manière de Coppée.
Le but est d'étudier de près les dizains de Verlaine et de Rimbaud, voire de Charles Cros, Léon Valade, Germain Nouveau ou André Gill pour éprouver s'il y a une présence ou non d'emprunts à des pièces encore inédites de François Coppée.
Tant qu'une seule source est soupçonnée, il est tentant de tout fonder sur l'espoir d'accéder un jour à une pré-originale, mais si les sources sont multiples la recherche d'une pré-originale devient inutile : nous pouvons sans craindre de nous tromper acter que Rimbaud a eu une connaissance d'un dossier manuscrit inédit de poèmes de Coppée, et à ce moment-là il appartient à l'histoire littéraire de pointer du doigt les possibilités d'un tel événement.

Commençons par constater la présence de la rime équivalente à celle de Rimbaud dans un dizain de François Coppée. Coppée a publié un recueil de vers anciens, Le Cahier rouge, en 1874. L'ensemble épouse des formes poétiques variées, mais nous avons droit à quelques dizains, avec cette nouveauté chez Coppée qu'ils portent désormais des titres, ce qui n'était pas le cas pour les deux séries de "Promenades et intérieurs". Les dizains sont isolés les uns des autres dans ce volume collectif, ce qui justifie l'adjonction d'un titre, mais notons aussi ce paradoxe que la pratique de mettre un titre aux dizains de rimes plates a commencé dans l'Album zutique. Coppée rejoint ici ceux qui l'ont imité, à moins que très tôt les membres du Cercle du Zutisme aient eu accès à des dizains inédits de Coppée portant déjà un titre en octobre 1871. Dans l'ordre de défilement des pages de l'Album zutique, Charles Cros semble le premier à avoir flanqué d'un titre un dizain à la Coppée, il s'agit de "Oaristys" qui ne doit pas être confondu avec un autre poème de Cros portant ce titre.
Soyons plus précis, les deux dizains que Verlaine a envoyés à Léon Valade dans une lettre du 14 juillet 1871 étaient numérotés en série, mais n'avaient aucun titre. Au recto du feuillet 3, les deux dizains enchaînés de Rimbaud n'ont aucun titre. Et au verso de la page suivante, le dizain de Léon Valade "Malgré son nez d'argent..." n'a pas non plus de titre. Le premier dizain à porter un titre est comme je l'ai dit "Oaristys" de Charles Cros au recto du feuillet 4. Ensuite, nous avons un dizain tronqué, on dirait un "huitain" par Verlaine qui porte le titre "Remembrances", titre auquel Rimbaud va faire écho avec "Les Remembrances du vieillard idiot" et "Ressouvenir", deux poèmes consécutifs dans l'économie de l'Album zutique, et les deux dernières contributions zutiques de Rimbaud, partant les deux dernières parodies explicites de Coppée par Rimbaud.
Après "Remembrances" de Verlaine, dont je rappelle qu'il existe une version en dix vers, nous avons quelques pages d'autres expériences poétiques, et enfin un dizain de rimes plates faussement attribué à Etienne Carjat, et contre-signé par André Gill, son véritable auteur. Ce dizain d'André Gill au verso du feuillet 7 n'a aucun titre. En revanche, à partir du recto du feuillet 8, les dizains sans titre pour ce qui est de Rimbaud et Valade deviennent minoritaires : "Oh ! qui n'a pas rêvé..." de Valade, "Les soirs d'été..." et un dizain déchiré de Rimbaud, "Aux livres de chevet..." de Rimbaud, 
 les autres dizains de Léon Valade et Arthur Rimbaud auront presque tous un titre, à l'exception de "Oh ! qui n'a pas rêvé..." de Valade au recto du feuillet 9 et de "Les soirs d'été..." et un dizain déchiré de Rimbaud au recto du feuillet non numéroté 13 ou 14. Je cite les pièces : "L'Orpheline" de Valade, "Etat de siège ?" de Rimbaud, "Le Balai" de Rimbaud, "Pieux souvenir" de Valade, "Epilogue" de Valade, "L'Orgue" de Valade, "Intérieur" de Valade, "Ressouvenir" de Rimbaud. Verlaine ne met pas de titre à trois des cinq dizains qu'il transcrit, mais rappelons que deux d'entre eux furent envoyés à Valade le 14 juillet 1871. Donc, Verlaine apporte un troisième dizain sans titre : "Souvenir d'une enfance...", mais en coiffe sa quatrième contribution "Bouillon-Duval", et notez que le titre "Remembrances" est dans la continuité de l'attaque "Souvenir d'une enfance...". Charles Cros a une évolution inverse : il ne met pas de titre cette fois à son second dizain zutique : "Dans les douces tiédeurs..." Raoul Ponchon en met un à son "Intérieur (d'omnibus)" qui s'inspire du titre "Intérieur" d'un dizain de Valade, un inconnu met un titre au sien "Garçon de café". André Gill continue de ne pas fournir de titre pour sa part.
Citons le dizain de Coppée qui contient la rime "redingote"/"gargote". Il s'intitule "Croquis de banlieue", nous le transcrivons avec la dédicace, mais en rappelant qu'elle a pu n'apparaître qu'au moment de la mise sous presse du volume, tout comme le titre répliqueront les plus enquiquineurs.

