mercredi 17 janvier 2024

"Le Bateau ivre" a-t-il parmi ses sources "Le Drapeau rouge" de Victor Fournel ?

Par le passé, j'ai déjà mis en ligne après un patient recopiage le long poème de Victor Fournel intitulé "Le Drapeau rouge" et à plusieurs reprises j'ai indiqué que c'était une source probable au "Bateau ivre". Je possède cette source depuis 2008 ou 2009, puisque c'est à la bibliothèque municipale de Toulouse que j'ai consulté systématiquement les revues littéraires anciennes du dix-neuvième siècle qui s'y trouvait. J'ai passé plusieurs journées à lire la Revue du monde illustré où figuraient les nouveaux dizains de Coppée en juillet 1871, des articles de Paul de Saint-Victor du genre "Barbares et bandits" en juin 1871, etc. Et puis, je lisais donc les autres revues. Il y en avait une qui contenait plusieurs poèmes d'Albert Mérat de son futur recueil Les Villes de marbre et j'avais même relevé des poèmes inédits. Et enfin, dans la revue Le Correspondant, j'étais tombé sur le poème anticommunard "Le Drapeau rouge" écrit par Victor Fournel.
J'ignore pourquoi quand je recherche mon ancienne transcription du poème sur ce blog elle n'apparaît pas. Je mets ici un lien où consulter à la date du 17 janvier 2024 le poème en question et j'en profite pour mentionner ses références de publication avec plus de précision.
Donc, en gros, la revue Le Correspondant a deux formes d'édition. Il y a l'édition en minces fascicules de quelques pages, les "livraisons", et puis il y a une édition reliant les livraisons entre elles, avec bien sûr une pagination continue qui était anticipée, et c'est une suite de gros volumes à couvertures cartonnées, beige de mémoire, que j'avais pu consulter. C'est important à préciser, puisque, pour un historien de la Littérature, il est toujours important de se représenter si l'auteur consulte un fascicule de quelques pages ou s'il a accès à plusieurs documents d'un coup avec le volume cartonné, et les dates pour consulter les ouvrages ne sont pas les mêmes. Puis, il y a le rapport à l'objet livre. Est-ce que Rimbaud a un fascicule où la transcription du poème "Le Drapeau rouge" prédomine ? Ou est-ce que le poème est perdu dans la masse ?
Pour la datation, c'est d'autant plus important qu'il faut déterminer la date de composition du "Bateau ivre". Le volume relié, je ne sais pas exactement quand Rimbaud a pu l'avoir entre les mains. En revanche, la livraison contenant la poésie de Victor Fournel est datée du 10 novembre 1871. C'est mille fois intéressant. Nous sommes à la fin de la grande époque des contributions zutiques de Rimbaud. C'est à ce moment-là, par exemple, que Rimbaud reporte les deux dernières parodies de Coppée zutiques de sa part que sont "Les Remembrances du vieillard idiot" et "Ressouvenir". J'avais remarqué aussi que vers novembre 1871 c'est une époque où dans la Revue du monde illustré et d'autres des articles sont publiés pour raconter la vie au quotidien des prisonniers de la Commune dans les pontons. C'est aussi l'époque des procès de nombreux communards dont la presse se fait l'écho, et j'ai déjà parlé du traitement ironique du très jeune Maroteau, presque un enfant, qui a été communard en poète, en se laissant porter par les flots. Le procès de Louise Michel concerne vraiment la toute fin de l'année 1871, ce qui fait que le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" daté de février 1872 est foncièrement d'actualité en rendant hommage aux femmes communardes faites prisonnières et jugées.
La grande idée, c'est que Rimbaud compose le poème "Le Bateau ivre" soit à la toute fin de l'année 1871, soit au tout début de l'année 1872, avec une reconfiguration complète des enjeux de la lecture qui en résulte. Il ne s'agit plus d'un poème de témoignage personnel librement inspiré suite à la Semaine sanglante, il s'agit désormais d'un poème polémique, même si hermétique, qui répond satiriquement point par point pour ainsi dire aux sarcasmes de la presse.
