lundi 1 janvier 2024

Compte rendu de l'article "A l'épreuve du temps" de Christophe Bataillé paru dans le collectif de 2014 "Enigmes d'Une saison en enfer"

                         Avant-propos

Dans l'article précédent, j'ai cité la prose liminaire en intégralité avec des soulignements divers et différentes couleurs. Je n'ai pas les moyens de ne citer qu'une seule fois le texte et puis de permettre de cliquer pour choisir tel type de soulignement en fonction de telle problématique. Je vais donc étudier le procédé au cas par cas. Je vais citer plusieurs fois la prose liminaire avec des soulignements différents, et puis je ferai à chaque fois les commentaires. Et je ferai ça partie par partie d'Une saison en enfer. Ceci est une étude expérimentale sur les possibilités d'avenir des sites internet d'analyse littéraire à l'intention du grand public.
Ici, je vais étudier l'aspect commentaire linéaire de la prose liminaire à partir d'un seul article de critique littéraire. L'idéal serait de cliquer sur des mots du texte et d'être renvoyé à des annotations, puis de revenir au texte. Cela remplacerait le principe des notes de bas de pages dans un livre. Sur le site d'Alain Bardel, la consultation des notes est liée à un défilement encore imparfait à mon sens, comme ce l'est sur Wikipédia, puisqu'on est transportés sur les notes sans retour spontané. Il faudrait améliorer le principe. Evidemment, mon blog est encore plus imparfait. ici, il ne se passe rien, mais j'étudie quand même ce que je peux utiliser comme procédé économique de liaison. Voilà, ne vous étonnez, je fais mes petites expériences.
Par ailleurs, l'avant-dernier article vous livrait le compte rendu rapide d'un ouvrage collectif et je vous ai annoncé que j'allais rendre compte de ces différents articles. Je vais vous citer le sommaire d'un autre volume collectif consacré à la Saison, ne rendre compte que d'un seul article, mais dans les jours qui suivent les comptes rendus d'articles vont s'enchaîner.

**


En 2010, j'avais publié un article intitulé "Trouver son sens à Une saison en enfer", titre souligné par Frémy dans l'introduction de l'ouvrage collectif qu'il dirigeait Résistances d'Une saison en enfer, et en 2014 il propose un nouvel ouvrage collectif auquel je n'ai pas été convié, mais qui porte le titre "Enigmes d'Une saison en enfer".
Je vous précise le sommaire de ce numéro spécial Rimbaud de la Revue des Sciences Humaines (RSH). Nous avons d'abord une introduction par Frémy : "Rimbaud énigmatiques", puis nous avons un découpage en sous-parties avec à chaque fois deux articles, sinon trois pour la dernière section :

Formules mystérieuses :

Alain Vaillant, " 'posséder la vérité dans une âme et un corps' : la morale énigmatique d'Une saison en enfer".
Antoine Fongaro, "L'anneau mystérieux de Nuit de l'enfer".

Vers une énigmatique poétique :

Georges Kliebenstein : "Rimbaud et la 'pansémie' "
Samia Kassab-Charfi : "Chambres d'échos : la 'parade sauvage' des mots ou l'étrange ramage d'Une saison en enfer"

Résistances et créations :

Yann Frémy, "Du déjà-vu et du déjà-dit dans Nuit de l'enfer".
Nicole V. Asquith, "Le poète farceur et le drame infernal dans Une saison en enfer".

Le temps d'exister :

Christophe Bataillé, "A l'épreuve du temps".
Seth Whidden, "Subjectivité et temporalité au début de Délires II. Alchimie du verbe".

Le défi de la lecture :

Jean-Luc Steinmetz, "Pour (in)expliquer L'Impossible".
Steve Murphy, "Une saison en enfer pour (et contre) le lecteur".
Pierre Brunel, "Le temps d'un éclair".