                  Croquis de banlieue
                     A Jules Christophe

L'homme, en manches de veste, et sous son chapeau noir,
A cause du soleil, ayant mis son mouchoir,
Tire gaillardement la petite voiture
Pour faire prendre l'air à sa progéniture :
Deux bébés, l'un qui dort, l'autre suçant son doigt.
La femme suit et pousse, ainsi qu'elle le doit,
Très lasse, et sous son bras portant la redingote ;
Et l'on s'en va dîner dans une humble gargote
Où sur le mur est peint - vous savez, à Clamart ? -
Un lapin mort, avec trois billes de billard.
Observez la symétrie. La rime est au singulier chez Coppée, au pluriel chez Rimbaud, mais l'ordre de défilement est le même : "redingote(s)" puis "gargote(s)", et dans les deux dizains la rime est aux vers 7 et 8, c'est dans les deux cas l'avant-dernière rime du poème. Nous pouvons remarquer l'écho entre la rime finale de Rimbaud "noir"/"soir", et celle de Coppée : "Clamart"/"billard". Notons que le mot "noir" est à la rime au premier vers du dizain de Coppée. Rimbaud semble avoir repris également le nom "chapeaux" au pluriel à son modèle et nous pouvons envisager des équivalences "manches de veste" contre "gilets à fleurs". Il est question de progéniture et de couple dans les deux poèmes : d'un côté le souvenir de la naissance du Prince Impérial avec une description d'une promenade de l'Empereur et de l'Impératrice, la "Sainte Espagnole", de l'autre un père avec ses deux bébés, et une femme lasse qui le suit. Notons que dans le dizain de Rimbaud, l'expression "vieilles redingotes" semble se nourrir en idée de tout le vers 7 symétrique de Coppée, la femme "Très lasse" comme vieillie du coup porte sous son bras la redingote...
J'ai même envie d'aller plus loin. Le mot "bébés" fait penser quelque peu à l'attaque du dizain de Verlaine : "Souvenir d'une enfance austèrement bébête", et surtout pour le bébé "suçant son doigt" nous avons une équivalence dans un autre dizain de Rimbaud : "Les soirs d'été..." avec le vers suivant : "Suceurs du brûle-gueule, ou baiseurs du cigare,"sachant que le vers 2 avec la mention "grilles" favorise aussi un rapprochement avec "Ressouvenir" : "Quand la sève frémit sous les grilles obscures / [...]".
Certains poèmes du Cahier rouge ont connu une pré-originale. Cyril Balma citait récemment le poème "Aux amputés de la guerre". Mais, pour en rester pour l'instant sur le cas de la pièce "Ressouvenir", j'observe encore deux faits intéressants dans le cas de "Croquis de banlieue", nous avons une qualification par l'adjectif "humble" : "une humble gargote", qualification appliqué au "balai" dans le dizain qui porte ce nom, et notons que la suite immédiate de "Croquis de banlieue" a d'autres contreparties dans le dizain "Le Balai" : "Où sur le mur est peint" face à "la peinture d'un mur". L'adjectif "humble" peut avoir été privilégié par Coppée au-delà de son recueil Les Humbles, il n'en reste pas moins qu'il  ne s'en rencontre qu'une seule fois dans les deux séries de "Promenades et intérieurs" publiés, uniquement dans le dizain "Près du rail où souvent passe comme un éclair..." paru dans Le Monde illustré le 8 juillet 1871, il est question alors d'un "humble logis". Notons aussi le rôle dévolu à la femme "ainsi qu'elle le doit" qui fait écho au titre de la pièce de Coppée Fais ce que dois, ce mot d'ordre étant affiché constamment dans les pages du journal Le Monde illustré à l'époque.
Voici ce qu'écrit Coppée dans l'Avertissement qui introduit à la lecture du Cahier rouge :
[...] nous avions l'habitude, à nos heures de fatigue, d'ouvrir un mince cahier rouge qui traîne toujours sur notre table et de nous délasser en y écrivant quelques poésies fugitives, à peu près comme un enfant paresseux illustre de pierrots pendus les marges de sa grammaire.
   C'étaient parfois des strophes qu'on nous faisait l'honneur de nous demander, en faveur des oeuvres patriotiques fondées à la suite des récents malheurs de la France ; mais, plus souvent, c'étaient de simples fantaisies, des notes rapides, des croquis jetés, ou bien encore une plainte que nous arrachait notre mal ordinaire, le spleen. Il nous arrivait aussi de transcrire sur le cahier rouge d'anciens vers de jeunesse [...]
La phrase "nous avions l'habitude" relève probablement de la coïncidence bien farce, puisque cette préface est datée de "mai 1874". En tout cas, nous constatons que certaines pièces correspondaient à des commandes, que certains poèmes sont anciens. Nous avons donc de la matière pour supposer que Coppée ne se faisait guère prier pour montrer ses créations intimes à ses collègues et amis poètes à Paris.
Et, justement, voici ce qu'il écrit encore un peu plus loin :
[...] quelques amis, trop indulgents sans doute, furent d'un avis opposé et nous assurèrent que notre cahier manuscrit pouvait devenir une plaquette imprimée.
On peut se demander si parmi ces "amis" ne se glissaient pas quelques auteurs pince-sans-rire ayant participé au volume des Dixains réalistes deux ans plus tard.
A mon avis, les zutistes qui avaient envie de s'amuser ont dû habilement amener Coppée à leur faire confidence de sa production intime réservée, et cela dès le mois d'octobre 1871, au vu d'échos zutiques probables à des poèmes demeurés inédits de Coppée. Il y a eu un dîner des Vilains Bonshommes à la fin du mois de septembre 1871, et Rimbaud y était. Tous les jours à Paris, à ce moment-là, Rimbaud pouvait faire diverses rencontres littéraires. Je remarque aussi que les transcriptions des "Remembrances du vieillard idiot" et de "Ressouvenir" datent de la mi-novembre 1871, vu les dates jalonnant les pages de l'Album zutique, et c'est précisément à la mi-novembre qu'un entrefilet va dénoncer l'hypocrisie des parnassiens qui sont allés applaudir la première de L'Abandonnée de Coppée alors qu'il semble y avoir des divergences politiques avec lui de quelques-uns et aussi de la jalousie. Et l'entrefilet évoque sans le nommer le cas de Verlaine qui rentré ivre chez lui a battu sa femme devant son enfant d'à peine trois semaines. Et remarquons à ce sujet à quel point est ironique et grinçante la présence dans l'Album zutique le dizain parodique d'André Gill : "Il la battait sans fiel..." où il est d'ailleurs question d'un enfant. André Gill a-t-il agi par en-dessous contre Verlaine ?
Notons que l'entrefilet coïncide avec la fin d'existence du premier cercle du Zutisme. On parle souvent de Mérat ou des frères Cros, mais l'hostilité de Mérat en cache sans doute d'autres, et la rupture avec les frères Cros semble plus tardive. En revanche, pourquoi n'est-il plus jamais question d'André Gill, chez qui Rimbaud avait logé en arrivant à Paris en février 1871 ? L'Album zutique était visiblement détenu par Valade, le proche ami de Mérat, et Verlaine va souvent se plaindre que Valade ne répond pas à son courrier par la suite.
Mais revenons à notre sujet. De la mi-septembre à la mi-novembre 1871, il est évident que Rimbaud a eu accès aux poèmes inédits de Coppée, éventuellement encore au-delà.
Je remarque que au-delà de "Plus de sang" daté d'avril 1871 et paru à ce moment-là Coppée a écrit plusieurs poèmes en 1871 en octosyllabes avec mention d'une ou plusieurs fauvettes, avec mentions aussi de corbeaux, ce qui relance l'idée d'une allusion à Coppée dans le poème "Les Corbeaux", d'autant qu'il est aussi question de "soir embaumé" dans les pièces récentes de Coppée. Après tout, le mot "angelus" mentionné dans "Les Corbeaux" peut lui aussi être une allusion au "poème moderne" de ce titre.
A propos du dizain "Le Balai", l'expression "L'usage en est navrant", bien que Coppée utilise plusieurs fois auparavant la forme verbale "navrer", sinon parfois l'adjectif "navrant", m'a semblé très proche d'un hémistiche du Cahier rouge, mais je ne l'ai pas noté, je le citerai ultérieurement. Et puis, il y a le long récit Olivier... Il ne doit pas être confondu avec Le Cahier rouge, me direz-vous ! Mais expliquez-moi pourquoi certains passages de ce récit Olivier sont d'indéniables sources au poème "Ressouvenir" !

