En 1936, Jean Reymond, "Docteur de l'Université de Paris", a publié un ouvrage intitulé Albert Glatigny. La vie - l'homme - le poète. Les Origines de l'Ecole Parnassienne (Paris, Librairie E. Droz). C'est cet ancien ouvrage que je suis en train de consulter régulièrement ces derniers jours. Le chapitre XIV de cet ouvrage s'intitule : "Gilles et Pasquins. - Les poèmes du Rappel" et il traite des poèmes du dernier recueil publié par Glatigny. Je voudrais déjà en citer le premier paragraphe qui inclut quelques citations :
Gilles et Pasquins parurent en juin 1872, chez Lemerre. Dans sa courte dédicace à Camille Pelletan, datée du 15 juin 1871, Glatigny dit que son livre "devait prendre sa volée, en moineau franc, gouailleur et joyeux, vers les premiers jours d'octobre 1870. Le siège de Paris, les sinistres événements qui ont précédé et suivi la chute de la Commune ont retardé son apparition". L'auteur ajoute qu'il a "dû supprimer quelques pièces qui, lestes et gaies au moment de leur éclosion, auraient une lugubre portée aujourd'hui."
Ce paragraphe a l'intérêt de mettre en relief la relation privilégiée de Camille Pelletan au poète Albert Glatigny à cette époque, des relations pas forcément d'amitié, des relations sans doute avant tout littéraires, mais des relations clefs tout de même. Evidemment, l'énigme est du côté de la relation de Pelletan à Rimbaud. Les deux poètes ont dû échanger au sein du Cercle du Zutisme et au moment des poses pour le "Coin de table" de Fantin-Latour, mais il faudrait aussi enquêter sur les relations entre Pelletan et Rimbaud à partir du mois de mars 1872. Ceci dit, les poèmes de Rimbaud que nous songeons le plus pour l'instant à rapprocher de l'œuvre et de la vie littéraire de Glatigny semblent dater des mois de février et de mars 1872 : "Tête de faune", "Les Corbeaux", ou essentiellement du mois de mai de 1872 avec le cas du poème "Chanson de la plus haute Tour" en tête. Et Rimbaud n'avait pas besoin d'être en bons termes avec Pelletan pour composer les poèmes en question. Mais il restera un petit supplément avec le cas Pelletan, sa qualité d'informateur potentiel auprès de Rimbaud à partir de septembre, sinon octobre 1871 jusqu'au début du mois de mars 1872. Rimbaud s'intéressait à la poésie de Glatigny en 1870 et, une fois à Paris, il faisait partie d'un cercle de poètes liés à la presse littéraire d'actualité. Blémont, Valade, Aicard, Pelletan et d'autres encore discutaient forcément des disputes artistiques du moment, des déboires de Glatigny et de ses publications. Nous ne sommes pas dans une situation où il nous faut nécessairement supposer que Rimbaud, s'il savait quelque chose de précis sur Glatigny, le devait à ses recherches. Cela venait à lui, directement ! J'ai aussi cité ce premier paragraphe, parce que Glatigny y déploie une métaphore de l'oiseau-livre qui me fait songer aux "fauvettes de mai" du poème "Les Corbeaux". Glatigny parle d'un livre qui aurait dû "prendre sa volée" en 1870. On apprend que certaines pièces ont été supprimées pour l'édition de juin 1872, à cause de la note lugubre que jetteraient sur eux les événements récents. Je trouve que c'est la note même du début de la prière aux corbeaux dans le poème de Rimbaud : "Laissez les fauvettes de mai [...]".
La dédicace à Camille Pelletan ouvre le recueil et pourrait tenir en une seule page. Jean Reymond l'a presque citée intégralement. Les métaphores des oiseaux sont courantes chez Glatigny. Dans un des poèmes du recueil, les "moineaux francs" sont des bohémiens, et, dans le "Prologue", Glatigny se présente en "vieux rossignol" et qualifie les "poètes nouveaux" de "merles étourdis".
