J'en profite pour souligner autrement ce qu'il se joue d'important dans mes deux derniers articles.
Ce qui est remarquable, c'est que nous entrons dans une histoire de Rimbaud au fil des compositions.
Rimbaud est arrivé à Paris à la mi-septembre 1871, il a logé chez la belle-famille de Verlaine, là où Verlaine venait de terminer l'écriture d'une comédie à la Banville intitulée Les Uns et les autres qui contient une césure au milieu d'un mot d'une valeur historique considérable.
Rimbaud a assisté à la fin du mois de septembre 1871 à un premier dîner des Vilains Bonshommes où il a été présenté et a fait notamment la connaissance d'Armand Silvestre, l'une de ses premières cibles dans l'Album zutique pourtant. Il va assister au début du mois d'octobre à une soirée chez le docteur Antoine Cros, mais aussi vers le début du mois d'octobre Léon Valade écrit à quelques correspondants que Rimbaud a été exhibé par Verlaine au dîner des Vilains Bonshommes, et Valade y revendique un rôle de saint Jean-Baptiste sur la rive gauche qui fait nettement penser que Valade n'est pas moins que Charles Cros et Paul Verlaine un des premiers contacts de Rimbaud à Paris à son arrivée de train en septembre 1871. Ce rôle de saint Jean-Baptiste fait songer que Valade a pu être le médiateur qui a présenté Rimbaud à Verlaine, et un médiateur qui était le meilleur ami de Mérat, et le collègue de Verlaine, Renaud et Andrieu à l'Hôtel de Ville, sachant que Valade coïncide parfaitement avec le propos complaisant de Rimbaud à Demeny, le 15 mai, selon lequel Verlaine et Mérat sont les deux poètes voyants de la nouvelle école parnassienne. Et dans ses lettres à Maître et Claretie, Valade dit que Rimbaud, génie qui se lève, terrifie tout le monde non seulement par son talent, mais par des "corruptions inouïes".
On pense soit à des compositions zutiques à anticiper, comme le "Sonnet du Trou du Cul", soit à une lecture quelque peu "zutique" de poèmes pourtant considérés comme non-zutiques et sérieux par la tradition critique rimbaldienne.
L'Album zutique a été inauguré par un sonnet liminaire inaugural intitulé "Propos du Cercle", et les transcriptions qui ont suivi sont de Rimbaud au verso. Il a transcrit le sonnet composé à deux mains qui parodie L'Idole d'Albert Mérat, parodie faite avec Verlaine, donc nous retrouvons le duo Mérat et Verlaine désigné à l'attention dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871, le duo des collègues littéraires et professionnel de Léon Valade qui semble bien être celui qui après avoir conservé l'Album des Vilains Bonshommes détruit dans l'incencie de l'Hôtel de Ville conservait l'Album zutique. Le "Sonnet du Trou du Cul" est composé à deux mains : Verlaine a concocté les quatrains, et Rimbaud a inventé les tercets, selon le témoignage de Verlaine lui-même. Verlaine critiquait déjà Albert Mérat dans sa correspondance des mois de juillet, août 1871. On peut envisager que le 15 mai 1871 Rimbaud ignorait encore que Verlaine avait un avis réservé sur Mérat. La composition du sonnet dès l'arrivée de Rimbaud à Paris, en à peine un mois dans tous les cas, amène à considérer que Verlaine a invité Rimbaud à railler Mérat, et nous savons que depuis 1869 Verlaine était attiré par l'idée d'une parodie zutique du recueil de Mérat. Ce n'est que, par la suite, que ce sonnet a fait partie de la galaxie de répugnance de Mérat à l'encontre de Rimbaud, avec une dénonciation lancinante de l'homosexualité de Verlaine et Rimbaud, puisque Verlaine a écrit à Mérat en le menaçant de duel pour qu'il cesse de colporter de tels rumeurs. Le Sonnet du Trou du Cul a un intérêt parodique particulier, puisqu'il contient non seulement plusieurs réécritures de Mérat, mais encore plusieurs autres du recueil publié sous le manteau d'Henri Cantel Amours et priapées, recueil qui est certainement aussi un modèle non avoué de Mérat en mode mineur.
