Quand j'étais étudiant, que j'étais déjà à fond dans les poèmes de Rimbaud mais que je n'avais encore rien publié comme article, j'ai fait la rencontre de la phrase : "Il faut être absolument moderne", comme slogan de la vie courante à deux occasions. Je reprends volontairement le mot "slogan" à l'étude de Meschonnic, mais je ne la connaissais pas encore. La première occasion, c'était dans les rues de Toulouse, il y avait un magasin d'objets de décoration intérieure, et il y avait un tableau accroché au mur d'un portrait de Rimbaud avec la phrase citée ainsi : "Il faut être résolument moderne." L'erreur de la citation me frappait, et à l'époque il n'y avait pas internet (1995-1999). J'ai rencontré depuis l'origine de la citation avec l'adverbe "résolument", mais j'ai déjà oublié d'où ça venait. Je sais juste que c'est une erreur qui vient de loin, ce n'est pas l'artisan qui s'est trompé. Là, une recherche sur Google me fait tomber sur plusieurs emplois erronés avec le mot "résolument", mais pas sur la source. Je suis convaincu que j'avais repéré une source vraiment du début du vingtième siècle, proche des réflexions littéraires rimbaldiennes, c'est con de ne pas l'avoir noté, mais tant pis. J'ai autre chose à faire que d'essayer de la retrouver. La deuxième occasion, c'est qu'un ami passait des concours de la fonction publique et que cette phrase faisait partie de la panoplie du discours "jeuniste" et avait été le point de départ d'une, je crois, sorte de dissertation dans un concours. Et la phrase était prise au premier degré. Or, cette phrase pose un problème linguistique que moi et mon ami nous étions amusés à soulever en échangeant ensemble. L'idée linguistique, c'est que face à un terme aussi fort que "absolu", le terme "moderne" contient l'idée contraire de relativité. Dire : "Il faut être absolument moderne", c'est comme "il faut être absolument relatif", et c'est absurde, c'est un non-sens. J'avais d'ailleurs fait un relevé des emplois par Rimbaud des mots des familles "mode" ou "moderne" pour étendre la réflexion. Malheureusement, il y avait un problème que moi et mon ami avions fini par envisager c'est que ce n'était pas si simple que ça. L'adverbe "absolument" dans son emploi tel quel ne supposait pas automatiquement l'anéantissement du "relatif" contenu par "moderne". Le plus simple était d'ailleurs d'envisager que si "absolument" ne voulait pas dire "résolument" il n'était pas employé dans son sens littéral, mais dans une sorte de sens hyperbolique : "Il faut être pleinement moderne", "il faut être le plus moderne possible". La notion d'absolu n'était pas le maître mot de l'emploi de l'adverbe "absolument", le terme était un peu hyperbolique, un peu métaphorique, un peu familièrement galvaudé comme dans "Il faut être vachement moderne" si je puis dire.
Et donc j'ai laissé tomber ce sujet.
Pourtant, ce qui se passait d'étonnant, c'est qu'au même moment les rimbaldiens s'y intéressaient. Quelques années auparavant, Jean-Pierre Bobillot avait publié un article sur "Il faut être absolument moderne[,]" où il est question de Meschonnic, et surtout à partir de l'année 2000, Bruno Claisse a commencé à publier des articles sur les poésies de Rimbaud où il était tout le temps question d'Henri Meschonnic et de ses thèses sur le rythme, et à la marge Claisse parlait lui aussi de la phrase : "Il faut être absolument moderne", à la lumière du livre de Meschonnic. Ce livre date de 1988 et s'intitule Modernité modernité.
La thèse de Meschonnic a aussi un aspect linguistique, puisqu'il souligne que "Il faut" n'est pas "je dois". Il souligne une nécessité extérieure à la volonté du sujet. Cependant, il faut aussi avouer que partant de l'opposition entre "il faut" et "je dois" Meschonnic affirme un peu vite que les deux lectures sont opposables. La lecture "il faut..." comme contrainte sur le sujet ne va pas de soi pour autant. Et d'ailleurs, Bruno Claisse, quand il va publier sur cette phrase, part de l'idée que Meschonnic s'est quelque peu trompé et finalement Claisse développe l'idée d'une acceptation amère de la modernité qui n'est pas l'idée initiale de Meschonnic.
