jeudi 4 janvier 2024

Réflexions sur l'architecture métaphorique et dialectique du livre Une saison en enfer

Mal de tête, envie de vomir, brûlure de l'oesophage, suis-je en condition pour parler d'Une saison en enfer ? J'ai pis une fameuse gorgée de soupe aux neuf légumes, et me voilà. Je devrai me retirer vers 19 heures malheureusement, mais je vais pourtant vous faire un article simple et rapide pour que vous compreniez enfin ce que raconte Une saison en enfer.
Le livre Une saison en enfer est composé, d'une part, d'un prologue ou avant-propos qui introduit à la lecture d'une sélection de feuillets tirés d'un carnet de damné et bien évidemment, d'autre part, de cette sélection de feuillets. Les feuillets sont rassemblés en huit titres : "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer", "Vierge folle", "Alchimie du verbe", "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" et "Adieu".
L'avant-propos met en scène un poète qui semble parler aux lecteurs, puis qui finit par s'adresser directement à Satan. On pourrait penser que, du coup, toute la prose liminaire est adressée à Satan, mais ce n'est pas le cas. Satan est désigné à la troisième personne, lorsqu'il intervient et que ses propos sont rapportés. Nous ne sommes pas dans un dialogue intime entre le poète et Satan comme dans la partie introductive du Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand. Le poète s'adresse au public des lecteurs, Satan fait irruption, et le poète en privilégiant de répondre à Satan en fin de prose liminaire est en réalité en train de montrer à ses lecteurs comment il se comporte avec Satan. Cette relation à Satan est importante à comprendre. Le poète, faisant mine de lui être soumis, pratique le persiflage : "une prunelle moins irritée", mais pour le lecteur cela signifie aussi clairement que le poète ne trouve pas le salut par la foi et la conversion ou reconversion. Comme vous avez déjà l'ensemble d'Une saison en enfer, il y a d'autres précisions importantes à formuler. Satan intervient pour reprocher au poète d'arrêter une sorte de course à la mort. Et Satan emploie aussi des temps et modes verbaux significatifs : futur simple de l'indicatif : "Tu resteras hyène, etc.", puis injonction à l'impératif présent : "Gagne la mort [...]". On prétend que dans "Mauvais sang", la formule : "j'ai toujours été race inférieure", est une coquille pour "j'ai toujours été de race inférieure" et qu'il convient de la corriger sur le modèle de la phrase : "Je suis de race inférieure de toute éternité". Pourtant, outre que le lien est évident entre l'état de hyène et la condition de race inférieure, on voit que dans les deux cas il y a une similaire construction elliptique qui devient verbe : "rester hyène", "être race inférieure". Bref, il vaut mieux renoncer à corriger le texte en imposant d'y voir une coquille. Mais, donc, Satan prétend que le poète ne saura jamais sortir de son état damnable de hyène, ou de race inférieure, et en même temps il l'invite à mourir.
Il va de soi que le poète ne s'est pas exécuté (pardon du jeu de mots). Il parle de "lâchetés en retard", il ne prévoit pas du tout de se tuer. La subtilité, vu que le poète persifle quelque peu Satan et ses rengaines, c'est que Satan va découvrir en lisant les feuillets que le poète a suivi un fil de raisonnements qui l'ont conduit à rejeter la mort et ce fil de raisonnements part aussi de cette idée d'un état initial "Mauvais sang" pour "hyène" qui ne semble pas adapter à la vie.
Que dit la prose liminaire ?
Le poète évoque un passé lointain où il partageait la concorde universelle entre humains. Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'un souvenir réel. Il fait mine du moins, puisque les feuillets ont fait un sort à ce prétendu souvenir et bien sûr puisque la prose liminaire nous fait passer rapidement de "si je me souviens bien" à "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Ce "festin" représente le mensonge de l'origine chrétienne des hommes, festin réglé sur la pratique de la charité. Rimbaud ne croit pas à la pratique de la charité parmi les hommes, donc ce festin dont on lui rebat les oreilles est un mensonge.