Il va de soi que je préfère "trouver son sens" à Une saison en enfer plutôt que d'en consacrer le caractère énigmatique. Les deux premiers articles sont tout de même des tentatives d'élucidation de "formules mystérieuses" et nous avons une partie sur le "temps" qui semble hors-sujet. En revanche, nous retrouvons des titres propres aux préoccupations du directeur de la publication, Yann Frémy : une sous-partie intitulée "Résistances et créations" qui reprend le titre "Résistances" du volume collectif antérieur où j'ai placé mon article "Trouver son sens à Une saison en enfer", et on voit le lien qu'entretient le mot "Résistances" avec un article sur les "Enigmes". Les articles de Kliebenstein et Kassab-Charfi sont indexés à une thématique propre à Frémy avec ce sous-titre : "Vers une énergétique poétique", et vous avez vu dans mon avant-dernier chapitre que j'avais révélé la source de ce thème dans un extrait de Willima Blake cité par Pierre Brunel en 1987 et que vous savez que je considère tous ces développements sur Rimbaud poète de l'énergie comme du charabia. La dernière sous-partie "Le défi de la lecture" revient fort heureusement sur la nécessaire élucidation du sens.
Je reveindrai dans une étude à part sur les articles d'Alain Vaillant antérieurs à la publication de son livre de 2023. Notez que dans un commentaire à mon avant-dernier article, j'ai signalé à l'attention qu'un paragraphe sur le "poison" était inspiré d'un passage d'un article paru en 2009. Donc ces articles de volumes collectifs sont bien plus importants que ce que laisse croire des bibliographies se contentant de mentionner des livres conduits par un seul auteur.
Aujourd'hui, je vais rendre compte de l'article de Bataillé. Il s'intitule "A l'épreuve du temps". Sa délimitation critique n'est pas très claire, mais il porte essentiellement sur la prose liminaire, et se rapproche même fortement d'un commentaire de la prose liminaire.
Il s'agit d'une énième étude de la prose liminaire contre laquelle je dois me battre. Il s'agit de l'une des études de la prose liminaire les meilleures et les plus fouillées, on est dans le sommet du panier, mais il reste pour moi des contresens évidents à contester. Je me rends que cet article si bien écrit a permis à Bardel, Vaillant et d'autres de croire une autre lecture possible que celle que j'ai mise au point en 2004-2005 et 2009-2010. Je prévois un jour d'exhiber en le citant in extenso le texte de la "prose liminaire", puis de faire un système de reports phrase par par phrase, ou alinéa par alinéa, ou passage par passage, à une confrontation de toutes les hypothèses critiques qui ont été lancées, et je ferai inévitablement un arbitrage systématiquement en faveur de ma lecture que je considère comme décisive et rendant seule compte de ce qu'a écrit Rimbaud. Excusez les espacements entre aliénas, j'ai un problème de copier-coller de fichier Word à fenêtre de blog. Et sur le fichier Word, je n'ai pas une ligne noire après le titre en rouge, mais une ligne de traits ondulés que j'ai créée avec le tilde sur la touche "2é" du clavier. Je laisse les parties bleues pour vous intriguer et vous inviter à vous reporter à mon article précédent.

A. Rimbaud

 

une

 

SAISON EN ENFER

 

 

*****

« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié !

Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit toute l’espérance humaine. Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce.

J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.

Or, tout dernièrement, m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j’ai songé à rechercher le clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que que j’ai rêvé !

« Tu resteras hyène, etc, » se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. « Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »

Ah ! j’en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

 

