dimanche 20 décembre 2020

Tête de faune, et Banville, et Glatigny...

Je n'ai toujours pas remis la main sur un exemplaire du numéro 20 de la revue Parade sauvage où figure un article de Steve Murphy sur "Tête de faune" et le "sous bois" intertextes (Glatigny, Banville). En attendant, j'ai remis la main sur mon édition de 1883 du Petit traité de poésie française de Banville qui est intacte, sur le volume Stratégies de Rimbaud de Steve Murphy dans l'édition petit format et couverture souple et puis sur un volume à couverture jaune d'époque des Nouvelles Odes funambulesques qui m'avait coûté cher et qui n'a plus de couvertures, ni même les premières pages avec le premier poème "A Pierre Véron". Je n'aurais pas la page de sommaire, je ne me rendrais pas compte de son absence, car la première page qui s'offre à moi porte le titre "Nouvelles Odes funambulesques" et le début du poème "La Lyre dans les bois. Petit prologue pour une symphonie."
Avant de parler de ce volume des Nouvelles Odes funambulesques, je voulais faire quelques remarques sur l'article de Steve Murphy au sujet du poème "A la Musique". Je vais m'en abstenir, mais il y a au moins une idée importante que je ne dois pas laisser filer et qui sera à sa place en introduction. Dans son article sur le poème "A la Musique", Murphy rappelle que le poème s'inspire de "Promenades d'hiver", un poème du recueil Les Flèches d'or de Glatigny. Il est cité in extenso à la page 25 et la note 3 de bas de page précise la référence : "3 Albert Glatigny, Les Flèches folles, Paris, Frédéric Henry, Libraire, 1864, p. 87-88."
Pourquoi est-ce important ? L'article de Murphy sur le "sous bois" des intertextes dans "Tête de faune" a été publié en 2004, la même année que la première édition du livre Stratégies de Rimbaud (que je dois avoir quelque part ici), sachant que là je tiens la réimpression de 2009 avec modification de format. Or, Murphy ne donne pas comme référence l'édition de 1870 des trois œuvres de Glatigny : Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois, il donne scrupuleusement l'édition originale. Il faut bien être conscient de ce fait. Pour le sourcier universitaire (je ne parle pas de Murphy spécifiquement), la preuve vient de la date initiale de publication et c'est la publication initiale qui vaut référence. Murphy publie des articles et ouvrages sur Rimbaud depuis le tout début des années 80, il a 20 à 24 ans de bouteille quand il publie son livre Stratégies de Rimbaud, et on épingle ici sa manière de référencer les sources. Je voudrais insister sur l'originalité de ma méthode que je déploie depuis longtemps, mais qui s'est affinée et qui en est maintenant à l'affirmation d'une nouvelle méthode de référencement, il s'agit de donner en référence l'ouvrage qui se situe au plus près du contexte de composition d'un poème. J'avais déjà affronté une réaction hostile absurde au sujet des citations de Belmontet. J'avais dit que certaines citations venaient du recueil Lumières de la vie et quelqu'un répliquait que cela venait plutôt des Nombres d'or. En réalité, je parlais en connaissance de cause. Le recueil Lumières de la vie reprenait sous un titre différent les poèmes des Nombres d'or et il était plus récent, donc plus accessible à Rimbaud en 1871.
Et, puisque j'en suis à citer l'édition de 1870 réunissant les titres Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois, je vais non seulement rappeler que la pièce Le Bois est ainsi mise en valeur et que Rimbaud a lu ces trois œuvres avant de composer "Credo in unam..." et "Ophélie" qui s'en inspirent, mais que, pour une approche de "Tête de faune", il n'est pas vain d'observer l'alignement des trois titres avec une mention pour l'ivresse et la folie dans "Tête de faune" du titre Vignes folles, mais surtout la liaison qui me paraît tout de même plus que probante entre le titre Le Bois et Les Flèches d'or pour avoir une idée de "Baiser d'or du Bois" lequel "se recueille" après une agression rapide et lumineuse comme une... flèche.
Cette méthode, je suis obligé de la mettre en exergue, parce que les rimbaldiens ils l'adopteront en considérant qu'elle a toujours existée. Il y a toujours eu des analyses où on datait au plus près une publication pour des raisons de variantes dans un texte, pour expliquer l'actualité d'un sujet, pour justifier l'accès d'un auteur à un ouvrage. Il y aura toujours moyen que je n'innove en rien. C'est tellement facile ! De toute façon, le plus simple sera de laisser quelques-uns passer à leur tour à une systématisation de la méthode sans rien dire, ça se fera naturellement sans faire de bruit. Je pourrais l'accepter, mais les rimbaldiens veulent absolument me faire passer pour quelqu'un qui fait des découvertes objectives simplement parce que je lis énormément. J'ai trouvé les citations de Belmontet parce que j'ai lu les ouvrages de Belmontet, les sources au quatrain "Lys" d'Armand Sylvestre parce que j'ai lu ses poésies, j'ai trouvé des intertextes de Coppée parce que je les ai cherchés, et ainsi de suite. Quand vous lisez les articles de Bardel, et sachez que les rimbaldiens font la même chose dans les articles et ouvrages qu'ils publient dans des livres, vous avez un commentaire de texte, des rappels de ce que les critiques ont fait, et puis un dialogue s'instaure entre des noms récurrents de la critique rimbaldienne : vous avez des noms qui reviennent sans arrêt, même si parfois on serait en peine de leur attribuer une lecture décisive sur un poème, une strophe de poème et il va de soi qu'ils sont plus rares encore ceux qui peuvent se targuer de découvertes objectifs : une source, un meilleur établissement du texte, une datation, etc. Et dans ces dialogues, je suis absent. Si je suis cité, c'est pour dire que j'ai vu la source du monostiche zutique attribué à Ricard, pour dire que je fais tels petits rapprochements sur les césures, ou que je soupçonne telle réécriture. J'ai une idée sur le sens d'un texte, ça non ! Ce n'est pas à moi de débattre du sens des poèmes.