Comme il voulait éviter de mourir en hyène, il a réfléchi s'il n'y avait pas un moyen de retourner au moment du "festin", mais comme il lui a été indiqué que la charité était la clef de voûte de ce système il a spontanément rejeté l'idée de retourner au festin.
Et c'est là qu'il faut suivre. Car, le festin était la "vie" du poète, alors que le poète depuis un soir de rupture avec la "Beauté", soir qui, du coup, n'est pas de la fin du festin, mais un simple "soir", le poète dis-je s'est mis à chercher la mort face aux fléaux et bourreaux, et sa vie de hyène n'était qu'un parcours de fausses notes suicidaires. Une hyène s'est fait pour mourir, lui dit Satan, en gros, et le poète ne répond pas, mais on comprend par son silence qu'il refuse de mourir.
Maintenant, vous avez un dispositif pour comprendre plus finement Une saison en enfer.
"Mauvais sang", c'est le seuil. Le poète décrit ce qu'il est, et il se décrit en "hyène" comme dit Satan, et le poète insiste sur le fait que cet état soit permanent : "je suis de race inférieure de toute éternité."
Il faut définitivement faire abstraction ici du "festin ancien", puisque dans la prose liminaire le poète dit qu'il n'a jamais existé. Donc, l'histoire du poète elle commence "Un soir" ! Peu importe ce qui s'est passé avant finalement.
En lisant "Mauvais sang" et aussi "Nuit de l'enfer" et "L'Eclair", nous comprenons qu'avant le soir du rejet de la beauté il y a eu un baptême chrétien effectué par les parents, il y a eu aussi toute une "sale éducation d'enfance", et en même temps le poète a exprimé une tentation de refus dès la lointaine enfance : "Encore tout enfant", il admirait le "forçat intraitable" est-il dit dans la cinquième section de "Mauvais sang".
"Mauvais sang" est un descriptif de l'état du poète, état censé rendre sa chute inévitable. Quand le poète dit qu'il n'a jamais été chrétien, il s'agit bien évidemment d'un poète baptisé dans le monde chrétien mais qui fait entendre que ce baptême n'agit pas sur son âme. La fuite en Afrique avec la conversion forcée est évidemment une pirouette fantasmatique pour montrer qu'au-delà du baptême la société force les gens à penser chrétiennement. On a une fausse intériorisation du discours du converti qui finit par s'effondrer. Le poète a entrevu certes la conversion, mais il a surtout cédé à la force, et à la fin de "Mauvais sang" il est relaps.
Dans ce descriptif, la thème de la main est essentiel. Le fait d'avoir sa main veut dire qu'on appartient à la société et qu'on en est solidaire, même le criminel est solidaire de la société par certains aspects consentis. Le poète refuse d'exercer un quelconque métier, fût-ce de criminel. Cette logique de la main répond à l'idée d'ouvrir son coeur à tous. Les métaphores de la main et du coeur renvoient à l'idée d'amour avec même le plan de la charité (la main permet de servir ceux à qui on s'attache). Dans "Adieu", le poète va considérer que la société ne permet pas de croire à la réalité de la "main amie" et donc de la charité pratiquée en ce monde. Ce que le poète va en revanche se reprocher c'est d'avoir cru à des mensonges, mensonges déjà à l'oeuvre dans "Mauvais sang", mais qui vont devenir évidents dans les sections suivantes. Dans "Nuit de l'enfer", le poète se prétend prêt pour la perfection et capable de révéler tous les mystères. Ensuite, il fait le bilan de deux folies, le bilan d'un couple délirant avec la "Vierge folle", qui n'est pas Verlaine même s'il y a une petite part d'inspiration, et le bilan d'une pratique poétique vue sous l'angle des prétentions démiurgiques à égaler Dieu et à se passer des règles admises. Le fait de régler la forme et le mouvement de chaque consonne, cela signifie créer un poème comme Dieu crée le monde. Et le poète va constater que les moyens de la poésie l'obligent à composer avec ce qu'il voulait faire passer pour des vieilleries. La prétention à créer du nouveau en poésie, et du nouveau qui serait une création d'une autre réalité, donc création démiurgique, est à nouveau décriée dans "Adieu". La section "L'Impossible" va dénoncer en revanche la société et reprend un discours amorcé dans "Mauvais sang". La partie "L'Eclair" est une sorte d'espoir sur le devenir des sociétés humaines par le travail, mais le poète émet des réserves. Toutefois, c'est dans cette partie du livre sur le thème du travail dont les fruits ne seront éventuellement que pour des générations futures que le poète qui un temps veut se dérober finit par affirmer son désir de vie. La section "Matin" exprime un peu l'état nouveau. Le "Noël sur la terre" est utopique, puisque dans le meilleur des cas avec la science trop lente cet avenir se fera au-delà de son existence individuelle. Le rapport à la science et à ce Noël ne sont pas sans ironie non plus, mais le désir de vie s'affirme, c'est l'état de hyène qui prend fin, mais ce sujet essentiel ne donne pas de titre à une partie du livre Une saison en enfer.