__

L'article de Bataillé fait onze pages et demi (pages 133-144) et sa phrase d'ouverture est assez déconcertante de brusquerie : "Nous procéderons tout d'abord à la lecture de la prose inaugurale d'Une saison en enfer à partir de sa structure temporelle. Précisons d'emblée [...]" Difficile de se faire une idée ce que nous allons lire, alors que, loin des accroches habituelles, nous avons directement l'avis : "Commençons à travailler sans plus tarder !"
Bataillé propose une approche méthodique avec une systémisation des moyens typiques des travaux universitaires : on va étudier les différents temps verbaux employés, on va supposer l'intérêt d'un arrière-plan de mentions absentes (éternité, etc.) et on va relever les mentions temporelles du genre "Jadis" et "Un soir" et les commenter par le menu. Il n'y a pas d'objectif annoncé, pas de perspective esquissée, on est en plein dans la lecture linéaire, mais c'est fait sérieusement en effet.
Il n'est pas relevé que le mot "Jadis" a été repris par Verlaine en titre de recueil pour Jadis et naguère. Le titre de Verlaine vient après, donc il n'est pas supposé nous dire quelque chose sur le livre de Rimbaud. Bataillé commente, en revanche, l'étymologie du mot "Jadis" : "il y a des jours", et pour "Un soir", il fait de l'analyse serrée pour dire que l'important n'est pas la date, mais le fait que la rupture ait lieu dans un contexte de soir. Je dirais que "soir" et "printemps" sont plutôt des mentions symboliques. Le "soir" est crépusculaire et correspond à la chute du jour, ce qui convient à l'idée de nuit infernale, puisque titre "Nuit de l'enfer" il y a. Il est question d'une dénonciation de l'occident dans "L'Impossible", sachant que "occident" signifie chute du jour et donc soir. Pour moi, je suis plutôt dans l'idée d'une lecture symbolique assez simple. "Matin", c'est la lumière du jour de la sortie de la nuit en enfer, et l'éclair c'est une lumière qui jaillit dans la "Nuit de l'enfer", mais comme le dit Batillé dans une note de bas de page une lumière qui se produit dans le cadre infernal. Et j'ajouterais qu'il se pose la question d'accorder ou non à cet éclair le fait d'être ou non une lumière qui trouve sa source en-dehors de l'enfer.
Mais je ne vais pas noyer l'analyse de Bataillé sous mes commentaires du texte de Rimbaud. Je vais maintenant citer des extraits de l'analyse de Bataillé, reporter ça aux passages concernés de la prose liminaire et puis j'émettrai mes remarques critiques.

   Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Bataillé, page 133-134 :
[...] La difficulté du narrateur à se souvenir de cette "époque immémoriale", "si je me souviens bien", rend peut-être compte d'une faille mémorielle due à ce que ce souvenir le renvoie à sa prime enfance, mémoire logiquement lacunaire pour un locuteur au seuil de l'âge adulte comme nous l'apprend L'Eclair, "Allez mes vingt ans".
Ducoffre, premier janvier 2024 :

- Je ne suis pas d'accord, moi je conteste tout. Et arrêtez de me grimer en chimpanzé pas content ! Certes, nous sommes habitués, gens d'aujourd'hui (car à l'époque de Rimbaud, je ne sais pas si c'était déjà un sujet de conversation), à considérer qu'on n'a pas de souvenir d'avant ses trois ans, mais on a toujours quelqu'un pour dire que lui si il a un souvenir avant, parce que l'événement était traumatique, genre un incendie, puis il y a celui qui a une incertitude sur un souvenir de deux ans et demi, il ne sait pas si c'est un faux souvenir, si c'est un souvenir plus tardif, et patati patata. Mais, ce n'est pas de ça qu'il est question dans le texte de Rimbaud, parce que jusqu'à plus ample informé personne ne voit sa vie d'enfance avant trois ans comme un festin. Et on ne fait pas boire de vin à un enfant avant ses trois ans, ni même au-delà. Je sais bien que la section "Matin" commence par un souvenir incertaine sur l'enfance : "N'eus-je pas, une fois une jeunesse aimable [...]". Mais ici, il est question d'un festin qui n'a rien à voir avec l'enfance. Quant à l'expression "allez mes vingt ans", sachant que Bataillé précise en note de bas de page, que la majorité est à 21 ans, il faudra tout de même jour prouver que l'expression veut dire "aller sur ses vingt ans" et qu'il est question d'atteindre la majorité dans le texte de Rimbaud. Pourquoi Rimbaud n'aurait-il pas écrit : tenir vingt ans à travailler. Certes, ça ne renvoie à rien d'exact. Les gens ne partent pas à la retraite après seulement vingt ans de travail, mais j'ai quand même l'impression que, grammaticalement, "aller mes vingt ans", ça veut dire "tenir vingt ans".
Mais, bref, moi ma solution est simple, le souvenir est un faux-souvenir, il est culturel, et une contradiction interne au raisonnement de Bataillé qui va apparaître dans la citation suivante va me permettre de confirmer ma thèse de lecture (de confirmer que j'ai raison, mais le "moi est haïssable" comme dit Blaise Pascal, et il faut laisser mon lecteur se faire son avis, sauf que quand on n'affirme pas les choses ça donne toute latitude aux autres de considérer que vous n'êtes pas sûr et que donc ce n'est à jamais qu'une hypothèse, tel est le jeu biaisés des universitaires). Oui, quand tous les rimbaldiens seront remplacés, il n'y aura plus d'intérêt à jouer là-dessus, mais moi je m'intéresse au présent, je suis pressé.