Mais il faut préciser encore d'autres points. Glatigny a supprimé quelques poèmes, mais il publie en "appendice" un complément de cinq poèmes, parmi lesquels "La Presse nouvelle" paru en plaquette. Et la surprise, cette fois, c'est que, dans le texte en prose introductif, nous avons la métaphore des "mouches" qui "bourdonnent", métaphores des "hommes de l'Empire" "qui rebondissent sur le tremplin". Les mouches sont présentes dans "Chanson de la plus haute Tour" et bien sûr dans "Voyelles". Je cite le premier paragraphe de cet appendice daté du mois d'avril 1872, où je relève encore la mention des "fanfares insolentes" qui, au passage, tend à confirmer que contre tous les rimbaldiens j'ai raison dans mon interprétation des "fanfares d'héroïsme" du poème "Barbare" :
En corrigeant, après deux ans d'interruption, les épreuves de ce volume, nous nous demandions si nos innocentes plaisanteries, peut-être de mise avant le 4 septembre 1870, ne paraîtraient pas s'adresser à des gens tombés à terre, ce qui eût été peu généreux; mais les hommes de l'Empire sont tombés à la manière des clowns, et les voici qui rebondissent sur le tremplin; leurs journaux sonnent des fanfares insolentes, ils se targuent d'une prochaine restauration, et leurs mouches bourdonnent fétides et noires. Nous laissons donc à notre livre son allure première, et nous le complétons, sans remords, par ces cinq pièces récentes et conçues dans la même gamme que leurs aînées.
Il va de soi qu'il n'est pas question de prétendre que les écrits en prose datés d'avril ou de juin d'un recueil publié en juin 1872 ont pu être les sources de poèmes écrits par Rimbaud en février ou mars 1872, "Les Corbeaux" ou "Voyelles", mais il faut procéder calmement dans cette patiente enquête.
Pour l'instant, poursuivons quelque peu. Dans son ouvrage, Jean Reymond nous livre d'autres informations importantes sur la genèse du recueil Gilles et Pasquins et aussi sur les poèmes qui n'y figureront pas, mais qui furent publiés dans la presse.
Au début de son chapitre XIV qui concerne donc l'ultime recueil de Glatigny, Jean Reymond précise ceci en note 1 de bas de page 363 : "Les poèmes ont été composés de 1861 à 1871, mais la plupart datent des années 1868 à 1870. Glatigny avait tout d'abord l'intention d'intituler son recueil Fantoches, comme en témoigne une lettre qu'il écrivait, du théâtre de Rennes, à un ami, probablement vers la fin de l'année 1861." La note 2 au bas de la même page 363 concerne les cinq poèmes en supplément dans l'appendice : "Les quatre premiers sont de septembre 1871 et le dernier, de mars 1872." Ces informations ne suffisent pas encore, mais l'ouvrage est enrichi d'une "Bibliographie" organisée en plusieurs sections, un peu à la façon de certaines bibliographies complexes qu'on peut trouver dans les livres d'universitaires historiens. La section A s'intitule "Œuvres de Glatigny publiées de son vivant". L'ordre suivi est chronologique avec une mention en gras des années pour que nous puissions rapidement nous repérer. Je me suis évidemment intéressé au détail des publications en 1869, 1870 et 1871. J'y reviendrai ultérieurement, il y est question de Veuillot, de Belmontet, de prépublications de certains poèmes des Gilles et Pasquins dans la revue Le Charivari. On apprend les dates de publication du Journal de l'an d'un vagabond ou d'une édition réunissant Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois en 1870. J'ai pu découvrir dans le numéro du 22 avril 1870 du Charivari un poème inédit intitulé "La Chasse au complot" où il est question de l'empire, de "reine Hortense", d'Ollivier et Pietri, etc. Il y aurait d'autres éléments à signaler à l'attention, mais, en septembre 1871, c'est à nouveau dans Le Charivari que Glatigny a publié trois des cinq poèmes de l'appendice du recueil de juin 1872 : "A Pierre Véron", le 7 septembre 1871, "Dans les maquis" le 12 septembre et "Versailles" le 24 septembre. Rappelons que Rimbaud arrive à Paris pour rejoindre Verlaine et bientôt la troupe zutique à la mi-septembre de cette année-là, tandis que Pierre Véron est un éditorialiste anticommunard du journal Le Monde illustré où Coppée faisait paraître des prépublications de poèmes des Humbles et une série de dizains intitulés Promenades et intérieurs, toutes productions poétiques de Coppée qui ont alimenté la verve zutique en octobre et novembre 1871.