Je cite les vers suivants au milieu de la partie II du récit :
[...]
Olivier habitait un de ces boulevards
Des faubourgs qui s'en vont du côté des banlieues.
Là-bas, vers l'horizon et les collines bleues,
Le peuple du quartier populaire et lointain
Bornant le Luxembourg et le pays latin,
Allait aux bois voisins, foule bruyante et gaie,
- Car c'était justement un dimanche de paie, -
Pour revenir le soir, les chapeaux de travers,
Les habits sous le bras et les gilets ouverts,
Et chantant le vin frais comme on chante victoire.
Les marronniers touffus, près de l'Observatoire,
Embaumaient, énervants, et sur les piétons
Jetaient leurs fleurs avec les premiers hannetons.
En gants blancs et tout fiers de leur grande tenue,
Des couples de soldats émaillaient l'avenue.
Des amoureux allaient, gais comme une chanson,
Faire leurs nids d'un jour à Sceaux, à Robinson,
Sous les bosquets poudreux où l'on sert des fritures.
Des gens à mirlitons surchargeaient les voitures.
Entre les petits ifs, aux portes des cafés,
On buvait ; et, jetant des rires étouffés,
Nu-tête et deux par deux, passaient des jeunes filles.
A la foule joyeuse ouvrant ses larges grilles,
Le Luxembourg, splendide et calme, apparaissait,
Inondé d'un soleil radieux qui faisait
Plus vert les vieux massifs et plus blancs les vieux marbres.
A quelques pas, Guignol s'enrouait sous les arbres.
Et le chant des oiseaux dominait tous ces cris.
C'était bien le printemps, un dimanche, à Paris.
L'extrait cité est conséquent. Il reprend clairement la continuité de "Croquis de banlieue". Nous avons la mention de la banlieue, mais aussi l'occurrence à nouveau des "chapeaux", et nous avons aussi la reprise de l'idée de la redingote sous le bras de la femme avec "Les habits sous le bras et les gilets ouverts". Je suis donc en train de montrer que deux passages inédits distincts des poésies de Coppée ont inspiré la composition du poème "Ressouvenir" par Rimbaud, mais qu'en plus il y a des reprises de Coppée lui-même de l'un à l'autre passage en question. Enfin, dans le récit Olivier, pourtant très long, nous avons une localisation qui coïncide avec "Ressouvenir" une promenade à Paris du côté des "grilles du palais" du Luxembourg. Ce n'est pas tout. J'aurais des alexandrins de Coppée à citer pour le balancement binaire : "Aux grilles du palais, aux gradins du manège", et il y en a au moins un de sensible dans les vers précédents du récit Olivier, mais la reprise du mot "chapeaux" est plus sensible par rapport à cet extrait du récit Olivier que par rapport au dizain "Croquis de banlieue". En effet, vous avez une concentration de termes clefs repris par Rimbaud : "gilets", "chapeaux" et "grilles". Le terme "gilets" n'apparaît pas partout dans les vers de Coppée. Ici, vous avez, avec en prime une mention "le soir" à la césure, deux vers qui rassemblent en une énumération les "chapeaux" et les "gilets" :
[...]
Pour revenir le soir, les chapeaux de travers,
Les habits sous le bras et les gilets ouverts,
[...]
La symétrie est sensible avec les deux vers consécutifs de Rimbaud :

[...]
Dans le remous public des grands chapeaux fanés,
Des chauds gilets à fleurs, des vieilles redingotes,
[...]
Notez aussi que Coppée n'emploie jamais "marronniers" dans ses vers. Dans l'extrait cité ci-dessus, vous avez des "marronniers touffus" qui peuvent enfin faire un écho coppéen aux "marronniers nains" de "Je préfère sans doute..." Vous avez au même endroit l'idée que ces marronniers jettent leurs fleurs sur les passants, ce qui est inversé par les chiens massacrant les fleurs de plate-bande dans le dizain rimbaldien correspondant. Preuve accablante, nous avons un lien avec le premier dizain zutique porteur d'un titre "Oaristys", puisque "couples de pioupious" de Charles Cros réécrit visiblement "couples de soldats" du présent extrait cité du récit Olivier. On retrouve les amants du côté des "bosquets poudreux", des "ifs", des fritures, des "cafés", le fait de boire ("On buvait"), l'importance des "larges grilles" du Luxembourg reprises en "grilles du palais" dans "Ressouvenir", l'idée du soleil dans "Paris" est transposée en "Paris limpide" avec des "N d'or ou de neige". Et la promenade dominicale de l'Empereur est comparée à la splendeur du jardin du Luxembourg : "Le Luxembourg, splendide et calme, apparaissait"[,] avec césure entre les deux adjectifs coordonnés, et "l'Empereur marche, noir / Et propre" avec chevauchement à l'entrevers cette fois des adjectifs coordonnés.
Alors, si vous avez encore d'invraisemblables réticences, je vous assomme tout de suite avec un troisième extrait des publications futures de Coppée, et donc avec un deuxième extrait du long poème intitulé Olivier. Il s'agit de la section III du poème :

[...]
L'ouvrier promenait son enfant et sa femme.
Sur les trottoirs les plus paisibles du Marais,
Le petit monde, assis dehors, prenait le frais.
C'était un jour de fête et de boutiques closes.
Plein de chapeaux de paille et de toilettes roses,
Sur la Seine fumaient les bateaux à vapeur.
Dans les squares publics, la bonne et le sapeur
Commençaient sur les bancs l'idylle habituelle.
Pas d'humble carrefour, pas de triste ruelle
Qui ne servît aux jeux d'enfants endimanchés !
Des mariés d'hier, l'un vers l'autre penchés,
Allaient, l'homme un peu fier, et la femme un peu pâle,
Ayant encor la fleur d'oranger et le châle
De noce, et tous les deux très gênés de leurs gants
Notez la mention d'un "châle" à la rime, cela deviendra "châles jonchés" sur le passage de l'Empereur. L'adjectif "endimanchés" fait songer au choix rimbaldien "enrubannés". Nous relevons une scène rappelant le poème "Le Banc" qui a inspiré le dizain "Oaristys" à Charles Cros. Nouvel élément qui laisse à penser que Cros a écrit "Oaristys" en ayant le cahier rouge des poésies inédites de Franbçois Coppée... Cette lecture a été partagée je ne sais quand, par Rimbaud et Verlaine. Et cela a l'air même d'avoir eu lieu avant les réunions du Zutisme.
Le poème Olivier se poursuit avec des éléments suggestifs pour nous : "nobles jardins", "grands plis des drapeaux", "L'Arc e Triomphe au loin doré par un rayon," et je vous invite maintenant à un quatrième extrait à rapprocher de l'unique dizain "Ressouvenir". Nous sommes dans la partie IV, et Olivier s'est refusé à la fête de la foule pour s'enfoncer dans la solitude et il commence à vivre par... le souvenir :
Et comme si ce fût un souvenir d'hier,
Il revécut les temps lointains de son enfance.
Dans le dizain rimbaldien, le "souvenir cordial" est du côté de la foule parisienne en revanche, mais notez aussi que ces deux vers entrent en résonance avec l'incipit du dizain verlainien : "Souvenir d'une enfance austèrement bébête..."
Le récit exalté du souvenir se poursuit et j'y relève ces deux vers avec la même rime "noir"/"soir" que les deux derniers vers de "Ressouvenir" :

[...]
- Puis l'école, où parfois le tirait par l'oreille
Le maître en pince-nez de fer, en bonnet noir,
Et l'orme de la place où l'on dansait le soir
[...]

Le maître est retourné en figure d'Empereur.
Après ce rêve, Olivier embarque dans un train et il met son front par-delà la fenêtre d'un wagon.

Voilà, je continue d'imposer des sources coppéennes inédites. Je précise que cela fait des années que je plaide pour un accès de Rimbaud à "Croquis de banlieue" et au récit Olivier, mais j'ai amélioré mon étude des points de comparaison, et j'ai mobilisé le dizain "Oaristys" de Charles Cros, les mentions "marronniers" pour "Je préfère sans doute..." et "suçant" pour "Les soirs d'été,..."
Le dossier est accablant, n'est-ce pas ?

