Genius David Number One a encore frappé.
Le premier recueil de Glatigny fut Les Vignes folles en 1860. Ce recueil a connu une nouvelle édition en compagnie du recueil suivant Les Flèches d'or et de la pièce Le Bois qui est une source essentielle aux trois quatrains "Tête de faune" de Rimbaud. Cette édition en un volume des Vignes folles, des Flèches d'or et du Bois date de 1870, elle est accompagnée d'une préface "A J. Lazare", autrement dit à Job-Lazare, datée "Nice, 30 mai 1869".
Il faut bien contextualister les choses. En 1869-1870, nous avons affaire aux premiers poèmes en vers français connus de Rimbaud, et notre poète s'inspire de poèmes de Coppée et Glatigny notamment, ainsi que de la traduction de Lucrèce par Sully Prudhomme. Mais il ne faut jamais oublier que les ouvrages de Coppée et de Sully Prudhomme sont des publications récentes, et si, dans le cas de Coppée, certaines publications peuvent avoir déjà quelques années, son Reliquaire en tout cas, il va de soi que son succès en 1869 au théâtre Le Passant contribue à le promouvoir et s'accompagne d'éditions en un volume de ses recueils antérieurs. Dans le cas de Glatigny, les recueils Les Vignes folles et Les Flèches d'or sont plus ancien que le Reliquaire même de Coppée, et les rimbaldiens s'arrêtent à des constats basiques. Rimbaud aime la poésie, il aime les parnassiens, il fait de Banville une sorte de maître. Rimbaud a dû parcourir les recueils de Glatigny et s'y plaire, et si l'art de Glatigny n'est pas le plus sublime Rimbaud a pu considérer que ce serait, peut-être à cette aune, un excellent tremplin pour le prendre comme modèle et faire mieux.
On ne peut qu'être d'accord avec ce discours, mais il y a un point essentiel. En 1870, sur le marché, une nouvelle édition des œuvres de Glatigny était diffusée qui rassemblait Les Vignes folles, Les Flèches d'or et la pièce de théâtre Le Bois. En tant que Genius David Number One, sauveur du naufrage actuel des études rimbaldiennes, il faut que je rapporte les prodiges de vérité suivants. Donc, Rimbaud a dû lire la pièce de théâtre Le Bois en la mettant sur le même plan d'importance que les deux recueils de poésies. Certes, il n'y voyait pas une pièce capable de rivaliser avec les tragédies de Racine ou même de Corneille, mais c'était une sorte de long poème à la suite des deux recueils. Ensuite, Rimbaud a lu cette pièce de théâtre dès 1870. Je ne sais pas quand exactement cette édition a été mise en vente. Cela semble avoir été plutôt en début d'année. La bibliographie de Jean Reymond ne date pas l'événement au mois près. Toutefois, Rimbaud a composé le poème "A la Musique" probablement en juin en s'inspirant d'un poème de Glatigny "Promenades d'hiver" tiré des Flèches d'or, tandis que, daté du 27 juillet 1870 sur manuscrit, le sonnet "Vénus Anadyomène" s'inspire de la série de poèmes "L'Antre malsain" qui termine Les Vignes folles. Rimbaud reprendra plus tard en le corrompant le titre "Les Petites amoureuses" du recueil Les Flèches d'or. Rimbaud possédait visiblement l'édition groupée de 1870 des Vignes folles, des Flèches d'or et du Bois. Et cela depuis le début de l'année 1870. J'ai plein d'idées encore à exploiter. Par exemple, le dernier vers de "Promenades d'hiver" parle de cueillir des fleurs en poète, ce qui est à rapprocher du poème "Ophélie", ou bien, dans "Roman", j'ai déjà fait remarquer que l'hémistiche "les tilleuls sentent bon" vient de François Coppée, mais les rimes autour du nom "bottines" pour décrire une femme qui se joue un peu de son amoureux je pense que Rimbaud rebondit forcément sur des lectures et quoi de tel que d'effectuer un rapprochement avec le "Rondel" d'une "Mademoiselle Valentine" qui "ouvre sa bouche enfantine", qui fait croître la poésie "sous sa bottine" et qui, "mutine", alors que "vous l'adorez en tremblant", vous "piétine" le "cœur". Et le persiflage amusé des répétitions du "Rondel" s'y retrouve dans les répétitions de vers qui encadrent une importante boucle le poème "Roman" !