Evidemment, il ne faut pas rêver de sources inespérées qui jettent leurs lumières d'un coup sur des poèmes de Rimbaud. Il me faudra du temps pour traiter toutes ces informations de toute façon. En novembre, Glatigny a ensuite collaboré au journal Le Rappel. Nous y trouvons cinq poèmes inédits : "Talons rouges" (1er novembre), "Amnistie" (le 6), "Dame Censure" (le 8), "La Colère des bons journaux" (le 12) et "La Nouvelle guillotine" (le 23). En décembre, dans la revue L'Artiste, Glatigny a également publié un poème de 76 alexandrins sur Pierre Corneille. Ces contributions viennent sans aucun doute tard pour envisager une quelconque influence sur les productions zutiques par exemple, mais c'est intéressant d'avoir un peu la note des railleries littéraires de la presse d'époque. Le poème "Talons rouges" s'attaque, par exemple, à Veuillot. Considérant la datation "mai 1871" suspecte au sujet de "Paris se repeuple", je ne trouve pas vain de faire des rapprochements avec le poème "Amnistie". Le recours aux octosyllabes semble prédominer dans cette section "Fifres et sifflets" que Glatigny a offerte au Rappel, sinon des vers plus courts encore comme dans le cas de "Dame Censure" avec des quatrains aux trois vers de six syllabes, mais aux vers de quatre syllabes conclusifs des strophes. Au passage, on relève une occurrence du possessif "nos" à la rime, procédé qui, de mémoire, a été exploité par Béranger dans un chanson, mais ce procédé est évidemment exceptionnel dans les vers de poésie littéraire. Rimbaud a exploité la césure sur le possessif "Son" dans le poème "Honte" en rejetant le nom monosyllabique "Nez", et ici Glatigny exploite la suspension du possessif dans un poème sur la censure :
[...]Comme ils surveillent NosAffreux journaux.
Et on note que, plus bas, dans le poème, le motif du nez mutilé par la censure est aussi exploité par Glatigny :
Le Censeur des naissances,Dans ses toutes-puissances,Pourra biffer le nezDes nouvea[u]-nés.
Le poème "La Colère des bons journaux" cite Pelletan, Veuillot, parodie comme Rimbaud dans "Rages de Césars" un passage célèbre des Châtiments et il offre aussi le vers "En tapinois" qui vous fera penser au poème "Fête galante" rimbaldien de l'Album zutique. Le dernier poème publié alors dans Le Rappel, "La Nouvelle guillotine" cite dans une même strophe "les cravacheurs du communisme" et "Veuillot". Il est question du "Petit-Crevé" dans le dernier vers. Il y a d'autres éléments qui attirent l'attention. Le précédent article est signé "Un Passant", le premier quatrain exploite la rime "astres"::"désastres" au sujet des événements récents, ce que Verlaine fera à son tour dans un dizain à la manière de Coppée. La rime "possible"::"cible" retient également mon attention, à cause de la rime "impassibles"::"cibles" au début du "Bateau ivre", sachant que les cibles de la France dans le poème de Glatigny, les "journalistes" qui suivent les "députés chers à Versailles", seraient quelque peu des cibles des "Peaux-Rouges criards" dans "Le Bateau ivre". Et les points de rapprochement avec "Le Bateau ivre" ne s'arrêtent pas là. On a des idées d'une France comme bateau démâté qu'on reconstruit pour triompher de tous les Océans et d'une ivresse de tous à reconstruire l'avenir de la France :
Ton navire que l'on remâteFlotte vainqueur des Océans ;[...]Chacun s'occupe avec ivresseDe ton avenir. On recoud[...]