Le poème "Le Bateau ivre" est constitué de 100 alexandrins répartis en 25 quatrains de rimes croisées. Verlaine reprendra la limite des cent vers dans "Crimen amoris". Or, le poème "Le Drapeau rouge" est écrit sur le modèle des "Ïambes" d'André Chénier, c'est-à-dire une alternance d'alexandrins et d'octosyllabes. Et le poème de Victor Fournel compte deux cents vers, mais du coup cent alexandrins, comme "Le Bateau ivre".
L'allusion à André Chénier est très importante. André Chénier a adhéré à la Révolution française. En revanche, il s'agit d'un poète qui a été tué par le mouvement révolutionnaire, et lorsqu'André Chénier a été publié sous la Restauration il y a une image politique un peu récupérée qui a été donnée de l'œuvre d'André Chénier. Et, les "ïambes" ne sont pas n'importe quels poèmes. Incarcéré, Chénier crée ses derniers poèmes et il se débrouille pour les faire passer en cachette. Et Chénier dénonce évidemment ses juges, et nous avons ce vers saisissant que la légende fixe comme le dernier cri de Chénier avant d'être guillotiné : "Toi, vertu, pleure si je meurs." Attaquer la Commune avec le mode des "ïambes" d'André Chénier, ce n'est pas anodin, surtout pour un poète, ce qu'était Rimbaud, et surtout pour un poète qui prétend être un "voyant" tenant un discours au monde, ce qui est le cas de Rimbaud, de Victor Hugo, et indépendamment de toute théorie du voyant, c'est bien sûr le cas de Chénier dans sa situation politique meurtrière. De plus, en procédant de la sorte, Fournel favorise l'identification de la Commune à un certain esprit de la Révolution française.
Donc je vais donner le lien pour accéder à la lecture du "Drapeau rouge" de Victor Fournel. Je précise d'abord la référence. Donc pour le volume relié nous avons une "Table du 49e tome de la nouvelle série" mais "85e de la collection" entière. Il y a six livraisons sur trois mois et le poème est contenu dans la troisième livraison du 10 novembre 1871. Le poème "Le Drapeau rouge" commence à la page 554. Ce n'est pas un mince fascicule, je m'en rends compte, puisqu'une livraison fait presque 200 pages. La livraison contient des rubriques finales : Revue scientifique par Arthur Mangin et Quinzaine politique par M. Léopold de Gaillard. Si je compare, il y a six fois une rubrique "Quinzaine politique" toujours tenue par M. Léopold de Gaillard. En revanche, la "Revue scientifique" est une exception. Dans les trois livraisons suivantes, il s'agit d'une "Revue critique" par M. P. Douraire, et dans la première livraison il était question d'une rubrique de "Livres nouveaux" par le même Douraire. Je ne vais pas entrer dans l'analyse des autres articles de la revue avec les continuités entre livraisons, etc. En revanche, je relève une section "Souvenirs de l'invasion. - Orléans. - M. Thiers. - Mgr Dupanloup, par M. H. de Lacombe". Dupanloup est précisément mentionné par Verlaine dans les dernières contributions zutiques de la période octobre-novembre 1871, coïncidence donc qui peut être signalée en passant.
Le poème de Fournel est précédé par un article dont le titre raille la Commune : "Souvenirs d'un étranger pendant le règne de la Commune, par M. le prince Lubomirski".
Outre que c'est Henri Martin qui m'a fait revenir sur le nom de Victor Fournel, voici quelques informations rapides sur le Fournel et sur la revue Le Correspondant.