Mais Rimbaud a enchaîné, il a créé une colonne avec le "Sonnet du Trou du Cul" de lui et de Verlaine et le quatrain "Lys" du seul Rimbaud, quatrain qui a l'intérêt de réécrire non seulement des vers d'un sonnet païen précis de Silvestre jusqu'à reprise d'un mot peu banal à la rime "étamine", mais aussi de faire allusion à la préface de la marraine George Sand faisant une comparaison avec la pièce de Molière du Médecin malgré lui, la feinte du quatrain "Lys" s'emparant de l'idée de Sand d'un Silvestre "spiritualiste malgré lui", idée que les quatre vers de Rimbaud assssinent.
Rimbaud clôturait le sonnet "Propos du Cercle" par un retentissant "Merde", l'idée de l'anus ponctue le sonnet parodiant L'Idole : "moiteurs enclos", ce qui est logique vu son titre, et le quatrain "Lys" confirme ce rapport un peu fécal à l'anus avec les "clysopompes".
Rimbaud a continué par deux dizains enchaînés qui reprennent le principe des deux dizains enchaînés que Verlaine a exhibé dans son courrier en juillet 1871. Et notez que Verlaine a exhibé son double dizain à Valade en personne. Et Rimbaud a enchaîné avec un monostiche attribué à Louis-Xavier de Ricard, monostiche qui vient d'un vers de Ricard faisant parler un "Egoïste", et il y a une référence de Ricard à Amédée Pommier en personne, le poète ciblé dans l'Album zutique par de multiples sonnets en vers courts, et souvent d'une syllabe.
Mais ultérieurement, Pelletan et Valade ont ajouté un sonnet et quatrain, pour créer une colonne parallèle à celle formée par le Sonnet du Trou du Cul et le quatrain "Lys". Ils ont utilisé la marge gauche laissée par Rimbaud. Et donc, il y a un modèle indiscutable de colonne enchaînant exprès un sonnet et un quatrain. Fait étonnant, Rimbaud a reconduit ce principe sur un feuillet manuscrit, du moins cela apparaît sur une copie par Verlaine du sonnet "Voyelles" et du quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." Cela invite à considérer qu'il y a des liens entre "Sonnet du Trou du Cul" et "Lys", entre "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose...", mais aussi entre les quatre poèmes. Le placement à la rime des mots "latentes" et "virides" pourrait laisser penser que "Voyelles" a bien à voir avec une parodie englobant parmi d'autres le poète Armand Silvestre, et c'est aussi sensible pour le quatrain "L'Etoile a pleuré rose..."
A son tour, sur le feuillet suivant, Rimbaud a profité de la marge gauche pour créer une colonne évoquant la forme d'un sonnet, mais de manière corrompue, avec un poème en trois quatrains "Vu à Rome" et un poème en vers de quatre syllabes et en tercets disposés en neuvain : "Fête galante". "Vu à Rome" se termine par des "nez" dans lesquels on introduit une "immondice schismatique", ce qui semble continuer la série sur la sodomie du "Sonnet du Trou du Cul" et de "Lys", ce que conforte la rime masculine "Colombina" en écho à la rime masculine "-pin" dans "Fête galante". Le poème "Vu à Rome" oppose l'église, un conclave papal à la Sixtine apparemment, à l'ambiance de fêtes à la Watteau débridées, et oppose à l'évidence Dierx, qui avec Mérat et Mendès doivent peu goûter les implications du "Sonnet du Trou du Cul", à Verlaine, le comparse de Rimbaud.
Un point me surprend : on peut aussi envisager les deux dizains à la manière de Coppée et le monostiche de Ricard comme une autre façon d'écho à la colonne sonnet et quatrain, sauf que Rimbaud aurait transcrit les deux dizains et le monostiche avant que Pelletan et Valade ne prouvent la recherche d'une esthétique de colonne sonnet et quatrain. On peut envisager que nous n'avons affaire qu'à des recopiages. La suite sonnet et quatrain pourrait être antérieure, et Pelletan et Valade n'auraient imité l'esprit de colonne (pardon de l'allusion) que parce que cela était acté par ailleurs. En tout cas, on a bien le vis-à-vis de deux pages et de trois colonnes de Rimbaud avec une correspondance sonnet / quatrain, trois quatrains / trois tercets, deux dizains de rimes plates / un monostiche. Je ne crois pas cela anodin. Notez encore que "Fête galante" implique l'idée qu'on peut corrompre les cadences masculines et féminines. Rimbaud ne va pas jusque-là, mais la rime "Colombina"/"que l'on pina" est clairement une idée de rime travestie : du féminin en cadence masculine. Or, le monostiche attribué à Ricard parodie un extrait de Ricard qui fait parler Pommier en référence à un poème que Pommier avait publié un peu auparavant. Suivent rapidement après dans l'Album zutique des séries de "Conneries" de la part de Rimbaud qui passent précisément au non respect de l'alternance des rimes féminines et masculines et qui passent aux acrobatiques à la syntaxe heurtées de vers courts avec des allusions claires à Amédée Pommier.
