samedi 17 février 2024

Vierge folle, retour sur les lectures croisées de Brunel, Vaillant et Bardel

Je voulais revenir sur plusieurs points. Dans le prochain numéro de la revue Parade sauvage dont nous pouvons consulter le sommaire, non seulement nous apprenons qu'Alain Vaillant fait partie du comité scientifique de la revue, non seulement nous découvrons qu'Alain Bardel y publie deux articles, non seulement nous découvrons qu'il y figure le compte rendu de deux ouvrages ayant Alain Bardel pour éditeur, non seulement deux comptes rendus sont rédigés par Alain Bardel lui-même, mais un fait complémentaire avait échappé à mon attention : Alain Bardel rend lui-même compte de deux ouvrages sur Une saison en enfer. Et il faut encore ajouter qu'il y a un compte rendu du Dictionnaire Rimbaud codirigé par Alain Vaillant où figurent plusieurs articles d'Alain Bardel, dont celui sur "Voyelles" même.
C'est du lourd quand on y réfléchit.
Normalement, les comptes rendus des livres sur Une saison en enfer de Patti Smith, de Yannick Haenel et de Grégoire Beurier auraient dû être confiés à une tierce personne. Vous avez à côté deux comptes rendus de deux livres édités par Bardel, dont un compte rendu d'un essai. Sur les deux articles de Bardel publiés dans la revue, l'un porte sur Une saison en enfer : "Les 150 ans d'Une saison en enfer et le fantôme d'Isabelle Rimbaud". Cette abondance confère une légitimité à Bardel qui n'est pas normale. Pourquoi ne rend-il pas compte de son propre essai tant que nous y sommes ? Puisque, de toute façon, le côtoiement de l'article et des deux comptes rendus sur Une saison en enfer le place en spécialiste exclusif de la revue Parade sauvage. Le compte rendu de l'essai de Bardel peut être signé par Mendél Péladeau-Houle ou Amélie Oudéa-Castéra, la messe est dite.
J'observe de plus que Yann Frémy, précédent codirecteur de la revue Parade sauvage, a fixé pendant des années un autre statut de spécialiste prédominant sur Une saison en enfer dans le comité rédactionnel de la revue Parade sauvage. Mais, au moins,  quand il y avait Yann Frémy, il y avait une diversité de voix qui s'exprimaient. Certes, par en-dessous, Frémy pilotait des choses, mais là ça devient hallucinant. Toute une revue est mise au pas par quelqu'un qui possède déjà comme moyen d'influence son propre site internet, on a une confusion maximale des genres, puisque Bardel fournit à la fois des articles au milieu des travaux de chercheurs et en même temps il arbitre les interprétations par des comptes rendus soit sur son site internet, soit dans la revue. Tout, absolument tout est mis au pas sur Une saison en enfer. Dans le Dictionnaire Rimbaud, on lui a confié l'article sur "Voyelles", le poème par excellence où se joue la difficulté de séparer la réflexion de chercheur et le compte rendu consensuel. On me dira que Bardel n'est pas important malgré la part qu'on lui donne et que je dois passer à autre chose. Moi, en 2023 et 2024, je vois un renforcement d'une influence bizarre, et les rimbaldiens le citent abondamment qui plus est. Alors, on peut voir les choses par l'autre bout de la lorgnette. Si Bardel s'occupe de "Voyelles" et d'Une saison en enfer, c'est que strictement aucun rimbaldien ne se considère compétent pour se risquer à formuler une opinion publique sur ces deux œuvres. Ce n'est pas mal non plus comme révélation ! Je continuerai à souligner ce qui doit l'être.
Dans les nombreux articles sur Une saison en enfer que je viens de mettre en ligne ces derniers mois, j'ai montré à plus d'une occasion qu'il n'y avait pas de véritable analyse de la signification d'Une saison en enfer. J'ai montré qu'une partie des notes accompagnant le fac-similé de l'édition originale du début de "Alchimie du verbe" étaient de l'ordre de la paraphrase de remplissage. Ainsi, pour : "A moi. L'histoire d'une de mes folies[,]" on ne va pas dire merci pour la glose : "Je prends la parole à mon tour. Voici l'histoire d'une de mes folies."
Et oui ! quand le poète annonce "l'histoire d'une de [s]es folies", il développe "en effet une 'histoire' ". Oui, une phrase comme : "je croyais à tous les enchantements", "souligne sa tendance à se nourrir d'illusion", La Palice n'aurait pas dit mieux, Rimbaud dira plus loin "se nourrir de mensonge", et oui, cela souligne aussi "sa prédisposition à la 'folie', annoncée par la première phrase du texte, et celle au 'délire' annoncée par le titre." Si un poème s'intitule "Soleils couchants, cela favorisera certainement la phrase de commentaire suivante : cette description de soleils bas qui brillent de diverses couleurs dans le ciel et qui disparaissent à l'horizon correspond à la vision de multiples couchants, comme cela est annoncé dans le titre "Soleils couchants".
