jeudi 1 février 2024

Le sens du livre "Une saison en enfer" : progressons dans la force et la charité !

Je vais proposer une série de mises au point pour permettre une avancée décisive dans la compréhension du livre Une saison en enfer. J'en profite pour émettre un avis critique : je préfère le style de la prose des Illuminations à celle d'Une saison en enfer qui a pour moi de nombreux défauts de manque d'aboutissement, de manque de maturité. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un écrit du plus haut intérêt poétique et intellectuel.
Pour commencer, il faut établir le texte. Je vais citer un extrait de la "Note sur le texte" d'André Guyaux, pages 925 et 926 de son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud, puisque maladroitement dans son essai Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable Alain Bardel vient d'en faire en 2023 le point de départ absolu de la réflexion sur les coquilles. Je citerai ensuite d'autres passages de l'édition de La Pléiade d'André Guyaux, j'évoquerai aussi le texte révisé de l'édition, je citerai quelques passages de 2023 de Bardel, de 1987 de l'édition critique de Pierre Brunel, de l'édition du centenaire Oeuvre-Vie de 1991, et enfin j'ajouterai à cela quelques repérages personnels.
Je commence donc par citer l'extrait suivant (p. 925-926) de la "Note sur le texte" d'André Guyaux :
[...] Certaines particularités de l'impression, le nombre de points de suspension par exemple, témoignent d'une fidélité au manuscrit ou d'une intervention de l'auteur. Rimbaud a-t-il corrigé des épreuves ? [...] Ces particularités ont été respectées.
   Outre les cas habituels de modernisation de l'ancienne orthographe (rhythme, poëte, trait d'union près très), les quelques fautes d'impression de l'édition originale ont été corrigées : "le clef du festin" (p. 245); "Cette inspiration prouve que que" (p. 245) ; "la domesticité même trop loin" corrigé en "mène trop loin" (p. 247) ; "j'ai toujours été race inférieure" (p. 248) corrigé en "de race inférieure" sur le modèle de "Je suis de race inférieure" (p. 249) et de "Je suis de race lointaine" (p. 260) ; "les chansons populaires arrangés" (p. 248) ; "des femmes [...] dont moi, j'aurai pu faire de bonnes camarades", corrigé en "j'aurais" (p. 260) ; "partout le corps" corrigé en "par tout le corps" (p. 260) ; "puisser" corrigé en "puiser" (p. 280).
Il y a ensuite un paragraphe sur l'usage des guillemets, notamment dans "Vierge folle", mais pas des guillemets ouvrants de la prose liminaire. Nous y reviendrons. Guyaux est assez vague quand il mentionne des particularités. Il s'agit si je comprends bien de la typographie, de la taille des caractères, des traits ou étoiles de séparation dans le texte, et bien sûr de la ponctuation. Guyaux prétend que l'imprimeur a été fidèle au manuscrit, mais c'est impossible à vérifier puisque nous n'avons aucune connaissance du manuscrit, à moins de mobiliser les brouillons qui nous sont parvenus. En réalité, là encore, il est question des anciennes règles de ponctuation. De nos jours, on n'écrit pas plusieurs points après la forme abrégée : "etc.", puisqu'il s'agit d'un pléonasme. Rimbaud, comme ses contemporains, ignorait que c'était un pléonasme, il n'y prêtait aucune attention. C'est une norme moderne de limiter le nombre de points de suspension. Les premiers textes imprimés de Belmontet dans la presse toulousaine ont le même caractère chaotique en fait de points de suspension que les manuscrits de 1870 de Rimbaud, et je ne parierais pas comme Guyaux le fait que l'éditeur a compté scrupuleusement des suites de sept, huit, neuf ou six points de suspension, il a respecté cela approximativement, sans plus. Certes, le contraste des nombres de points de suspension permet au poète un léger moyen d'insistance, mais rien là de bien intéressant.
L'établissement du texte au plan des mots et de la grammaire est le plus important. Attaquons cela.
Ce texte affirme une liste de coquilles et les corrections adéquates, et c'est sur cette base que Bardel a établi sa propre annotation pour l'édition fac-similaire.
Guyaux et Bardel ont pour point commun de formuler comme allant de soi la correction de "Après la domesticité même trop loin" en "Après la domesticité mène trop loin", ce qui n'est pas recevable.
Dans son édition fac-similaire, voici la liste des corrections fournies par Bardel :
"la clef" au lieu de "le clef", "prouve que" au lieu de "prouve que que"
Comme Guyaux, Bardel ne signale pas comme coquille les guillemets ouvrants anormaux du début de la prose liminaire : " "Jadis..."