Bataillé (page 134, suite immédiate) :
Outre l'évocation paradisiaque de cette époque dans laquelle règnent l'abondance et la profusion à l'image du "festin", [...] les commentateurs ont noté combien l'aspect sécant de l'imparfait en suscitant le sentiment de la durée dans le passé rend parfaitement compte d'un état de constance bienheureuse faisant justement penser à une intemporalité paradisiaque dans laquelle les jours coulent paisiblement à l'image des "vins". [...] [C]hez certains romantiques allemands, le paradis perdu de l'enfance - l'enfance édénique - pouvait être assimilé à un âge d'or dans lequel régnait l' "harmonie universelle".
Pour le paradis d'harmonie universelle de l'enfance perdue, une note de bas de page renvoie au livre de Margaret Davies, bref renvoie à ce qui n'est pas le meilleur qu'elle ait produit.

Ducoffre, premier janvier 2024 :
- Je ne suis pas d'accord, et je conteste tout ! Si l'évocation est paradisiaque, c'est que le festin est une sorte de réalité spirituelle prénatale du genre humain. Et puis, il y a une liaison indue. Les romantiques, c'est eux, et Rimbaud, c'est "Lui" (comme dirait Verlaine) ! Surtout, Rimbaud ne parle pas de l'enfance dans ce premier alinéa. Il parle d'un souvenir incertain. Bataillé identifie comme d'autres le caractère paradisiaque de la scène décrite, mais il l'annexe de force dans une vision paradisiaque de l'enfance et se sert des romantiques allemands comme caution d'autorité. Le biais est sans doute inconscient de la part de Bataillé, mais objectivement dans le paradis perdu de l'enfance la comparaison ne tient que parce qu'il est question de "paradis". C'est l'idée d'un paradis originel qui a du sens pour commenter le premier alinéa. Le thème de l'enfance au sens de la réalité physiologique humaine n'a pas sa place dans le commentaire. Et si Bataillé l'avait écarté, il aurait fait une bien meilleure lecture du premier alinéa, puisqu'il va continuer à souligner ce motif d'un paradis dont le poète a chuté.
Bataillé (page 134-135) :
[...] la Beauté c'est le bien et la laideur le mal. De fait, ce qu'il advient ce fameux "soir", c'est la chute dans le mal de l'écrivain par ce rejet de la "Beauté". "[T]âchez de raconter ma chute et mon sommeil" lancera comme un défi au lecteur le locuteur de la Saison dans Matin, formulation qui confirme la dimension paradisiaque de l'évocation inaugurale de "Jadis" étant donné l'emploi du substantif chute. Cette chute marque d'ailleurs [...] l'abandon du récit à l'imparfait pour le passé composé et le passé simple [...] Elle s'accompagne [...] d'une prise de conscience par l'adulte de sa "sale éducation d'enfance" (L'Eclair), une véritable rébellion même contre les valeur prétendument positives de la religion chrétienne ("justice", "espérance humaine", "joie") au profit d'erreurs infernales [...].
Ducoffre, premier janvier 2024 :