Rappelons qu'à l'époque de mes travaux sur l'Album zutique j'ai lancé une autre démarche d'ampleur qui consiste à fouiller la presse d'époque au jour le jour, si vastes que furent les publications quotidiennes, pour retrouver le contexte d'écriture de poèmes de Rimbaud. J'ai mis en avant les pré-originales de Coppée dans Le Monde illustré et Le Moniteur contemporain.
J'ai expliqué également que, pour Rimbaud, le titre de recueil Les Cariatides correspondait à un volume des années 1860 qui compilait plusieurs recueils de Banville : Les Cariatides, Stalactites, Odelettes, Le Sang de la Coupe, etc. Et j'ai insisté sur le fait que Banville faisait partie des poètes qui remaniaient leurs vers lors des rééditions, ce qui n'était pas sans conséquences sur la réception critique. Par exemple, de 1842 aux années 1860, Banville réécrit de nombreux vers de poèmes des Cariatides, au sens étroit du recueil de 1842, en les marquant de césures acrobatiques. Le résultat de l'opération, c'est que Rimbaud pouvait ainsi croire que Banville avait devancé tout le monde en fait de césures chahutées. On perd en effet l'idée d'un mouvement qui ne s'est amplifiée que progressivement dans les années 1850 en impliquant autant Baudelaire que Banville.
Passons maintenant à un autre point de méthode.
Le poème "Tête de faune" est cerné évasivement comme une création de la fin de l'année 1871 ou du début de l'année 1872. L'idée de dater le poème de la fin de l'année 1871, si elle n'est pas indéfendable dans l'absolu, est un reliquat des anciennes habitudes qui se contentaient paresseusement d'attribuer une année d'exécution à chaque manière poétique de Rimbaud. Rimbaud composait des vers "nouvelle manière" en 1872, et "Tête de faune" était mélangé au plan manuscrit à des poèmes "première manière". Par ailleurs, on considérait que le poème "Le Bateau ivre" avait été composé durant l'été 1871 avant la montée à Paris. Aujourd'hui, tout ceci s'est effondré. La date manuscrite des "Mains de Jeanne-Marie" de février 1872 a pris du poids pour qu'on soit à même de réévaluer tout le dossier. Rimbaud peut avoir composé un très grand nombre de poèmes en vers "première manière" jusqu'en février ou mars 1872. Le témoignage de Delahaye sur la composition du "Bateau ivre" est définitivement considéré comme suspect et même tendancieux.
En fait, l'idée assez naturelle, c'est que "Tête de faune" a d'énormes chances d'être un poème de février 1872 contemporain des "Mains de Jeanne-Marie", et il y a d'énormes chances que ce soit aussi le cas du sonnet "Voyelles". Quant au "Bateau ivre", il est strictement impossible que cette composition soit antérieure au mois de décembre 1871, il peut très bien dater de janvier-février 1872 lui aussi. C'est tout un paradigme critique qui s'est effondré et ça commence à être connu, même si le grand public ignore ce grand mouvement de réévaluation des dates de composition des poèmes.
Comme je subis un a priori négatif qui fait que je ne peux plus redire ce que j'ai à dire sur "Voyelles" sans que le lecteur ne se bouche les oreilles contre une lecture qu'on voudrait lui imposer, j'ai une aubaine exceptionnelle avec "Tête de faune", et je vais l'exploiter à fond. Je vais expliciter progressivement les visées métaphoriques du poème "Tête de faune" et imposer petit à petit le fait de convergence avec ce que j'ai pu décrire au sujet de "Voyelles".
Je vais prendre mon temps, il va y avoir un certain nombre d'articles. Je vis ma vie, je n'ai aucune raison de me presser et de fournir à des ingrats du tout prêt à consommer. Je sais que vous avez toujours su et que vous applaudirez ce que j'arriverai à imposer en disant que d'évidence vous avez toujours pensé ainsi. Je vous connais.
Bon, alors, sur "Tête de faune", grâce à Steve Murphy on a deux intertextes majeurs. On a le vers 8 de "Tête de faune" qui est en décasyllabe littéraire (hémistiches de quatre et six syllabes) la réécriture du dernier alexandrin du poème "Sous bois", poème qui n'était pas évident à lire vu qu'il figure dans le recueil publié anonymement sous le manteau en 1866 Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la braguette. Rimbaud a peut-être découvert ce recueil une fois à Paris, suite aux réunions du Cercle du Zutisme, d'autant que, pour la composition du "Sonnet du Trou du Cul", qui figure au début de l'Album zutique, Rimbaud et Verlaine se sont inspirés non seulement de L'Idole d'Albert Mérat, la cible parodique nommée, mais aussi du recueil d'Henri Cantel Amours et Priapées lui-même publié sous le manteau et que cela amène à toute une collection d'ouvrages licencieux des années 1860 parmi lesquels du très significativement intitulé Parnasse satyrique. Vous voyez ce que c'est que de la critique des sources qui contextualise au maximum ? Ensuite, nous observons que Rimbaud a repris dans "Tête de faune" des rimes à un poème de Banville significativement homonyme du poème de Glatigny : "Sous bois". Rimbaud a repris la rime "broderie"::"fleurie" en inversant l'ordre de défilement "fleurie"::"broderie", et en faisant remonter la rime du second quatrain de Banville au premier de "Tête de faune". Rimbaud a également repris au même second quatrain du poème de Banville la mention "yeux" en la faisant passer de la fin du second quatrain de Banville à la fin du premier vers du second quatrain de "Tête de faune".
La première source de Glatigny a été établie par Murphy en 1990 et la seconde l'a été en 2004, toujours par Murphy.
Toutefois, le poème "Sous bois" de Banville, tiré du recueil Les Cariatides, ce qui au passage m'obligera à étudier si oui ou non il y eut des variantes, même si ça peut tourner en perte de temps, semble n'avoir que peu à voir avec le sujet traité dans "Tête de faune". Il vaut la peine de citer ici ce poème :