C'est un passionné par l'histoire du vieux Paris et, tenez-vous bien ! tout comme Armand Silvestre sous le pseudonyme germanisant Ludovic Hans et tout comme Théophile Gautier, Victor Fournel a publié un ouvrage sur les ruines de Paris après les événements de 1870-1871 : Paris et ses ruines en mai 1871, précédé d'un coup d'oeil sur Paris de 1860 à 1870. Toutefois, tout comme le volume de Gautier, le livre n'aurait été publié qu'en 1872. En revanche, outre les articles éventuels dans la presse, Fournel avait déjà publié des ouvrages sur Paris, dont les titres ne sont pas inintéressants. Prenez "Paris se repeuple ou L'Orgie parisienne". J'ai déjà dit que le titre "L'Orgie parisienne" reprend celui de "L'Orgie rouge" d'un article de Paul de Saint-Victor paru en juin 1871 dans la Revue du monde illustré, sachant qu'à la fin de l'année 1871 Paul de Saint-Victor a repris cela en livre avec Barbares et bandits. Or, en 1865, Fournel a publié un ouvrage intitulé Paris nouveau et Paris futur. Rimbaud réplique par sa vision de Paris, de sa nouveauté et de son avenir dans "Paris se repeuple". Fournel est connu pour avoir publié de nombreux ouvrages sur les comédies oubliées du passé, sur le théâtre, et son premier ouvrage, qui était sur la ville de Paris, portait le titre Ce qu'on voit dans les rues de Paris. Je rappelle que dans la Revue du monde illustré Coppée a publié en septembre-octobre 1871 une nouvelle "Ce qu'on prend pour une vocation" qui a servi de source à la parodie "Les Remembrances du vieillard idiot", surtout pour la chute finale. Et en août 1871, Rimbaud  a envoyé à Banville un poème portant ce titre : "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". En clair, le titre du poème envoyé à Banville est un cliché des écrivains de la presse ou littérature mondaine d'époque. Fournel est connu aussi pour son récit de la fuite de Louis XVI à Varennes et pour sa reprise de la rubrique des "Samedis littéraires" au fameux légitimiste Armand de Pontmartin (qui a été maire de la ville où j'habite et dont Rimbaud demande à Izambard s'il y tient vraiment dans une lettre de juillet 1871).
Bref, voilà pour le Victor Fournel connaissable par Rimbaud au début de l'année 1872.
Pour sa part, la revue Le Correspondant est un journal catholique créée en 1829, mais dont les publications chaotiques ne furent pas continues. C'est tout de même une revue qui rassemble du monde connu : Montalembert, Falloux, Albert de Broglie, Augustin Cochin, Villemain, Saint-Marc-Girardin, et Mgr Dupanloup, et Lacordaire. Il y a quand même de la poitrine au balcon. Lacordaire y a publié en 1856 son éloge d'Ozanam. C'est une revue qui avec les articles de Cochin et Melun a développé les thèses nouvelles du catholicisme social.
De 1855 à 1870, sous l'égide de Montalembert, la revue s'opposait à un ralliement au second Empire, mais aussi à la revue L'Univers de Louis Veuillot. C'est l'église libérale, gallicane. En septembre 1870, la revue a été interrompue, avec d'un côté la mort de Montalembert et de l'autre le chambardement politique. Sa publication reprend en juin 1871. Et la livraison du 10 novembre avec le poème de circonstance de Fournel fut sans doute l'occasion pour Rimbaud de prendre la température. Rimbaud lit donc ce poème pendant les procès des communards et quand l'expérience zutique s'essouffle.



Vous pouvez dénombrer deux cent vers, une alternance de cent alexandrins avec cent octosyllabes. Pour compter plus vite, vous comptez les alexandrins par deux puisqu'ils riment entre eux, vous comptez jusqu'à 50 paires d'alexandrins.
Evidemment, après, il est facile d'opposer les deux poèmes. Je vous vois venir : "Oui, mais il y en a deux cent, Rimbaud il n'y en a que cent, car il n'y a pas les octosyllabes, et dans le poème de Fournel il n'y a pas des quatrains, il n'y a même pas des strophes, et il y a des parties numérotées."
Bon, vous me fatiguez !
Tout simplement, ça demande un effort de composition volontaire d'arrêter son poème d'indignation contre la Commune à deux cent vers. La feinte de Rimbaud, c'est qu'il y réplique par le sang-froid d'une composition en cent vers, lui il ne mime pas l'indignation, mais il est dans les émotions extrêmes du "Poëme / De la Mer" et pourtant son inspiration ne sera pas débridée, il va se fixer un objectif d'un poème en cent vers. Evidemment, comme vous n'êtes pas intelligents, vous ne pouvez pas comprendre ce genre de feintes de la part de Rimbaud.