- Je suis ému, ça me donne envie de chanter (cliquer ici pour écouter "Cinderella" par The Sonics en ouverture de l'album "Boom"). Oui, la Beauté est une image du Bien dans une société chrétienne, et pas du tout une notion baudelairienne ou artistique ici convoquée. Le soir est un moment lié à la chute des lumières, et l'obscurité ouvre une fenêtre au poète pour mieux juger de la valeur de cette "Beauté", l'obscurité c'est un peu le serpent de la connaissance, alors je vais loin, mais effectivement, si dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" nous avons un discours articulé parlant de sommeil et chute, nous avons donc un sommeil par les pavots de Satan et une chute par la rébellion qui s'est jouée ce soir-là, et le sommeil appartient d'ailleurs au monde de la nuit. Il y a une vraie cohérence thématique et symbolique dans ce récit. Mais, mes deux sous de concorde parmi les rimbaldiens sont finis, mon esprit critique reprend le dessus, il en veut mon esprit critique, et je ne peux pas le faire taire. Donc, outre qu'il ne va pas être possible de ménager la chèvre et le chou entre la lecture baudelairienne de la Beauté par Richter et la lecture l'identifiant à une puissance religieuse de plusieurs autres dont moi et Bataillé, la chute, il faut bien préciser ce que ça veut dire en termes d'éducation religieuse. L'homme a perdu le "festin ancien" du jardin d'Eden, il vit désormais dans les douleurs d'un régime historique imparfait. Et Rimbaud transpose ce mythe appliqué au genre humain à son existence individuelles : en tant qu'humain, la religion m'a appris que je venais d'un festin éternel avec Dieu, mais l'homme a chuté. Et dans le décalage, on a la réécriture habile et satirique du propos rimbaldien. Adam et Eve ont fauté pour tout le genre humain, mais moi j'ai personnellement rejeté la Beauté, et cela va permettre un écrit satirique à l'encontre d'humains qui se réclamant du drame vécu par Adam et Eve ne s'en estiment pas moins des élus du festin. Vous prenez des livres d'Histoire anciens, vous avez une partie religieuse de l'Histoire sainte qui est considérée comme votre Histoire. Ces livres circulaient à l'époque de Rimbaud, et même l'histoire nationale on supposait que les événements de votre pays étaient gravés en vous et qu'apprendre l'Histoire c'était découvrir de quoi nous étions composés. C'est ça que dit Rimbaud, et que moi le premier parmi les rimbaldiens j'identifie, le "festin" est un faux souvenir venant de la "sale éducation d'enfance" comme le fait de ne pas se souvenir plus loin que cette terre-ci et le christianisme dans "Mauvais sang", alors même qu'il est question de projections dans l'univers des croisades, cela signifie que l'éducation d'enfance, avec les livres et avec la religion, à enfermer l'esprit du poète dans le conditionnement d'une "vie française". Rimbaud appelle "souvenirs" les présupposés théoriques de livres d'Histoire, qui disent aux enfants : "Tu es cela, parce que c'est écrit dans notre histoire commune."
Vous voyez que dans les propos de Bataillé il y a les germes de ma lecture, mais il ne l'atteint pas, et il y a cette contradiction de l'enfance. Mais, ce n'est pas difficile d'envisager qu'au début de "Matin" il y a un décalage de perspective où au lieu de penser l'harmonie universelle le poète essaie de se souvenir qu'il était encore dans la dimension du bien et de l'aimable dans sa jeunesse. Il y a un parallèle avec le "festin ancien", mais les deux visions ne se confondent pas en une, tout simplement !
Bataillé (page 135) :
[...] "le printemps" est évoqué [...], printemps habituellement considéré comme porteur d'un optimisme tout à fait propre à balayer l'événement survenu "Un soir" [...]
Ducoffre, premier janvier 2024 :
- Moi je conteste tout ! Alors, on voit déjà les difficultés de l'exercice. Vous avez bien vu que je suis obligé de rendre compte de toutes les idées emboîtées les unes dans les autres par les critiques. Quand on résume en quelques mots ou en une phrase, quand on ne retient qu'un aspect, on ne révèle pas à ses lecteurs toutes les divergences, tout ce qu'il y a de différemment élaboré entre critiques. Pour cette citation sur le "printemps", je l'abrège cette fois au maximum, car je ne vais pas citer intégralement l'article. Il faudra de toute façon toujours publier d'un côté des notes rapides sur le texte et de l'autre les commentaires développés où je peux synthétiser la parole des critiques, mais il faudra que j'invente un système de notes dans les notes. Le lecteur lit rapidement la note et une ou plusieurs notes dans la note permettent aux lecteurs plus volontaires d'accéder à une appréciation plus fine qui évitera la confusion des analyses critiques entre elles, puisqu'une idée peut être commune à plusieurs commentateurs mais être mobilisée de manière complètement divergente. Ici, pour le "printemps", je veux souligner l'idée juste d'un temps qui permet de balayer la révolte par son effet de renouveau charmeur. Ceci dit, je voulais aussi rappeler que dans "L'Eclair" le poète parle de sa vie usée, qu'au début de "Adieu" il est question de "gens qui meurent sur les saisons", et donc je pense fortement aux "Fêtes de la patience" et à "Bannières de mai" en terme de poèmes susceptibles d'éclairer l'idée d'un "affreux rire de l'idiot" face au "printemps", et je me permets de souligner le mot "patience" dans le titre "Fêtes de la patience", car il est évidemment à méditer.
(on n'entend plus la chanson des Sonics..., elle est terminée..;)
Remarquons que Bataillé n'a rien dit des paragraphes trois à six. Ils ne comportent pas de mention temporelle intéressante du genre "Un soir", "printemps". Toutefois, au-delà des questions de temporalité, il y a l'idée de "narrativité", ce mot est employé par Ricoeur, par exemple. Ce serait une limite importante de l'étude de Bataillé sur la question de la temporalité dans la prose liminaire. Reprenons, et vous allez comprendre pourquoi je soulève ce problème.

