lundi 5 février 2024

Une saison en enfer : le chemin parcouru

Je n'arrive pas à trouver le site officiel des Amis de Rimbaud sur internet pour envoyer un article en vue du prochain numéro de la revue Rimbaud vivant. Du moins, je tombe sur des sites anciens qui ne m'ont pas l'air de correspondre à des sites à jours actuels. Je n'arrive même pas à trouver un écho d'une publication d'un numéro de la revue à la fin de l'année 2023. Le dernier numéro date de la fin de l'année 2022. Il me faudra peut-être publier dans une revue non rimbaldienne. Ce n'est pas évident. Certaines revues publient essentiellement en fonction de thèmes, donc il faudrait sélectionner une revue qui prévoit de traiter un sujet compatible avec un article, ou alors il faut carrément essayer de publier dans une revue où les articles sont automatiquement libres et divers de la part des auteurs, mais je me demande à quel point ça se passe par cooptation.
Je vais essayer de faire une synthèse de ce que j'ai à dire sur Une saison en enfer. J'ai déjà eu une influence importante ces quinze dernières années. Par mes discussions privées avec des rimbaldiens, par mes interventions sur le net, par mes articles, j'ai eu une influence décisive sur des points précis de la prose liminaire. C'est grâce à moi qu'on cesse petit à petit de rapporter la Beauté de la prose liminaire à deux poèmes de Baudelaire, d'ailleurs opposables entre eux : le sonnet "La Beauté" et "Hymne à la beauté". C'est aussi grâce à moi que cesse une volonté de dire que la métaphore du "festin" ne renvoie pas au christianisme. Pourtant, c'est une bataille qui est rendue très rude. Michel Murat soulignait que la métaphore du "festin" est plus volontiers d'origine romaine antique que chrétienne, et il faut penser au poète Gilbert, etc. La mise en avant très forte de passages des poésies de Vigny avec Homère mettant la Muse sur ses genoux servait aussi à affirmer qu'il était question de la beauté des poètes et non de religion dans Une saison en enfer. Je ne comprenais pas comment un texte aussi saturé de renvois à la religion pouvait être réinterprété de la sorte, mais j'ai dû me battre en mode souterrain. Si aujourd'hui Vaillant, Bardel et d'autres soutiennent clairement qu'il est question de religion au début de la prose liminaire, c'est grâce à mon travail méconnu de sape, mais travail attesté par des sources écrites.
C'est moi qui ai le premier sifflé la fin de la récré en soulignant la cohérence interne des éléments mis en place dans la prose liminaire. C'est moi qui ai dit qu'il n'était pas possible que la Beauté soit baudelairienne et le festin païen, à partir du moment où la Beauté va de pair avec la justice, à partir du moment où son rejet amer s'accompagne d'un combat contre les vertus théologales que sont l'espérance et la charité, combat mené du côté des péchés capitaux mentionnés dans la prose liminaire et détaillés partiellement au début de "Mauvais sang". Et c'est grâce à moi aussi qu'il a été mis un terme à l'idée que la charité dont il était question était une notion laïque personnelle à Rimbaud, selon les vues de Jean-Luc Steinmetz puis de Jean Molino, alors que c'était une claire mention de la vertu théologale. Je me suis adressé directement à Bardel sur ce sujet. Je rappelle qu'il y a eu par le passé des échanges sur le forum public "mag4.net", je rappelle aussi qu'il y a eu un forum public "poetes.com" où certaines de mes antériorités pourraient remonter, par exemple l'intertexte de Leconte de Lisle dans "Soir historique", c'est là qu'il a été publié pour la première fois bien avant la publication de l'article de Claisse, dont je répète que c'est moi qui lui ai fourni, même s'il ne m'a pas cité. J'ai écrit des articles sur Une saison en enfer dans deux des principaux volumes collectifs admis de référence sur Une saison en enfer. Grâce à cela, j'ai gagné la bataille qui permet d'affirmer qu'il est question de la charité comme vertu théologale dans Une saison en enfer. Quant au problème de la charité particulière à l'Epoux infernal, vous voyez que j'ai fourni récemment des éléments de réponse, j'ai montré que la Vierge folle décrivait avec une relative lucidité une charité dysfonctionnelle où on observait certaines inversions : paradis de tristesse et non paradis de l'oubli de tout le malheur (je cite bien sûr un autre passage de la Saison), frivolité de la relation et cela des deux côtés (Vierge folle frivole à dire "je te comprends", promesse tout aussi frivole de l'Epoux infernal de ne pas l'abandonner). Sur le rapport de la charité à la mort, j'ai fait depuis longtemps le lien avec "Les Soeurs de charité", j'ai mis en avant que l'acceptation de la mort pour ceux qui pratiquent la charité c'est aussi une notion chrétienne, puisque le chrétien a confiance dans la vie éternelle, et j'ai mis en avant des citations où la mort va de pair avec la charité. J'ai des nouvelles mises au point qui se préparent.