La section "Adieu" raconte pourtant bien une sortie de l'enfer qui est un renoncement aux mensonges de la hyène. Il n'est plus question de se croire le rival de Dieu, ni de rejoindre la vie du bétail de la misère. La vision des "blanches nations en joie" est bien sûr utopique, mais reste un horizon d'attente acceptable, et l'idée des "splendides villes" est une reconnaissance des efforts des sociétés humains pour ce qu'ils sont. Pour signifier qu'il renonce à être une hyène, le poète se donne une allure de Christ vainqueur, tout en ménageant une critique finale des "faux élus" pour faire sentir qu'il est dans une troisième voie.
Il est bien dit que le poète considère sa victoire acquise sur l'enfer, tout en admettant que le bilan en est pourtant sévère avec une réalité rugueuse à accepter telle qu'elle est. Le poète s'avour un "paysan",  métier qu'il méprisait dans "Mauvais sang" où le paysan résumait l'ensemble des gens qui ont leur main pour vivre en société. Le poète n'a pas de "main amie", mais pour embrasser la réalité rugueuse, il est paysan, il a retrouvé des mains, il n'est plus une hyène.

En ce qui concerne le "vice" de la quatrième section de "Mauvais sang", il s'agit de l'état de hyène, de personne de "mauvais sang", inutile de chercher midi à quatorze heures.
En ce qui concerne le poison de "Nuit de l'enfer", il y a évidemment une difficulté particulière. Le poète a déjà été baptisé dans son enfance par ses parents, et comme le poète a joué à se réfugier parmi les païens il a été converti de force, et même sous le coup il dit qu'il a "entrevu la conversion au bien et au bonheur" à ce moment-là. Le poison n'est donc pas le baptême ou la conversion au début de "Nuit de l'enfer". Quand le poète dit : "Je me crois en enfer, donc j'y suis !" Le  poète veut dire que baptisé depuis longtemps sa prise de conscience de son rapport hostile au monde chrétien ambiant impose l'idée qu'il est en enfer. Et là on a un point subtil. Le poète est en enfer non pas parce que son baptême lui impose l'alternative paradis ou enfer, mais il est en enfer, parce qu'il croit être en enfer. Le poète va donc travailler à ne pas croire être en enfer, ce qui est plus subtil, et j'espère que vous comprenez.
Le poète ne se souvient pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme, c'est son héritage culturel par les livres et l'éducation religieuses, par les livres d'histoire notamment, mais si l'enfer ne peut attaquer les païens la solution du poète ne va pas être de s'aménager un quant à soi de pensée païenne. Le poète va cesser de croire être en enfer quand il va juger qu'il n'a pas à croire que la réalité doit être autre selon l'évangile ou doit être autre selon l'humeur de la hyène.
C'est ça qui a permis au poète de dire être sorti de l'enfer, mais cette conscience mitigée d'une réalité imparfaite signifie aussi qu'il ne se pose pas orgueilleusement en vainqueur de Satan, qu'il ne se pose pas orgueilleusement en maître de la vérité sur la justice. Rimbaud renonce au discours de surplomb dans les sujets métaphysiques et religieux. Il les méprise à hauteur de la vie humble qu'il doit mener, et c'est déjà assez difficile ainsi.