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu'on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
Les Comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux ;
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d'yeux.

Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d'or et leurs peaux de loups.

Pierrot s'est chargé de la dame-jeanne,
Puis après eux tous, d'un air triste et doux
Viennent en rêvant le Poète et l'Âne.

Le poème est suivi d'une mention de date : "26 janvier 1842". J'ai recopié le texte de 1889 fourni sur le site Wikisource.
Toutefois, sur le site Gallica de la BNF, il y a un fac-similé de l'édition que je possède : Les Cariatides, édition nouvelle, 1864. Vous pouvez fouiller les pages de sommaire, vous ne trouverez pas le titre "Sous bois". Le poème n'a pas toujours fait partie du recueil ! Et je rappelle que Rimbaud, dans son courrier à Izambard ne cite pas les recueils Stalactites, Odelettes, etc. Il cite Les Cariatides et les Odes funambulesques. Il était donc visiblement plus familier de la nouvelle édition de 1864 et cette absence du poème "Sous bois" est remarquable. Le poème figurerait pourtant dans l'édition de 1889, deux ans avant la mort du maître parnassien. Le site Gallica ne propose pas les fac-similés des autres éditions des Cariatides, pas même de l'édition originale de 1842 !
Voilà qui soulève une question intéressante ! Rimbaud cite un poème de Glatigny publié sous le manteau et donc pas très bien connu du grand public. Le recueil Joyeusetés galantes, à l'époque, les gens hésitent sur son attribution. Il faut être bien renseigné pour savoir que c'est un recueil de Glatigny, ce qui était bien sûr le cas de Rimbaud par ses fréquentations : Camille Pelletan, Théodore de Banville, etc. Mais Rimbaud citerait également un poème de Banville qui ne se rencontrait pas dans les éditions courantes des œuvres de Banville en 1871. Or, de la mi-septembre 1871 au début du mois de mars 1872, Rimbaud a dû assister à plusieurs représentations de pièces de Glatigny et le fait avéré pour Le Bois, et en même temps il a vécu chez Banville un certain temps. Plusieurs remarques s'imposent. Banville et Rimbaud ont eu l'occasion d'échanger sur Glatigny ! Et Banville a pu montrer à Rimbaud différentes éditions de ses œuvres, et c'est pour cela que j'aimerais vérifier la présence du poème "Sous bois" dans le recueil des Cariatides tel qu'il fut édité en 1842. Il existe une édition philologique des œuvres de Banville, mais je n'y ai pas accès en ce moment. Le site "canadien" existe toujours, bien qu'il ne soit pas référencé favorablement par Google. Mais il ne permet pas d'étudier les variantes et les dates de toutes les éditions officielles des poèmes.
Je me demande quelle est la référence donnée par Murphy dans son article de 2004.
En attendant, je voudrais revenir sur certains détails du texte. On se contente de relever les mots à la rime, sauf que visiblement on ne sait pas quoi en faire. Rimbaud a repris "fleurie"::"broderie" et le mot "yeux" à la rime, tout ça pour faire coucou à Banville, pour dire à Banville que c'est de lui aussi qu'il est question dans ce poème ! C'est un peu court !
Creusons un peu le sujet. Je n'irai pas très loin, j'ai d'autres articles qui suivront, je vais y aller modérément. Le motif de la lumière est très important dans "Tête de faune" et on peut dire qu'il existe un faible écart entre l'idée de "faune" et l'idée de "fauve" (pardon du jeu de mots). A cette aune, je ne peux manquer de relever d'autres mentions du poème de Banville. Le premier vers "A travers le bois fauve et radieux" est plein d'intérêt. Rimbaud n'a pas repris la forme prépositionnelle "A travers" (j'ai vérifié à tout hasard), mais il en a repris l'idée. La mention "le bois" est évidemment reprise par Rimbaud, l'adjectif "radieux" à la rime du premier vers est joliment adapté par Rimbaud en "taché d'or" (Comme ça, on ne l'accusera pas de plagiat !). Le mot "fauve" se passera de commentaire.
Le glaive d'Hérode m'a fait songer au Christ et du coup à un pied-de-nez de la broderie crevée dans "Tête de faune", mais ça nous mènerait trop loin. Je n'indique aussi que rapidement en passant le fait que le poème de Banville soit en décasyllabes de chansons aux deux hémistiches de cinq syllabes, quand le poème de Rimbaud opte pour l'autre décasyllabe en le chahutant maximalement.
Il est fort intéressant également de relever que pour le second quatrain du poème de Banville où Rimbaud a repris trois mots à la rime il y a aussi une mention "brille" et une mention "resplendit". Cette dernière est reprise par Rimbaud avec l'adjectif "splendides" de son vers 3. Et remarquez bien le déplacement global. Rimbaud a repris plusieurs éléments du second quatrain de Banville et les a tous ramenés dans son premier quatrain : "resplendit" qui donne "splendides", "fleurie" et "broderie", sauf le mot "yeux", lequel est tout de même à la rime au vers 5, début du second quatrain de "Tête de faune". Même la mention "yeux" effectue une remontée de presque un quatrain, de la rime du vers 8 chez Banville à la rime du vers 5 chez Rimbaud. Et ce n'est pas tout ! Dans le poème de Banville, le mot "brille" quelque peu synonyme de "resplendit" qualifie la "jupe fleurie", tandis que "resplendit" est employé pour qualifier l'éclat d'un bouquet de plumes de paon. Or, dans son premier quatrain, Rimbaud a doublé la mention des fleurs. Il a repris "fleurie" à la rime, mais il a eu recours au mot "fleurs" comme tête nominale de l'adjectif épithète "splendides". Rimbaud a même pris des risques du côté des jugements censeurs avec un effet de succession si appuyée, quoique délibéré : "fleurie, / De fleurs splendides..."