Le livre Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable est de 195 pages, mais si j'écarte le fac-similé, les pages blanches, le sommaire, pages de faux-titres, illustrations, la bibliographie, etc., moins de 130 pages, et si j'enlève encore les demi-pages vierges, les graphiques on est à 125 pages environ.
Sur ces 125 pages, on a des parties dont la rédaction se fonde sur des travaux antérieurs, ce qui réduirait encore la part d'investissement, notamment l'introduction et les notes en vis-à-vis du fac-similé. Si on compare avec les livres de Brunel, Nakaji, Bandelier, Frémy sur Une saison en enfer, on a un spécialiste exclusif d'Une saison en enfer qui n'est pas particulièrement profus. J'ajoute que bien des notes sont le reflet d'une lecture des notes des éditions antérieures. Par exemple, à propos de "l'assomption [du] petit ami", Bardel écrit à la page 142: "C'est évidemment par moquerie à l'égard du pieux Verlaine que Rimbaud lui prête cette idée blasphématoire." Outre que Verlaine n'était pas "pieux" à cette époque et outre qu'il n'y a aucun dégagement des visées de sens du texte (voir plus bas ce que nous nous développons), le terme "blasphématoire" est repris des notes de Jean-Luc Steinmetz dans une au moins de ses éditions en Garnier-Flammarion. J'ai son volume des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud de 2010 sous main et il donne la vue suivante sur le passage de l'assomption : "[...] le terme, quoique doublement impropre, est particulièrement blasphématoire."
Un autre passage m'a paru étonnant dans l'annotation. C'est à propos du passage suivant de la confidence de la Vierge folle : "D'ailleurs, je ne me le figurais pas avec une autre âme : on voit son Ange, jamais l'Ange d'un autre, - je crois. J'étais dans son âme comme dans un palais qu'on a vidé pour ne pas voir une personne si peu noble que vous : voilà tout." Bardel glose ainsi la première phrase : "Comprendre : avec un autre partenaire que moi." Et plus loin, le commentaire accentue cette orientation forcée de la lecture (injonction à l'impératif "Comprendre") : "[...] elle est faite pour lui et, lui, fait pour elle : 'je ne me le figurais pas avec une autre âme'. Ils sont inséparables, 'dépendants' l'un de l'autre, comme chacun, selon l'enseignement du catéchisme, est inséparable de l'ange gardien qui veille sur lui partout et toujours."
J'ai été surpris, parce que jamais de ma vie je n'ai lu ainsi la phrase : "je ne me le figurais pas avec une autre âme". Pour moi, le sens littéral exclusif de la phrase est le suivant : "je ne me représentais pas l'Epoux infernal avec une autre âme que celle que je lui voyais." Le verbe "figurer" ne convient pas pour soutenir la lecture de Bardel. Et puis, il y a le double point qui introduit une phrase explicative sur le fait de ne jamais voir l'Ange d'un autre, ce qui se raccorde assez mal avec l'idée qu'elle ne le voyait pas le tromper avec quelqu'un d'autre. Qui plus est, ce passage est à rapprocher de "Conte", ce que je fais depuis trente ans. Dans "Conte", on a un récit sur l'impossibilité de découvrir une autre âme, un autre Ange en soi : "Le Prince était le Génie. Le Génie était le Prince[,]" après un massacre des femmes dans les palais personnels du Prince par le Prince lui-même, qui est noble par définition et tue parce que les femmes et les gens qui le suivent ne sont pas dignes de lui. Il faut ajouter que l'image du palais mériterait des recherches de sources éventuelles. Sans oublier d'évaluer au passage, la vision du "trône" au ciel dans "Bénédiction", l'envol en rejet du monde dans "Elévation" et le décor de "La Vie antérieure", j'en ai une possible dans "Châtiment de l'orgueil" au début des Fleurs du Mal : où l'intelligence du damné était "Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence, / Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui."
Je me suis demandé d'où venait la lecture terriblement réductrice de Bardel. Je constate que dans l'édition critique d'Une saison en enfer par Pierre Brunel, nous avons une note similaire, mais pour un autre passage de Vierge folle, note un peu mise en relief puisque tout en bas de la page 225 : "l. 115 Il ne connaît personne (d'autre que moi.)" Cela ressemble à s'y méprendre à la glose bardélienne, sauf que si on se reporte à la ligne 115 de l'édition critique il ne s'agit pas du tout du même passage : "Ah ! je n'ai jamais été jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois." On dirait que de manière impropre Bardel s'est inspiré de cette note et l'a reportée à un autre passage.
Dans le cas de "Vierge folle", j'ai déjà souligné que la lecture biographique déroulée était au ras des pâquerettes. Il est acquis que Rimbaud est un génie de la poésie, donc on va identifier simplement des références biographiques dans "Vierge folle" et n'y voir que des railleries de mauvais couple. Voilà ce qu'en fait de haute poésie, on nous donne à comprendre : "Rimbaud en veut à Verlaine d'avoir la foi, il ne peut plus l'aimer, il se moque de lui et se casse", ou : "Rimbaud se plaint de ne pas trouver une âme qui lui corresponde, il est difficile, le Rimbaud ! Il ne se prend pas pour de la merde !"