Quant à la vie éternelle, il ne répond pas non plus à la question, mais notez que cela s'est doublé d'une réflexion sur la métempsycose et le fait d'avoir plusieurs vies. Le poète admet sa vie telle qu'elle et si dans l'éclair il n'a pas répondu à la question sur l'éternité perdue pour lui, c'est que de toute façon il a une vie en cours dont faire quelque chose quel que soit le terme dans le futur.
Rimbaud n'a pas écrit un ouvrage de philosophie avec un sens qu'on va enseigner dans les écoles, mais le récit ne finit pas dans le boniment. Il s'agit d'un récit de rejet de l'attitude démiurgique quand nous prétendons apporter des réponses aux difficultés de la vie.

7 commentaires:

  1. Quelques coquilles à corriger, ce matin, je me réveille en me demandant qui m'a mis un coup de barre de fer sur le front pendant la nuit, ça attendra un peu.
    N'oubliez pas de lire la partie 3 du cr du livre de Vaillant "Le secret de fabrication", puisque ce n'est pas courant d'avoir un article qui montre que la méthode affichée n'a pas été suivie.
    J'ai oublié dans l'article ci-dessus, synthèse de génie comme vous voyez (vous avez admiré ce lien entre "Tu resteras (une hyène)" et "j'ai toujours été (de) race inférieure" où je mets en doute une coquille en soulignant la structure d'ensemble du livre. C'est tellement génial que vous n'aimez pas ? Oui, ça ne m'étonne pas de vous. Arrêtez de lire des livres, vous n'aimez pas le sel de la littérature, les subtilités. Lisez de la philosophie, des livres exposant des idées, mais la littérature ce n'est pas votre truc.
    J'ai oublié de placer la remarque sur le lit d'hôpital dans l'article précédent, puisqu'il y a tout le lien "dernier couac !", "poison" et "lit d'hôpital" à faire.
    Pour les "vingt ans", je lis dans l'édition Oeuvre-vie, saison annotée par Brunel, que Margaret Davies et Suzanne Bernard pensaient comme moi "aller mes vingt ans", et Brunel dit que c'est plutôt atteindre vingt ans. Aujourd'hui, tout le monde est aligné sur "atteindre vingt ans", mais j'ignore selon quelle logique grammaticale ils peuvent soutenir ça. Le texte ne parle pas d'adolescence, donc je ne comprends pas pourquoi ils sont sûr de leur lecture.
    Sur "j'ai toujours été (de) race inférieure", je dois vérifier l'essai de Bardel, car il enregistre platement les leçons de la Pléiade comme si elles étaient là de toute éternité ou faisaient consensus, alors que Bardel a tous les livres en main pour voir que non.
    Bardel étale les livres qu'il a lus, il rend compte, mais encore une fois on voit qu'il fait comme un élève il prend une information, s'y tient, sans faire de genèse, sans confronter les sources...

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    1. En fait, le propos qu'aiment bien répéter les gens qui publient sur Une saison en enfer : que ce serait l'oeuvre de Rimbaud la plus commentée, qu'il y a un déluge de commentaires la concernant, loin de permettre de dire que les ouvrages de référence et l'ouvrage de l'auteur qui prétend surenchérir et surplomber la menace sont encore vagues mais sont l'élite de la réflexion, ça finit par discréditer tout ce qui a été écrit comme faible, et ça laisse planer le doute sur le réel investissement en temps de travail. Je fais des mises au point qui font que je suis le seul à pouvoir dire maîtriser le sens du livre Une saison en enfer. Je suis le seul lecteur au monde d'Une saison en enfer. Il n'y en a pas d'autre !
      J'ai passé beaucoup plus de temps à commenter les vers et les Illuminations, mais j'arrive très rapidement à dégager du sens sur Une saison en enfer, et je défends sur la prose liminaire une lecture depuis 2004, lecture que daubent superbement la soi disant élite des rimbaldiens.