A suivre donc !











La première série de "Promenades et intérieurs" et le dizain zutique "Je préfère sans doute...", puis quelque air d'un "Angélus" !

Comme nous l'avons rappelé dans le précédent article, le couple de deux dizains zutiques transcrit par Rimbaud au recto du feuillet 3 de l'Album zutique s'inspire du couple de dizains que Verlaine a envoyé à Valade dans une lettre datée du 14 juillet 1871. Nous avons vu que Rimbaud s'inspirait nettement des deux poèmes de Verlaine et en reprenait divers éléments (certains mots, certains thèmes, certains faits de versification et de ponctuation, certaines tendances grammaticales, certains parallèles de conception du récit,...). Vous pouvez remarquer que dans le cas du poème "J'occupais un wagon de troisième...", il existe une énigme sur la rencontre avec "l'aumônier-chef / D'un rejeton royal condamné derechef". Les deux analyses les plus poussées sur le dizain : "J'occupais un wagon..." sont contemporaines. Il y a d'un côté le chapitre de Steve Murphy de son livre Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion, étude qui n'est pas pleinement satisfaisante malgré tout, et puis les notices au poème dans l'édition du centenaire Œuvre-Vie de 1991 dirigée par Alain Borer, notices que je n'ai pas encore relues, mais il doit s'agit d'une double notice avec une intervention de Marc Ascione et une autre de Michael Pakenham. Je vérifierai cela. En revanche, ni Ascione, ni Murphy ne font le rapprochement avec le dizain de Verlaine où figure la liaison "étant orléaniste". Enfin, je crois que c'est Michael Pakenham qui, le premier, a mis en avant les réécritures du poème "La Nourrice" dans le dizain "J'occupais un wagon..., ce qui n'apparaît pas dans l'article de Murphy consacré au poème. Pour précision, le recueil Les Humbles n'a été publié qu'en 1872, mais en octobre, sinon en septembre 1871, Rimbaud a eu accès à des pré-originales toutes fraîches de certains poèmes, dont "La Nourrice".
Cela permet d'ailleurs resserrer dans l'absolu la période de composition du dizain : "J'occupais un wagon de troisième..."
Je ne vais pas m'attarder pour l'instant sur le dizain "J'occupais un wagon..." Cependant, vu certains liens avec "Je préfère sans doute...", je tiens à préciser les éléments suivants. La première mention à la rime dans "J'occupais..." est "un vieux prêtre". J'ai identifié dans cette mention une reprise au récit "Angélus", et pour la confirmer j'ai opté pour une recherche informatique originale. J'ai créé un fichier Word où j'ai mis bout à bout tous les poèmes de Coppée publiés jusqu'en 1872, recueil Les Humbles inclus. J'ai utilisé la page Wikisource consacrée à François Coppée.
Sur le fichier Word créé, j'ai lancé une recherche de mots à la rime qui me manquaient : "Hyacinthe", "jacinthe", "mois", ce qui n'a rien donné. J'ai aussi lancé une recherche sur le mot "prêtre".
J'ai un relevé de 37 occurrences du mot "prêtre" dans ce corpus. Or, trois faits confirment que j'ai raison. 1) Sur les 37 occurrences, 20 appartiennent au seul poème "Angélus". 2) Sur les 20 occurrences du seul poème "Angélus", à dix reprises nous avons la qualification "vieux prêtre", à quoi ajouter une occurrence "bon prêtre". Pour les 17 autres occurrences, il n'existe qu'une seule mention "vieux prêtre" supplémentaire, dans le poème "En province" des Humbles. Nous avons un "prêtre à cheveux blancs" et un "grand et maigre prêtre", mais plus de "vieux prêtre". 3) Sur les dix occurrences de "vieux prêtre" dans "Angélus", cinq apparaissent à la rime, à quoi ajouter une mention du seul mot "prêtre" à la rime et une mention "prêtres" au pluriel.
D'évidence, la première mention à la rime du couple de dizains créé par Rimbaud est une citation de Coppée, et précisément du poème "Angélus", et il faut insister sur ce point, car nous allons montrer l'importance des réécritures du poème "Angélus" dans "Je préfère sans doute...", mais "Angélus" est un poème qui est derrière plusieurs parodies zutiques de Rimbaud, et la difficulté vient de ce que les productions satiriques de Rimbaud ne ciblent pas souvent directement le thème de la frustration du désir de paternité qui est au centre du grand "poème moderne" de Coppée. Il faut donc comprendre parfois autrement l'importance des allusions satiriques au poème "Angélus".
A propos de "J'occupais un wagon...", la mention du brûle-gueule peut faire spontanément songer au poème "L'Albatros" de Baudelaire, mais le "brûle-gueule" est mentionné dans la pièce "Dans l'ambulance" de la section "Ecrits pendant le siège". La mention "poils pâlis" vient aussi des poésies de Coppée.
Je n'éclaire pas ces rapprochements, je mets en perspective le terrain d'investigation en donnant les indices nets de sa légitimité, voire pertinence.