Pour le passage sur l'assomption, la seule lecture envisagée, c'est que Rimbaud se moquerait encore et encore de la religiosité de Verlaine. La "Vierge folle" dont il est affirmé qu'elle est Verlaine sans reste parle toujours au premier degré, elle est incapable d'ironie : "Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement ; mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami !" L'adverbe "merveilleusement" doit nous mettre la puce à l'oreille. Tout au long de son récit, la Vierge folle a exprimé avoir des doutes sur les pouvoirs magiques de l'Epoux infernal, voire sur ses prétentions à posséder l'omniscience : "Il feignait d'être éclairé sur tout", "tout le décor, dont en esprit, il s'entourait", "comme il aurait voulu le créer pour lui", "des secrets pour changer la vie ? Non, il ne fait qu'en chercher", "Il ne me rendait pas meilleur", "Il l'a faite vingt fois, cette promesse d'amant. C'était aussi frivole que moi lui disant : "Je te comprends." Et ça continue : "Il veut vivre somnambule", "Ou je me réveillerai, et les lois et les mœurs auront changé", "grâce à son pouvoir magique", "Il ne peut pas", "S'il était moins sauvage, nous serions sauvés !"
J'ai une impression similaire avec le poème "Le Voyage" qui clôt Les Fleurs du Mal. Apparemment, je suis le seul au monde à percevoir l'ironie amère du dernier quatrain. On est dans la même configuration, exactement la même. Dans "Le Voyage", le poète toujours lassé de l'ici se propose systématiquement de relancer un nouveau voyage, et à chaque fois il est déçu, et en toute fin de poème il se fixe un dernier voyage, dernier puisque c'est la fin de l'ouvrage et c'est le suicide. Et ce suicide va se faire dans l'optique de découvrir du nouveau, de l'inconnu. Et comme tous les autres voyages appartenaient au passé, et celui-ci par le suicide appartient au futur on a des lecteurs de Baudelaire qui lisent ça au premier degré. Il en a tellement marre qu'il veut découvrir le nouveau par-delà la mort, alors que, normalement, le bon lecteur c'est celui qui prend la mesure de l'instabilité du récit. Baudelaire a passé son temps dans l'écriture des 144 alexandrins du "Voyage" à nous dire que le projet toujours relancé de découvrir du nouveau a toujours été déçu. Donc, au lieu de simplement dire que Baudelaire manifeste avec crânerie l'idée hyperbolique de se tuer pour voir s'il y a du nouveau dans un autre monde (ce qu'au passage il n'a pas fait au plan biographique et qui suffit à mettre la puce à l'oreille), il faut y voir un quatrain de pure amertume. Je croyais que c'était une lecture normale des lecteurs de Baudelaire et je me suis rendu compte que pas du tout. Je lis les annotations, les commentaires, ils sont tous à dire que cette quête de nouveau dans l'inconnu est le mot d'ordre. Mais, c'est le mot d'ordre dès le premier vers du "Voyage", et au bout du parcours on en tire une leçon d'exhaustion, non ? Je ne sais pas !  Je ne vous comprends pas bien.
Ici, dans "Vierge folle", il n'y a pas la revue complète des cas, mais on retrouve la pointe cime ironique du "Voyage", du moins si vous lisez "Le Voyage" comme je le fais moi, et pas comme les autres, puisque quand je lis le dernier quatrain du "Voyage", il y a un pari sur l'au-delà, mais avec un fort sentiment que c'est plutôt la fin de tout voyage. C'est pareil dans le récit de la "Vierge folle", l'Epoux infernal est décrit comme cherchant à s'évader à tout prix de la réalité, et la Vierge folle se demande pourquoi. Et il est question de la mort qui fait repentir, dans la bouche même de l'Epoux infernal : "Parfois, il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir". Il parle aussi des "départs qui déchirent les cœurs". Et bientôt, la Vierge folle nous apprend qu'il menace de la quitter. Elle appréhende avec effroi cette perte. Alors, certes, tout au long du récit, il y a une instabilité où à la fois elle croit en la magie de l'Epoux infernal, et en même temps elle s'en défie, exprime des doutes. Mais, à la fin du récit, on a des rimbaldiens qui gomment cette instabilité fondamentale de la lecture, comme les baudelairiens gomment l'amertume des constats d'échecs à la lecture des quatrains finaux suicidaires des Fleurs du Mal. Certes, dans son esprit confus, la Vierge folle peut bien espérer voir son Epoux infernal monter au ciel et confirmer ainsi la réalité des pouvoirs dont il a fait miroiter la possession devant elle, mais bien sûr qu'elle a des doutes et de la rancune aussi. Le récit est de repentance, il est adressé au "Seigneur" et c'est au Seigneur qu'elle parle de l'Epoux infernal. Comme dirait Bardel, les mentions à la troisième personne "il" ou "mon petit ami", etc., montrent que la Vierge folle parle au Seigneur du début à la fin de sa confession, comme si l'Epoux infernal n'était pas là. Et moi, j'ajoute, parce que je vais quand même un peu plus loin dans l'évidence de base, je précise qu'elle semble avoir parlé sans se rendre compte que l'Epoux infernal a tout entendu, elle ne le croyait pas présent, mais il espionnait. Il faudra que je vérifie si jamais un rimbaldien a fait remarquer cette configuration d'espionnage. Il n'y a aucun mérite à le mettre à jour, mais je me demande carrément si ça a jamais été fait.