      D'ailleurs, qui achète les livres de Bardel, Vaillant et Frémy ? Et les recueils collectifs d'articles hors concours ?
      Le livre de Bardel, je suis cité dans les premières pages de l'introduction, je n'ai pas constaté la moindre hausse de la fréquentation de mon blog.
      Les lecteurs de Parade sauvage, des universitaires, d'ailleurs les revues universitaires sont essentiellement vendues à des bibliothèques où elles dorment en attente de lecteurs, ils me daubent superbement.
      Même une édition à cent exemplaires du livre de Bardel, du livre de Vaillant, de la revue Parade sauvage, ça devrait attirer des passionnés (du moins ceux qui ne répugnent pas à l'universitaire par peur de perdre leur sincérité, blabla). Donc, on est bien dans un circuit mort. Rimbaud n'intéresse quasi personne, et je suis le seul lecteur d'Une saison en enfer. C'est dingue, non ? Les gens qui achètent un fac-similé de l'édition originale d'Une saison en enfer, qu'est-ce qui les intéresse vu qu'ils n'aiment pas ce qu'ils y lisent, vu que ça ne les intéresse pas ? Ceux qui achètent les livres de Bardel et de Vaillant, qu'est-ce qu'ils font de leur achat ?
      Moi, je suis témoin que ces ouvrages restent sans suite. Si mon blog est sans suite, ça veut tout dire.

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    2. Un truc marrant. J'ai dû attendre un peu pour publier mon premier article, c'était en mai 2000 dans le n°16 de la revue Parade sauvage. Au même moment, Claisse publiait un article sur "Nocturne vulgaire" qui réorientait la lecture comme je le faisais moi dans un article demeuré hélas dès lors inédits, pareil pour "Mouvement" ensuite.
      En 2002, il y eut un colloque à Charleville-Mézières, je fus invité à la dernière minute dans la mesure où il y avait un froid entre rimbaldiens à cause de la pagination des Illuminations. Guyaux, Murat, Reboul et d'autres n'y étaient pas. Pourtant, Murat et Reboul adhéraient à l'idée (qu'on sait fausse aujourd'hui) que la pagination était autographe. Et j'ai alors rencontré Yann Frémy. Un truc sur lequel il m'a interrogé, c'est la formule : "Il faut être absolument moderne." Je n'ai pas trop réagi, j'étais dans l'idée que la formule était ironique à cause d'un fait lexical précis : "absolu" et "mode" (donc relatif) forment un oxymoron. Mais je me disais au fond de moi que Rimbaud semblait avoir utilisé l'adverbe "absolument" comme un mot familier du genre "vachement" et que tout ça n'était pas clair.
      C'est Bobillot qui le premier a développé en article rimbaldien (à ma connaissance) les propos de 1988 de Meschonnic. Claisse n'avait jamais parlé de Meschonnic, ça a dû lui être une révélation, il en a fait son modèle pour parler de la poétique de Rimbaud. Et Claisse soutenait la lecture ironique de Meschonnic, mais Frémy et d'autres étaient sceptiques, et là ils avaient raison. Claisse a évolué puisqu'il donne finalement tort à Meschonnic pour parler d'acceptation amère de cette nécessité dans un article de la fin de sa vie sur la Saison.
      Moi, j'ai commenté Adieu "tout dernièrement" sur ce blog en laissant de côté "Il faut être absolument moderne" pour élucider pleinement le reste avec "l'enfer des femmes" renvoi à la notion de caresses, et le soulignement mensonge / vérité.
      C'est tellement génial ce qu'il se passe sur ce blog, mais ça vous passe tellement loin au-dessus. Vous ne voyez rien, en fait !

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  3. Bardel publie deux livres avec le fac-similé d'Une saison en enfer, dont un flanqué d'un essai. Donc il veut nous inviter à aller voir de plus près le texte d'origine, et notamment les problèmes d'établissement du texte qu'il soulève, sinon une édition courante suffit. Editer le texte original, c'est inviter à méditer sur l'établissement correct du texte.