Sur la prose liminaire, je l'ai déjà souvent répété, mais j'ai fait une mise au point imparable sur l'intervention de Satan dans la prose liminaire.
J'ai montré que le rejet de la charité comme clef était immédiat avec la phrase : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Beaucoup de lecteurs partageaient cette lecture, mais on voit que beaucoup d'autres non et que cela continue en 2023 avec une édition en Poésie Gallimard. J'ai montré que les rimbaldiens n'arrivaient pas à comprendre que Satan ne reprochait pas la prétention d'avoir rêvé, mais reprochait le refus de la mort, du "dernier couac", et j'ai dégagé le jeu de mots par inversion : "perds la vie" dans "Gagne la mort", j'ai expliqué que c'était ça tout naturellement le pouvoir d'illusion des "aimables pavots". J'ai opposé les illusions des pavots au rêve chrétien du festin ancien.
Bardel, Vaillant, les éditeurs de la Saison en Poésie Gallimard en 2023 n'ont pas encore compris tout ça, donc je dois impérativement faire un article, mais bon vous l'avez compris la victoire interprétative est mienne. Ils sont incapables de gérer leurs contradictions face à l'assaut de mes démentis clairs et nets.
Et, bien sûr, j'ai souligné que le "festin" n'a jamais existé et qu'il n'est même pas un souvenir de l'enfance. Il va de soi que le "festin" n'est pas une image de l'enfance heureuse.
J'ai souligné une idée très forte qui malheureusement est passée inaperçue dans mes articles de 2009 et 2010, c'est que le statut de souvenir vient d'une éducation culturelle par les livres et par la religion qui transcende les expériences individuelles pour donner une image d'origine chrétienne de la société des hommes, cette idée décidément subtile, puisque les rimbaldiens n'ont pas l'intelligence de s'en saisir, alors que je la croyais très accessible, cette idée donc intéresse la lecture du rejet du festin comme faux souvenir et l'idée d'un poète qui n'arrive pas à se projeter dans le passé au-delà de cette terre-ci et du christianisme.
J'ai apporté à l'établissement du texte, en débusquant la coquille "outils" pour la bonne lecture "autels". J'ai apporté de redoutables arguments pour justifier la lecture elliptique : "j'ai toujours été race inférieure" : "Tu resteras hyène", "tu es nègre", "c'est oracle", "La richesse a toujours été bien public", etc., alors qu'elle était en cours d'abandon. Je souligne l'anomalie de la correction : "Après, la domesticité même trop loin" avec le verbe "mène". J'ai souligné grâce au brouillon que la phrase : "je sais aujourd'hui saluer la beauté", signifie que le poète sait saluer la beauté avec dédain, sans s'étouffer de rage passionnelle, et non que le poète sait désormais apprécier le prix des peintures et poésies modernes. C'est moi qui ai montré que la fin du brouillon correspondant était un teste de formulations concurrentes pour faire une clausule et non des propos enchaînés.
C'est moi qui ai souligné qu'il était absurde de chercher à expliquer le "vice" de "Mauvais sang" par la biographie, alors qu'il est clair que "vice" renvoie aux implications du titre lui-même "Mauvais sang", vérité de bon sens que continuent d'ignorer superbement les rimbaldiens.