Enfin, bref ! La Vierge folle a des doutes tout au long de son récit, donc on peut quand même considérer qu'avec les mentions "peut-être" et "merveilleusement" elle ironise sur le pouvoir de l'Epoux infernal. De plus, elle a peur foncièrement de le perdre, ce qui veut dire que le désir d'assister à son assomption est contradictoire. Quand la Vierge folle penche du côté du pôle Epoux infernal, elle exprime un désir de présence, de compagnie : "Tout de suite, je me pressentais, lui parti, en proie au vertige, précipitée dans l'ombre la plus affreuse : la mort." Cette attirance est décrite au passé, et à présent elle se confesse à Dieu et rejette l'Epoux infernal. Mettons qu'elle soit hypocrite, le simple fait que son discours soit adressé à Dieu suppose qu'elle ne va pas manger le morceau en lui disant que décidément elle renonce à être sauvée par le Seigneur et replonge. Il es malgré toutt évident qu'avec l'Epoux divin comme confident elle ironise sur une mort permettant à l'Epoux infernal de monter au ciel. Oui, il y a un peu des deux, elle est confuse, mais quand même le sens ironique doit primer. Tout le contexte porte à ce constat. Et ce n'est pas tout. Elle emploie le mot "assomption" qui convient à l'enlèvement de Marie par les anges. Or, elle venait de décrire dans des propos rapportés entre guillemets, donc bien mis en relief, bien sacrés d'importance, que l'Epoux infernal lui reprochait de la faire mourir en abusant de sa charité. Et cela dans une identification à une prostituée Marguerite Gautier peinte en Marie se sacrifiant d'amour dans La Dame aux camélias. La Vierge folle a passé son temps à expliquer que l'Epoux infernal avait une "charité" comme "ensorcelée", elle a expliqué ses anomalies de raisonnement où il se disait "charitable", mais frivolement pour la confiner dans un "paradis de tristesse". Il lui annonce qu'il veut l'abandonner pour aller en aider d'autres, autrement dit pour aller voir ailleurs si on se met à la lecture de Bardel et de Brunel, et elle n'aurait pas de rancune. Evidemment qu'il y a de l'ironie à la fin de la confession. Evidemment qu'elle sait mettre un petit coup de griffe ! C'était un coup de griffe aussi violent quand elle disait qu'il ne faisait que chercher des moyens de changer la vie.
Pourquoi faire de la Vierge folle un personnage dont l'analyse est à encéphalogramme plat ?
J'ai pris la peine de vérifier les études de Brunel dans son édition critique de 1987 et dans ses notes pour l'édition du centenaire "Œuvre-Vie". Et, en fait, Brunel ne décèle lui non plus aucune ironie dans la réplique finale de la "Vierge folle" : "Si la Vierge demande à voir l'assomption de son petit ami, c'est parce qu'elle voudrait s'en assurer. Elle est de ceux qui, comme Thomas, ont besoin de voir pour croire." Brunel n'aurait pas ajouté l'allusion à saint Thomas, le commentaire ne serait rien d'autre qu'une paraphrase du sens littéral. Il paraît que c'est mal de proposer de la paraphrase en guise de commentaire. Moi, je constate que des écrits critiques de référence s'en contentent et ne vont pas plus loin. Quant à l'allusion à saint Thomas, est-ce qu'elle a sa place ici ? Est-ce que le propos de l'Epoux infernal en nous offrant la copie du discours qu'il a entendu veut reprocher à la Vierge folle ce manque de foi à la saint Thomas ? Non ! Certes, ça l'arrangerait et il peut donner du "avec votre confiance seulement, je serai content", mais on voit bien que la visée de sens de "Vierge folle" n'est pas du tout de cet ordre-là. Dans l'édition du centenaire, la note lacunaire fournie par Brunel ne s'accompagne pas d'une prise de position précise, à défaut cela équivaut à une acceptation de lire au premier degré les propos de la "Vierge folle" : "L'assomption est l'enlèvement de la Vierge au ciel par les anges."
Alors, il y a d'autres passages où je n'accepte pas comme évidentes les lectures fournies par Bardel, Brunel et Vaillant. Pour la variation verbale : "Je suis veuve, j'étais veuve", non la Vierge folle ne parle pas d'un côté de l'Epoux divin, de l'autre de l'Epoux infernal, comme le soutenait Brunel en 1987. Et il ne s'agit pas non plus d'un cafouillage de Verlaine qui ne saurait plus où il en est dans son ménage avec Mathilde, comme l'écrit Bardel. Vaillant en 2023 soutient que c'est "un écho aux Mémoires d'un veuf" (page 86), titre d'un livre de Verlaine qui date de 1886, quand Une saison en enfer date de 1873. Et dans son édition des Œuvres complètes en Garnier-Flammarion, Steinmetz nous offre une note sidérante, puisqu'il donne une information de qualité, avant de tout rabattre contradictoirement sur Verlaine (Note 1, page 359) :
[...] dans plusieurs poèmes de 1872, Rimbaud parle de veuvages ou de veuve, notamment dans "Vies II" et la "Chanson de la plus haute Tour", où l'on rencontre aussi l'expression "la si pauvre âme" (présentée ici comme une citation). Ces termes appartiennent évidemment au vocabulaire verlainien, repris et souvent moqué par Rimbaud.