Là, je résume tout cela selon mon ressenti, comme on dit, je ferai les mises au point plus tard, je raconte mon segment de vie dans tout ça pour bien poser les choses, pour qu'on voie comment ce slogan vit en société. Evidemment, Meschonnic lui il a retiré le slogan à la modernié, la phrase de Rimbaud est ironique, et basta !
Et avant la relecture en acceptation amère par Claisse, il y a eu d'autres réflexions sur cette phrase par d'autres rimbaldiens. Yann Frémy avait du mal avec l'idée de Meschonnic, mais je n'ai pas vraiment lu attentivement ce qu'il a publié. Je voulais le faire, mais les années ont passé, et je ne l'ai jamais fait.
Bref, il est temps d'y revenir.
Pour l'instant, cet article est improvisé en même temps que je fais un relevé, mais j'ai deux idées fortes à faire remonter : c'est un extrait de "Mauvais sang" sur le "viatique" et un extrait de "Ville" sur l'évacuation de tout monument de superstition.
Allez, on y va !
La seconde section de "Adieu" utilise de manière paradoxale l'adjectif "nouveau". Dans la première section, le poète avoue son échec dans l'invention personnelle du nouveau : "nouvelles fleurs", "nouveaux astres", "nouvelles chairs", "nouvelles langues", il a "cru", il a "essayé", mais il a échoué, et il doit enterrer tout ça. Malgré tout, il y a bien une "heure nouvelle", ce qui a un sens fort. Le poète sort de l'enfer, donc une "heure nouvelle", c'est vraiment un départ sur de nouvelles bases. Mais il s'agit d'un départ sur un constat amer "très-sévère". Et cette heure nouvelle est clairement associée à un triomphe personnel : "la victoire m'est acquise". Et c'est dans ce contexte que va surgir la phrase : "Il faut être absolument moderne."
Donc, précisons comment cette phrase intervient. Et, pour cela, au lieu de seulement commenter phrase par phrase la seconde section de "Adieu", constatons aussi qu'il y a une composition en paragraphes ou alinéas.
Le premier paragraphe prend acte d'une leçon amère : "Oui l'heure nouvelle est au moins très-sévère."
Le deuxième paragraphe correspond à un mouvement de balancier. Si je n'analysais que le sens des phrases, nous passerions insensiblement de la phrase parlant à la victoire à la phrase imaginant la possibilité de se venger :
Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. - Damnés, si je me vengeais !
Je trouve intéressant de souligner l'unité du paragraphe, parce que la vengeance est alors comprise non comme l'expression de détresse à un moment très-sévère, mais bien comme la jouissance de revanche du vainqueur. Enfin, c'est un peu compliqué, vu que si le poète se vengeait ce ne serait plus l'heure nouvelle. Se venger, ce serait retourner en enfer. On sent un petit flottement interprétatif. Avec le double point, on comprend que la victoire est dans le recul des "soupirs empestés" et des "grincements de dents". Rimbaud cite la Bible avec "les grincements de dents", cela confirme que Pierre Brunel a raison d'identifier une référence au plan de la prose liminaire à un festin de l'évangile selon saint Mathieu, puisque ceux qui refusent d'aller au festin sont condamnés aux "grincements de dents" de l'enfer. Notez aussi que, parmi les "regrets" qui "détalent", il y a les "jalousies" pour les "amis de la mort". Or, depuis la section "L'Eclair", le poète a dit se révolter contre la mort et c'est à partir de là qu'il voit une lumière de vie pour sortir de l'enfer avec la section "Matin" et la concrétisation dans la seconde section de "Adieu" de ce mouvement libératoire. Il va de soi aussi que Rimbaud exploite le sens métaphorique du mot "arriérés" face à l'idée d'heure nouvelle et de sortie de l'enfer. Et donc, empli d'un sentiment de triomphe, le poète passe tout de même à se venger. La victoire donne l'ivresse d'un désir de revanche en quelque sorte, mais en réalité se venger ce serait une rechute, et ce qui prouve que la victoire est acquise c'est que le poète ne va pas céder à ce sentiment. Et pour ne pas céder à ce sentiment de vengeance, le mot d'ordre va être précisément cette formule : "Il faut être absolument moderne" où on sent encore une fois le contrepoint métaphorique avec le mot "arriérés". Cette phrase fait alinéa à elle seule, mais l'articulation entre les aliénas est capitale. La formule : "Il faut être absolument moderne", est calée entre la fin de paragraphe : "Damnés, si je me vengeais !" et l'attaque du suivant : "Point de cantiques : tenir le pas gagné."