Guyayx n'a pas relevé ce problème dans sa "Note sur le texte", pas même dans le paragraphe conséquent consacré aux guillemets. En revanche, à la page 927, Guyaux écrit ceci en commentaire à la prose liminaire :
[...] un envoi qui s'ouvre sur des guillemets que l'auteur ou l'imprimeur n'a pas refermés et qui donnent à l'œuvre l'impulsion de l'oralité.
Ce qu'écrit Guyaux n'est pas recevable. Personnellement, je ne ressens aucune "impulsion de l'oralité" provoquée par de tels guillemets, strictement aucune. Ensuite, Guyaux met sur le même plan l'initiative d'auteur et l'éventualité d'une coquille de l'imprimeur "l'auteur ou l'imprimeur" pour finir par résorber cela en invention de style "l'impulsion de l'oralité", mais l'imprimeur ne peut pas être admis dans l'alternative. Si l'imprimeur n'a pas refermé les guillemets, il ne s'agit pas d'un effet de style. Surtout, comme Christophe Bataillé l'a montré, les publications juridiques faisaient que beaucoup de plaquettes commençaient pas des guillemets. L'erreur de l'imprimeur n'est pas d'avoir oublié de refermer les guillemets, mais plutôt d'avoir oublié d'enlever les guillemets initiaux d'un travail précédent. Par ailleurs, l'envoi à Satan ne concerne pas toute la prose liminaire, puisqu'il est introduit à la troisième personne : "se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots"... A moins de les placer pour le seul premier alinéa, ces guillemets n'ont rien à faire dans le texte.
Mais reprenons le relevé des coquilles signalées à l'attention dans l'édition fac-similaire de Bardel.
Pour "Mauvais sang", Bardel s'aligne donc sur la pseudo évidence de Guyaux et d'autres : "même" corrigé par "mène". Puis tout comme Guyaux, Bardel considère que "chansons populaires arrangés" doit être corrigé en "chansons populaires arrangées". Nous avons vu dans la citation plus haut que Guyaux ne citait que ce court extrait du texte : "chansons populaires arrangés" qui donnait l'idée d'une faute d'orthographe évidente. En réalité, il faut vérifier si une coordination avec un mot au masculin n'est pas possible dans la phrase. Or, c'est le cas : "les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés". Bardel a tout de même envisagé le problème, il note (p. 114) : "Le masculin pluriel serait grammaticalement acceptable mais, quand on sait l'intérêt de Rimbaud pour les "espèces de romances" ("Alchimie du verbe"), on comprend mieux l'accord avec "chansons populaires"."
Je ne comprends rien au raisonnement de Bardel. En quoi l'intérêt de l'auteur pour les "espèces de romances" justifie-t-il d'accorder plus volontiers "arrangé[ ]" avec les seules "chansons populaires" à l'exclusion des "remèdes" ? C'est incompréhensible. De plus, si le prote n'est pas assez attentif et qu'on lui prête quelques bêtises, il faut tout de même remarquer qu'il aurait ignoré la liaison immédiate et facile "chansons populaires arrangées" pour une forme d'accord plus élaborée : "les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés". Je préfère suspendre mon jugement plutôt que de dire sans enquête qu'il y a ici une coquille. Je m'y pencherai à une autre occasion.
Par inadvertance, Bardel n'a pas reporté la coquille "j'ai toujours été race inférieure" en bas de page, mais il affirme que c'en est une dans l'annotation. Pire encore, Bardel effectue mécaniquement la correction "j'ai toujours été de race inférieure" dès qu'il cite le texte sans spécifier qu'il corrige le texte, comme s'il n'en était pas pleinement conscient. Pour plaider sa correction, Guyaux a donné deux exemples : "Je suis de race inférieure de toute éternité" et "Je suis de race lointaine". Toutefois, je lui oppose le passage de la prose liminaire : "Tu resteras hyène". Je relève d'autres tours elliptiques : "retour des pays chauds" dans "Mauvais sang" au lieu d'une forme avec préposition "de retour des pays chauds". Je relève l'expression : "Ma vie ne fut que folies douces". Je relève aussi : "c'est oracle ce que je dis".
Faisons une liste :

Tu resteras hyène, etc. (prose liminaire ou envoi)
[J]ai toujours été race inférieure. (Mauvais sang, section 2)
Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée. (Mauvais sang, section 2 / Nota bene : phrase que ni Guyaux ni Bardel ne relèvent comme affligée d'une possible coquille. Sans oser dire qu'il y a ici une coquille, voici la note donnée par Pierre Brunel dans l'édition du centenaire "Œuvre-Vie" : "Construction elliptique, dont le sens n'est pas parfaitement clair."