    Et c'est ce que Bardel est censé avoir fait lui-même. Il est inutile que tous nous méditions le texte original. Un gars édite le texte original, le commente en ayant fait tout le travail en amont, et à la marge il se fera amender par quelques réactions ultérieures.
    Puis un retour au texte d'origine, dans le commentaire on fait un historique des variantes, ce qu'a fait Pierre Brunel en 1987.
    Bardel rate donc son sujet. Il publie le fac-similé comme on publierait le logo originel d'une grande marque américaine.
    Bon, apprécions le fait qu'il ait traité "outils" comme une coquille, il en parle au début de son introduction et il met la note "Lire : "autels" au lieu de "outils". Mais, l'ouvrage est contradictoire, puisque juste au-dessus de la note de correction, il y a la note de commentaire qui dit que même si "autels" est plus logique, la leçon "outils" "se comprend tout à fait" et il ajoute, pratiquement avec les mêmes mots que Vaillant, lequel dit en revanche que "outils" est logique, pas "autels", que "la graphie n'est pas suffisamment nette pour départager les deux lectures possibles du mot." Il fixe un interdit, interdit de déparatager ! Quel lecteur ! Et comment ça se fait que le mot "outils" de l'imprimé étant connu, les rimbaldiens déchiffraient "autels" si comme le prétendent Vaillant et Bardel il est impossible de lire plutôt "autels" que "outils". Ils avaient "outils" en tête, ils ont lu "autels" ! Si tel est le cas, c'est que le manuscrit penche trop nettement pour "autels", non ? On constate aussi que Vaillant et Bardel se sont concertés pour savoir quoi écrire dans leurs livres respectifs. Politique de la revue Parade sauvage oblige !
    Sur "j'ai toujours été race inférieure", Bardel ne met pas de note pour l'établissement du texte, mais dans le commentaire il met en gras le passage pour le commenter, normalement en gras il cite le fac-similé tel quel, et il met un "de" qui ne figure pas dans le texte : '"j'ai toujours été de race inférieure". C'est ballot, encore une bourde sur l'un des dix points d'établissement du texte dans une édition fac-similaire !
    Oui, le très beau livre et le très bel essai de Bardel sur Une saison en enfer...

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  4. Vous lisez même les commentaires à mes articles de monologues théâtraux sur ce blog, mais alors vous reprendrez bien une petite cuillère de scoop ?
    Prenez le passage suivant de "L'Eclair" : il y a des guillemets de propos rapportés évidemment et pas moyen de mettre en italique "Tout le monde" :
    " "Rien n'est vanité ; à la science, et en avant !" crie l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde. Et pourtant, les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres... Ah ! vite, vite un peu ; là-bas, par delà la nuit, ces récompenses futures, éternelles... les échappons-nous ?.... "
    La glose est un peu ardue, la connexion logique "pourtant" veut signaler une anomalie, mais quelle anomalie le poète peut-il ainsi dégager quand il dit que les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres ?
    Mais, en deçà de la glose sur le "pourtant", faisons remarquer que ce propos rapporté est l'exact symétrique de celui de Satan dans la prose liminaire. Nous avons un écho flagrant des incises verbale : "crie" et "se récrie". Le poète restera hyène selon Satan et se dit de mauvais sang, donc il fait partie des méchants, et plus loin dans "L'Eclair" : "feignons, fainéantons" vaut reprise du nom "fainéants", il s'assimile à ce groupe.
    Autre lien sensible : après l'incise de la prose liminaire, Satan dit une inversion logique "Gagne la mort" pour "perds la vie", ce qu'aucun rimbaldien à part moi n'a jamais relevé (allez comprendre). Et ici, on a l'inversion de la parole de l'Ecclésiaste de "Tout est vanité" à ce moderne "Rien n'est vanité" de Tout le monde. Et évidemment, l'image des cadavres des méchants et des fainéants est à relier à "Gagne la mort" du coup.