Si on laisse de côté : "Point de cantiques", nous avons l'idée qu'être absolument moderne c'est "tenir le pas gagné" et donc ne pas se venger, car se venger n'est pas le signe d'un grand vainqueur.
Je laisse de côté "Point de cantiques" me contentant de faire remarquer que les cantiques sont des chants de remerciement à Dieu et qu'il y a une construction en boucle du paragraphe de "Point de cantiques" à la célèbre phrase : "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul."
Donc, Rimbaud tient le pas gagné, mais ne l'enrobe pas d'un discours de mage en gros.
En clair, si le poète chantait un cantique, il jouerait au mage ou à l'ange, il se nourrirait aussi de mensonge, puisque si "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul" il ne pourra pas développer les idées fortes de son cantique. Il ne pourra pas dire "merci à Dieu de m'avoir sauvé parce que tu penses ceci, cela, et tatati et tatata." C'est ça l'idée.
Le poète se contente d'aspirer à la vigueur et à la tendresse réelle, et il retrouve l'idéal de patience. Voilà pour l'avant-dernier alinéa. Puis, nous basculons dans l'alinéa final, et on a à nouveau un mouvement de balancier entre alinéas, puisque nous venons de parler d'un poète ouvert à la tendresse réelle, et l'ultime alinéa tourne en dérision l'idée de "main amie".
Il faut comprendre qu'on ne peut pas prendre n'importe quel main pour de la "tendresse réelle". Il y a une restriction qui participe de la sévérité de l'heure nouvelle. Il n'y a pas qu'une désillusion sur soi, il y a l'acceptation de la cruauté du monde avec sa réalité rugueuse.
Et Rimbaud ou le poète si vous préférez ne dit pas qu'il va posséder la vérité, mais il choisit le mot "loisible". En clair, il dit simplement qu'il est dans un état favorable à l'accueil en soi de la vérité. Les rimbaldiens négligent ce mot "loisible", ils affirment que le poète se fixe pour objectif de trouver la vérité, de s'en emparer, et je suis très réservé là-dessus. Il vient de dire que "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul", donc pour moi l poète ne veut pas se nourrir de mensonge, veut rester dans la vérité, sans pour autant pratiquer une débauche d'énergie pour découvrir la vérité. Il y a une connaissance sur la justice à laquelle il renonce, et je trouve que le mot "loisible" nous avertit clairement des limites de l'ambition actuelle du poète. Il n'est pas en train de nous dire qu'il va arriver lui à la vérité, il dit que lui est dans de meilleures dispositions que nous pour y accéder. Ce n'est pas le même discours.
Et justement, croire atteindre la vérité, par exemple de Dieu, c'est justement ce qu'il a dénoncé comme mensonge, donc pour moi les rimbaldiens sont sur une pente interprétative qui confine au contresens.
Je passe sur le pluriel d'implication : "armés d'une ardente patience", qui suppose que le "nous" ne désigne pas que le "Je". Je ne peux pas tout traiter à la fois.
J'ai expliqué la liaison pour "l'enfer des femmes" au-delà de "Vierge folle" à l'enfer de la caresse et aux caresses parasites des bonshommes, j'ai expliqué que "posséder la vérité dans une âme et un corps" c'est une formule dualiste chrétienne qui permet de donner une chute ironique à Une saison en enfer, puisque la citation chrétienne, étant faite contre la société chrétienne, vaut rejet du christianisme. C'est ça le rire final contre les "vieilles amours mensongères".
Je rappelle d'ailleurs un paradoxe de composition d'Une saison en enfer. Il y a une résolution qui se fait dès la prose liminaire, mais qui, du coup, ne concerne pas du tout la fin "Adieu" du récit. C'est dans la prose liminaire que le poète comprend que le festin n'a jamais existé, qu'il n'a fait qu'en rêver, puisqu'il est lié à l'exercice de la charité. Dans "Adieu", le poète a toujours une perception vague du "festin" ancien et il n'a toujours pas compris son lien avec la "charité". Dans "Adieu", les "souvenirs immondes" reculent, mais dans la prose liminaire le faux souvenir chrétien disparaît lui complètement. On a bien la preuve d'un emploi antichrétien de la formule chrétienne : "posséder la vérité dans une âme et un corps".