Il faut toutefois noter qu'il existe deux versions connues de "Tête de faune", dont l'une ne comporte pas la leçon "De fleurs splendides", mais "D'énormes fleurs..."
Une autre idée dont je ne manque pas de vous faire profiter c'est que la mention "yeux" à la rime dans "Tête de faune" est du coup contemporaine dans sa mention à la rime du dernier vers de "Voyelles". Prenez ça, c'est cadeau !
Je rappelle que j'ai déjà énormément insisté sur les parentés de mots à la rime entre "Le Bateau ivre", "Les Corbeaux", "Voyelles", "Les Mains de Jeanne-Marie", tous poèmes composés selon toute vraisemblance dans les deux, trois premiers mois de l'année 1872, tout comme "Tête de faune".
Poursuivons ! La mention "d'or" du poème de Banville a bien sûr son écho avec "écrin vert taché d'or" et "baiser d'or", mais deux autres idées me viennent encore. Premièrement, dans "les oripeaux de la broderie", je ne résiste pas à la suggestion du mot "or" dans "oripeaux" et je note que dans le premier quatrain de "Tête de faune", les quatre expressions à la rime sont "d'or","fleurie","dort","broderie". On pourrait aller jusqu'à lire "or" à l'envers dans la première syllabe de "broderie", mais mon idée c'est surtout que "écrin vert taché d'or", avec l'or comme une tache, ça m'a tout l'air d'être né d'une méditation de l'expression "les oripeaux de la broderie" avec idée de l'attaque syllabique "or" dans le mot pouilleux "oripeaux". Il va toutefois de soi que les connotations ne sont pas les mêmes entre les deux poèmes.
Pour cet "écrin vert taché d'or", d'autres expressions du poème de Banville sont à retenir, en particulier la mention "chrysolithes" à la rime, surtout pour entourer des personnages "flamboyants". Les chrysolithes sont des pierres fines avec un effet doré, et elles peuvent être vertes avec des éclats dorés. Il suffit pour vous d'aller consulter les photographies sur les pages Wikipédia des entrées "chrysolithe" et "péridot". Je me permets même de citer cette remarque important à l'entrée "chrysolithe" (consultation le 20/12/2020 à 16h30) : "Le terme chrysolithe désignait plus généralement, avant le XIXe siècle, de nombreuses gemmes aux reflets dorés, plus spécialement lorsque ce reflet était nuancé de vert, comme pour certaines variétés de chrysobéril, saphir, topaze et tourmaline. Péridot, chrysobéril et tourmaline sont les cas les plus flagrants au vu des photos proposées.
Le poème "Sous bois" de Banville n'est pas en trois quatrains, c'est un sonnet. Il joue sur un contraste. Le dernier tercet dévoile un "Pierrot" et un "Âne" à côté du "Poète", après la galerie mythologique. Du coup, je ne peux m'empêcher d'un petit rapprochement avec le poème "A la Musique" de Rimbaud. je ne parle pas ici d'une source obligée, de quelque chose de pensé par Rimbaud entre les poèmes, je veux uniquement montrer une convergence. Dans le sonnet de Banville, les Hippolytes "Montrent leurs arc d'or". Ce geste ostentatoire me fait penser au poème "A la Musique" dans la version remise à Izambard : "On voit [...] / Les notaires montrer leurs breloques à chiffres;" ce qui deviendra le superbe vers dans la version remise à Demeny : "Le notaire pend à ses breloques à chiffres[.]" Et dans "Tête de faune" au vers, quelle que soit la version le faune "affolé" ou "effaré" "montre ses deux yeux" ou "ses grands yeux".
D'autres idées me viennent encore. J'observe que dans son sonnet Banville a répété la forme "couverts" et chaque fois dans un élan jusqu'à la fin du vers : "couverts de pourpre et d'orfèvrerie", "couverts d'yeux". C'est encore un angle d'attaque pour expliquer la création de l'expression "écrin vert taché d'or" et pour analyser la feuillée en tant que "couvert" artistique. D'ailleurs, si Rimbaud a fait passer la rime "fleurie"::"broderie" du second quatrain de Banville au premier de "Tête de faune", dans la mesure où les quatrains de Banville sont fondés sur la reprise des deux mêmes rimes, le terme "orfèvrerie" au vers 3 facilite évidemment des comparaisons du premier quatrain de Banville lui-même avec le premier quatrain de "Tête de faune". Je relevais la parenté entre les mots "fauve" et "faune" tout à l'heure, c'est encore à compléter de l'idée que les Adonis et les Hippolytes ont "des peaux de loups". Il n'y a plus très loin aux "dents" du faune !
Par son attaque "Viennent en rêvant", le dernier vers du sonnet "Sous bois" n'est pas non plus si éloigné du vers final de "Tête de faune" : "Le baiser d'or du bois qui se recueille."
Et il y a enfin la précieuse mention des "Comédiens". Glatigny, Banville et Rimbaud sont des poètes, mais Glatigny est aussi un comédien. Déjà, ils composent des pièces de théâtre qui sont jouées à l'Odéon, dont l'une qui s'intitule précisément Le Bois à laquelle Rimbaud a assisté, il a même été persiflé publiquement dans la presse pour cela en tant que mademoiselle au bras de Verlaine. Mais, en plus, Glatigny était directement un acteur, un comédien au sens propre du terme, et il s'identifiait à un de ces personnages ambulants du Roman comique de Scarron.
Passons au poème "Sous bois" de Glatigny maintenant.