Alors, on continue !
Avant de parler du "Drapeau rouge" comme cible et source du "Bateau ivre", je balance une preuve supplémentaire que Fournel veut qu'on pense à André Chénier en le lisant. Non seulement Fournel adopte la forme remarquable des "ïambes", mais il place très tôt dans son poème le mot "pleurs" à la rime, ce qui respire l'écho du fameux vers : "Toi, vertu, pleure si je meurs." Et "pleurs" (oui, ce n'est pas "meurs" ou le verbe "pleure", mais on s'en fout !), il rime avec "couleurs", et plus précisément avec "l'étendard aux trois couleurs"... On va en rappeler plus bas.
Le début du "Bateau ivre" est célèbre avec son introduction in medias res ("au milieu des choses") : "Comme je descendais..." Mais cette amorce est liée à une idée de simultanéité des actions : "Comme je descendais..., je ne me sentis plus..." Surprenant hasard, le poème de Fournel commence par l'expression d'une simultanéité, sauf que nous sommes au plan de l'exposé politique bien académique :
Ainsi, lorsque la France, étendue et gisante
      Dans le linceul de son drapeau,
Râlait avec effort, victime agonisante,
       Déjà prête pour le tombeau,
Ils ont saisi son corps meurtri par cent blessures
        Et, troupeau de fils scélérats,
Feignant de le baiser, l'ont couvert de morsures,
        Et l'ont étouffé dans leurs bras.
[...]
Bon, je dois éviter de faire le rapprochement de l'attaque "Ainsi" avec "Le Lac" et "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", c'est normal, vous allez me dire aussi qu'ici il s'agit d'une simultanéité non pas deux actions distinctes, mais d'une simultanéité où la seconde action ne peut se faire sans la première, mais peu importe. De toute façon, à bien y regarder de près, c'est comparable dans "Le Bateau ivre" : "je me laissais porter par le courant et d'un coup j'ai senti que non seulement j'étais mené par le courant, mais que les haleurs ne régulaient plus rien". Ici, la France est à terre, ils s'en saisissent.
Vous admettrez tout de même que cette allégorie de la France, qui nous rappellerait des pages de Ronsard et Aubigné, fait songer à "Paris se repeuple", et les communards sont assimilés à ceux qui grouillent sur son cadavre. J'ai arrêté ma citation aux huit premiers vers, mais vous n'avez qu'à vous reporter à la suite immédiate : "Dans les flancs déchirés [...] Ils ont fouillé [...]" -Quoi ? Mais alors, dites-vous, Verlaine nous aurait menti en datant "Paris se repeuple" de mai 1871 ? Ben, bien sûr, qu'ils a un peu déformé la vérité. "Paris se repeuple" est un poème plus tardif. Au passage, Jacques Bienvenu avait signalé qu'une première page d'un livre sur les ruines de Paris après l'année terrible offrait l'expression "Paris se repeuple", sauf qu'il nous manque toujours le nom de l'auteur.
Car je rappelle que Fournel est un passionné de Paris et que donc ça a du sens pour Rimbaud de répondre à Fournel en passant de l'allégorie de la France à l'allégorie de Paris, ça a beaucoup de sens bien évidemment.
Dans "Le Bateau ivre", nous retrouvons l'idée de l'agression, mais elle est déplacée. Ah, je suis libre, ah ! les haleurs ont été victimes de peaux-rouges. Les "peaux-rouges", ce sera une désignation injurieuse des communards dans la suite du poème de Fournel, nous y reviendrons, mais admirez les signes patents de la transposition : Fournel voit la France étendue et gisante dans son drapeau qui lui sert de linceul et un peu plus bas toujours dans le début numéroté I du poème de Fournel, nous avons un reste d'étendard aux trois couleurs sur son débris de hampe :
Voilé d'ombre et de deuil, dévasté par la foudre,
       Quand l'étendard aux trois couleurs
Sur son débris de hampe arborait, noirs de poudre,
        Ses lambeaux lavés par nos pleurs,
Ils l'ont d'un coup de pied lancé dans la poussière,
        Et mis en sa place debout
Leur sanglante guenille, idéale bannière
         De l'abattoir et de l'égout !