C'est assez unique dans l'histoire de la littérature de relire le début de l'ouvrage comme la suite chronologique et la mise au point au-delà de la dernière page. C'est très particulier, mais cela a été réellement bien médité par Rimbaud.
Or, il reste un peu à creuser ce que c'est qu'être moderne, parce qu'en l'état nous avons une lecture où nous constatons qu'être absolument moderne c'est ne pas se venger et ne pas composer de cantiques, mais est-ce que c'est ça que signifie "moderne" ?
C'est pour cela qu'une citation du poème "Ville" des Illuminations s'impose fortement à mon esprit :
Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une ville crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! [...]
En clair, la modernité est vue ici par ceux qui ont fait évoluer l'architecture urbaine anglaise comme un moyen de supprimer les références culturelles au passé, la modernité est une forme de table rase dans l'expression artistique. Rimbaud dénonce tout de même une fausse définition de la modernité : "crue moderne" dit-il. En clair, il ne suffit pas de supprimer toute référence à un goût connu pour être moderne. En revanche, la deuxième phrase n'est pas sous le coup du reproche de fausse croyance en la modernité et elle contient l'idée essentielle d'une absence de renvoi à la superstition ! C'est exactement ce que nous avons dans le "Il faut être absolument moderne" de "Adieu", puisqu'il est articulé à un refus de la superstition : "Point de cantiques" ! J'ai cité également la phrase sur la réduction de la morale et de la langue à leur plus simple expression pour deux raisons. Première raison : la morale est souvent rejetée comme étant la faiblesse de la cervelle dans la Saison ("Alchimie du verbe"), tandis que la langue est aussi un sujet subrepticement traité avec les passages discrets de "Mauvais sang" ("quelle langue parlais-je ?") et de "Adieu" ("de nouvelles langues"). La deuxième raison, c'est que la formule "plus simple expression" va de pair avec l'idée de "tenir le pas gagné" sans l'enrober de "cantiques".
Voilà donc la piste d'investigation la plus sérieuse pour définir ce que c'est qu'être "absolument moderne", et on retrouve mon idée forte que non seulement "être absolument moderne" va du côté d'un refus de l'enrobage du mensonge, mais que le poète cherche plutôt un état compatible avec la vérité (loisible) qu'à se donner les moyens d'y orgueilleusement accéder. Le moderne est un moyen d'évacuation et de réduction (je cite le mot "réduite" de "Ville"), et non pas un accès royal à l'abondance.
Et j'en arrive à mon autre citation clef dans "Mauvais sang".
Dans la deuxième section de "Mauvais sang", le poète dit que s'il a des souvenirs du passé il n'arrive pas à s'y représenter pour autant, il ne sait même pas quelle langue il parlait, alors même qu'il se voit danser avec des sorcières ou "bivaqué" lors de certaines guerres ou être présent en terre sainte lors des croisades. Il constate qu'il est un bête "fils de famille" du dix-neuvième siècle dont le néant aurait pris fin avec la "déclaration des droits de l'homme". Il n'est plus une bête, il est devenu un homme en quelque sorte, et dans cette table rase encore récente tout fils de famille est identique à lui. Et le credo est la science. Et là il faut faire attention, parce que la ville anglaise était "crue moderne", mais il y avait encore à faire, et dans "Mauvais sang" le poète va critiquer la notion de "science" et finalement l'envisager comme une nouvelle superstition, ce qui sera confirmé dans "L'Eclair" où le statut de religion n'est pas anodinement fixé par l'expression "Tout le monde".
Et ce qui fait que nous pouvons dire que nous visons juste dans notre rapprochement avec "Il faut être absolument moderne", c'est que Rimbaud se moque de ce que la science a à apporter pour l'âme et pour le corps, le double lieu de la vérité à posséder. Je cite l'extrait clef de "Mauvais sang" :
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, - le viatique, - on a la médecine et la philosophie, - les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés. [...]