Dans un même paragraphe de toujours la même section 2 de "Mauvais sang", j'observe les trois formes suivantes que, faute de prendre le temps d'une analyse, j'appellerai trois appositions, vu que l'analyse en constituants détachés n'est pas connue de tous : "J'aurais fait, manant, [...]", "Je suis assis, lépreux, [...]", "Plus tard, reître, j'aurais bivaqué [...]"

C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. (Mauvais sang, section 2)

J'observe une vraie concentration pour la seule section 2, ce qui m'invite à être convaincu qu'il n'y a pas la moindre coquille dans "j'ai toujours été race inférieure", alors que je sens qu'il y a un problème de lisibilité évident pour "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée."

Je suis de race inférieure de toute éternité. (Mauvais sang, section 3)
Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. (Mauvais sang, section 3).

J'ai hésité à inclure : "en donnant à mon âme noblesse et liberté" (Mauvais sang, section 3).

En clair, il existe une tendance stylistique qui justifie l'écriture "j'ai toujours été race inférieure" sachant que l'énoncé n'est pas problématique au plan du sens. En revanche, Guyaux, Bardel et d'autres ne considèrent pas comme problématiques les passages "retour des pays chauds" et "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée". J'ai toujours lu ainsi ces deux passages, je suis habitué à trouver fort en gueule le tour "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée", mais pour l'analyse grammaticale je repasserai sans doute, et pour "retour des pays chauds" ça aussi c'est fort en gueule, mais qui à part Rimbaud a pratiqué ce tour. Je crois l'avoir déjà rencontré, mais c'est bien vague dans mon esprit, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas une mode initiée par le texte ainsi imprimé d'Une saison en enfer. Je pense que c'est un fait exprès de la part de Rimbaud, du genre de "c'est oracle, ce que je dis". Pourquoi Guyaux et Bardel corrigent d'évidence : "j'ai toujours été de race inférieure" et ne disent pas un mot de "les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds" ? C'est quoi la hiérarchie grammaticale supposée qui justifie de corriger un passage et non l'autre ?