Bataillé (page 135) :
[...] Parvenu au terme de sa chute, souhaitant en finir avec la vie et songeant au suicide (sur le point de faire le dernier couac !"), la seule solution envisageable pour s'en sortir est de revenir à l'époque de "Jadis" [...]
Ducoffre, premier janvier 2024 :
- Moi, je conteste tout ! Et dans ce passage, il y a un problème logique, le poète dit avoir voulu éviter le "dernier couac !", autrement dit il dit qu'il a risqué sa vie, il ne dit pas qu'il a voulu se suicider. En revanche, c'était dit en toutes lettres dans les alinéas précédents : "pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils", "pour m'étouffer". Il y a bien une rébellion suicidaire où la mort est consciemment recherchée. Bataillé n'a donc pas foncièrement tort de dire que le "dernier couac !" c'est un peu la fausse note finale d'un parcours suicidaire. Là où est le problème, c'est que la volonté de se suicider est présentée comme effective pour ce seul "dernier couac !" alors que ce qu'orchestre le récit c'est la naissance d'une peur de la mort. On ne peut pas dire de l'alinéa qu'il correspond au moment clef où le poète songe au suicide, puisqu'il a déjà décrit sa volonté de périr contre bourreaux et fléaux. Il y a une anomalie de présentation qui me pose problème. De plus, dans son récent essai Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable, Alain Bardel a trouvé le moyen de dire que l'intrigue n'était pas d'éviter la mort, mais d'éviter de mourir en état de péché. Cela m'a interpellé. D'un côté, il y a une évolution intéressante de la lecture de Bardel sur dix-sept ans, puisqu'il admet que Rimbaud traite intellectuellement du problème de la foi, mais d'un autre côté, c'est allé trop loin dans l'interprétation. Rimbaud, dans la prose liminaire, ne craint pas l'état de péché, il craint de mourir. C'est le propos d'Une saison en enfer et cette angoisse de la mort est clairement exprimée dans la clausule de "L'Eclair" : "l'éternité serait-elle pas perdue pour nous ?" Il faut s'ajuster au sens littéral du texte !
Je passe sur le commentaire de Bataillé selon lequel l'adjectif "ancien" prouverait que le "festin" appartient  à "l'état de son enfance édénique" et que "l'époque de 'Jadis', est bien temporel." Ma réponse est deux fois non ! Rimbaud, gosse, il est né à Charleville, pas encore Charleville-Mézières, la relation de son père et de sa mère, je ne crois pas que c'était édénique. Il ne logeait pas chez un marchand de vins. Puis, le "jadis" évidemment qu'il doit être temporel si le poète croit qu'il en a un souvenir, mais il va y avoir un "j'ai rêvé" qui va mettre en pièce cette dimension temporelle. Enfin, dans ma lecture à moi !