Pour l'instant, je n'ai pas d'avis s'il y a coquille ou non ("arrangés" ou "arrangées"), je ne vais pas m'imposer de certitude spontanément, ce n'est pas le sujet ici. Le mot "viatique" a un sens chrétien fort, c'est l'extrême-onction, c'est la communion donnée à quelqu'un en danger de mort. On, retrouve l'idée du tas "d'âmes et de corps morts et qui seront jugés" (première section de "Adieu") et l'idée de "posséder la vérité dans une âme et un corps", au bout d'une réflexion où sortir de l'enfer c'est refuser la mort. La science est la nouvelle superstition qui réarrange un discours mensonger sur le sens de la vie dressé en vérité divine, qui réarrange aussi un discours mensonger sur la vie éternelle du corps et de l'âme. La philosophie est le nouvel accès à une éternité de l'âme, la médecine sauve les corps. Alors, certes, la médecine sur les corps, cela ne s'entend pas comme accès à une vie éternelle, mais il y a l'idée d'une fausse musique. Traiter médicalement un corps peut finalement donner autant d'illusions sur sa bonne santé que les vieux remèdes superstitieux d'autrefois. Il y a un effet guérissant et apaisant, et on croit le tour joué. C'est encore plus flagrant dans la prétention à la sagesse pour l'âme. Et dans "L'Impossible", qui est nettement un texte écrit dans le prolongement de "Mauvais sang", nous avons bien la raillerie à l'encontre des "philosophes" qui en réalité nous vendent de la pensée occidentale en chute libre avec des apories du genre "ameublez-vous un Orient si c'est ça votre désir !" J'ai écrit : "ameublez" pour citer "Ville" à nouveau bien sûr !
Le "Pourquoi ne tournerait-il pas ?" de "Mauvais sang" est intéressant à rapprocher de la formule : "Tenir le pas gagné !" qu'on rapproche plus spontanément de "le monde marche". Le poète va marcher, mais il ne va pas dire "le monde marche", il va simplement marcher, parce que s'il disait que le monde marche il prendrait le risque d'être contredit par l'alternative selon laquelle il pourrait bien tourner.
La modernité serait donc d'accepter la réalité immédiate de la science, mais pas le discours qui la fait passer pour une providence pleine de promesses divines.
Voilà, cette étude est un peu improvisée, mais on sent bien que je vais quelque part, que je ramène des citations clefs non exploitées jusqu'à présent dans les commentaires de "Adieu" si je ne m'abuse.
Je rappelle que dans "L'Impossible", il y a aussi la phrase : "Pourquoi un monde moderne si de pareils poisons s'inventent ?" J'avais prévu de traiter de ces poisons comme de superstitions qui font que la modernité échoue parfois à être la critique des illusions du passé qu'elle prétend être.
Je reviendrai sur tout ça.
***
J'ai d'autres sujets en vue. Comparer le poème "Antique" à plusieurs passages des poésies d'Horace, à plusieurs des Odes en tout cas.
Je dois aussi enfin refaire ce sujet ancien que j'avais traité étudiant antérieurement à toute publication d'article, c'est les sources du poème "Nocturne vulgaire" du côté de Baudelaire et Vigny. Pour "Corbillard de mon sommeil", Rimbaud s'inspire de "Horreur sympathique" et de "Rêve parisien" notamment, d'un autre poème dont le titre m'échappe, tandis que "panneaux bombés" figure dans "Le Beau navire". Je devrai réactiver tout ça.
Puis, j'ai d'autres sujets comme toujours, sur la métrique des vers de 1872, sur les répétitions de mots. Je dois reprendre sur l'influence de Desbordes-Valmore. Je dois faire une lecture de "Accroupissements" en fonction de "Un voyage à Cythère", et j'ai encore des tonnes et des tonnes de sujets laissés en plan.
Bye.
Petite note :
Pour "posséder la vérité dans une âme et un corps", même si esprit et âme sont des concepts distincts, le rapprochement avec "esprit sain dans un corps sain" a du sens, cela n'est pas un rapprochement contradictoire. En revanche, quand les rimbaldiens disent que Rimbaud critique le dualisme de l'esprit et du corps dans "posséder la vérité dans une âme et un corps", outre qu'il est absurde de ne pas admettre que l'énoncé est en soi dualiste dans sa formulation, l'écart conceptuel entre "esprit" et "âme" est problématique, parce que cette fois le mot "esprit" utilisé par les rimbaldiens leur fait faire des développements que ne suppose pas le mot "âme". Les rimbaldiens vont dire que la vérité s'adresse plutôt à l'esprit qu'au corps chez les chrétiens, sachant qu'on joue de manière confuse sur le fait que c'est aussi l'impression de bon sens la mieux partagée du monde. Le corps ne s'occupe pas de posséder une vérité que nous sachions. La vérité est intellectuelle ou n'est pas. Bref, les rimbaldiens jouent au sous-entendu : Rimbaud est tellement génial qu'il entrevoit une notion de vérité applicable au corps. Bref, si oui, il y a une vérité du corps, ce sera dans une conformité comportementale à une vérité de sens pour l'esprit. Mais, Rimbaud, s'il avait voulu contester le dualisme, il n'aurait pas employé le mot "âme", il aurait employé le mot "esprit", parce que le mot "esprit" est ontologiquement plus neutre, plus "réduit", que le mot "âme" qui est lui très enrobé de conceptions superstitieuses.