O bon faune ! couché dans les fourrés épais,
Tu savoures, les yeux demi-fermés, la paix
Qui tombe du soleil sur la cime des chênes.
Les lianes, pendant comme de vertes chaînes
A tous les bas rameaux, emplissant la forêt
Où court un jour voilé, langoureux et discret.
Tu songes, barbouillé de mûres, et sommeilles
Sous le vol circulaire et pesant des abeilles.
Mais, tout à coup, muet, courbé sous les taillis,
Tu laisses échapper tous les beaux fruits cueillis,
Tu frémis, et tes yeux, dans ta face cornue
S'allument... C'est qu'au fond de la verte avenue,
Naïs aux yeux charmants, chère à Diane encor,
Svelte et laissant flotter ses vives tresses d'or,
Paraît, de son pied nu caressant les pervenches...
Et ton rire lubrique éclate sous les branches.
Il n'est pas trop besoin de commenter les liens entre ce poème que vous venez de lire et les trois quatrains de "Tête de faune". Les échos sont moins compliqués à percevoir que dans le cas du sonnet de Banville. Toutefois, je voudrais attirer l'attention sur quelques points. Rimbaud a clairement réécrit le dernier vers de ce poème en seize alexandrins à rimes plates. Il en a fait son vers 8 : "Sa lèvre éclate en rires par les branches ;" version des Poètes maudits ou copie manuscrite de Verlaine : "Sa lèvre éclate en rires sous les branches." Est-il possible que la leçon "par" soit une mauvaise transcription de la préposition "sous" ? Je l'ignore, et peu importe. Rimbaud a significativement effacé la mention "lubrique" pour renforcer l'envoûtement par la suggestion. La mention "Sa lèvre..." appelle d'autres commentaires avec d'autres citations de Glatigny à la clef, ce n'est pas à l'ordre du jour. En revanche, en reprenant une partie du vers de Glatigny, Rimbaud a repris une expression à la rime "sous les branches", et on peut observer de manière amusée que si dans le poème de Glatigny "branches" rimait avec "pervenches", dans son poème Rimbaud qui a mis un autre oiseau à la rime précisément de l'avant-dernier vers de son poème, le "bouvreuil", ce qui appellera d'autres commentaires sur son lien avec "Credo in unam...", etc., etc., a aussi eu l'idée de faire rimer "branches" avec "blanches", "sous les branches" avec "ses dents blanches". Or, si Rimbaud n'a pas repris les "pervenches", on s'aperçoit que plutôt dans le vers, il est question du "pied nu" qui a du suggérer la mention de couleur à Rimbaud. Le mot "pied" aurait imposé d'accorder "blanc" au masculin, mais on comprend aisément comment on passe rapidement de la rime "pervenches"::"branches" à la rime "dents blanches"::"branches" et on observe que le regard se déplace de la nymphe, en l'occurrence Naïs, au charme particulier du mâle faunesque.
Rimbaud a repris la mention "yeux" à la rime au sonnet de Banville, mais il ne l'a pas fait sans ignorer les positions métriques intéressantes de ce mot dans le poème de Glatigny. Le mot "yeux" est calé à deux reprises à la césure, à la fin d'un premier hémistiche, cela au vers deux avec rejet d'épithète "demi-fermés", et l'expression "et tes yeux" est à nouveau calée à la césure avec un effet de suspension un peu plus loin, et cela en précédant un effet de rejet expressif au vers suivant du verbe "S'allument" dont le sujet est précisément le mot "yeux" :