Passons au cas du poème : "Je préfère sans doute..."
Je préfère sans doute, au printemps, la guinguette
Où des marronniers nains bourgeonne la baguette,
Vers la prairie étroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabroués bien des fois
Viennent près des Buveurs triturer des jacinthes
De plate-bande. Et c'est ,jusqu'aux soirs d'hyacinthe,
Sur la table d'ardoise, où, l'an dix-sept cent-vingt,
Un diacre grave son sobriquet latin,
Maigre comme une prose à des vitraux d'église,
La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise.
Le poème a une composition grammaticale particulière. La grammaire était déjà particularisée dans les deux dizains parodiques de Verlaine envoyés à Valade le 14 juillet 1871, et cela se ressentait dans le poème "J'occupais un wagon..." Il y a un jeu de tension entre les formes composées plus affectées et les verbes au présent de l'indicatif plus secs. Pour "Je préfère sans doute...", nous avons un début sans heurt, deux phrases au présent de l'indicatif, l'affirmation d'un plaisir personnel en première phrase, puis une phrase descriptive qui vient apporter des suggestions. En revanche, la troisième phrase, la dernière du poème, et qui va du milieu du vers 6 au vers 10, les éléments insérés ne doivent pas empêcher d'apprécier le tour familier étrange : "Et c'est... la toux des flacons noirs qui jamais ne les grise." Nous ne sommes pas dans l'expression d'un tour présentatif simple : "C'est cela, c'est cela, et puis c'est cela. Ici, le lecteur est obligé de renforcer le sens de l'énoncé par sa perception. Il faut lire le "Et c'est" comme un appel à l'exaltation, pas simplement comme un présentatif.
Au plans des rimes, nous avons une rime de peu d'intérêt au plan sémantique : "mois"/"fois", une rime "dix-sept-cent-vingt"/"latin" plus rare mais qui ne s'impose pas comme remarquable, une rime finale : "église"/"grise" qui ne s'impose pas non plus comme saisissante. Il y a en revanche deux rimes frappantes. La première rime : "guinguette"/"baguette" appelle l'attention, à cause de la rareté d'emploi en poésie du mot "guinguette". La rime "jacinthe"/"Hyacinthe" est encore plus frappante, puisque nous avons deux mots rares à la rime, et s'il s'agit en prime d'une rime étymologique qui lie le prénom "Hyacinthe" à son origine commune avec le nom de fleur "jacinthe".
Pour l'instant, je ne relève aucune mention de "Hyacinthe" et "jacinthe" dans l'œuvre de Coppée, mais il reste les vers de théâtre (Le Passant, Fais ce que dois, etc.) et ses textes en prose. En réalité, j'ai bien un candidat, mais il pose un problème d'anachronisme, le poème "Le Liseron" paru dans la Revue des Dux Mondes en 1877. Il contient la mention "diacre", l'expression à la rime "les lettres latines" et il contient le mot "jacinthe" aussi à la rime avec "bonne sainte" dans un développement où une abbesse éprouve l'amour des fleurs en contrepoint de sa pratique sévère de la charité.
Ce que les rimbaldiens ont d'emblée remarquer, c'est la reprise de la rime "guinguette"/"baguette" à un dizain de Coppée.
D'après mon sondage, il n'y a que deux occurrence du nom "guinguette" dans les poésies lyriques de Coppée que Rimbaud a pu lire. Le mot "guinguette" apparaît dans le poème "LEtape", pièce du Reliquaire dédiée à Albert Mérat. Il apparaît au pluriel à la rime avec le pluriel "baguettes" dans le septième dizain de la série "Promenades et intérieurs" publiées dans le second Parnasse contemporain.
Je cite ce poème issu d'une série initiale de dix-huit dizains :
Vous en rirez. Mais j'ai toujours trouvé touchants
Ces couples de pioupious qui s'en vont par les champs,
Côte à côte, épluchant l'écorce de baguettes
Qu'ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes.
Je vois le sous-préfet, présidant le bureau,
Le paysan qui tire un mauvais numéro,
Les rubans au chapeau, les sacs sur les épaules,
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules,
A celle qui promet de ne pas oublier
En s'essuyant les yeux avec son tablier.
Il n'y a pas de hasard. Rimbaud fait exprès de citer la rime de ce dizain de Coppée. La rime "baguettes"/"guinguettes" est au pluriel aux vers 3 et 4, il la reprend en lui imposant quelques modifications. Rimbaud inverse les mots à la rime : "guinguette" au vers 1 et "baguette" au vers 2, et il le mets au singulier. Le sonnet de Coppée n'a pas seulement inspiré la pièce qui nous intéresse de Rimbaud, puisque le vers 5 : "Je vois le sous-préfet, présidant le bureau," est très clairement une source à l'attaque même du dizain de Verlaine : "Le sous-chef est absent du bureau..." Rimbaud avait donc identifié la source de Verlaine, ce qui l'a amené à s'y pencher et à produire sa propre création satirique s'en inspirant. Notez aussi que la révélation de tous ces liens conforte à la fois l'importance pour Rimbaud des dizains de Verlaine en tant que modèle et l'idée d'analyser ensemble les deux premiers dizains zutiques de Rimbaud.
Enfin, il est tout aussi remarquable de voir que Charles Cros a procédé tout comme Rimbaud. Sachant que Verlaine et Rimbaud s'étaient inspirés de ce dizain-là précisément, Cros a créé un dizain "Oaristys" qui reprend le récit du poème moderne "Le Banc", mais il reprend aussi des éléments à ce dizain : "épluchant l'écorce des baguettes", "couples de pioupious", "celle qui promet de ne pas oublier / En s'essuyant les yeux avec son tablier." Et on comprend aussi un lien subtil entre l'attaque du dizain de Coppée : "Vous en rirez" et la chute du dizain "Oaristys" qui est une citation du dernier vers le poème "Le Banc" certes, mais qui est aussi une forme de bouclage allusif au dizain de Coppée : "Et je n'ai pas trouvé cela si ridicule" reprend "Vous en rirez". Le poème de Cros décrit une scène de prise de plaisir sexuel sans fiançailles ni mariage en quelque sorte ce qui parachève le persiflage de la fin du poème de Coppée : "En s'essuyant les yeux avec un tablier."
Evidemment, il convient de prolonger l'exercice des rapprochements entre "Je préfère sans doute..." et les deux séries déjà publiées de "Promenades et intérieurs" de Coppée. La mention "je préfère". Rimbaud reprend tout simplement la mention à la rime "je vous préfère" au dizain XIII de la série "Promenades et intérieurs" publiée dans le second Parnasse contemporain :
Champêtres & lointains quartiers, je vous préfère
Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
S'emplit de l'odeur forte & tiède des jardins.
Mais j'aime aussi vos bals en plein vent, d'où, soudains,
S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
Les polkas, le hoquet des cruchons qu'on débouche,
Les gros verres trinquant sur les tables de bois,
Et, parmi les chaos des rires & des voix
Et du vent fugitif dans les ramures noires,
Le grincement rhythmé des lourdes balançoires.
Rimbaud a repris l'enjambement au vers 1 : "je vous préfère / Sans doute", il a éliminé le "vous" d'adresse à la Nature, et il en a fait le premier hémistiche de son poème : "Je préfère sans doute". Rimbaud n'a pas repris au dizain VII son mot "champs", ni au dizain XIII son adjectif "Champêtres", mais les mentions "au printemps" et "prairie communale" en sont des adaptations. Rimbaud reprend aussi l'idée des compléments circonstanciels de temps en incises : "au printemps" et "au mois / De mai" sont insérés à la manière de "par les nuits d'été", en cassant le rythme, en interrompant le débit continu de la phrase.
Fort des rapprochements patents déjà établis, nous pouvons dire que le vers "La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise" retient du dizain XIII d'autres éléments : "le hoquet des cruchons qu'on débouche", les "gros verres trinquant sur les tables de bois". Il y a un parallèle rythmique à faire entre les deux fins de poème : "Le grincement rhythmé des lourdes balançoires" et "La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise." La mention "tables de bois" anticipe "table d'ardoise". Notons aussi que le poème de Coppée développe en plus explicite des éléments du dizain rimbaldien. Nous avons un parallèle entre les parfums forts des plantes comme si elles étaient des flacons, les éclats de rire qui s'échappent eux aussi comme de flacons et les vins ou alcools qui jaillissent des bouteilles justement. Rimbaud ne précise pas l'idée d'une Nature odorante, il s'agit d'une dimension implicite dans son poème, mais au dernier vers nous avons une métaphore "toux" qui superpose l'idée des voix humaines au fait de vider les bouteilles.
Observons tout ce que doit déjà le dizain : "Je préfère sans doute..." à ces deux seuls dizains de Coppée :
Je préfère sans doute, au printemps, la guinguette
Où des marronniers nains bourgeonne la baguette,
Vers la prairie étroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabroués bien des fois
Viennent près des Buveurs triturer des jacinthes
De plate-bande. Et c'est ,jusqu'aux soirs d'hyacinthe,
Sur la table d'ardoise, où, l'an dix-sept cent-vingt,
Un diacre grava son sobriquet latin, 
Maigre comme une prose à des vitraux d'église,
La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise.
J'ai souligné en bleu les éléments repris directement, en y incluant "toux des flacons" en tant que réécriture de "hoquet des cruchons" (notez la rime possible entre "flacons" et "cruchons"). J'ai souligné d'autres adaptations : "Buveurs" reprend une idée générale à Coppée et du coup aussi à Verlaine l'autre modèle, "table d'ardoise" reprend quelque peu "tables de bois", l'adjectif "noirs" est repris à "ramures noires", "prairie" reprend "champs" et "champêtres". on pourra à la limite me reprocher de souligner directement les deux mentions de saison : "au printemps" et "au mois / De mai" dans la mesure où l'idée demeure implicite dans les deux dizains de Coppée. On peut au moins parler d'adaptation dans un cas, de l'été au printemps, entre "par les nuits d'été" et "au printemps".
Il faut aussi insister sur l'idée du rire : l'expression "Vous en rirez" se perçoit en filigrane du discours : "Je préfère sans doute... Et c'est... La toux des flacons noirs..." Le rire est très présent aussi dans le dizain XIII : "éclats de rire à pleine bouche", "chaos des rires", et ce rire passe dans le "hoquet des cruchons" devenu "toux des flacons noirs qui jamais ne les grise."
Toutefois, il y a une subtilité sur le verbe "grise". Les Buveurs ne s'avouent jamais saouls, tel est le sens premier évident en contexte, mais on a une sombre impression mélancolique qui se profile avec un autre sens du verbe "griser", proche de celui d'ivresse justement. Cette alcoolémie ne semble pas ramener le bonheur, et cela toucherait le faux Coppée imaginé par Rimbaud. Le sens premier étant évident dans le dizain de Rimbaud, il faut songer à étayer l'hypothèse de cet autre sens sur le verbe "griser".
Le premier dizain de la série publiée dans le Parnasse contemporain mentionne les vers des dizains comme de "graves historiens" s'adressant à un "lecteur mélancolique" qui se montre "Indulgent" devant le spectacle du monde qui fait alterner des "printemps" et des "hivers".
Le deuxième dizain de la série est à citer, puisqu'il s'agit d'une source directe au dizain de Verlaine : "Le sous-chef est absent..."
Prisonnier d'un bureau, je connais le plaisir
De goûter, tous les soirs, un moment de loisir.
Je rentre lentement chez moi, je me délasse
Au cri des écoliers qui sortent de la classe ;
Je traverse un jardin, ou j'écoute, en marchant,
Les adieux que les nids font au soleil couchant,
Bruit pareil à celui d'une immense friture.
Content comme un enfant qu'on promène en voiture,
Je regarde, j'admire, & sens avec bonheur
Que j'ai toujours la foi naïve du flâneur.
Je cite pour rappel le dizain de Verlaine :
Le Sous-Chef est absent du bureau : j'en profite
Pour aller au café le plus proche au plus vite !
J'y bois à petits coups, en clignotant des yeux,
Un mazagran avec deux doigts de cognac vieux.
Puis je lis - et quel sage à ces excès résiste -
Le journal des Débats, étant orléaniste.
Quand j'ai lu mon journal et bu mon mazagran
Je rentre à pas de loup au bureau ! Mon tyran
N'est pas là, par bonheur, sans quoi mon algarade
M'eût valu les brocards déplacés de plus d'un camarade.