Rimbaud ne combat pas le dualisme, il dit : "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul." La phrase finale d'Une saison en enfer, elle est clairement dualiste, mais, après, elle est ironique, ce qui veut dire que Rimbaud ne s'engage pas particulièrement à croire au mot "âme". Il fait avec le langage tel qu'il lui parvient.
J'ai le volume Enigmes d'Une saison en enfer sous la main avec l'article de Vaillant : "posséder la vérité dans une âme et un corps : la morale énigmatique d'Une saison en enfer", je vais donc citer les extraits qui m'intéressent, et pour comparaison l'extrait de son livre de 2023.
RépondreSupprimerPage 15 : "la chute sert à boucler le poème, à (...) assurer la cohésion du tout et à la rendre sensible au lecteur." Face à cela, le flou troublant de la fin de "Adieu".
Page 16 (allusion à "tenir le pas gagné") : "[Adieu] termine en soulignant le chemin parcouru et le terrain gagné."
Suivent plusieurs pages sur les scrupules à résoudre les difficultés du texte. Je m'en contrefiche donc je passe... Pareil pour la sous-partie sur la religion, pas le temps, puis sous-partie sur les stations de l'Adieu, puis sous-partie "Portrait d'Arthur en Christ amoureux".
Je vais directement à la page 29 qui attribue à un article vieux de Mario Richter d'avoir approché au plus près du sens de la fin en italique de la Saison :
"obsession rimbaldienne du couple âme-corps" (ah bon ?), "rêve utopique d'un christianisme épuré" (ah bon ?), "non contaminé par le dualisme" (oui on préfère Monique et moniste). Pour la phrase finale, Richter "observe que 'le couple oppositif par excellence du dualisme, l'âme et le corps, est encore là". Ici, un youtubeur introduirait le meme d'Etchebest : "Ah merde alors !" De plus, je tique sur "couple oppositif par excellence du dualisme". On dit "dualisme du corps et de l'âme", on dit pas "dualisme" dont une composante est le couple corps / âme. C'est quoi ce charabia ?
Mais bon Richter identifie le "mystère de l'Eucharistie", je précise que je n'ai pas attendu Richter pour y penser, mais bon... "vérité dans une âme et un corps", en religion, c'est le Christ lui-même. Alors, comment Richter va négocier la difficulté ? Crise de fous rires en perspective dans le prochain commentaire...
Alors, la vérité dans une âme et un corps, roulement de tambours, c'est sexuel parce qu'il y a le verbe "posséder", c'est du Michael Jackson, pardon du Michelet !
SupprimerRichter a identifié la connotation sexuelle du verbe "posséder". (heu ? une connotation ça doit être appelé par le sexe... pardon le texte (oh le lapsus révélateur...), pas par les lubies du lecteur...) Et la main amie, c'était pour la masturbation, et sans main amie et donc sans ami comment il va y avoir du sexe entre deux dans cette histoire ?
Et donc, on a droit à ce morceau génial qui amplifie la métaphore d'embrassement, que dis-je d'embrasement de la réalité rugueuse. Vous connaissez ABBA ? Dancing queen consacrera musicalement la fin d'Une saison en enfer !
Ahahahaha !
La vérité sera possédée comme une femme [c'est textuellement ce que je relève dans l'article], "c'est l'inconnu, c'est le réalisme véritable" (je pige pas le lien de l'inconnu et du réalisme véritable avec la sexualité, mais bon...) et mieux c'est "l'espace inexploré et terrible qui se cache entre l'âme et le corps" (les corps sont dans l'espace, mais l'âme ?), entre l'abstrait et le concret, entre le spirituel et le matériel (Renaud dirait : "de pêche, tatatam !"). Et puis, par miracle, après ces calembredaines, on se rapproche de l'idée, une vérité humaine qui est une réalité rugueuse débarrassée de toute 'malice' chrétienne. C'est mieux, dommage que ça soit articulé à un tel plan d'inepties.