Guyaux relevait aussi : "je suis de race lointaine" dans "Vierge folle" pour justifier sa correction, mais j'ai cité de nombreux passages elliptiques de la prose liminaire et de "Mauvais sang". On voit bien que l'argument de la coquille ne s'impose pas pour "j'ai toujours été race inférieure", et on sent que les tours elliptiques sont plus particulièrement prégnants dans le cas de "Mauvais sang".
Mais je ne suis même pas au bout de la section "Mauvais sang" et je peux encore ajouter cette suite : "Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, tu es nègre" (Mauvais sang, section 5) et à la section 6 je peux ajouter un passage qui s'articule sur la même conjugaison verbale "avoir été" que l'exemple débattu : "j'ai toujours été race inférieure", puisque nous avons : "La richesse a toujours été bien public." Pas de "un bien public" ou "du bien public" !
Je vais ici introduire une idée à laquelle personne ne pense jamais ! A l'époque de Rimbaud, le livre de Darwin sur l'évolution des espèces est encore tout récent (1859), ses traductions en français j'ignore de quand elles datent. Darwin est cité par Quinet dans des ouvrages récents probablement lus par Rimbaud, mais ce que je veux pointer du doigt, c'est que l'idée que l'homme descende du singe, ou si vous préférer de primates regroupant les hommes et les singes n'est pas un lieu commun à l'époque de Rimbaud. Quand celui-ci se voit des ancêtres gaulois ou scandinaves, il se réclame des marges de l'humanité en termes d'origines, parce que tout simplement il n'y a pas encore une pente naturelle à penser qu'avant d'être homme on a été des sortes de singes, de primates. Quand Rimbaud se réclame des gaulois, il n'est pas dans notre appareil conceptuel actuel où l'homme a été australopithèque auparavant. Et donc pour lui, être gaulois, c'est se définir au plus près possible à son époque de la vie animale. Et du coup je vous ajoute à la liste le "suis-je bête"' de la quatrième section de "Mauvais sang", sachant que sur le brouillon nous avons l'ordre des mots : "je suis bête !"
Rimbaud évoque l'état de bête en étant hors du monde ou au plus bas du monde, réflexion identique chez la Vierge folle dont Bardel et Vaillant prétendent à tort l'opposer complètement à Rimbaud en tant que figuration de la mièvrerie verlainienne. Et dans Alchimie du verbe il y a l'aspiration du fou ancien alchimiste à l'état de chenille ou de taupe, bêtes innocentes selon ses vues en esprit.
Nègre, gaulois, scandinaves sont des états sauvages de l'être humain selon les thèses bien sûr ambiantes à l'époque, et Rimbaud s'en sert pour se sortir du cadre humain et se réclamer de la nature en tant que bêtes refusant la civilisation, le fait de s'habiller, de travailler, etc.
Rimbaud vante l'oisiveté de son corps au début de "Mauvais sang", se comparant à un crapaux.. Lorsque réfugié au royaume des enfants de Cham il est contraint de se convertir, il est aussi contraint de s'habiller, de travailler, et avant cette fuite chez les enfants de Cham , le poète sur la plage armoricaine s'imagine devenir un être de "race forte" par le port d'un masque "retour des pays chauds". Il prétend devenir un de ces "féroces infirmes. Il sera alors à la fois "oisif et brutal", la brutalité rompant quelque peu avec l'absence de recours à son corps pour vivre.
Guyaux rappelle, note 4 au texte "Mauvais sang" page 928, que le passage de "Mauvais sang" section 3 : "Me voici sur la plage armoricaine. Que le villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront[,]" a été cité par Verlaine dans Les Poètes maudits en 1883 avec le commentaire suivant : "Tout cela est très bien et l'homme a tenu parole. L'homme en M. Rimbaud est libre". En effet, très souvent, ce passage est célébré comme une sorte d'anticipation de la vie ultérieure du poète, sauf que c'est Verlaine lui-même qui, à une époque où le texte Une saison en enfer était encore inédit, a mis en place cette liaison biographique anticipatoire qui bien évidemment n'était pas voulue ni consciente de la part de Rimbaud. En réalité, Rimbaud met en scène le colon guerrier et sauvage. Toutefois, il y a des liaisons internes à opérer dans Une saison en enfer même. Quand, le poète dit qu'il sera "mêlé aux affaires politiques" et donc "sauvé", il y a un renvoi évident à des passages antérieurs de "Mauvais sang". La phrase : "je serai oisif et brutal" renvoi à l'idée que le poète à la langue perfide "a vécu partout" en étant "plus oisif que le crapaud". A l'origine, c'est la langue perfide qui a "guidé et sauvegardé" la "paresse" initiale du poète de "Mauvais sang". Puis, bien qu'ayant "vécu partout" au point de connaître la vie de "chaque fils de famille" en esprit, le poète était absent au cours des siècles passés des "conseils du Christ", mais aussi des "conseils des Seigneurs" qualifiés aussitôt de "représentants du Christs". Désormais,  la "race inférieure a tout couvert", la "nation et la science". Le christianisme est une déclaration de la science actuelle comme il est précisé dans "L'Impossible" sauf qu'il y a en place des élus qui ne sont pas des bénisseurs. En étant de retour des pays chauds, le poète pourrait trouver une voie d'accès aux "affaires politiques" et être sauvé. Et on retrouve l'idée de "nouvelle noblesse". La science est la "nouvelle noblesse", mais elle est détenue par des maîtres pourvoyeurs. Le peuple reçoit le train, les rails, les gares et les bateaux à vapeur, des élus. Le colonisateur peut faire partie des maîtres et conquérants. Etre "oisif et brutal" quand on participe de la colonisation, c'est être fort et participer aux "nobles ambitions."
Il est clair que "j'ai toujours été race inférieure de toute éternité" fait à écho à "Tu resteras hyène", "tu es nègre", etc. Il s'agit d'un tour elliptique voulu pour signifier un état rageur de bête sauvage non civilisée et dans le cas de "tu es nègre" le discours se fait démystificateur.
Je me suis éloigné du projet initial de faire la comparaison des listes des coquilles de Guyaux et Bardel.
Pour "Mauvais sang", les listes sont less mêmes toutefois.
En revanche, Bardel relève des coquilles que Guyaux ne mentionnent pas dans sa "Note sur le texte", puisque avec raison Bardel signale l'absence d'accent pour l'interjection "çà", faute de français extrêmement courante, d'autant que peu de gens identifient "çà" comme équivalent de "là" : "Ah çà" doit corriger "Ah ça ! l'horloge de la vie..." dans "Nuit de l'enfer". La faute est tout de même corrigée dans l'édition de Guyaux, il a seulement omis de la signaler à l'attention. Bardel supprimer aussi l'accent sur "eut" dans tel extrait de "Vierge folle" ainsi imprimé : "Jamais homme n'eût pareil voeu". Il est normal de corriger en : "Jamais homme n'eut pareil voeu." La faute est mécaniquement corrigée dans l'édition de La Pléiade. Bardel reprend également toutes les corrections envisagées par Guyaux : "puiser" pour "puisser", "j'aurais pu faire" pour "j'aurai pu faire" et "par tout le corps" pour "partout le corps". Je suis acquis à toutes ces corrections, y compris "par tout le corps", même si à la marge on peut envisager plutôt la lacune d'un mot : "partout sur le corps".
Evidemment, dans sa révision de l'édition des Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud, André Guyaux a corrigé le texte d'Une saison en enfer en remplaçant "outils" par "autels", et Bardel fait écho à cette correction.
De manière tendancieuse, Vaillant et Bardel prétendent tous deux en 2023 qu'il n'est pas certain qu'il soit bien écrit "autels" et non "outils" sur le manuscrit du brouillon correspondant. Toutes les transcriptions des brouillons ont toujours porté le mot "autels", sa lisibilité sur le manuscrit n'a jamais été objet de débat.
Bref, pour l'instant, ce qui pose problème, c'est l'accord "arrangés" ou "arrangées" insuffisamment argumenté par les éditeurs, puis il manque une analyse suivie de "tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée" et éventuellement de "retour des pays chauds". La prétendue coquille "j'ai toujours été race inférieure" n'est pas du tout évidente, les arguments plaident clairement en faveur du maintien du tour elliptique.
L'acceptation des guillemets ouvrants au début de la prose liminaire est un aveu de faiblesse dérisoire des rimbaldiens et l'explication par l'oralité est irrecevable.
Pour rappel historique, une autre coquille était suspectée à propos de l'expression "le coup de la grâce". L'idée de coquille était contestée avec un début de justesse au nom du calembour, mais Michel Murat a montré que l'expression existait telle quelle dans le langage de la religion. Ce qu'on croyait une anomalie venait d'un défaut d'érudition.