J'ai l'impression de lire "Meuh" sur le manuscrit de l'Album zutique, mais peu importe.
Le dizain de Coppée a aussi inspiré l'autre dizain de la lettre à Valade, puisque l'énumération verbale dépouillée au présent de l'indicatif du vers 9 : "Je regarde, j'admire & sens avec bonheur..." et l'asyndète du vers 3 : "Je rentre lentement chez moi, je me délasse...", la coordination du vers 5 : "Je traverse un jardin, ou j'écoute..." nous valent l'idée de fin abrupte de la part de Verlaine : "Je m'endors et j'aime Rocambole !" Verlaine avait repéré le caractère poétiquement claudicant des suites de verbes à l'indicatif présent dans les dizains de Coppée. La claudication n'est pas dans le rythme, mais dans le côté coq-à-l'âne des successions de présents de l'indicatif dans les poèmes de Coppée.
Etant donné cette influence du dizain II "Prisonnier d'un bureau...", je n'hésite pas à effectuer un rapprochement entre les "marronniers nains où bourgeonne la baguette" et le "cri des écoliers". Les "écoliers" sont des humains encore nains, et je rappelle que l'expression "marronniers nains où bourgeonne la baguette" suppose de jeunes pousses "bourgeonne" avec équivoque grivoise à la clef, mais cette expression démarque un passage d'un dizain de Coppée où des pioupious vont par couples sous les bosquets. Et si le texte est de Coppée lui-même, les lecteurs zutiques peuvent se demander si les pioupious sont en couples avec des femmes, ou entre eux.
Ce qui tend à conforter le rapprochement entre les "écoliers" et les "marronniers nains", c'est qu'il y a le mot "friture" à la rime. Le bruit des oiseaux dans les nids au couchant est comparé à une friture. La ressemblance phonétique entre "friture" et "triturer" me paraît des plus conséquentes : séquence identique "-ritur-". Je considère que la phrase du dizain rimbaldien glissé entre trois vers : "Des jeunes chiens rabroués bien des fois / Viennent près des Buveurs triturer des jacinthes / De plate-bande" est une prolongation comique des vers suivants de Coppée : "Les adieux que les nids font au soleil couchant, / Bruit pareil à celui d'une immense friture."
L'hypothèse d'une équivoque entre "marronniers nains" et "écoliers" reçoit le renfort du dizain suivant III de la série coppéenne, avec son vers 1 : "C'est vrai, j'aime Paris d'une amitié malsaine ;" et son vers 4 où "Je rêve" correspond quelque peu à un "Je préfère" : "Je rêve d'un faubourg plein d'enfants & de jeux[.]
Le dizain IV conforte l'idée d'une revue générale de la part de Rimbaud : "J'adore la banlieue..." Notons qu'à son dernier vers, ce dizain IV introduit la mention mélancolique du noir : "Je prends un chemin noir semé d'écailles d'huître."
Au plan des idées, des thèmes, le dizain V ne semble pas devoir être rapproché de "Je préfère sans doute...", mais les deux premiers vers méritent une mention :
Le soir, au coin du feu, J'ai pensé bien des fois
A la mort d'un oiseau, quelque part, dans les bois.
Nous relevons plusieurs éléments qui intéressent d'autres parodies des dizains de Coppée : "Le soir" ou "j'ai pensé bien des fois", mais nous relevons aussi cet effet d'émiettement des compléments circonstanciels juxtaposés et un peu vagues : "quelque part, dans les bois", c'est ce que Rimbaud pratique avec "au printemps", "au mois / De mai". Notez aussi l'effet d'allongement "sans doute, au printemps". Rimbaud imite de tels effets d'étirement des dizains coppéens. Notons que si la mention "mois" n'apparaît pas à la rime chez Coppée, nous avons ici une comparaison entre deux rimes de monosyllabes passe-partout : "fois"/"bois" et "fois"/"mois" qui devient un emprunt manifeste de l'un à l'autre une fois  qu'on identifie la séquence commune "bien des fois".
Je cite les vers de Rimbaud, où notez la reprise et l'inversion dans l'ordre de défilement :
Vers la prairie étroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabroués bien des fois
Les rimes des quatre premiers vers du dizain de Rimbaud sont fondées sur la reprise de deux rimes de dizains de Coppée parus dans le second Parnasse contemporain.
Je montre ici que j'exploite pour l'instant de manière continue l'idée de rapprochement entre chaque dizain de Coppée et le dizain : "Je préfère sans doute..." Outre les dizains VII et XIII, nous avons exploité un élément au moins dans chacun des six premiers dizains. Il se trouve que le dizain VI ne déroge pas à la règle, celui qui précède le dizain VII avec sa rime "baguettes"/"guinguettes".
N'êtes-vous pas jaloux en voyant attablés
Dans un gai cabaret entre deux champs de blé,
Les soirs d'été, des gens du peuple, sous la treille ?
Moi, devant ces amants se parlant à l'oreille
Et que ne gêne pas le père, tout entier
A l'offre d'un lapin que fait le gargotier,
Devant tous ces dîneurs, gais de la nappe mise,
Ces joueurs de bouchon en manche de chemise,
Cœurs satisfaits pour qui les dimanches sont courts,
J'ai regret de porter du drap noir tous les jours.
Il est clair que "dîneurs" est à la source de "Buveurs" avec même suffixe en "-eurs", ce qu'appuie la notation superbe en style : "gais de la nappe mise". Notons au vers 5 le rejet "Et que ne gêne pas + le père" qui pourra être cité dans un commentaire des "Remembrances du vieillard idiot". L'expression "en manche de chemise" suivie du calembour par écho "les dimanches sont courts" fait de loin en loin songer à "Bonne pensée du matin", mais n'allons pas si loin, et contentons-nous de voir dans "joueurs de bouchon" un autre élément lié à "Buveurs" et "toux des flacons noirs qui jamais ne les grise". La mention "gai cabaret" correspond bien sûr par équivalence à "guinguette", j'éhsite à faire une série : "attablés", "tables de bois" et "table d'ardoise", mais de toute façon Rimbaud a vu la continuité thématique des dizains VI à VII de la première série de "Promenades et intérieurs".
Mais, arrêtez-vous un instant sur le dernier vers du dizain VI : "J'ai regret de porter du drap noir tous les jours". On le sent que la notation "noir(s)" est mélancolique dans les dizains de Coppée, ce qui invite à ne pas considérer comme une description neutre la mention "flacons noirs" dans le dizain de Rimbaud : il y a une note trouble en cette fin de poème avec cette "toux des flacons noirs qui jamais ne les grise."
Je poursuis férocement mes rapprochements, quitte à user la patience de tous mes lecteurs, mais le dizain VIII à son tour vaut la peine d'être cité. Il contient une reprise de la rime "bien des fois" / "bois" sous la variante : "bois"/"quelquefois", mais surtout il prolonge l'idée de la préférence du poète coppéen pour un cadre de vie campagnard arrangé et étroit à la limite de la ville :
Un rêve de bonheur qui souvent m'accompagne,
C'est d'avoir un logis donnant sur la campagne,
Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
Où je vivrais ainsi qu'un ouvrier rangé.
[...]
Et la pépite est au dernier vers qui doit être relié au précédent dizain zutique de Rimbaud : "J'occupais un wagon de troisième...", puisque nous avons un joueur de "flageolet" à sa "fenêtre", le mot "fenêtre" étant le dernier mot à la rime de tout le dizain :
[...]
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très-loin pourraient me reconnaître
Jouant du flageolet assis à ma fenêtre.
Ce lien n'a jamais été relevé il me semble auparavant avec le dizain "J'occupais un wagon..." Pourtant, outre l'emploi du mot "fenêtre" à la rime, outre l'équivalence entre fumer la pipe à une fenêtre et jouer du flageolet, le mot "flageolet" est l'occasion pour Rimbaud de parler des haricots et de pétomanie avec son vers final, faisant allusion aux haricots de Soissons et à l'entrejambe (aine) : "près Soissons, ville d'Aisne." Je cite Rimbaud :