Le commentaire de Steinmetz n'aura de valeur que s'il fournit des occurrences verlainiennes antérieures à Rimbaud, non ? Et encore, les exemples rimbaldiens continueraient de faire contrepoids.
Je passe à ma lecture du changement verbal de "Je suis veuve" à "J'étais veuve", lecture que je croyais faite par tout le monde spontanément, je ne faisais pas attention à ce qu'écrivaient les rimbaldiens à ce sujet.
Je mets en contexte : la Vierge folle s'adresse à l'Epoux divin, elle le sollicite à l'instant même "Un peu de fraîcheur" et enchaîne par cette fameuse variation : "Je suis veuve... - J'étais veuve..." Je n'ai plus le nom de la figure de style en tête, mais il s'agit d'une ressaisie. Et la suite du texte permet de n'avoir aucun doute sur la signification : "j'ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette". Elle dit qu'elle est perdue, mais qu'elle n'est pas perdue à jamais. Elle ne sera veuve que si tout retour à Dieu est mort. Or, elle s'adresse à lui, implorante ! Je suis veuve Dieu, puisque je me suis perdue, ah non, je travaille au rachat de mes péchés, je laisse la pourriture derrière moi, je ne veux plus être veuve, je ne le suis plus ! La lecture n'a rien d'extraordinaire. C'est du b.a-ba.
Je ne savais même pas que cette variation était incomprise des rimbaldiens. J'ai cru rêver quand j'ai lu les explications tour à tour de Brunel, de Steinmetz, de Vaillant et de Bardel.
Revenons enfin sur la problématique d'identification de la "Vierge folle". Voici ce qu'écrivait Brunel dans l'édition du Centenaire, vu que nous avons alors droit à une belle page de présentation du problème. Il y a "trois catégories" de "commentaires" : "1) Les interprétations biographiques qui font de Rimbaud l'Epoux infernal et de Verlaine la Vierge folle". Suzanne Bernard, Yves Bonnefoy et Jean-Luc Steinmetz sont cités comme trois tenants de cette lecture, lecture en réalité majoritaire qui aurait pu être associée à d'autres noms de la critique rimbaldienne. Brunel concède son importance : "[...] ces interprétations biographiques conservent tout leur crédit[,]" "2) Les interprétations symboliques." Brunel cite "Marcel-A. Ruff (1968), approuvé par Antoine Adam (1972)" et "la Vierge folle serait 'l'âme du premier Rimbaud, soumise et tournée vers Dieu, mais qui, comme dans la parabole, n'avait pas la réserve d'huile suffisante, et qui est maintenant entraînée par le Rimbaud libéré, devenu pour elle l'Epoux infernal". Il me faudrait lire directement les écrits de Ruff et d'Adam. Brunel ajoute cette remarque : "Ce type d'interprétation avait été inaugurée en 1931 par Raymond Clauzel." J'ignore tout de cette dernière référence. Notons que dans la présentation concise de cette thèse fournie par Brunel on voit tout de suite le problème. Le récit ne parle pas du tout d'un manque de quelque chose équivalent à l'huile de la Vierge folle et ne met pas du tout en scène un premier Rimbaud face à un Rimbaud libéré. Cette deuxième thèse de lecture crée un système étranger à la composition rimbaldienne pour lui apporter le sens souhaité, ce qui n'est pas une démarche recevable.  Avant de citer la troisième catégorie fournie par Bardel, j'ajoute une remarque étrange de Steinmetz dans son édition des Oeuvres complètes. Steinmetz rattache cette deuxième thèse à Claudel, mais de manière peu cohérente. En réalité, Steinmetz prend prétexte de la mention de cette thèse pour citer un passage de Claudel et il enchaîne comme si le passage de Claudel était la source de cette thèse (page 359) :
[...] Certains croient qu'il s'agit de Rimbaud en lutte contre lui-même : en somme, u ndialogue entre Animus et Anima, pour reprendre la parabole inventée par Claudel dans ses "Réflexions et propositions sur le vers français" [...] "pour faire comprendre certaines poésies d'Arthur Rimbaud". Toutefois, il est plutôt admis que la viege folle représente le faible Verlaine et que l'époux infernal est Rimbaud en personne. Le débat du texte semble le prouver.