Comme toujours, je n'ai aucun mal à faire galoper les rapprochements. C'est mon don divin. Par exemple, quand je lis le poème liminaire qui porte le même titre que le recueil qui le contient, "Les Vignes folles", poème en tierce rime, je songe que le poète décrit un espace clos de retraite poétique qui fait furieusement songer à la retraite du poète dans "Larme". Le poème suivant s'intitule "Aurora", et on sait que tout cela a tendance à m'inspirer spontanément bien des liens avec Rimbaud. Le poème "Rondel" que je viens de citer est suivi par le poème "Nuit d'été". Il y est pas mal question du sujet de la pièce de Shakespeare, Le Songe d'une nuit d'été, ce qui fait songer à "Bottom" dans les Illuminations et même à quelques autres moments de Rimbaud. D'ailleurs, des poèmes de 1872 ou des poèmes en prose de Rimbaud où il est question de féerie, et bien une simple mention "féerie romantique" dans des vers de Glatigny m'y fait penser, c'est mécanique chez moi. Rimbaud avait la mécanique des vers, moi j'ai la mécanique de la suggestion. Je plains les gens qui aiment la poésie, en lisent un maximum, et n'ont pas cette propension à rapprocher les univers poétiques naturellement. Remarquons que le tout premier vers de "Nuit d'été", avec un point après la mention du titre, "Nuit d'été." (coucou Bardel ! tu sais que si tu nous lis tu ne perdras pas ton temps !), c'est un redoublement de la mention "Nuit d'été ! nuit d'été!" Dans "Tête de faune", Rimbaud fait commencer deux vers par la mention "Dans la feuillée...". Oui, c'est sûr, le rapprochement serait autrement probant, si Rimbaud avait écrit directement deux fois de suite : "Dans la feuillée, dans la feuillée..." au premier vers, ou mieux si au moins il avait écrit : "Dans la feuillée, dans la feuillée, la nuit d'été," là au moins on pourrait commencer à parler de reprise.
Bon, alors, venons-en au sujet.
Dans ce recueil pas très long des Vignes folles, nous avons un poème intitulé "Lydia", où, au premier vers, nous avons l'expression prépositionnelle "sous la feuillée," hop là ça y est je viens de perdre la moitié de mes lecteurs qui en ont marre que je me traîne dans ces frivoles et simplistes rapprochements.
C'est pas grave, je continue. C'est un poème en octosyllabe, et que fait Lydia sous la feuillée elle dort !
O mon père, sous la feuillée,J'ai vu Lydia qui dormait ;Mon âme alors s'est éveilléeAvec l'amour qu'elle enfermait.
Je ne voudrais pas vous emmerder avec la lecture de tout le poème, je passe directement au troisième quatrain :
Que Lydia me semble belle !Laissant flotter leur or vermeil,Ses cheveux, dont l'onde ruisselle,Lui font un manteau de soleil.
On a le motif solaire. Cela me rappelle d'ailleurs que j'ai oublié de vous dire, c'est pas une phrase stylée à la Coluche ça ? alors je me rappelle d'ailleurs que j'ai oublié de vous dire que dans les poèmes de Glatigny il y a plein de passages à extraits sur les lèvres comme un fruit avec l'ivresse. Boah ! J'ai autant la flemme que vous, là, je poursuis sur ma lancée et je cite les deux derniers quatrains :
Et sur son ventre dur qui brille,Satyre aimé de Pan, je voisEncore l'ombre qui s'éparpilleComme la mousse au pied des bois !
Lydia s'éveilla confuse ;Moi, je m'enfuis, le trouble au cœur ;Depuis, le sommeil me refuseSes dons, et je tombe en langueur.
Là, il y a Bardel en spectateur assis au troisième rang : "Mais qu'est-ce qu'il dit ? Ce n'est pas du tout la même histoire."
Bon, c'est pas grave, on trace !
