Je suis en train de rédiger un article autour de l'influence potentielle d'Armand Silvestre sur Arthur Rimbaud. Je vais citer des œuvres d'Armand Silvestre à la fois en amont et en aval de la période septembre 1871-mars 1872. Je vais expliquer pourquoi les anachronismes ont une valeur documentaire à ne pas négliger, ce sera un aspect original de cette étude. J'ai un angle d'attaque que j'ai déjà dévoilé sur ce blog : la colonne sonnet et quatrain "Sonnet du Trou du Cul" et "Lys" est reprise sur une copie par Verlaine de "Voyelles" et de "L'Etoile a pleuré rose..., et il y a un jalon intermédiaire avec la colonne zutique de Pelletan et Valade : "Avril..." et "Autres propos du cercle". J'ai déjà annoncé que grâce à ce lien j'en arrivais de fil en aiguille à subodorer une influence de la lecture des vers de Silvestre sur "L'Etoile a pleuré rose..." et "Voyelles". J'avais commencé à citer mes preuves, mais ça semble s'approfondir encore, et j'inclus aussi le sonnet de Pelletan dans cette recherche désormais.
Je vais ans doute détacher quelques éléments de mon approche, les mettre à part en de petits articles que je vais publier préalablement.
Je vais aussi revenir sur une hypothèse un peu étrange de Bernard Teyssèdre qui pour "Vu à Rome" envisageait une réécriture de poèmes de Silvestre. Et, bien sûr, pour ceux qui attendraient ou n'attendraient plus ma suite sur le monostiche attribué à Ricard, je travaille à haut régime sur la double page majeure du début de l'Album zutique. Après le poème liminaire, il faut apprécier la double page qui offre à un seul regard un ensemble conséquent de poèmes parodiques de Rimbaud et dans une moindre mesure Verlaine, avec une faible contribution à la marge de Pelletan et Valade. C'est une double page majeure de l'histoire de la poésie française et elle est en lien avec "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." Et les productions zutiques ont aussi un rapport très particulier aux poèmes irréguliers de 1872.
Tout ça prend de plus en plus nettement forme dans mon esprit, et bien sûr que j'insiste sur ma thèse d'une rencontre zutique décisive expliquant les poèmes et les propos des lettres dites "du voyant".
Les gens lisent Rimbaud en prenant chaque poème comme un accident singulier. Il y a "Le Bateau ivre", il y a "Voyelles", il y a "Les Chercheuses de poux". Les poèmes sont géniaux en soi, et on admet une unité artiste, si je puis dire entre ces poèmes. Rimbaud écrit avec constance, il arrive à une certaine maturité, mais il aurait pu écrire sur d'autres sujets. Les poèmes "Voyelles", "Le Bateau ivre" et "Les Chercheuses de poux" sont des chefs-d'œuvre, mais la seule continuité admise est celle du travail d'architecte du poète, à partir du moment où on suppose beaucoup de passages du coq-à-l'âne dans les thèmes abordés. En réalité, il y a des continuités dans les préoccupations de Rimbaud et comme il fonctionne énormément à partir de la satire, de la réécriture, de la critique des autres poètes, du régime parodique, plus on connaît intimement les poètes lus avec attention par Rimbaud, plus on peut approcher de la logique de poèmes à l'hermétisme peu abordable de prime abord. Et c'est quand même important de comprendre que tout au long de l'année 1871, Rimbaud qui a perdu le modèle d'émulation scolaire a accédé au domaine de l'émulation entre poètes reconnus qui publient et qui se rencontrent dans des soirées mondaines ou privées à Paris. Et cette reconnaissance en cours n'est pas du type du jeune adolescent qui se fait admirer pour son potentiel et publier sagement au compte-goutte dans la presse. Rimbaud a un angle d'attaque avec les "corruptions inouïes" pour citer Valade, avec la pratique du poème zutique sur le modèle de ce qu'encourageaient les revues de Gill, Vermersch et consorts. Désireux d'être reconnu, Rimbaud s'est investi dans la poésie zutique, il la fait miroiter devant le réprobateur Izambard et devant le très consensuel Demeny qui suit une carrière poétique mesquine : "J'écris plutôt bien en vers, puis-je me montrer parmi l'élite des poètes de cinquième ordre ? Cela me fera estimable dans ma petite province." Rimbaud va développer l'accès qui lui