J'occupais un wagon de troisième : un vieux prêtre
Sortit un brûle-gueule et mit à la fenêtre
Vers les brises, son front très calme aux poils pâlis.
[...]

Et ce "chrétien" demande ensuite au poète une chique :
Pour malaxer l'ennui d'un tunnel, sombre veine
Qui s'offre aux voyageurs, près Soissons, ville d'Aisne.

J'en arrive alors à l'influence éventuelle du dizain IX. Ce dizain est particulier, puisqu'il prend le contrepoint des pièces précédentes : au lieu de s'intéresser au plaisir de la foule, cette fois le poète en décrit les souffrances.
Quand sont finis le feu d'artifice & la fête,
Morne comme une armée après une défaite,
La foule se disperse. Avez-vous remarqué
Comme est silencieux ce peuple fatigué ?
Ils s'en vont tous, portant de lourds enfants qui geignent,
Tandis qu'en infectant [leçon à vérifier] les lampions s'éteignent.
On n'entend que le rhythme inquiétant des pas,
Le ciel est rouge. Et c'est sinistre, n'est-ce pas ?
Ce fourmillement noir dans ces étroites rues,
Qu'assombrit le regret des splendeurs disparues.
Le second vers : "Morne comme une armée après une défaite" est le modèle du vers 9 de "Je préfère sans doute..." : "Maigre comme une prose à des vitraux d'église", et il est rejoint par la mention adjectivale dans "étroites rues" qui nous vaut "prairie étroite et communale" dans le poème de Rimbaud. Enfin, nous avons une phrase finale qui opte pour le même  tour présentatif que la parodie de Rimbaud : "Et c'est sinistre [...] Ce fourmillement noir [...]." Rimbaud n'a pas conçu une structure attributive : "Et c'est [...] La toux des flacons noirs..." On peut penser que le poème décrit cette "toux" comme heureuse. Le poète dirait "Et c'est joyeux cette toux..." mais en réalité en ne précisant pas sa pensée dans "Je préfère sans doute", le poète introduit la possibilité d'un mélange de joie et de mélancolie, de joie et de regret. Le "fourmillement noir" confirme l'emploi spécifique en ce sens dans les dizains de Coppée de l'épithète "noir". Nous avons à nouveau la mention d'un "regret" et nous avons l'idée de la fête finissant. Nous avons l'envers du décor. Dans "Je préfère sans doute...", les "Buveurs" n'arrivent pas être grisés. La soirée se finit sans but atteint.
Je vous rassure, je ne vois pas de raison sensible de citer un extrait des dizains X à XII en regard de "Je préfère sans doute..." et nous avons déjà traité du dizain XIII plus haut.
Je peux également m'épargner de citer comme nécessaires les cinq derniers dizains de cette première série, y compris les "noces" du XVII, je me contenterai de citer deux vers successifs du dizain XVIII pour les mentions "buveur" et "prêtre" :
[...]
Tel un buveur malade & forcé d'être sobre,
Tel un prêtre du bruit d'un baiser éperdu,
[...]
J'ai évité de citer certains passages qui intéressent le dizain "J'occupais un wagon...", et seul remords final, je cite tout de même ce vers du dizain numéroté XVII : "Tandis qu'en un bosquet le marié s'égare," puisque ce vers n'est pas seulement une source au vers : "Dans le kiosque mi-pierre étroit où je m'égare," mais il participe de la feinte de l'admiration pour les "marronniers nains où bourgeonne la baguette".
Il existe une deuxième série de "Promenades et intérieurs", celle qui a été publiée dans Le Monde illustré le 8 juillet 1871, mais on voit la prédominance de la première série en terme d'influence sur la composition de Rimbaud, et nous pouvons maintenant en venir au sujet capital, la référence sous-jacente au poème "Angélus".
Un fait très simple à observer : vous avez deux dizains enchaînés de Rimbaud : "J'occupais un wagon..." et "Je préfère sans doute..." qui rassemblés citent deux fois la pièce "Angélus" des Poèmes modernes de Coppée, et ces deux fois sont les extrémités du couple formé par ces compositions : "vieux prêtre" à la rime du premier vers, et la rime "église" / "grise" pour conclure le tout.
La rime "église"/"grise" vient du poème "Angélus".
La première rime est différente chez Coppée, puisqu'il s'agit d'un cas d'homonymie entre l'adjectif "grise" et la forme conjuguée "grise" du verbe "griser" :