    Et comme par hasard, je prétends lier le "dernier couac !", le "poison" et le lit d'hôpital comme dramaturgie du mal infernal, loin de cet émiettement de références biographiques qui ne sont rien pour la lecture du texte (coup de feu bruxellois, séjour à l'hôpital à deux reprises de Rimbaud).
    Et voui...

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    1. Tant que j'y suis, je parle un peu du titre "L'Eclair". Les commentaires se contentent de souligner que c'est une lumière soudaine dans la nuit, j'insisterais sur le côté dérisoirement fugitif de ces instants. Le mot "explosion" accentue cette dérision d'ailleurs.
      Les rimbaldiens soupèsent à peu près ainsi la valeur du mot "l'éclair" et celle du mot "explosion", mais ils ne développent pas l'arrière-plan biblique.
      Les titres du livre de Rimbaud sont souvent bibliques : Une saison en enfer, Nuit de l'enfer, Vierge folle, L'Eclair, Matin, Adieu, ou ils ont un lien métaphysique L'Impossible, ou morale Mauvais sang ou démiurgique Alchimie du verbe. La charité est une vertu théologale, on a les péchés capitaux, Satan, etc.
      Le mot L'Eclair est à creuser dans son implication biblique, c'est une lumière ok, c'est quelque chose de rapide et soudain, mais l'éclair c'est aussi une illumination spirituelle, et l'ironie de Rimbaud est de présenter le credo moderne de tout le monde comme une "illumination spirituelle". L'éclair est aussi un attribut de Dieu et une manière pour lui de faire sentir sa présence par la puissance, la menace et la colère.
      Je lis les notes de Brunel dans l'Oeuvre-Vie, rien de tout cela : "ce n'est même pas, cette fois, une 'minute d'éveil', mais un 'éclair' qui traverse l'esprit du narrateur. un éclair qui ne fait que passer..." Je ne relève aucune identification du sens biblique, même si la note suivante cite ceci de Lamennais : "Le travail, c'est l'action même de l'humanité accomplissant l'oeuvre dont l'a chargée le Créateur". On pourra toujours dire que ça va de pair avec l'idée d'éclair attribut du Créateur, mais en tout état de cause Brunel ne fait la liaison avec la religion qu'à cause de l'expression l'Ecclésiaste moderne. Il ne précise pas l'éclair comme allusion au signe divin.
      Bardel fait de même en 2023 : "Rimbaud suggère la violence intérieure liée pour lui à la question du travail, et rêve à l'éclaircie miraculeuse que sa résolution représenterait dans sa vie." Puis, de l'ensemble de la section "L'Eclair", Bardel dit qu'elle est conçe en deux temps, d'abord le sujet se rebiffe contre la conversion au travail, puis la pensée s'inverse (cas à part de la phrase finale) (livre facile à trouver de Bardel page 166). Or, le texte est plutôt ainsi : d'abord, le travail s'impose comme une idée explosive et donc non il n'est pas comme un rêve qu'entretient le poète.
      On sent que Rimbaud médite le discours des historiens comme Quinet, sinon Proudhon et d'autres, et même des Guizot, Thierry et consorts, qui voient l'être humain devenir dieu sur Terre par le progrès (messianisme laïc). Rimbaud expose l'idée et exprime immédiatement une réserve : "et pourtant". Dans les deux suivants paragraphes, il refuse le travail ; il le met de côté dans l'un puis il pale de son usure et soudain la menace de la mort imminente sur son lit d'hôpital le fait songer au prêtre.
      Bardel identifie un second mouvement d'inversion du rapport du poète au travail, mais est-ce le cas ?
      On a un paragraphe toujours de refus du travail "aller mes vingt ans", puis un revirement au sujet de la mort : "Non ! non ! à présent je me révolte contre la mort" avec toujours un refus du travail : "Le travail paraît trop léger à mon orgueil" avec "trahison au monde" qui devrait en découler. Puis, un propos sur la perte à titre personnel de l'éternité.
      C'est ça l'inversion du propos du poète sur le travail ?

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