semble acquis et qui convient très bien à son tempérament. A son arrivée à Paris, on peut penser que les compositions pour l'Album zutique l'ont occupé pleinement. Il n'a sans doute composé quasi aucun poème en marge des créations zutiques du 15 septembre au 15 novembre 1871. Le coup d'arrêt donné à ses contributions a permis à Rimbaud de composer les pièces sublimes que nous connaissons "Le Bateau ivre", "Les Chercheuses de poux", "Voyelles", "Tête de faune", etc. Il ne convenait pas qu'il s'enlise dans les parodies obscènes à aspects potaches un trop long temps. Ceci dit, "Accroupissements" et autres "Petites amoureuses" relevaient déjà de la manière zutique, et cette manière zutique va se poursuivre dans la mesure où Rimbaud s'est tellement investi dans sa pratique pendant un mois qu'il est déjà impossible qu'il n'en reste rien dans les poèmes qui ont suivi. Et c'est une réalité de fait que "Oraison du soir" correspond à un poème zutique, tout comme "Les Assis" en amont. Le dernier vers des "Assis" et le dernier vers de "Oraison du soir" sont l'illustration que l'année 1871 est tout entière sous le signe de la manière zutique. "Accoupissements" et "Oraison du soir" sont liés de manière zutique à une lecture des mêmes poèmes précis de Baudelaire, preuve encore que cette unité zutique concerne bien l'année 1871 entière.
Maintenant, à force de lire ses cibles zutiques, Rimbaud repère aussi les manières métaphoriques fortes que lui-même pratique. Le mysticisme cosmique des parnassiens pourtant divers, Silvestre, Dierx, etc., Rimbaud en était déjà imprégné en 1870, il en est imprégné par les romantiques Hugo et compagnie, par les maîtres des parnassiens que sont Banville ou Leconte de Lisle, et pour le poème "Voyelles", l'idée est toute simple : au lieu d'aller chercher des interprétations en-dehors des lectures de Rimbaud, il s'agit de débusquer les connexions qui vont finir par révéler les intentions et visées évidentes du sonnet "Voyelles".
Malheureusement, les rimbaldiens refoulent les liaisons communardes prouvées par les liens sémantiques et métaphoriques entre "Voyelles", "Paris se repeuple" et "Les Mains de Jeanne-Marie", ce qui n'est pas très intelligent, mais là on va attaquer la question du verbe cosmique par le biais des lectures bien établies de Rimbaud à l'époque, et bien évidemment on a une possibilité de traiter à la fois ce que Rimbaud reprend à ses modèles en tant que moyens de performance poétique, et ce qu'il reprend pour en faire la parodie.
Le poème "Voyelles" est connu du public depuis 1883, et cette étude des sources n'a jamais été faite. Quels sont les schémas mentaux des poètes parnassiens, voire romantiques, qui occupent pleinement de manière diffuse les préoccupations de Rimbaud par imprégnation d'époque ? C'est bien ça qu'il faut trouver, et un développement exclusif sur Hugo ou bien sur Baudelaire n'est pas suffisant.
Silvestre est une excellente clef d'entrée. On va entrer dans une nouvelle phase de critique rimbaldienne, parce que, n'en doutez pas, l'avenir des études rimbaldiennes, il se joue ici, pas dans les volumes d'hommages où on vous parle de la signification conclusive hypothétique de cinq poèmes en prose des Illuminations, alors que personne au monde ne tient un discours sur la valeur conclusive des cinq derniers poèmes soit des Fleurs du Mal, soit des Contemplations, soit des Poèmes saturniens, et ainsi de suite, alors qu'eux au moins ont une organisation en recueil voulue par les auteurs avec des visées de sens en relief. On ne va pas spéculer à vide et on va montrer qu'on lit de la poésie du dix-neuvième siècle, qu'on aime ça, qu'on ne le fait pas pour produire un article à des fins de carrière universitaire devant un public froid de 2024 qui lit de la poésie à la marge pour justifier une activité universitaire alors que ça ne les intéresse pas tant que ça, et ainsi de suite.
Ici se joue l'histoire à venir du rimbaldisme, que ça vous plaise ou non, et pour de bonnes raisons, puisque j'ai une lecture de la poésie du dix-neuvième que pratiquement personne n'a, et d'autant que j'ai lu et relu tous ces recueils obscurs...
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