Ayant sonné la cloche et dit les oraisons,
Les deux vieillards allaient regagner leurs maisons
Et se disaient adieu sur le seuil de l'église,
Quand ils virent, gisant sur une pierre grise,
Quelque chose de blanc qu'on avait laissé là ;
Et, s'étant approchés tous deux, il leur sembla
Que cela remuait vaguement. Le vieux prêtre,
Inquiet, se pencha vite et put reconnaître
Que c'était un pauvre être à peine emmailloté,
[...]

L'extrait bref suivant contient les trois mentions à la rime : "église", "grise" et "vieux prêtre".
Le mot "église" revient plus loin à la rime avec la forme conjuguée "paralyse", et toujours à peu de distance devant une nouvelle mention de "vieux prêtre" à la rime :

[...]
Qu'être seul, cela tue et cela paralyse ;
Que la famille, c'est la patrie et l'église ;
Que l'épée au fourreau doit orner le foyer ;
Que les yeux de l'enfant font croire et font prier ;
Que si tous deux, le vieux soldat et le vieux prêtre,
Ils n'avaient pu sauver ce pauvre petit être,
A qui pourtant leur cœur entier se dévouait,
C'est qu'ils l'avaient aimé comme on aime un jouet ;
[...]

La suite immédiate est d'ailleurs à rapprocher de "Oaristys" le dizain zutique de Cros, puisque les deux vieux en mal de paternité sont comparés défavorablement à la mère humble qui "met les légumes au pot", etc. Le poème se poursuit avec à la rime "pâli" pour le "Dernier baiser qu'on pose au front déjà pâli", ce qui est à rapprocher de "J'occupais un wagon..." Et le prêtre doit donc faire la messe finale pour l'enfant qu'il avait élevé et les pleurs se mélangent alors au vin du ciboire :
Le prêtre - il était prêtre, hélas ! - dut sur le corps
De son enfant chanter les prières des morts,
Lui jeter l'eau bénite en sanglotant, et boire
Ses pleurs qui se mêlaient au vin dans le ciboire.
Et en écrivain chrétien pré-mauriacien, Coppée décrit un couple initialement de "justes" qui a presque perdu la foi suite à cette perte de leur enfant, et cela avec une reconduction de la rime complète "église"/"grise" :
[...]
C'est à peine s'ils ont encor gardé la foi.
On lit dans leurs regards je ne sais quel effroi
Quand ils sortent tous deux en grand deuil de l'église,
Au moment où le soir répand son ombre grise.
Et le pêcheur, qui passe et qui les reconnaît,
Regarde, tout timide, en ôtant son bonnet,
Descendre du parvis les deux vieillards funèbres,
Tandis que vibre encore au loin dans les ténèbres,
Long, triste et solennel comme leur désespoir,
Le dernier tintement de l'angélus du soir.
Je viens de vous citer la fin même du poème, ce qui veut dire qu'au-delà du rapprochement de rime "église"/"grise" je vous invite à comparer la fin des deux poèmes, à comparer "Le dernier tintement de l'angélus du soir" avec "La toux des flacons qui jamais ne les grise."
L'angélus est une prière à la Vierge Marie et c'était le nom donné à leur enfant adopté par ces deux hommes en mal de paternité.
Pour l'instant, l'explication est encore peu posée. Vous vous dites que ce lien entre "Je préfère sans doute..." et "Angélus" est un peu gratuit, sinon bancal, vu qu'il n'y a pas ce drame de la paternité dans "La toux des flacons noirs" qui est celle de "Buveurs" dans une "guinguette".
Vous vous doutez bien que vous refoulez les liens parce que vous demandez à Rimbaud une contrainte dans les rapprochements qui l'empêcherait d'être plus subtilement abstrait danbs l'arrière-plan de sa satire poétique.
Il faudra y revenir.
Mais d'ores et déjà apprécions d'autres éléments de preuve.
Une de vos réticences, c'est le fait que l'adjectif "grise" ne soit pas assimilable à la forme verbale "grise". Notons tout de même que dans "flacons noirs" Rimbaud récupère subrepticement quelque chose des mentions à la rime "grise", puis "ténèbres" du poème "Angélus" de Coppée, mais le mot "grise" est plusieurs fois à la rime dans "Angélus", et à côté des occurrences de la couleur "grise" nous avons bien des exemples de la forme verbale "grise". Les deux nouvelles occurrences que nous avons à mentionner riment cette fois avec "surprise" :
[...]
C'est dit. L'enfant aura d'abord quelque surprise
De votre robe noire et de ma barbe grise ;
[...]
Chaque jour amenait sa nouvelle surprise.
Et comme le bonheur nous égare et nous grise,
Le petit Angelus n'avait pas seulement
Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement,
Effort de la pensée éclose qui s'envole
Et qui ressemble encore à la parole,
Que déjà le curé, plein d'ardeur et rêvant
A le faire bientôt devenir très-savant,
Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque
Son vieux savoir latin et sa science grecque,
[...]
Notez que "Angélus" est quelque peu une espèce de "sobriquet latin" !
Dans "Angélus", il est question du "maigre sein" qui n'a pas nourri l'enfant de celle qui l'a abandonné. Le mot "maigre" est d'ailleurs à rapprocher de "Vitrail" poème de Coppée dédidé à Verlaine qui fait partie des sources aux "Pauvres à l'Eglise", mais la confirmation de l'importance du poème "Angélus" dans la genèse de "Je préfère sans doute.." vient de la mention "plate-bande" à la rime :

[...]
Son père le soldat qui tenait l'arrosoir
Ou passait le râteau sur quelque plate-bande,
En écoutant au loin chanter la folle bande,
Grommelait, de son air affable et belliqueux :
"Voyons donc, fainéant, va jouer avec eux !"

L'enfant refuse, il préfère lire et le ferait même trop. Il se refuse donc aux jeux des enfants qui vont "au bois voisin" "Cueillir des mûres ou chasser des papillons".

Alors, je vais m'arrêter là, mais vous le sentez l'intérêt de bien s'imprégner du poème "Angélus" avant de savourer les perfidies de Rimbaud dans si pas "Les Etrennes des orphelins" au moins toutes ses contributions zutiques de "J'occupais un wagon..." à "Ressouvenir" en passant par "Je préfère sans doute..." et "Les Remembrances du vieillard idiot" ?

A suivre...