Et ce principe de non respects des alternances se trouvait dans le recueil Fêtes galantes, qu'il suffise de citer la pièce "Mandoline" tout en rimes féminines, j'ai envie d'écrire aussi bien que Racine "toute en rimes féminines". Certes, Banville a initié le mouvement, etc, il y a la plaquette Les Amies de Verlaine, etc., mais le poème de Rimbaud "Fête galante" dessine un patronage verlainien et un patronage qui n'en restait pas aux publications sous le manteau.
Pour "Vu à Rome", la contribution était reportée sur l'Album zutique, il est possible qu'une private joke nous manque, alors que "Sonnet du Trou du Cul", "Lys", "Fête galante" et les deux dizains à la Coppée sont saturés de renvois littéraires qui fait que tout le monde peut suivre. Mais, au-delà de l'Album zutique, je remarque que Mendès qui n'est pas parodié directement par Rimbaud dans l'Album zutique, mais qui y est cité et dont Rimbaud reprend tout de même le mot à la rime "écarlatine" dans sa parodie de Dierx, Mendès dis-je est parodié directement dans deux poèmes "Oraison du soir" et surtout "Les Chercheuses de poux". Le lien avec l'esprit zutique du poème "Oraison du soir" ne saurait faire débat, et le point repris à Mendès est dans l'organisation des rimes des tercets, ce que Rimbaud reproduit encore dans deux sonnets dits des "Immondes" qu'à la suite de Verlaine on a associé au "Sonnet du Trou du Cul" pourtant rimé différemment, sachant que deux quatrains contre Mérat ont été composés "Vers pour les lieux", on se demande s'il n'a pas existé des versions sonnet et quatrain, un "Immonde", quatre "Vers pour les lieux", un autre sonnet "Immonde", quatre "Vers pour les lieux".
Baudelaire est l'objet de maintes réécritures dans "Oraison du soir", poème qu'il faut relier au très "zutique" "Accroupissements" où la référence à Baudelaire et aux mêmes poèmes des Fleurs du Mal est prédominante.
Au-delà des liens zutiques possibles de "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose...", voilà que viennent enfler le cortège "Tête de faune", poème en trois quatrains et "Le Bateau ivre", et je rappelle que parmi les sources au "Bateau ivre" on cite souvent et depuis longtemps le poème "Le Vieux solitaire" de Léon Dierx, sachant que quelques éléments donnent un certain crédit au rapprochement sans que cela ne soit suffisant pour fixer tout l'intérêt original du "Bateau ivre".
Maintenant, je pourrais poursuivre le présent article par une étude en amont, puisque je soutiens que Rimbaud a eu des soirées zutiques avec Gill, et peut-être Valade, Vermersh et quelques autres, sinon avec Verlaine lui-même lors de son séjour parisien de février-mars 1871, et que cela explique la nature profondément zutique des poèmes figurant dans les lettres dites "du voyant", tout en rendant compréhensible qu'il y ait autant d'allusions à Daudet, ennemi juré de Verlaine et des parnassiens.
Il va falloir se lever tôt pour ruiner cette hypothèse de lecture...
EDIT :
Le "Merde" qui ponctue le sonnet "Propos du Cercle" est une réduction de la parole poétique à un mot concis obscène, tandis que l'objet poétique, le sonnet, est composé de propos rapportés supposés triviaux.
Dans la suite sonnet et quatrain de Rimbaud, "Sonnet du Trou du Cul" et "Lys", la mondanité traite le sujet tabou, blason du corps portant sur l'anus dans une fonction sexuelle tout aussi taboue, puis "Lys" est une réduction du poème à un seul quatrain, tout comme les dizains de rimes plates à la Coppée ne sont pas une réelle poésie en strophes, cinq rimes plates, comme on écrit des rimes plates pour les tragédies, le monostiche est une réduction plus extrême que le quatrain.
Prenez maintenant la suite prestigieuse sonnet et quatrain "Voyelles" / "L'Etoile a pleuré rose...", on a un sonnet dont le titre mentionne un élément minimal de la parole, la voyelle, puis un quatrain où la parole est cosmique avec étoile, infini, mer devant l'Homme.
A méditer...
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