Bas de la Page 29 : "La référence christique paraît indiscutable". Puis, contresens étrange : "posséder la vérité est le privilège de Dieu seul". Alors pourquoi il sera loisible d'y parvenir au poète ? Est-ce que la justice est vérité, c'est plutôt ça la question logique imposée par la cohérence du texte rimbaldien ? Citation de la réponse du Christ à Pilate : "je suis venu pour rendre témoignage au monde de la vérité". En gros, on identifie référence christique, mais on brode sur ce qu'est la vérité pour Rimbaud. Puis, on part dans sixième méditation métaphysique sur le corps trompeur, les fameuses illusions des sens, et bam, le fait d'ajouter "et un corps", c'est ça l'astuce de Rimbaud, tu vois ? parce qu'il n'y aurait pas de vérité dans le corps pour un chrétien...
Pffh ! C'est du charabia ! On confond tous les plans d'analyse, on confond illusion des sens avec le fait d'avoir un corps qui n'est pas dans la vérité. Et on confond la notion d'âme avec la notion d'esprit dans une perspective où il est impératif de prendre acte du mot "âme" employé par Rimbaud. On peut se servir d'esprit pour âme dans certains contextes, mais pas si le but est de définir un dépassement du dualisme, puisque pour le dualisme les implications des mots esprit et âme ne sont pas les mêmes.
Je passe vite sur la fin de l'article. Les citations des Sœurs de charité et des premières communions pourraient être intéressantes si ce n'était pas pris dans cette bouillie incompréhensible d'un rapport sexué de sa propre âme avec son propre corps sous prétexte de défaire le dualisme en donnant une leçon de vérité pour le corps au christianisme. On a une analyse sans intérêt des déterminants un et une pour dans une âme et un corps comme si ça concernait l'unicité de la vérité.
SupprimerDans son essai de 2023, Vaillant supprime la référence à Richter de l'article de 2014 et il y avait déjà un article sur la Saison fin 2009. La rareté des renvois a d'autres chercheurs est censée s'expliquer par le fait après un demi siècle de s'être isolé pour faire sa lecture personnelle sur la Saison. Or les articles de 2009 et 2014 sont résumés et repris et delestes dans le livre de 2023.
SupprimerDonc sur les italiques en 2023 on identifie une citation on cite à raison la réponse à Pilâtes puis sans crier gare on passe à la prétendue connotation séquelle de posséder pourtant contradictoire avec la solitude finale sans main amie. Oui la critique a spontanément compris que la vérité était pour l'âme et pour le corps puisque c'est ce qui est écrit clairement. Mais le sens sexuée loin de s'imposer est contradictoire. Dire d'un côté posséder en esprit et de l'autre posséder sexuellement un corps c'est de la symétrie qui ne veut rien dire en fait de vérité unique. Rimbaud n'a pas combattu le dogme des illusions du corps tout au long de son ouvrage et la que de choses en trois mots. Et un corps ça veut dire tant de polémique... je vous épargne la citation misogyne de Baudelaire inconnue de qrimbaud. Enfin bref. L'idée de possession séquelle ne veut rien dure. C'est du carabia.
Je note que page 151 Vaillant cite en faisant l'erreur "résolument moderne" pour "absolument moderne".
SupprimerDonc je reprends la main. Le coup de génie de mon article ci-dessus, c'est l'analyse définitive de moderne à partir de deux relevés. Le "crue m9derne" la c'est du top niveau et j'ai vérifié dans la revue Europe. Classe cité Ville mais pas du tout pour faire mon analyse brillantissime de crue moderne et identifier le lien du moderne ensuite à l'effacement des superstitions.
L'autre coup de génie, c'est mon rapprochement à partir des mots âme et corps avec un passage sur la science comme nouveau Credo. La c'est une citation interne à la Saison. C'est une confirmation que moderne signifie évacuer la superstition traditionnel. La je deviens le maître pour expliquer une nouvelle phrase très débattue de la Saison. Et je souligne le lien de viatique à la mort ce qui a l'air d'avoir été négligé y compris par Brunel.