Je reviens à la note de Brunel, page 421 de l'édition du centenaire : "3) Les interprétations narratologiques qui 'cherchent des liens internes, une structure intratextuelle du récit, avec la conviction que, même si le texte donne quelque éclaircissement sur la personnalité et la pensée de l'auteur, ce ne serait qu'à la suite de la logique qui règne à l'intérieur du texte' (Y. Nakaji, 1987), ou qui font observer que la Vierge folle, comme l'Epoux infernal, ressemble au narrateur du début (D. Bandelier, 1988)." Et Brunel ajoute : "Il paraît prudent de n'exclure aucune de ces hypothèses pour éclairer un texte aux significations multiples."
Admirez au passage que Bandelier ait fait remarquer que la Vierge folle ressemblait au "narrateur du début" !
Pour moi, la lecture symbolique de Ruff et Adam peut être abandonnée, elle n'est pas assez étayée, elle ne s'affronte pas suffisamment au texte et elle est en tension contradictoire avec le texte lui-même. Je pense qu'on peut l'abandonner. Mais, Brunel souligne l'existence d'une troisième catégorie qui, elle, peut légitimement faire cortège à la thèse de lecture biographique. Cette troisième catégorie est lestée de mots qui sentent l'approche structuraliste démonétisée : "narratologiques" et "intratextuelle", mais il n'en reste pas moins que le sens d'un texte doit être produit par le texte lui-même, et non pas par les apports extérieurs des commentaires, les éléments biographiques étant des apports extérieurs au texte en tant que tels. Bandelier a effectivement proposé une étude résolument structuraliste, étonnamment indifférente à la signification. Le cas est différent pour la thèse de Nakaji où de vraies interrogations sont posées sur la signification d'Une saison en enfer. Et pour éviter le renvoi de cette catégorie au structuralisme, je m'empresse de parler des allusions à Alexandre Dumas fils. Dans son édition critique, Brunel fait deux allusions à La Dame aux camélias et puis une troisième au moment d'identifier le renvoi à "Armand Duval" dans les propos de l'Epoux infernal, et Brunel dit étrangement qu'il a bien fait à deux autres reprises de faire des rapprochements avec La Dame aux camélias, vu que maintenant il relève une allusion directe à ce roman adapté ensuite au théâtre. Et Brunel répète dans son édition critique de 1987 comme dans l'édition du centenaire de 14991 que l'adaptation théâtrale a été jouée à Londres en juin 1873, au plus près de l'époque de composition du récit intitulé "Vierge folle". Or, la référence à Dumas fils était connue depuis longtemps et c'est parce qu'il la connaissait que Brunel a pensé à faire deux autres rapprochements à la lecture de "Vierge folle".
Mais, ce que moi je veux mettre en avant, c'est que comme Verlaine à cette époque s'intéressait de près aux pièces de Dumas fils Rimbaud a trouvé là un sujet de réflexion sur l'homme et la femme dont il a voulu traiter avec sa pensée propre dans un ouvrage de poète voyant. Au plan du courrier de Verlaine, il s'agissait de pièces de théâtre que celui-ci avait la possibilité de voir et qui étaient un plus intéressantes que les autres. Les grandes pièces de théâtre françaises du troisième quart du dix-neuvième siècle, en-dehors de celles inédites de Victor Hugo du Théâtre en liberté, quelles sont-elles ? Dumas fils s'intéresse au problème de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, au châtiment de l'adultère, à sauver la famille, la morale, etc., selon des vues siennes, etc. Rimbaud ne parle pas d'homosexualité dans Une saison en enfer. Les tenants de cette lecture (Vaillant, Bardel) admettent que le seul argument est la forme masculine du mot "compagnon" pour introduire le discours de la Vierge folle. Or, en 1867, Verlaine a publié dans la revue Le Hanneton un récit intitulé "Le Poteau" où on pourrait croire qu'il parle de Rimbaud de manière cryptée : condamnation par contumace pour un meurtre par enlèvement et vie à Charlestown aux Etats-Unis, alors que non la nouvelle a été publiée telle quelle avant la rencontre entre Rimbaud et Verlaine, et dans cette nouvelle la femme enlevée est nommée "compagnon". On me soutiendra que c'est la preuve que Verlaine veut faire entendre que son récit parle d'homosexualité. Mais bon il y a un moment il faut dire halte à la mauvaise foi.
Cette prétendue preuve étant fragilisée, je reviens sur le sujet. Il est clair que Rimbaud a connu une expérience de couple avec Verlaine et qu'il en rend compte quelque peu dans "Vierge folle", mais il n'en rend pas compte scrupuleusement et de manière fouillée. Il a choisi des aspects qu'il a mis en avant et pas d'autres. Le récit de "Vierge folle" n'a rien à voir avec la lecture d'une biographie de Rimbaud et de Verlaine pour la période 1871-1873. On voit bien que les recoupements sont partiels. Rimbaud se sert d'un matériau biographique, il a certainement envie aussi d'épingler des considérations biographiques, mais il ne fait pas du biographique le tout de son récit.