Je voulais continuer cet article par un relevé des phrases ou alinéas commençant par "je" pour attirer l'attention sur le style d'écriture d'Une saison en enfer, style très relâché sur certains plans.
Je vais garder cela pour une autre occasion, j'ai un carnet de notes avec des relevés, j'ai mis sur le brouillon des petits paragraphes de commentaires. Je développerai ça une autre fois. J'ai pensé à inclure les brouillons dans les relevés.
Vous verrez ça plus tard. J'ai aussi relevé les mentions "pourtant" dans Une saison en enfer, histoire d'interroger l'emploi du "pourtant" dans la lettre à Delahaye.
Allez, tout ça, ce n'est pas pour aujourd'hui.

Je voudrais signaler à l'attention dans les plus brefs délais certaines autres liaisons.
Tout à l'heure, je mettais en relation les passages de "Mauvais sang" sur l'état oisif de crapaud et l'oisiveté du brutal de retour des pays chauds. Il se trouve que je voulais souligner un couple binaire stylisé de la part de Rimbaud dans : "guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse". Nous avons un couple binaire avec rime finale en "-dé", et cela s'augmente du soutien dans les syllabes précédentes du "g": "guidé", "[...]gardé". J'ai déjà soulevé ce sujet des couples de mots qui riment entre eux dans la Saison : "propreté"/"santé", "l'orgie et la camaraderies", "hargneux et joyeux". Rimbaud emploie une grammaire tellement rudimentaire que certains peuvent passer inaperçus comme précisément un couple de verbe du premier groupe au participe passé. Parmi les plus discrets, j'ai relevé : "protégée et aimée par lui" dans "Vierge folle". Or, ici, l'intérêt rebondit, car le couple "guidé" et "sauvegardé" attire naturellement l'attention sur la partie "sauve" du mot "sauvegardé". Vous voyez tout de suite l'intérêt pour le rapprochement avec le "retour des pays chauds" : "Je serai oisif et brutal [...] je serai mêlé aux affaire politiques. Sauvé[,]" contre "Plus oisif que le crapaud" et "sauvegardé jusqu'ici ma paresse."
Et ce n'est pas tout.
Je cite le paragraphe de la fin de première section de "Mauvais sang" afin de vous montrer un autre rapprochement à partir de lui, mais aussi afin d'en faire le point de départ d'une réflexion élucidant une importante difficulté de lecture :
   Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement, qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille !

Ce que je veux souligner, c'est le passage de paresse à vie. Il est question non pas de sauver la vie, mais de sauver la paresse, et dans la suite de l'alinéa, nous avons deux mentions de mots de la famille lexicale du mot "vie" : "vivre" et une forme conjugué de vivre : "vécu". La première mention est prise dans une sorte de je dirais définition de la paresse : "sans me servir pour vivre même de mon corps". Notez que si on songe au couple âme et corps, le poète est en train de nous dire que minimalement on a besoin du corps pour vivre. L'âme peut végéter, mais pas le corps. Malgré cette paresse qui a exclu le recours au corps, le poète dit avoir "vécu partout" et connaître chaque fils de famille.
On pourrait se dire que ce n'est pas le poète qui parle, mais le principe du mauvais sang, sauf que c'est immédiatement contredit. Le poète dit bien que lui aussi a une famille : "comme la mienne". Le poète est clairement un fils de famille parmi d'autres. Il peut connaître du coup chaque fils de famille par comparaison, mais c'est un peu court. En réalité, c'est la perfidie du mensonge qui donne accès à cette connaissance. Selon quelles modalités ?
Eh bien pour moi, contrairement à ce que soutiennent désormais les rimbaldiens à travers les ouvrages de 2023 de Vaillant et Bardel, qui sont des autorités officielles de la revue Parade sauvage, dans "Vierge folle", la vierge folle offre un nombre considérable de points communs avec le poète époux infernal de mauvais sang et elle donne toutes les clefs pour interpréter le pouvoir magique que se prête l'époux infernal, elle met à nu ce que l'autre voudrait nous taire.
Il y a une relecture complète à faire de "Vierge folle", j'ai mon carnet de notes, je vais m'y atteler.
Je ne vais pas le faire maintenant, ça va arriver dans les prochains jours.
Mais, dans le rapprochement que j'effectue entre le crapaud oisif qui connaît chaque fils de famille, le poète absent des conseils des Seigneurs, représentants du Christ et le poète ivre qui veut quitter l'Europe dans l'espoir de revenir avec un masque qui le mêlera à la politique, je relève deux autres points majeurs. D'abord, il aura le masque d'une race forte tout en étant de race inférieure. Il y a donc l'idée d'une imposture des élus, et l'idée, provisoirement assumée dans la section 3 de "Mauvais sang" que la force consiste à faire partir des élus de la nouvelle noblesse, et cette d'un être de race inférieure paraissant de race forte en étant mêlé aux affaires politiques annonce clairement la série de dénonciations : "tu es nègre" deux sections plus loin, et le discours sur les "faux élus" dans "L'Impossible".
J'ai toute une étude à faire des relevés des mentions "force" et "faiblesse" ou de leurs parents lexicaux : "forçat". J'ai des idées très précises à formuler, on verra ça bientôt, j'ai aussi des idées précises sur "connais-je la nature" et sur "le travail fleuri de la campagne". J'ai pas mal de choses à dire sur l'horloge, l'enfer et la nuit dans la section "Nuit de l'enfer", ça va arriver aussi prochainement. J'ai une idée sur "raison" contre "chant raisonnable", et puis entre autres détails j'ai aussi un début d'organisation des idées à exprimer au sujet du rapport entre charité et mort. La mise en relation de la mort et de la charité ne concerne pas qu'un alinéa de la prose liminaire et un alinéa de la fin de "Adieu", il y a d'autres éléments à relever. Et puis, en ce qui concerne l'idée de "charité ensorcelée", il y a tout un développement précis de la "Vierge folle" qui doit être bien digéré en tant que tel. Il y a tout une mise en place d'une charité pratiquée par l'Epoux infernal qui donne accès à un paradis de tristesse au ciel sombre avec la dérision d'une frivolité des propos tenus : Le "Je te comprends" de la Vierge folle ou la promesse par l'Epoux infernal de ne pas abandonner la Vierge folle.
Il faut bien poser les choses, et on va s'y atteler.
A bientôt !

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