Bataillé (page 135) :
[Procédons] au rapprochement, comme le fait justement Yoshikazu Nakaji, entre cette "clef" et celles que Jésus donna à l'apôtre Pierre permettant d'ouvrir les portes du Paradis et d'assurer le salut des âmes.
Ducoffre, premier janvier 2024 :

- Moi, j'aime bien critiquer. Alors, quelles critiques savoureuses je peux faire ici ? Au moins, c'est une sacrée belle référence érudite tout à fait à sa place que nous fournit Nakaji. Maintenant, ce commentaire réfute précisément ce que Bataillé dit juste avant dans le même paragraphe. Non, le "festin" et le "Jadis" n'appartiennent pas au régime temporel ! C'est précisément le constat brusque que met en scène l'alinéa elliptique : "La charité est cette clef ! - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Et j'ajouterais que, dans "Vies", le poète prétend avoir découvert quelque chose comme "la clef de l'amour", sachant que le mot "amour" est proche de la définition du mot "charité", la théorie chrétienne en moins. Ah oui, mais commencer à établir des liens pareils c'est commencer à jeter un doute sur la chronologie des Illuminations, puisque sinon alors il faut admettre que "Adieu" et "Alchimie du verbe" démentent "Vies". Vous voulez dire qu'au nom d'une préservation d'une chronologie supposée vous allez omettre d'analyser les conséquences de rapprochements sensibles entre Les Illuminations et Une saisons en enfer ? Vous y allez fort ! En tout cas, peu importe la citation de "Vies", ce que dit Bataillé ici est juste et pertinent, mais incompatible avec la lecture du "Jadis" qu'il prône.
Bataillé (page 135-136) :
[Le poète s'écrie :] "- Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" c'est-à-dire "prouve" qu'il a rêvé d'avoir cru pouvoir retourner son enfance édénique.

Ducoffre, premier janvier 2024 :

- Eh oh non, hein ? L'incontestable lecture, c'est plutôt que si la charité est la clef du festin ancien, c'est donc qu'on nous parle d'un paradis d'au-delà de la vie, et donc ce "festin", ce n'est pas un souvenir, c'est une légende qu'on a fixée dans mon esprit. Je veux bien que Bataillé pense sincèrement différemment, mais je ne suis pas le seul à avoir publié et soutenu que le rejet "j'ai rêvé" s'applique à la vision du festin lui-même. D'autres rimbaldiens ont soutenu que le rêve c'était tout le parcours des alinéas deux à sept, ce qui n'a pas de sens, vu le contenu du livre qui suit la prose liminaire. Ici, je trouve particulièrement de dire que "rêvé" c'est se reprocher d'avoir cru à un moyen. On ne dit pas : "J'ai rêvé de croire que cette clef ouvrait la porte !" On dit : "Je croyais qu'il y avait eu un festin ici, j'ai dû rêver !" Je ne sais pas si on va ergoter longtemps. Mais, la moindre des choses c'est de rappeler les lectures spontanées de la plupart des lecteurs. Là, moi, j'identifie ici une lecture qui essaie de montrer qu'elle peut passer.