Alors, je suis passé par-dessus quelques quatrains, mais je voudrais les citer. Dans plusieurs poèmes, Glatigny, il tape sur les femmes sans poitrine, lui il veut célébrer des collines. Personnellement, je pense que c'est la perfection de la forme qui compte plus que la taille, sauf qu'évidemment avec des habits la taille est un avantage, mais sans habits si la taille n'est pas un défaut c'est un avantage moins évident, mais bref, je cite les quatrains de Glatigny, ne vous fâchez pas !
Sa poitrine, comme la mienne,Ne va pas en s'aplanissant,Et sa gorge marmoréenne,Monte, monte en s'arrondissant :C'est comme une double colline,C'est comme un arc aventureuxQu'un double bouton illumine,Rose, à la bouche savoureux :[...]
Pourquoi je cite ces vulgarités-là ? Ben, c'est qu'en fait un autre rapprochement m'a pris. L'illumination ! J'ai pensé au désir des "seins splendidement formés" des "Sœurs de charité". Je pense que Rimbaud se met clairement ici dans la lignée du discours de Glatigny sur l'importance de la poitrine généreuse, mais Rimbaud semble avoir senti que c'était un peu mesquin ou pas fiable il a amélioré le truc avec la double idée de la forme et de la perfection : "seins splendidement formés". Rimbaud ne voulait pas se dire hypnotisé simplement par les grosses poitrines.
Alors, j'ai encore perdu une moitié des lecteurs, en sachant que j'en ai jamais de quoi rempli un car ! Mais c'est pas grave ! On arrive aux choses sérieuses. Le poème en octosyllabes "Lydia" est suivi par un poème en autres octosyllabes "L'attente" et ensuite nous avons un poème intitulé "Chanson", et celui-là est en décasyllabes. Etrangement, il n'est pas en décasyllabes de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes, mais en décasyllabes littéraires avec la succession d'hémistiches de quatre et six syllabes. Toutefois, un vers a l'air de passer la césure en dansant et cela met en relief le verbe "voir" :
Veux-tu, mon cœur, parler de cette aiméeQui m'enchanta pendant une saison ?- Ah ! par un autre elle est ainsi nommée,Chante plutôt la nouvelle chanson.[...]- L'espoir toujours refleurit dans nos âmes.Laisse au passé tous les baisers perdus,D'autres encor sur les lèvres des femmesTiendront longtemps tes désirs suspendus.- Non, non ! je veux voir si les vieilles rosesOnt bien laissé perdre tous leurs parfums.- Seuls les vieillards ont droit, têtes moroses,De se cloîtrer parmi les jours défunts ![...]
Mais ça n'a toujours rien à voir pour les thèmes. Oui ! oui ! Je précise aussi que la césure n'est pas anormale, un classique pourrait la pratiquer, c'est que je trouve qu'elle passe en dansant.
Ceci dit, si vous trouvez que les poèmes n'ont rien à voir, notez que le poème se termine par les deux vers :
[...]Et je revois sa poitrine, où je creuseUn nid profond, pour ne m'endormir pas !
Et puis, donc après cette "Chanson" aux décasyllabes de quatre et six syllabes d'hémistiches, nous avons un poème intitulé "A Mademoiselle Primerose" où là sans crier gare on passe à l'autre décasyllabe, celui aux deux hémistiches de cinq syllabes :
Bien avant les prés ta joue a des roses,Mignonne, et je t'aime, et nous sommes deux ;Viens, laissons dehors, sur les toits moroses,Le vent murmurer ses chants hasardeux.
- Hé ! c'est tes rapprochements qui sont hasardeux !
- Hein ! Je m'en fous de toi !
Le ciel était bleu, sec était l'asphalte,Et tu t'habillas pour aller au bois ;Avril à l'Hiver avait crié : - Halte !Monsieur Bobinet était aux abois.
Olivier : - et on en est déjà à 600 caractères, on arrive bientôt à 666 ?
En clair, on a Lydia avec "sous la feuillée" à rapprocher de l'anaphore scanson initiale "Dans la feuillée", puis on saute un poème et on a une succession de deux poèmes en décasyllabes de la part de Glatigny, ce qui reste rare, l'un en vers littéraires aux hémistiches de quatre et six syllabes, l'autre en vers de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes.