[...]
Tu savoures, les yeux demi-fermés, la paix
[...]
Tu frémis, et tes yeux, dans ta face cornue
S'allument... [...]
Glatigny privilégie l'idée que c'est la vision de la nymphe qui rompt la paix et provoque un choc violent du côté du faune. Et si le faune finit par rompre un silence, c'est avant tout le sien qui savourait la paix et qui restait d'abord muet face à la surprise de l'apparition de la nymphe. Il laisse tomber les fruits cueillis, mais demeure muet malgré tout. Rimbaud modifie plusieurs données. On remarque aussi que si le mot "lubrique" a été effacé dans "Tête de faune", il y a une autre mention explicite du poème de Glatigny facilement transposable aux trois quatrains de Rimbaud : le "jour voilé" est qualifié de "langoureux". Le jeu de la lumière est essentiel aux deux poèmes et Glatigny parle d'une paix de la lumière du soleil qui tombe "sur la cime des chênes", ce qui est évidemment un élément important du poème "Tête de faune".
Mais, je parlais tout à l'heure de rimes que Rimbaud employait dans plusieurs de ses poèmes au même moment. Je ne peux m'empêcher de relever ici la rime "chênes"::"chaînes" qui est à rapprocher d'une autre composition à peu près contemporaine de "Tête de faune" "Les Corbeaux" :
Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.
Ce dernier sizain, je l'ai déjà rapproché du sizain final de la plaquette anti-communarde Plus de sang de François Coppée qui est la principale source de la réécriture du sizain "Les Corbeaux", mais sans oublier que dans "Tête de faune" notre sauvage "a fui", il est difficile de croire que Rimbaud négligeait les échos des mentions "chêne", "enchaîne", "fuir" et "au fond du bois" avec "Tête de faune" de lui-même et "Sous bois" de Glatigny, surtout que Rimbaud a quitté Paris dès le début du mois de mars, ce qui augmente considérablement l'impression que "Tête de faune" et "Les Corbeaux" furent écrits à un très faible intervalle de temps, éventuellement tous deux en février 1872 même.
Je ne vais pas en rajouter avec des suggestions plus frêles, par exemple la comparaison de tournure entre le vers : "Dans la feuillée, incertaine et fleurie", et le vers : "Où court un jour voilé, langoureux et discret." Murphy, dans mon souvenir, a déjà insisté sur l'expression à cheval sur la césure "barbouillé de mûres". Je ne vais pas insister sur les liens des verbes "ceuillir" et "se recueillir", et sur le fait que dans "Sous bois" de Glatigny l'expression "fruits cueillis" est à la rime, tandis que ce verbe "cueillir" était déjà au dernier vers de "Promenades d'hiver" source du poème "A la Musique", et au dernier vers du poème "Ophélie" composé un mois environ avant "A la Musique" précisément. Je ne vais pas m'attarder sur la mention "tresses d'or" à la rime non plus. Je devrais même dire "vives tresses d'or" comme le "faune"' est décrit comme "Vif et crevant l'exquise broderie".
Je vais poursuivre avec un nouveau rapprochement inédit entre "Tête de faune" et des poèmes de Banville où il sera question de Glatigny, mais je voudrais citer en passant le poème "Sous bois" de Léon Dierx. Ce poème a été publié dans un recueil plus tardif de Léon Dierx, en 1879. Toutefois, il faudrait enquêter sur les pré-originales comme d'habitude. Je cite ce poème "Sous bois" de Léon Dierx pour deux coïncidences. La première, c'est qu'il porte le même titre que les poèmes de Banville et Glatigny dont Rimbaud s'est inspiré. La seconde raison, c'est que Rimbaud a écrit un premier poème en trois quatrains dans l'Album zutique "Vu à Rome" qu'il a accompagné de la fausse signature parodique Léon Dierx.
Je ne sais pas trop quoi faire de ce rapprochement pour l'instant, mais je le signale à l'attention. Il n'est pas vain, car on voit que le thème du sous bois débouche sur un spectacle de la lumière et permet de développer le motif des yeux brillants comme le jour.

Le ciel est aujourd'hui couleur de ses grands yeux !
Comme après les hivers le bois feuillu qui chante,
Mon âme a reverdi sous des appels joyeux,
Et palpite au retour d'un passé qui l'enchante,
         Par des concerts harmonieux.

La source est aujourd'hui couleur de sa prunelle !
Comme l'oiseau furtif qui se mire et qu'on voit
Lustrant d'un bec rosé les plumes de son aile,
Le souvenir revient boire en mon cœur et boit
          Les lacs purs qui vivaient en elle.