Pour la suite de l'analyse de Bataillé, je renonce à citer et commenter certains paragraphes, parce qu'il est question de "Adieu" et d'une lecture transversale de la Saison, et non plus de la seule prose liminaire. Mais j'ai clairement souligné jusqu'à présent ce qui justifiait de ma part un refus d'adhésion à sa thèse de lecture. Je passe aussi sur les dénominations théoriques du présent de l'indicatif : "présent étendu", "présent momentané", "présent omnitemporel". Je ne connais pas cette terminologie pour parler des valeurs du présent de l'indicatif dans un récit. En tout cas, je connais la terminologie que j'ai dû enseigner dans les classes de collège, et je sais surtout que cette théorie est fausse, car la vérité sur le rapport au temps du présent de l'indicatif est contre-intuitive. Dans les collèges, on apprend que le présent peut avoir une valeur d'immédiateté : le locuteur parle de son instant présent, une valeur de généralité ou de vérité éternelle comme les définitions scientifiques, etc., et puis on brode une valeur d'habitude un peu bâtarde, liée à l'instant présent : "tous les lundis, il joue au tennis", et enfin on a le présent de narration, quand de manière en principe anormale un récit d'un événement passé est conduit au présent de l'indicatif. En réalité, quand l'homme a commencé à parler et à créer du verbe, il a d'abord créé un régime neutre non temporel, et notre présent de l'indicatif est l'héritier de ce système neutre. Les temps du passé ont des marques temporelles précisés, les temps du futur aussi. Le présent de l'indicatif a une conjugaison, mais il n'a pas de marque temporelle, et c'est pour cela que par défaut il peut être utilisé pour le présent de l'instant, la vérité éternelle et qu'il peut même être utilisé dans un récit au passé où le locuteur se dispense simplement de rappeler sans arrêt que l'action se déroule dans le passé. Bref, je me méfie des théories sur les valeurs de l'indicatif présent, mais on va s'épargner le débat prolongé ici.
Je reviens tout de même sur la question des "pavots".

Bataillé (page 137) :
[...] Il s'agit tout d'abord de la plante du sommeil que l'on doit de toute évidence mettre en rapport avec l'expression "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" au paragraphe précédent. Mais, l'on peut songer aussi à l'opium [...] Enfin, il s'agit également des pavots de la mort dont le démon couronne la tête du locuteur promis à mourir après avoir gagné la mort.
Ducoffre, premier janvier 2004 :
- Moi, je conteste tout. Il y a une contradiction logique dans "promis à mourir après avoir gagné la mort", puisque "gagné la mort" ça veut dire "perdre la vie" sous couvert d'un enthousiasme trompeur, mais surtout ça veut dire "mourir", et on ne peut pas se promettre de mourir après être mort. Et, en ce qui concerne le "rêve", on retrouve le biais d'une analyse au plan du champ lexical. Le "pavot" est une plante du "sommeil" donc ce qu'a "rêvé" le poète, c'était la faute du "pavot". Ben non ! Le rêve du festin vient de la religion, Satan il ne fait pas rêver les hommes du paradis, il veut les faire rêver d'un désirable enfer. Point barre ! Fin de la discussion, j'ai tout dit.

Interférence :
- Oui, mais non, car c'est un poème de l'énergie et des intensités, Une saison en enfercliquer ici pour boire une chanson énergisante infernale.
Pffh ! Il reste combien de pages ? 7 ou 8 ? Tant pis, je ne peux pas poursuivre ainsi, faudra que je trouve autre chose, allez je vais me détendre....

2 commentaires:

  1. J'adore vos articles, ce sont de vraies inventions littéraires !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai. L'article a une véritable chute avec un faux air d'inachevé. Puis, on a une imbrication entre le compte rendu d'un article, l'énumération d'études diverses dans une revue et un projet de développement sur le média internet qui exprime bien le tourment de la difficulté de communication quand il est question d'herméneutique rimbaldienne. J'ai beaucoup aimé aussi ces amorces "Moi, je conteste tout !" Le leitmotiv affiché permet d'aller chercher l'intérêt du dialogue au-delà. C'est vraiment bien fait !

      Supprimer