C'est moi qui aujourd'hui invitent les rimbaldiens à ne pas oublier qu'en 1987 Pierre Brunel soulignaient de manière intéressante la possible lecture par Rimbaud de livres de Proudhon. Je viens de souligner l'importance des livres de Quinet, où j'ai repéré le concept de "cervelle étroite", mais appliqué aux germains, le concept aussi de femmes qui ne sont plus d'accord avec nous, etc., avec désir de "position assurée". J'ai expliqué le lien de "l'enfer des femmes" avec "l'enfer de la caresse" et les caresses des hommes parasites. J'ai sublimement rapproché "Il faut être absolument moderne" de la phrase de "Ville" où j'ai sublimement souligné la valeur définitionnelle du verbe "croire" : "crue moderne", et j'ai déroulé le fil. J'ai fait un rapprochement de folie avec la phrase de "Mauvais" sur la science avec le viatique pour l'âme et le corps.
Depuis des années, je signale qu'il est aberrant de vouloir faire passer pour moniste une formulation dualiste. Depuis des années, j'indique que "la vérité dans une âme et un corps", c'est un peu comme l'esprit sain dans un corps sain". Il va de soi que les deux vont de pair à cette aune. La vérité est une harmonie pour le corps et l'esprit, mais tout récemment j'ai ébranlé le monde des rimbaldiens qui ne va plus savoir où se mettre, puisque la phrase finale en italique qui bien sûr renvoie au mystère de l'eucharistie n'est pas une phrase que Rimbaud reprend tout à fait à son compte, c'est bien une citation chrétienne, et la subtilité en contexte c'est de la tourner contre la société chrétienne mensongère. C'est l'attaque finale par le rire et le dernier sursaut étonnant d'arrogance du livre Une saison en enfer.
J'ai commencé à expliquer le début de "Alchimie du verbe" avec un bon sens qui a jusqu'à présent manqué aux rimbaldiens. Il va de soi que les bonnes idées des poètes ne viennent pas des actes poétiques. Il y a un jeu intellectuel à se dire "voyant", à attribuer à la poésie un pouvoir visionnaire. Quand Hugo, Rimbaud, Ronsard, etc., parlent du monde de manière brillante, ils doivent cela à des lectures et à des réflexions, mais pas au travail de mise en forme poétique. C'est du pur bon sens, on le savait dès le départ. Pourquoi on a joué à faire comme si... ? Il est évident que "je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne", c'est un grossissement caricatural qu'il y a derrière, mais j'ai quand même souligné que Rimbaud a réellement travaillé sur l'étrangeté des effets immédiats de la poésie, il a cherché à tâtons ce que ça pouvait bien être. "Voyelles" est une expérience en ce sens, puisque le fait de juxtaposer les éléments au lieu de les organiser en phrases qui dégagent les lignes de compréhension c'est assumer de s'en remettre aux pouvoirs de suggestion de l'élaboration poétique. Les poèmes de 1872, pour lesquels Verlaine parle d'exprès trop-simple, de fausse naïveté, sont bien évidemment eux aussi des expériences de poésie limite. Cela ne fait aucun doute.
A propos de "Vierge folle", j'ai montré qu'il n'y avait aucune parodie du style de Verlaine, puisque le style de la "Vierge folle" est identique à celui déployé dans "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer", etc. J'ai montré que le sujet n'est pas du tout l'homosexualité, sujet trivial en soi, il est bien question d'un changement général de la société avec une idée du problème d'asservissement des femmes. Verlaine a surtout servi de prétexte à élaborer une image du féminin. J'ai montré que la Vierge folle face à l'Epoux infernal était un peu comme l'enfant par rapport au forçat intraitable. J'ai montré que les propos de la Vierge folle mettaient en place un discours très important sur l'illusion que se faisait l'Epoux infernal à propos de ses pouvoirs, et qu'elle pointait du doigt l'énorme problème d'une volonté de fuir la réalité en dressant un barrage d'illusions par l'esprit.
J'ai montré que l'enfance est vue aussi comme le moment où l'imagination est prétexte à des frustrations, promesses, convictions imaginaires.
J'ai souligné aussi la nature fictionnelle de la datation "avril-août, 1873", et en ce moment j'essaie de préciser l'évocation de La Dame aux camélias en ciblant un débat d'époque sur l'inégalité de traitement entre hommes et femmes qui fait que la société pardonne volontiers à l'homme cocufié de tuer sa femme, débat de pleine actualité en 1872.