Le jour est aujourd'hui couleur de son regard !
Comme l'air attiédi sous la paix des ombrages
Etincelle à la cime où flottait le brouillard,
Un calme embrasement m'éblouit des mirages
          D'un nom qui luit de toute part.

Fontaine, espace, azur, beaux yeux, tout vous ressemble[,]
L'oiseau des jours charmants vole, boit, chante en vous[,]
Il se pose en mon cœur, calice plein qui tremble,
L'oiseau couleur du temps où vous m'étiez plus doux
          Que ciel, que jour et source ensemble.

Je possède les deux volumes posthumes des Poésies complètes de Léon Dierx, mais pour aller plus vite je recopie le fac-similé du site Gallica de la BNF, d'où mes hésitations sur la ponctuation de deux vers. Outre que Léon Dierx est un excellent poète digne d'être publié de nos jours, ce poème a une valeur témoin largement exploitable...
J'en arrive maintenant, non pas aux liens de "Tête de faune" avec la pièce Le Bois puisque cet article est déjà long et qu'il faudra encore attendre un peu, mais aux liens avec les Nouvelles Odes funambulesques. Normalement, elles ont été publiées en 1869, puisque mon édition n'a plus de couverture. Je n'ai plus le poème liminaire "A Pierre Véron", mais donc le recueil commence de plein pied avec une pièce intitulée "La Lyre dans les bois", déjà cela permet de méditer les liens à "Tête de faune". Mais ce poème a encore un sous-titre "Petit prologue pour une symphonie". Rimbaud a préféré inventer "écrin vert taché d'or" plutôt que de reprendre le mot "radieux" à la rime dans le sonnet "Sous bois" de Banville, et bien à la rime du vers 3 de "La Lyre dans les bois" nous avons "l'Infini radieux", tandis que dès l'attaque "Le Musicien" est présenté en tant que "fils des dieux" et "maître absolu de notre âme". Je parlais plus haut de la quasi synonymie entre "brille" et "resplendit" et de leur proximité avec le mot à la rime "fleurie". Je vous laisse apprécier leurs mentions aux troisième et quatrième quatrains, en précisant simplement que le pronom "il" reprend "Le Musicien" et j'oserai signaler à l'attention également le verbe "fuyons" :

Donc, - il le veut, - partons, fuyons,
Quittons pour ses apothéoses
Cette fête où dans les rayons
Resplendissent les lèvres roses ;

Cette fête aux aspects charmants
Où parmi les flammes fleuries
Brillent les éblouissements
Des femmes & des pierreries.
Mais j'ai furieusement envie de prolonger avec la citation du cinquième quatrain avec cette mention "grande forêt magique" et si vous permettez je vais enchaîner avec la citation des deux quatrains qui suivent encore.
Il va, le chanteur inspiré :
Suivons-le d'un vol énergique
Au loin, sous le ciel azuré,
Dans la grande forêt magique ;

Au bois, où se mêlent encor
Sous les ombres silencieuses
Le divin Rire aux notes d'or
Et les larmes délicieuses :

Où du sein des antres profonds
Les oiseaux donnent la réplique
A des virtuoses bouffons
Jouant un air mélancolique.
Dans "la grande forêt magique" qui est un "bois", un "divin Rire aux notes d'or" se mêle aux "larmes délicieuses" "Sous les ombres silencieuses" ! Ah ! il est chaud, le Banville ! Mais ça me fait penser à quelque chose, mais quoi ?
Je vais passer plus vite sur d'autres quatrains, mais, vous le savez, j'ai la mécanique de la suggestion comme pas un ! Alors, je relève "Vénus étincelle" ou bien la critique de "notre époque d'agio / Que jamais un rêve n'effleure !" Je rapproche cela du dernier vers de "Tête de faune" évidemment avec "Le Baiser d'or du Bois qui se recueille". Et comme le baiser est d'or, c'était censé ne pas être étranger à l'agioteur... Devinez d'ailleurs quel est le poème suivant dans ce recueil de Banville ? Et bien après "La Lyre dans les bois", vous aurez le poème "La Pauvreté de Rothschild, et devinez qui est le riche par opposition au plaignable Rothschild : Glatigny ! Ahahahah ! Excusez-moi, j'ai le rire sonore et gras. Cela demande confirmation, donc avant de revenir au poème "La Lyre dans les bois", je vous cite l'avant-dernier quatrain du poème "La Pauvreté de Rotchschild" :
Oh ! que Rothschild est pauvre ! Il n'a pas vu Lagny ;
               Il n'a jamais de joie.
Le riche est ce poëte appelé Glatigny,
               Le riche c'est Montjoye.
Ces vers sont quelque peu connus des admirateurs de Glatigny, Jean Reymond ne manque pas de les citer dans son étude universitaire de 1936.
Et je vous cite le dernier quatrain dans la foulée :
O Muse ! que Rothschild est pauvre ! Aux bois, l'été,
               Jamais le soleil jaune
Ne l'a vu. C'est pourquoi je suis souvent tenté
               De lui faire l'aumône.
Il va de soi qu'avoir lu le poème qui précède augmente la signification de la mention "Aux bois".
Etant donné l'importance du motif du rire dans "Tête de faune" et ses liens sensibles avec le poème en prose des Illuminations intitulé "Antique", je relève encore dans le poème de persiflage sur le compte de Rothschild, une mention du poète qui dit "je m'éveille en riant", et puis la mention du choix pour chanter entre la "cithare" et le fifre. Mais revenons au poème "La Lyre dans les bois".
J'ai oublié de dire que les vers sur notre "époque d'agio" me faisait songer aux vers de Glatigny au début des Vignes folles, dans la pièce intitulée "A Ronsard", où sont raillés ceux qui riment "au pas de course", un oeil rivé sur la "Bourse" et j'avais fait contraster cela avec la rime du sonnet "Ma Bohême" de Rimbaud : "course"::"Grande Ourse". Le poète dort à la belle étoile et la fantaisie est sa richesse, par opposition aux riches qui vivent selon le cours de la Bourse et, parfois leur fortune est d'épater dans les "circeteries" mondaines avec sonnets trébuchants.
Le poème "La Lyre dans les bois" est subdivisée en trois parties coiffées d'un chiffre romain. Il est question d'enchantement orphique par la musique dans cette partie II du poème, ce qui fait que je vous invite à lire la composition dans son ensemble sans se contenter de mes citations. Sensible aux occurrences du mot "feuillée" pour d'évidentes raisons, j'extrais à tout le moins le quatrain suivant avec juste mention du dernier vers du précédent :
[...]
Ce fut de même, j'imagine,