J'aurai d'autres choses à dire dans les développements ultérieurs, mais j'ai encore un petit truc cruel à dire, un dernier coq à l'âne. Dans le poème "A Mademoiselle Primerose", j'ai aussi trouvé un quatrain à rapprocher de "Honte". On sait qu'il y a peu j'ai cité des poèmes inédits de Glatigny dans Le Rappel à citer d'évidence en tant qu'intertextes au poème "Honte" avec les mentions "cervelle" et d'autres à la rime, avec le motif du découpage à la guillotine, le contre-rejet de déterminant possessif, etc.
Alors, citons le quatrain suivant :
Ah ! ne hâtons pas la saison nouvelle !Ce dieu, quelque jour, j'en ai grande peur,Viendra mettre en l'air ta jeune cervelle :Ton amour alors, à tout vapeur,[...]
Qu'est-ce que vous dites de ça ?
Là, il y a réunion d'urgence chez les éditeurs d'articles académicks rimbaldiens. - Non, mais sérieusement, on peut pas citer un fantaisiste, ça fera pas sérieux dans les études rimbaldiennes. Ce gars-là n'a pas les titres. Puis, on comprend rien à ses rapprochements gratuits, là !
Et oui !
A suivre...
Post scriptum : j'ai oublié d'autres idées. L'emploi de l'adjectif "incertain" ou "incertaine", on l'a au début de "Tête de faune", vers 2 : "Dans la feuillée, incertaine et fleurie," on l'a aussi à quelques reprises dans les vers de Glatigny, une ou deux fois au début des Vignes folles, mais faut que je reprenne ma lecture en extrayant et notant tout ce dont je vais avoir besoin.
Il y a plus de poèmes en décasyllabes dans Les Flêches d'or, mais ils sont éparpillés, l'un sera à citer à cause du thème du faune.
J'ai aussi une autre idée. Le poème "La Rivière de Cassis" fait alterner des vers de onze syllabes et des vers soit de cinq, soit des sept syllabes.
Bon, le truc c'est que c'est des sizains. Donc, soit je cherche des sizains avec une alternance de vers longs et vers courts, plutôt des alexandrins et soit des octosyllabes, soit des hexasyllabes, soit je cherche une alternance de vers longs et vers courts sans me préoccuper du format sizain. Je peux ajouter à mon enquête deux idées celle des vents qui s'engouffrent et celle finale du fait de trinquer. Là, pour l'instant, c'est vague, mais je le "Stabat mater" des Flèches d'or qui arrive à retenir mon attention et dans Les Vignes folles il y a, mais là je trouve ça dérisoire, un poème avec l'alternance et l'idée de trinquer, du moins je crois. Mais bon c'est surtout le "Stabat mater" que je vais travailler.
Enfin, avant le long poème "Les Antres malsains", il y a un poème "L'Isolé" dans Les Vignes folles qui retient tout particulièrement mon attention, je le rapproche des "Soeurs de charité", mais aussi je relève que la première strophe parle du coeur en tant qu'hôte d'un corps et d'une chair débiles, puis quelques strophes plus loin, on a la mention à la rime "corps suppliciés". Rappelons que la première version connue du poème en triolets "Le Coeur volé" porte le titre "Le Coeur supplicié", qu'elle est envoyée par lettre le 13 mai 71, sachant que "Les Soeurs de charité" est daté de juin 1871 sur le manuscrit.
J'ai d'autres idées, mais bon je garde ça pour les développements fouillés et organisés, juste un truc ! La rime loups::jaloux et le verbe "hurler" du triolet de Banville ayant inspiré "Le Coeur supplicié", ben tout cela est fort significativement repris par Glatigny dans un poème à forme étrange. Les vers sont découpés par trois, mais l'analyse strophique est cocasse, puisque les vers riment par trois, on a trois vers qui riment en "-oux", donc "loups"::"jaloux" avec en prime un vers qui varie en syllabe s'il me souvient bien.
Bref. On continuera ça plus tard.
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