Vous commencez à comprendre comment Rimbaud réplique avec désinvolture, les haleurs du genre Fournel "Des Peaux-Rouges criards" les ont "cloués nus aux poteaux de couleurs." Vous retrouvez le mot "couleurs" à la rime en début de poème, vous retrouvez l'idée d'un habillage des victimes, la France dans un drapeau bleu blanc rouge, et les haleurs sont sur des poteaux de couleurs, et debout pour faire contrepoint à la guenille sanglante des communards dans le poème de Fournel.
Et une fois libéré, le bateau peut continuer de descendre pour rejoindre la Mer.
Or, c'est quoi la suite immédiate du poème de Fournel, je vous résume l'idée de la troisième et dernière séquence du mouvement I : "Roule, roule, [...] France [...] l'abîme insondable / Cachait un gouffre plus profond : / Royaume ténébreux que le vertige habite, / Peuplé de rauques hurlements, / Où, dans le vide immense et la nuit sans limite, / Rampend de lourds fourmillements" avec "d'infernales visions"...
Et je ne m'arrête pas en si bon chemin. Rimbaud n'a pas repris le titre "Le Drapeau rouge". Bon, je pourrais dire qu'il y fait allusion dans "rutilements du jour" et avec une ironie sur le mur des fédérés dans "rougeoyant comme un mur", mais vous avez vu que "drapeau" / "tombeau" était la deuxième rime du poème, et surtout la première rime des octosyllabes. Le troisième octosyllabe passe à une autre attaque de rime, mais on n'échappe pas à une rime interne "troupeau", rime avec "drapeau" qui a  de mieux que "tombeau" la bonne consonne d'appui. C'est amusant, parce que le poème "Le Bateau ivre" contient plus loin la rime "peaus" et "troupeaux" qui lie des hommes bêtes "panthères à peaux / D'hommes" à de "glauques troupeaux" (pour Rimbaud, "glauques" n'est pas un mot dévalorisant, il ignore son emploi actuel, ça veut dire "verts" en langage un peu recherché). Or, les "glauques troupeaux" répliquent du coup aux "visions infernales" de Fournel d'insectes, vipères et scorpions au fond du gouffre obscur où la France est tombée. D'ailleurs, "nuit sans limite" d'insectes, vipères et scorpions de l'enfer a une parfaite réponse symétrique avec "nuit verte" et "glauques troupeaux" en quelque sorte.
Fournel passe ensuite à une dénonciation des communards sur le mode de mépris sarcastique rhétoriquement déployé par Hugo dans Les Châtiments. Hugo s'attaquait au second Empire, mais Fournel considère qu'il suffit de faire pareil que Victor Hugo en changeant de cible critique. Fournel utilise évidemment le registre familier, des mots tels que "vomissement", il pratique l'humour sombre hugolien : ces braves font peux aux femmes et enfants, etc. Du coup, cela fait aussi une suite conséquente de vers où nous n'avons pas l'occasion de constater des objets de réécritures pour les vers du "Bateau ivre", mais ça reste envisageable pour "Paris se repeuple" et ça permet de comprendre pourquoi "Le Bateau ivre" est une nécessaire réponse à Fournel. Il va de soi que Fournel ment éhontément avec le début du mythe selon lequel les parisiens insurgés ne répondaient pas présents auparavant pour affronter les prussiens. Nous savons avec l'exemple de Rimbaud que c'était l'inverse. Ils ne voulaient pas de la défaite qu'on leur a imposée.