Victor Hugo a publié au même moment dans Le Rappel plusieurs poèmes dont les métaphores entrent en résonance avec le discours du "Bateau ivre", poème qui ne fut sans doute pas composé avant le mois de décembre 1871, et qui a peut-être même été composé durant les mois d'hiver 1872. Par ailleurs, je remarque aussi l'emploi provocateur du mot "cervelle" à la rime qui permet un nouveau rapprochement potentiel avec "Honte".
Le mot "cervelle" est à la rime du second vers dans "Honte" et il est précédé par un entrevers avec un remarquable rejet du second terme de la négation "Pas" en principe attaché rythmiquement à l'auxiliaire qui le précède :
Tant que la lame n'auraPas coupé cette cervelle,[...]
Voici le quatrain de Glatigny avec "cervelle" et "guillotine", instrument dont il était aussi question dans le poème "La colère des bons journaux" :
On a dit : Vite ! et - ma cervelleEn a des éblouissements ! -Une guillotine nouvelleVient de fonctionner au Mans !
Il faut remarquer que Glatigny n'écrit pas : "Et ma cervelle en a des éblouissements ! Une guillotine nouvelle vient de fonctionner au Mans !" La conjonction "et" introduit la proposition "Une guillotine nouvelle" et Glatigny a forcé l'introduction d'une parenthèse formellement encadrée par des tirets, ce qui contribue à accentuer la suspension de "ma cervelle" à la rime, ce qui fait sens quant à ce qu'il décrit.
Dans "Honte", Rimbaud parle de découper un être vivant qui fait honte, sorte de colère d'un bon-pensant qui pratique la censure sinon la guillotine, et le poème de Rimbaud se finit par un exemple hypocrite de charité chrétienne, tout à fait dans la note de presse de son époque dénoncée par Glatigny, Rimbaud faussant toutefois la mesure syllabique du dernier vers pour finir sur une note... fausse :
Qu'à sa mort, pourtant, ô mon Dieu ! ?S'élève quelque prière !
Publiée en plaquette en mars 1872, la pièce "La presse nouvelle", que Jacques Bienvenu a déterminée en tant que source au poème "Chanson de la plus haute Tour", notamment à cause de la question du dérèglement de l'alternance en genres des rimes, aurait dû faire partie de cette série "Fifres et sifflets" du journal Le Rappel.
La publication du journal a été suspendue le 25 novembre. Jean Reymond indique le 24, mais le site Gallica de la BNF offre bien le fac-similé du numéro du 25 novembre lui-même.
La publication du journal a repris le 1er mars 1872 et Reymond précise les titres et dates des nouvelles contributions de Glatigny. Ces contributions sont inédites, puisqu'elles ne figureront jamais dans les éditions ultérieures du recueil Gilles et Pasquins.
En avril, Rimbaud n'est pas à Paris, mais il n'en faut pas moins faire la recension des poèmes publiés par Glatigny dans Le Rappel entre à tout le moins le 7 avril et le 7 juillet 1872, date du départ de Rimbaud et Verlaine pour la Belgique.
7 avril 1872 "Sur des oiseaux envolés"
11 " " "Les Spectres"
14 " " "Cantate"
19 " " "Apparitions"
22 " " "Trop de musique"
26 " " "L'Année terrible"
29 " " "Dieu et mon droit"
6 mai " "Amon cher confrère Lorgeril"
[Retour de Rimbaud à Paris à ce moment-là]
11 mai " "Procès Bazaine"
14 " " "Triolets de saison"
19 " " "Spectacle à la Cour"
1er juin " "Coup d'œil sur les petits"
8 " " "L'armée réorganisée"
14 " " "Les farces de l'urne"
[...]
Le poème "Sur des oiseaux envolés" parodie comme souvent une pièce connue de Victor Hugo avec un titre qui y fait volontairement allusion. On retrouve la métaphore des oiseaux dans le cadre d'une France changée après l'année terrible, mais ici il s'agit de railler les versaillais : "Versailles pleure ses nids vides."