Je complète le raisonnement sur "moderne". Ma démarche est prudente et sûre à la fois. Le poème "Ville" est très important, parce que "crue moderne" cela veut clairement dire qu'on débat des critères définitoires. Pour Rimbaud, la modernité n'est pas faite que de la suppression de références aux goûts connus, mais c'est au moins un moyen de dépasser la superstition. et on simplifie la langue et la morale. La modernité est clairement correctrice de la tradition et donc correctrice des préjugés dont la superstition est la forme religieuse emblématique. Cette base définitoire va impliquer la science nouvelle noblesse puisque Rimbaud définit le viatique nouveau pour corps et âme, fausseté de nouveauté cependant. Le moderne suppose bien une remise en cause de la tradition, et dans Mauvais sang la science est la modernité d'un monde de ceux qui tiennent tout de la déclaration des droits de l'homme.
SupprimerDans "Alchimie du verbe", la poésie et la peinture modernes sont trouvées dérisoires et sont opposées à la littérature démodée de plus d'intérêt pour notre poète. Donc ce moderne dans les arts n'est pas plus que la mode actuelle !!! Et n'est pas le pouvoir de transformation attendu du moderne !!! Pire, dans l'opération, il y a eu un dévoiement selon Rimbaud qui va privilégier une littérature démodée, donc le moderne fait fausse route dans ses choix.
Dans L'Impossible, on a "pourquoi un monde moderne si de pareils poisons s'inventent !" outre "poisons" à mettre en relation avec celui pris par gorgée dans Nuit de l'enfer, il faut comprendre : qu'a-t-on gagné au change de la tradition à la modernité ? Dans L'Eclair, l'ecclésiaste est dit moderne et cela englobe tout le monde, donc église moderne inversant le discours de l'Ecclésiaste biblique : rien n'est vanité. Et c'est un culte du savoir total, à la science sur tout si rien n'est vanité ! Tel est le credo. Pour les cadavres des méchants et des fainéants, il y a une difficulté de lecture.
Donc, dans L'Eclair, le poète épingle le credo du monde : "Rien n'est vanité [étudions tout], à la science, et en avant !" crie l'Ecclésiaste moderne, qui est objectivement le serpent du jardin d'Eden invitant à Eve à gouter du fruit de l'arbre de la connaissance (pour rappel, deux arbres, celui goûté par Adam et Eve du bien et du mal, et celui de la connaissance dans la Genèse dont Dieu se réjouit qu'il n'ait pas été goûté dans la foulée).
SupprimerRimbaud va-t-il jusqu'à penser à cette précision mal connue à son époque des deux arbres ?
En tout cas, l'injonction de l'Ecclésiaste moderne est celle de tout le monde, donc credo d'une église moderne, et dans la foulée le poète émet une réserve critique : "Et pourtant", sauf que ce n'est pas clair : "les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres." Quels autres ? Ceux qui sont non méchants et travailleurs, en principe. Donc, dans ce tout le monde, il y a les méchants et les fainéants qui finissent quand même cadavres. Donc, il y a des exclus. Les méchants c'est les damnés auxquels s'adresse le poète, ceux qui "seront jugés" dont il est question dans "Adieu", et c'est donc le poète lui-même qui est un méchant, car de "mauvais sang", "époux infernal", etc., et il est en plus un fainéant puisque dans la suite de L'Eclair il dit "feignons fainéantons" et sa méchanceté est de quereller les apparences du monde. Il dit mettre son devoir de côté.
Si on ne prend pas garde à la liaison avec Rimbaud, on se dirait que Rimbaud dénonce que des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres. Il se dirait : c'est con, il y a des méchants ! Alors qu'en fait, il s'implique en tant que méchant et fainéant ! Le sens n'est pas le même si on comprend d'où parle le poète ! Puis, pourquoi "tombent sur le coeur des autres", qu'est-ce que ça veut dire exactement ? J'ai mes idées, mais je les formulerai quand j'aurai bien étudié le terrain contextuel pour le faire. Je vais continuer comme je fais pour cerner le sens de l'adjectif moderne.
Après, dans "Adieu", comme j'ai rapproché "poésie et peinture modernes" de "littérature démodée", je relève un couple étymologique proche entre "les soupirs empestés se modèrent" et "Il faut être absolument moderne", est-ce exploitable ou est-ce une simple coïncidence de rapprochement étymologique ?
Voilà, il y a encore de quoi faire.
Et sinon avec la prise d'Avdeevka on peut espérer que les nazis vont enfin arrêter de bombarder les quartiers civils de Donetsk.
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