D'autres idées importantes se mettent en place petit à petit. On a l'idée du travail qui est à raccorder étroitement aux notions de Beauté, justice, charité et festin, et l'opposition de la nature avec le "travail fleuri de la campane", ce qui va de pair avec la phrase : "la nature pourrait s'ennuyer peut-être"! Et il y a cette idée forte que je souligne que le trésor confié à la misère et à la haine, c'est la vie du poète lui-même parce que l'amertume ressentie face à la Beauté vient d'une conception de la vie comme trop immense pour être encadrée par la Beauté, la justice et le festin. Le fait de voir la mer comme consolatrice est liée à cette idée d'immensité de soi, le désir d'avoir plusieurs autres vies est aussi lié au sentiment d'immensité de son propre être.
Tout ça se met en place et on arrive à une lecture d'Une saison en enfer qui est très loin des incertitudes nombreuses que partagent et entretiennent les rimbaldiens.
Et je ne vous parle pas encore de la dialectique force et faiblesse.
Bref, là, en quelques mois, on vit une révolution profonde dans la compréhension à se faire du livre Une saison en enfer.
Dans les siècles à venir, on lire Une saison en enfer comme une oeuvre majeure de l'histoire de la Littérature, moins belle que certains poèmes en vers du même auteur, moins belle que les poèmes en prose des Illuminations, mais désormais son sens sera compris et ce qui va être relayé c'est le discours que je tiens sur ce blog et qui n'a qu'un statut résiduel de parole confidentielle dans le monde des rimbaldiens. Evidemment, je suis lu par quelques-uns des pontes. Donc, après l'Album zutique, voilà j'ai éclairé la lecture d'Une saison en enfer d'une manière décisive qui ne sera plus à faire. On peut me voler mes idées, mais en termes de vécu tout le plaisir de la recherche a été pour moi encore une fois !
Et voui !

2 commentaires:

  1. Je vais être obligé de rédiger un article d'intellectuel historien sur les livres de Dumas fils susceptibles d'être mis en relation avec les écrits de Verlaine et Une saison en enfer. Je ne vois que ça, c'est un cauchemar pour traiter de telles données, au demeurant intéressantes.
    J'ai relevé plusieurs "essais" en prose, la plaquette des Madeleines repenties de 35 pages. J'ai des informations problématiques sur la Lettre des choses du jour, il y en aurait une de 1870, mais beaucoup plus logiquement j'en trouve une de juin 1871, après la nouvelle lettre je ne sais pas encore si celle de Junius ou non. J'ai trouvé aussi une réponse en 1872 de Tony-Révillon, un proche de Clémenceau, à la lettre de Dumas fils de juin 71. La revue La Renaissance littéraire et artistique avec l'article de Pelletan, je possède un volume relié cartonné, j'y accède quand je veux.
    J'ai L'Homme-Femme, j'ai La Question de la Femme. D'ailleurs, je comprends la critique très violente de Zola récoltée sur Wikipède : Dumas était au départ un promoteur d'un certain naturalisme, puis il s'est pris de prétentions philosophes, et ça l'a détraqué. Ah oui, à partir de 1872, il est taré puissance dix mille. Sa façon de parler et de réfléchir, c'est perché. Je préfère de loin les Madeleines repenties. Il passe un cap assez déconcertant.
    J'ai le roman et l'adaptation théâtrale pour La Dame aux camélias, je vais m'attaquer à ses pièces de théâtre.
    Je vous citerai bien évidemment la correspondance de Verlaine.
    Je sens que j'ai un travail de titan.
    Déjà que j'en ai un de fou aussi avec les Odes d'Horace. Au fait, il y a un poème des Odes d'Horace qui s'appelle Palinodie, et justement les rimbaldiens disent souvent que "Alchimie du verbe" est une palinodie. Et moi, comme je suis paresseux, je n'essaie pas de comprendre ce qui me paraît douteux, mais là j'ai un angle d'approche, je vais essayer de voir ça.
    J'ai encore un énorme travail à abattre.

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    1. Ah oui, je voulais souligner le rapprochement suivi :"je voyais avec son idée le travail fleuri de la campagne" et "La vie fleurit par le travail". Je ne sais pas si ce rapprochement a déjà été fait, je dois passer du temps à le vérifier.
      Ce parallèle va de pair avec celui-ci: "connais-je encore la nature" et "je connais le travail". Les symétries de formulation sont frappantes dans Une saison en enfer, mais les rimbaldiens n'en font pas le constat d'une grammaire du rapprochement poétique.

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