La partie II du poème de Fournel se termine par une idée des plus maladroites, il accuse le "drapeau rouge" d'être celui du "parti du sang", sauf que l'essentiel des massacres c'est pas les otages reprochés à la Commune, c'est les victimes de la Semaine sanglante, inversion accusatoire moralement des plus graves. D'après mes calculs, Dieu n'a pas accordé de nouvelle vie après la mort à Coppée et Fournel, ce n'est même pas une question de juste rétribution, c'est juste que Coppée et Fournel ne pensent pas normalement comme des êtres humains qui savent évaluer une disproportion des chiffres des morts. Ils sont idiots, donc ils n'auront pas de nouvelle vie, c'est aussi simple que ça. C'est con de se revendiquer chrétien et d'être aussi inconséquent.
Je reprends.
Et donc, le poème de Fournel il est un peu en roue libre, il déploie de l'invective à tout et ça continue dans la partie III, ça manque vivement d'intérêt littéraire je dois dire, mais dans ce ruisseau de boue Rimbaud s'oblige à relever un objet de réécriture, et il tombe sur ce passage avec le mot "panthères" et "grouiller au soleil" :
Et grouiller au soleil l'épouvantable meute
      Des panthères de nos faubourgs.
Il est question de fermentations au soleil dans "Le Bateau ivre" et je vous pose la question si oui ou non il y a une allusion à la Commune dans les "yeux de panthères à peaux / D'hommes". Le rejet "D'hommes" est célèbre, et on s'étonne de la formule de Rimbaud : ces panthères porteraient-elles des peaux d'hommes contre l'homme des cavernes portaient sur lui des peaux de bêtes ? Ben non, les panthères ont plutôt l'apparence d'hommes, et on peut voir dans le rejet du poème de Rimbaud une réponse cinglante à Fournel : ces gens des faubourgs que vous appelez des panthères, sont des hommes, et on pourrait y mettre le poids rhétorique du poème "Le Forgeron".
Et le mot "barbares" ne manque pas à l'appel trois vers plus loin :
Athéniens de Paris, regardons les barbares
     Et le truand et le routier !
A proximité de l'ironique "fanfares" à la rime, on a aussi le mot "lyre" à la rime. Dans le poème "barbare" des Illuminations, Rimbaud emploie ironiquement le mot "fanfares" mais pour désigner les célébrations de l'Empire ou de gens comme Fournel, et dans "Le Bateau ivre" parle d'événements rouges nommés "rousseurs" "plus vastes que nos lyres".
En réalité, Fournel parle de sonner des fanfares pour ce temps en mélangeant le fait d'être né sous l'empire, la fierté d'être français et l'aventure près de chez soi avec les sauvages du progrès, mais je ne veux pas entrer dans les nuances.
Et donc ça se poursuit en invectives. L'ivresse est reprochée aux sauvages du progrès : "se soûler d'alcool"... et tout de suite après on a l'identification, oui, à quoi, à quoi, à quoi ? aux "Peaux-Rouges", messieurs dames ! Et dans "Peau-Rouge" il y a rouge pour drapeau rouge selon Fournel, mais il y a aussi "peaux" qui relient "yeux de panthères à peaux / D'hommes" à la mention "Peaux-Rouges" initial du "Bateau ivre". Et donc je cite les deux vers clefs, je vous exhibe ça tout de suite :
Comanche de Pantin, Cafre de Belleville,
        Peau-Rouge des Buttes-Chaumont ?

Le mot "orgies" apparaît à la rime un peu plus loin.
Rimbaldien numéro 9 : fi, quelle importance ?
Rimbaldien numéro 10 : il ne fait que choisir quelques passages d'un poème que personne ne connaît et brode des rapprochements hasardeux, tout le monde peut faire ça.
Rimbaldien numéro 11 : de toute façon, je ne lis pas David Duccoffre, non ne me demandez pas mon avis sur son blog, je ne le lis pas, je ne le lirai pas. Je ne le lis pas pourquoi ? Parce que je n'ai pas le temps, je n'ai pas de préjugé, je ne le lis pas, je n'ai pas le temps, je ne sais pas ce qu'il écrit en-dehors de ses articles dans Parade sauvage, je n'ai pas le temps, je dois lire les autres rimbaldiens, j'applaudis des deux mains, j'en parlerai le jour où je le lirai, mais je n'ai pas le temps, non, non, non et non ! Et Fournel en profite pour taper sur Marat, Robespierre, Danton dans sa partie IV...