Sur l'herbe & dans les noirs ravins
Et parmi la feuillée obscure,
Un échange de chants divins
Entre la Lyre & la Nature !
Il est question de l'enchantement par la musique, du motif même de la musique des sphères et dans la suite le mythique Orphée est enfin mentionné, et je cite du coup les quatrains suivants où les pronoms "le" et "Il" désignent ce célèbre musicien de légende.
Car (dans mon rêve je le vois
Eveillant les antres sonores,)
Il avait dans sa grande voix
L'éblouissement des aurores,

La profondeur des cieux, le son
Qui monte des sphères sacrées,
L'horreur des bois et le frisson
Des étoiles enamourées.
On voit qu'on gagne à ne pas citer exclusivement en sources à "Tête de faune" les poèmes parnassiens sur le seul motif du faune. Il y a une perspective qui s'élargit.
L'idée de rapprochements se relâche un peu pour les quatrains suivants, mais comme dit le chanteur rock'n'roll Larry Williams : "Slow down", car on sait que Rimbaud dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" envoyé en août 1871 à Banville annonçait très nettement la composition de "Tête de faune" avec le quatrain suivant :
Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles à des mufles,
D'où bavent des pommades d'or
Sur les cheveux sombres des Buffles.
Car la mention des "mufles" est présente également dans le dernier quatrain de cette partie II du poème "La Lyre dans les bois". Il est question des animaux charmés par Orphée :
En ces temps naïfs, aucun d'eux
N'avait peur de paraître bête,
Et de leurs bons mufles hideux
Ils léchaient les pieds du poëte.
Le rapprochement a sans doute quelque chose d'insuffisant, mais rappelons que Rimbaud assimile le poète à un "farceur" et que nous avons bien ici une idée de comique banvillesque.
Evidemment, le fait que Glatigny soit mentionné dans le poème suivant donne de l'intérêt aux rapprochements entre "La Lyre dans les bois" et "Tête de faune". Au passage, j'en profite pour signaler à l'attention que le mot "éclanches" à la rime dans un poème "Mes Petites amoureuses" alternant vers semi-longs et vers courts fait écho à un poème des Nouvelles Odes funmabulesques "Pièces Féeries" où le mot "éclanches" est tout à la rime dans un quatrain qui alterne alexandrins et vers de six syllabes.
Je vais arrêter là pour l'instant. Oui, je n'ai toujours pas traité de la pièce Le Bois elle-même, j'ai juste cité une liste de vers pour vous mettre à vous-même la puce à l'oreille.

- Tout ça pour ça !
- Et oui ! Mais je ne doute pas que tu as dans le trésor profond de ton âme des tas de choses intéressantes que tu n'as jamais dites sur le sens métaphysique et mystérieux de la poésie rimbaldienne. Oui, si tu dis que les rapprochements avec Hugo, Glatigny et Banville sont impertinents c'est que tu as plus important et plus juste à dire, c'est juste que tu n'as pas envie de le dire... Ah ! le mystère Rimbaud ! Cette chose si importante étrangère à tout autre poète sur laquelle personne n'a su mettre un nom... C'est sûr, comparer Rimbaud à un poncif dérisoire de Glatigny et Banville, c'est vain, c'est sot, c'est rabaissant. Ceci dit, il y a encore plein de nuances à expliquer, mais si vous êtes capable de dire avant moi les dix lignes définitives que je dois produire en quintessence de tout ce que j'ai exploré dans Rimbaud, ben faites-le ! Vous avez la chance de ne pas avoir à réfléchir pour faire mieux, ben faites-le ! Vous ne voulez pas expliquer du Rimbaud, parce que vous avez des principes, mais ce n'est pas grave ! Il y a des tas de façons de parler de Rimbaud, de produire un texte pour inviter à sa lecture et faire sentir en quoi il est important. Moi, je vous attends ! Vous avez quoi à dire sur "Voyelles" et "Tête de faune" ?

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