Face à Rimbaud, Verlaine, plus d'une fois, va mettre en récit et en poésie l'idée d'une relation de deux hommes, se dressant dans leur vie de couple singulière face à la société réprobatrice : "roman de vivre à deux hommes", etc. Le récit des Romances sans paroles se nourrit du triangle amoureux biographique vécu par Verlaine avec d'un côté son épouse et de l'autre Rimbaud, et il contient plusieurs allusions cryptées ou fines à l'homosexualité. Mais, dans le cas du récit Une saison en enfer, nous n'avons rien de tel. Rimbaud ne fournit pas les indices d'une lecture codée en ce sens. Il faut ajouter que le problème de l'homosexualité face à la société, c'est un problème de discrimination ou d'acceptation. Or, le propos de Rimbaud dans plusieurs poèmes en prose des Illuminations ou dans Une saison en enfer, c'est de parler de la vérité en amour des couples qui se forment. Il n'y a aucune raison logique d'opposer l'homosexualité à l'hétérosexualité. Cela n'a strictement aucun sens. Et si tel était le cas, la majorité des lecteurs ne se sentirait pas concernée. Ce serait même risible : le problème de Rimbaud à avoir une relation épanouie avec Verlaine, mais ça n'a pas d'intérêt littéraire. Les gens vont lire ça et dire : "Mais c'est votre problème, on s'en fout !" Il est évident que Rimbaud parle d'amour au sens général. Il n'a aucune raison de remplacer l'image habituelle du couple homme et femme. Ce serait contre-productif.
Sinon, avec les idées d'un Epoux infernal trop "sauvage" et la remise en cause de la "morale", outre qu'il y a à dire sur les pièces moralisatrices et voulues paradoxalement édifiantes de Dumas fils, il y a un vieux motif révolutionnaire derrière. Je ne peux pas m'empêcher de penser aux phrases du réactionnaire Burke sur la Révolution française : la victoire du sauvage contre la civilisation, un renversement de la morale. Je n'ai pas les citations sous la main, mais ce serait bien de les faire, parce que ça a beaucoup de sens par rapport au discours de notre poète de "mauvais sang" qui tient tout de la "déclaration des droits de l'homme".

4 commentaires:

  1. Avdivka est libérée.
    A part ça, je n'ai pas compris pourquoi en librairie on met du papier toilette de la marque Badinter. C'est insultant pour les métiers du livre.

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  2. Je suis dans un état d'exténuation morale sans limite.
    Je vais bientôt me défaire du volume Poésie Gallimard Sable mouvant de Pierre Reverdy. Je voulais faire un bilan des influences rimbaldiens dans l'écriture de Reverdy de ce recueil-là précisément (j'en ai d'autres dans mes armoires Plupart du temps, Sources du vent, Flaques de verre), mais celui-là je l'ai emprunté. Tant pis, ce sera peut-être pour une autre fois.
    Sinon, je relis les poèmes diaboliques de Verlaine : Crimen amoris, La Grâce, Don Juan Pipé, L'Impénitence finale, tous quatre datés d'août 14873, alors qu'ils sont très longs, ce qui veut dire qu'ils sont contemporains en réalité, au moins en maturation et premiers jets de la composition d'Une saison en enfer (nuance, Rimbaud n'est avec Verlaine qu'en juin à Londres en gros, séjour chez lui en avril-mai avec des entrevues "courtes" de Verlaine à Bouillon), il faut ajouter des liens sensibles avec d'autres poèmes, dont Crimen amoris qui va de pair avec le sonnet Invocation ou Luxures. Notons aussi que la date "août 1873" ressemble à un clin d'oeil à la datation de son livre par Rimbaud "avril-août 1873". "Amoureuse du diable" est étonnamment daté d'août 1874, même mois un an plus tard.
    Je ne connais mal les lectures déjà proposées de "Crimen amoris" dont moi je dis que 25 quatrains d'alexandrins de rimes croisées c'est un clin d'oeil au "Bateau ivre".
    Je détaille quelques idées dans un commentaire en réponse à celui-ci.

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    1. "Crimen amoris" est sous-titré "Vision", terme du lexique du "voyant". C'est une allusion à un vers latin de Properce, éventuellement à un mot en latin de Voltaire (Mérope) qui est une réécriture du vers de Properce. Bivort souligne les deux hypothèses dans son édition au Livre de poche.
      Je n'ai pas creusé la question, même si intuitivement Properce me semble le plus probable.
      Le poème est clairement tout entier en 4-7v. Dans mon souvenir, Cornulier et Bobillot ne le classe qu'à 4-7v majoritaires avec quelques vers problématiques, alors que les prétendus vers problématiques rentrent aisément dans le rang si on médite les effets de sens et les symétries. On a des jeux sur l'idée du trimètre aussi. Pour moi, c'est clairement une allusion au modèle sous-jacent de "Larme" du 4-7v.
      Les attaques des vers 6 et 7 (2e quatrain) : "Tous les Désirs" et "Les Appétits" font clairement double écho à la prose liminaire de la Saison et au sonnet verlainien "Luxures" ou "Invocation" que Murphy a déjà rapproché de la prose liminaire de la Saison.