Fournel identifie la Commune à l'irréligion et au catéchisme du fumier.
Et je vous cite à tout hasard ces deux vers où Fournel raille sur la vision de l'homme des communards dans une image qui a clairement l'air d'être celle à laquelle répond Rimbaud avec ses "yeux de panthères à peaux / D'hommes" :

Récitez du néant l'immonde catéchisme
    Et le symbole du fumier,
Où l'homme, ambitieuse et chétive pécore,
    Remis à son juste niveau,
N'est qu'un morceau de chair, par deux grains de phosphore
     Doté d'une âme et d'un cerveau !

Peut-on repérer une origine à l'expression : "j'ai aimé un porc" dans tel passage fournélien : "Donnez-lui [...] Pour frère le pourceau [...]". Nous avons une citation et un tacle de Proudhon avec l'expression "la crapule en délire", Fournel a le mot "canaille" à la bouche. On comprend du coup tout le sel de la réplique des "yeux de panthères à peaux / D'hommes". Fournel est délégué au Vatican pour dire qui sont les hommes, qui n'en sont pas.
Fournel qui ose sous-entendre que l'homme est plus que ce qu'en font les communards traitent les faubouriens de Paris de "frères de la mort", de "rivaux de la peste" et admirez les sous-entendus de la phrase restrictive : "vous n'êtes rien qu'un danger".
Et à la fin du poème de Fournel, alors que vous vous dites qu'il y a des tas d'énoncés du "Bateau ivre" que je n'ai pas mis en relation avec le poème de Fournel, quel signe patent de réécriture nous identifions encore ? Eh bien dans la partie V, Fournel propose une variante sur le piloris de l'Histoire au début des Châtiments de Victor Hugo avec l'image de communards cloués à un même poteau :
Qu'empoignant dans sa main ces échappés du bagne,
    L'avenir, d'un coup de marteau,
Sombres hiboux, auprès des vautours d'Allemagne,
    Les cloue à l'infâme poteau !
C'est clair comme de l'eau de roche que "Le Bateau ivre", même s'il ne s'y limite pas, développe par de petites réécritures une mise au point fatal au poème de Fournel. Et on appréciera le dégonflement épique. Ah ! les communards ne sont que de "sombres hiboux" en comparaison des "vautours d'Allemagne", tout ça après les avoir traités de vipères d'enfer, quelle cohérence, bon, allez on va vous clouer, mais on ne fait pas de piloris de la honte, puisque vous êtes vous-même votre propre honte, on vous laisse clouer, on ne vous commente pas : "Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs."
Et, enfin, on peut minimalement comparer les deux fins de poème. Dans "Le Bateau ivre", le poète n'ose plus passer devant les "yeux horribles des pontons", et à la fin du "Drapeau rouge" on a une vision d'engloutissement dans la honte dans une métaphore du flot :
Comme le flot qui roule à l'égout et qui noie
     Les immondices du charnier !
Rimbaldien numéro 12 : bon, ben, on va expliquer "Le Bateau ivre" en tenant compte de cet éclairage par le poème de Fournel, il suffira de ne pas citer le poème de Fournel, ce sera de la critique pure, sans source à un poème. Et Bardel ne va pas déconner, ne va pas ajouter "Le Drapeau rouge" au florilège des sources, Ducoffre a mis des options dessus, et Claisse, Circeto et d'autres n'ont pas eu le temps de lui piquer, maintenant c'est foutu, hein !

1 commentaire:

  1. J'aurais dû le mettre sous l'article précédent mais pour Oraison dû soir si on lit l'édition posthume de 1868 des Fleurs du Mal celle à priori lue par Rimbaud on tombe sur le sonnet A Monsieur Théodore de Banville 1842 ou Baudelaire le vante d'empoigner la Déesse par les crins. Et deuxième vers Baudelaire emploie le mot poignet. J'en ferais volontiers l'origine du Empoignant une chopé à fortes cannelures...
    A part ça sur le poème Antique, je finirai par citer un dossier de passages des Odes d'horaire à comparer.

    RépondreSupprimer