Les poèmes n'ont pas l'air franchement intéressants à rapprocher des compositions de Rimbaud, mais il faut observer qu'à la différence du recueil Gilles et Pasquins où vont prédominer les alexandrins, les séries "Fifres et sifflets" du Rappel ont l'intérêt de productions satiriques aux vers courts avec des transpositions volontiers médiévisantes. Le poème "Cantate" se termine par l'énorme éclat de rire d'Aristophane tout de même. Le poème "Trop de musique" me fait relever en passant les deux vers suivants :
Polyeucte et Le Roi s'amuseNe sont plus que des Laïtou.
Le poème du 26 avril salue évidemment la parution du nouveau recueil de Victor Hugo, il y aurait quelques détails à commenter et on relève une mention railleuse au livre "l'Abbé / Paturot".
On m'excusera de ne pas m'attarder sur la mention des "corbeaux" dans "Dieu et mon droit", mais les "Triolets de saison" ont un petit intérêt : c'est un poème en triolets enchaînés, c'est aussi un poème qui déploie l'opposition du charme du printemps à l'idée lugubre des pontons, et le fait de lancer le mot "saison" à la face de la politique rejoint évidemment les "Fêtes de la patience" que Rimbaud compose au même moment.
Même si le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" daté de février 1872 sur un manuscrit est forcément antérieur, je relève les vers suivants du poème du 19 mai "Spectacle à la Cour" :
Puisqu'enivrés de belladonne,Nos députés rêvent dehors[...]
Le poème "Honte" de Rimbaud n'est pas composé en vers de huit syllabes, mais de sept, il adopte en revanche le quatrain de rimes croisées. Dans sa manière, "Honte" est une composition assez proche de la manière de Glatigny dans les poèmes publiés dans Le Rappel. Ceci dit, la nouvelle fournée de poèmes d'avril à juin 1872 n'offre guère de prise à des rapprochements intertextuels. Toutefois, dans le poème "L'armée réorganisée", Glatigny reprend avant Rimbaud la rime "Quel air"::"Keller" de Banville. Il faut avouer toutefois que les poèmes publiés par Glatigny dans la presse à ce moment-là ne vont guère de pair avec les poèmes aux vers très courts de Rimbaud comme "Âge d'or" ou "L'Eternité". En outre, à partir de la mi-juin 1872, il y a peu de poèmes courts de Rimbaud qui peuvent être encore des candidats pour quelques rapprochements avec les "Fifres et sifflets" de Glatigny ("Entends comme brame...", "Ô saisons..." et "Honte" en tant que non datés, puis "Fêtes de la faim").
Mon enquête va se poursuivre ultérieurement.
**
Steve Murphy a publié une étude sur "Tête de faune" dans son livre de 1990 Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion. Le critique fait alors un état des lieux pour rappeler que le poème était depuis longtemps vu comme une pièce sur un thème parnassien, mais avec un traitement que plusieurs avaient tout de même commencé à identifier comme n'étant plus du tout parnassien.
Il est intéressant d'observer que la quantité de poèmes parnassiens sur le motif du faune a grandement contribué à détourner l'attention de la relation à Glatigny et au contexte du début de l'année 1872. Il y eut le poème "Le Faune" de Victor de Laprade, un poème homonyme des Fêtes galantes de Verlaine est cité lui aussi, ainsi que le poème "La Statue" d'Hugo ou des sonnets "Le Bain des nymphes" et "Pan" du recueil Les Trophées de José-Maria de Heredia, recueil pourtant paru tardivement en 1885. Un autre effet de dispersion est provoqué par les échos aux poèmes antérieurs de Rimbaud lui-même. Ceci dit, Murphy exhibe tout de même l'intertexte essentiel qu'est le poème intitulé "Sous Bois" de Glatigny avec cet alexandrin final : "Et ton rire lubrique éclate sous les branches[,]" que Rimbaud a réécrit en décasyllabe : "Sa lèvre éclate en rires sous les branches." Dans sa conclusion, Murphy écrit : "Il ne paraît aucunement s'agir, dans Tête de faune, d'une parodie de Glatigny, mais plutôt d'une tentative de faire mieux dans le même genre."