      Contre les lectures de Vaillant et Bardel qui constatant que Verlaine se disait épinglé en "satanique docteur" dans "Vagabonds" prétendent que dans la Saison Satan peut être Verlaine, "Crimen amoris" montre bien le fonctionnement de l'identification à Satan : il y en a plusieurs, avec un plus beau que les autres qu'on identifie aisément à Rimbaud, Et notez l'hyperbole d'hyperbole, Satan étant déjà le plus beau des anges à l'origine, on a le plus beau Satan d'entre les plus beaux des plus beaux anges.
      La métrique 4-7v permet de reconnaître un jeu d'insistance sur les péchés capitaux et les vertus théologales et nous avons la formule d'une confusion voulue des trois vertus et des sept péchés, ce qui a à voir avec Une saison en enfer bien évidemment.
      NB : je cite pour aller vite la version de Cellulairement, pas le manuscrit de la main de Rimbaud, mais ça ne porte pas ici à conséquence.
      Font litière aux + Sept Péchés de leurs cinq sens.
      C'est la fête aux + Sept Péchés, ô qu'elle est belle ! (vers 4 et 5 consécutifs !)
      Il va falloir qu'enfin se rejoigne les
      Sept Péchés aux + Trois Vertus théologales ! (vers 51-52)
      Notez l'enjambement de mot et l'identique attaque de vers dans la citation des deux vers suivants :
      En vain la fête autour se faisait plus folle,
      En vain les satans, ses frères et ses sœurs, [...]
      Notez aussi le vers 20 qui a pour modèle évident un vers de "Au lecteur", poème liminaire des Fleurs du Mal :
      "Il rêve, l'oeil plein de flammes et de pleurs ;"
      "Il rêve d'échafauds en fumant son houka"
      Le lien peut vous paraître léger, mais notez que le "Il" du poème de Baudelaire c'est l'Ennui et que dans la Saison, Rimbaud dit "Le malheur a été mon dieu" (prose liminaire) puis "L'ennui n'est plus mon amour" (faux moment de conversion dans "Mauvais sang", il y a une seconde fausse conversion dans "Nuit de l'enfer" où le poète s'adresse à Dieu).
      Notez aussi le vers de Crimen amoris : "Que la campagne autour se fleurit de roses". Au-delà d'allusions de Crimen amoris aux Soeurs de charité (bruns adolescents, nuit de diamant + Tous nos élans), il y a ce motif du travail fleuri de la campagne par l'exercice d'une étrange bonté. Et création en quelque sorte de nouvelles fleurs.
      - O je serai celui-là qui créera Dieu ! (encore un vers qui fait écho)
      Notez aussi les répétitions de vers qui font allusion à des poèmes tels que "Harmonie du soir", "Le Balcon", etc.
      Notez la mention "la nuit bleue" après le "coup de tonnerre", allusion sensible au poème "Larme".
      Trop fatigué que pour mettre en ordre tout ça !

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    2. Pour confirmer l'usage du mot "Satan" pour désigner n'importe qui autre que "Satan", il suffit de lire le poème "La Grâce". A une femme emprisonnée, la tête de son mari complice de son crime commence à parler, et elle lui dit : "Encor toi, Satan !" Cela clarifie l'évidence : "docteur satanique" ne veut pas dire qu'il y a un rôle figé de Satan distribué à Verlaine, il y a Satan, le personnage qu'on fantasme par peur, et puis selon les cas on va traiter de Satan ou de satanique un tel et un tel, il n'y a aucune logique à faire du docteur satanique la désignation du Satan plusieurs fois nommés dans la Saison. Qui plus est, le mot "démon" fonctionne de manière équivalente dans le poème "La Grâce" puisque la femme rejette la voix en priant Dieu et en parlant de Malin, et la voix répond : "Ce n'est pas le démon, ma Reine, c'est moi-même", et on a "c'est un démon" dans le récit de la Vierge folle.
      Dans le poème "La Grâce", la femme a tué son maître avec l'aide de son mari, mais horrifiée par son crime, elle dénonce le complot, et demande à être emprisonnée avec la tête de son mari condamné pour toujours se rappeler son crime. Ironie du sort, c'est précisément le truchement choisi par le démon pour la tenter à nouveau.
      Dans l'idée d'un rapprochement avec le récit "Vierge folle" de la Saison, je rappelle que dans le texte de Rimbaud la Vierge dit : "je ne me le figurais pas avec une autre âme", et puis on a l'idée qu'on ne peut jamais voir que son Ange, jamais celui d'un autre. Or, la tête décapitée du mari Henry dit qu'il a eu la révélation d'autres amours, "des amours d'âmes et de pensées" et que "Enlacées" ces "âmes" "n'ont qu'elles-mêmes pour but". L'enfer serait "que leur amour mourût", mais par essence leur amour "est immortelle !" Comme il ne peut plus la suivre au ciel, il lui demande de se damner. Notez que la femme en l'entendant lâche aussi cet aveu : "et je me souviens des caresses..."
      Un instant tentée, la femme se dirige vers la tête, mais elle a une réaction soudaine, et prie Dieu de la tuer pour échapper au Mal. Son voeu se réalise, elle monte au ciel, et la tête de mort pleure de ses orbites des larmes de plomb !

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