Pour moi, il est clair que l'enquête est à reprendre. Il manque des pièces au puzzle.
Le poème "Tête de faune" possède un axe d'identification à la figure légendaire de Glatigny, ce qui veut dire qu'en février 1872 environ Glatigny cristallisait quelque chose d'important : disciple de Banville, compositeur de poèmes lubriques publiés sous le manteau, et poète qui se rebellait contre la censure en dénonçant en plus les bonapartistes et versaillais encore présents au pouvoir. Glatigny représentait une liberté bohème du poète. Le rire du faune est aussi la réponse de poète à la société, et ce rire s'entend comme une critique du monde persiflé. Le "rire du faune", c'est aussi la voix du poète, poète licencieux avec son recueil des Joyeusetés galantes du vicomte de la braguette. Il me semble plutôt sentir que le poème "Tête de faune" est empli d'un message de rébellion poétique, sous la forme fantaisiste et funambulesque certes, mais avec un fort accent de révolte. Or, en juillet 1872, Camille Pelletan, qu'on ne soupçonne guère d'avoir lu une version de "Tête de faune" auparavant, publie cette appréciation sur l'auteur du recueil qui vient de paraître et dont il est rendu compte, Gilles et Pasquins, avec des termes complètement en phase avec le poème de Rimbaud : "Ses strophes éclatent d'une prodigieuse hilarité et son éclat de rire de faune fait craquer le corset du vers." Pelletan se répète même avec la reprise "éclatent" et "éclat" dans la même phrase, et le couple "hilarité" et "rire" tient lui aussi dans cette même phrase. L'adjectif "prodigieuse" fait manière d'époque puisqu'il sera utilisé par Verlaine pour qualifier Une saison en enfer d' " espèce de prodigieuse autobiographie psychologique". Glatigny est identifié à un faune, soit ! Mais, à quelques mois de distance, l'éclat de rire est mis en avant par Glatigny au sujet d'Aristophane, par Pelletan au sujet de Glatigny, et par Rimbaud au sujet d'un faune. A mon avis, le motif de l'éclat de rire a fait parler des écrivains autour de février 1872 et Rimbaud en a eu vent et en a tiré un poème pour des raisons qui restent encore à mieux déterminer.
J'aurai bientôt lu l'ouvrage de Jean Reymond dans son intégralité (je ne lis pas les chapitres dans l'ordre). Glatigny composait aussi des vers pour le théâtre, mais ceux-ci avaient particulièrement mauvaise presse, à l'exception du Bois qui fut publié en 1870 par Lemerre à la suite des deux recueils Vignes folles et Flèches d'or. Il faut ajouter que Glatigny, à l'Alcazar, s'est aussi fait une réputation d'improvisateur sur des rimes données par le public, abandon à une pratique des bouts-rimés très critiquée par Banville dans son traité.
RépondreSupprimerLes rimbaldiens et verlainiens insistent déjà sur la représentation du Bois de Glatigny en novembre 1871, mais ce fut un four encore une fois mal vécu par l'auteur.
Début 1872, Glatigny est à Paris, mais il ne bouge pas de chez lui pour ce qui est des rencontres. Toutefois, nouvelle date important, on joue sur la scène son "Compliment à Molière", morceau très peu goûté, très critiqué, mais dans les poncifs on a le développement sur le rire de Molière. Il y a aussi eu en mars un prologue pour le théâtre des Folies-Marigny, et on a aussi rejoué la pièce pourtant très contestée "Vers les saules", mais je dois retrouver la date exacte. La représentation du "compliment à Molière", c'est un sujet que je vais creuser à tout hasard (janvier 1872).
Pour la mort de Glatigny, la liste des amis littéraires présents confirme la place de choix des membres de la Renaissance littéraire et artistique et des poseurs du Coin de table, Rimbaud et Verlaine exceptés.