Je reviens enfin à la suite de mon compte rendu à propos de cet ouvrage que j'avais commencé à décortiquer à la fin de novembre et au début du mois de décembre.
Je vais éviter de développer des notes page par page, phrase par phrase. Je compte aller à l'essentiel.
Alain Vaillant a annoncé un "secret de fabrication" dans son introduction : il aurait travaillé sur Une saison en enfer, en évitant de lire ou relire les travaux de référence. Il ne les aurait lus qu'après avoir mené sa propre étude pour apprécier les similitudes et les divergences, similitudes mises sur le compte d'une concordance inévitable sur ce que dit effectivement ce récit, et divergences mises sur le compte d'hypothèses forcées arbitraires (Avant-propos, pages 8-9) :
[...] Les similitudes se comprennent aisément : le texte de Rimbaud dit ce qu'il dit, quel que soit le lecteur. Pour ne pas surcharger de notes indigestes, sauf lorsqu'il s'agissait pour moi de reconnaître mes dettes éventuelles. Quant aux divergences, il m'a semblé qu'elles découlaient souvent des interprétations plus globales de l'œuvre que font les uns et les autres, et qui les orientent parfois dans des directions arbitraires.
Je suis frappé par cette phrase d'aveu de la pénibilité à reconnaître des dettes, lesquelles sont taxées qui plus est (pardon du jeu de mots !) d'être "éventuelles".
Dans un propos qui rappelle un peu la démarche de Bernard Meyer dans son livre Sur les Derniers vers qui étudiait pas le menu des poèmes de 1872, Vaillant précise ensuite que, lui, justement s'est in^terdit de donner la priorité dans ses commentaires à des messages ou "leçons" de type poétique, politique, religieux, philosophique ou psychologique. Il travaille à l'élucidation du sens littéral, déjà bien assez riche semble-t-il signifier, et il s'agit d'abord d'étudier le lexique et la syntaxe. Vaillant développe alors l'idée que comme Mallarmé le disait de lui-même Rimbaud est un "syntaxier". Toutefois, Michel Murat a déjà développé cette idée lors d'une conférence à Charleville-Mézières en septembre 2004, conférence qui a donné lieu à une publication d'article dans le volume colloque n°5 de la revue Parade sauvage. J'ignore si l'idée de Rimbaud "syntaxier" apparaît dans l'article, mais j'étais présent à la conférence en septembre 2004, et j'ai donc déjà entendu cette idée telle quelle. Mais, peu importe ici. Dans la citation que j'ai exhibée plus haut, je relève une affirmation qui pose véritablement problème : l'unanimité ou du moins l'étendue consensuelle de certaines interprétations viendraient de la bonne lecture par plusieurs experts, par plusieurs personnes ayant les titres pour se prononcer, du sens littéral d'Une saison en enfer. J'ai déjà indiqué que si Vaillant prétend lire et relire depuis cinquante ans Une saison en enfer c'est qu'il subit le conditionnement des travaux experts qu'il prétend mettre de côté pour rédiger son ouvrage. Mais j'ai même un doute sur le fait qu'il ait réellement conduit son travail en s'isolant préalablement des lectures d'autrui. Je pense au contraire que tout l'ouvrage a été écrit au fur et à mesure dans une confrontation incessante aux publications ambiantes. Je ne suis pas obligé de croire Vaillant sur parole quand il parle de son "secret de fabrication". Dans tous les cas, le livre assez court que nous avons sous les mains a été rédigé après toutes les étapes de la réflexion de son auteur, donc après la confrontation à d'autres travaux critiques. De premiers lecteurs sont remerciés pour leurs conseils, notamment Bardel et Cavallaro, voire Solenn Dupas au sujet de la religiosité de Verlaine (je ne connais pas Novak-Lechevalier). Vaillant fait des résumés des points de vue des critiques sur telle ou telle difficultés du texte. Ces passages-là auraient été écrits en dernier sans influer, ils se seraient greffés sur une rédaction préexistante. Je n'y crois tout simplement pas. Et j'en arrive à ce point délicat. Je pense que plusieurs interprétations soutenues par Vaillant ne viennent pas d'un travail personnel cherchant à s'isoler des influences, mais viennent très souvent d'un arbitrage d'articles qui ont été lus, sauf qu'il n'y a aucune démarche lente pour les lire. Comment croire que pour la prose liminaire l'interprétation selon laquelle les "aimables pavots" seraient des illusions religieuses provoquées par Satan vient d'une étude personnelle dont la validité sortirait renforcée d'une confrontation à des articles antérieurs. Non, Vaillant a constaté que plusieurs articles suivaient cette idée-là et notamment Christophe Bataillé disait trouver cela évident dans son article publié en 2014 dans le volume collectif de la Revue des Sciences humaines dirigé par Yann Frémy : "Enigmes d'Une saison en enfer".
Je vais reprendre tout ça à tête reposée, je vais faire un historique des dizaines de lectures proposées de la prose liminaire d'Une saison en enfer.
Mais, déjà je donne une idée concrète du problème, je cite l'extrait en débat et j'y mets un terme au débat, terme qui ne sera pas en faveur des "similitudes" entre chercheurs parce que le texte dit ce qu'il dit :
Or,
tout dernièrement, m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j’ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où
je reprendrais peut-être appétit.
La
charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que j’ai rêvé !
« Tu
resteras hyène, etc., »
se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. « Gagne la mort
avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »
Ah !
j’en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle
moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans
l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache
ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
Je cite toute la fin de la prose liminaire. Il me faudra reprendre ce que disaient Margaret Davies et Yoshikazu Nakaji avant la décennie 1990. En tout cas, en 1987, Pierre Brunel a été le premier à soutenir que Satan se récriait parce que le poète refusait d'admettre la charité comme clef du retour au "festin ancien". Jean Molino a dénoncé - et sur ce point initial il avait raison - cette lecture comme une contradiction : la charité, c'est l'affaire de Dieu, pas de Satan. C'est un non-sens d'attribuer à Satan une colère encourageant le poète à pratiquer la charité. Le problème de l'intervention Molino, c'est qu'il essaie alors de dire que d'un côté Rimbaud dit qu'il a rêvé toutes les scènes où il attaquait les bourreaux et les fléaux et non pas qu'il a rêvé le festin ou la charité comme clef et que d'un autre côté Rimbaud cherche une "charité" laïque, ce qui faisait qu'il ne fallait pas selon Molino identifier une référence à la vertu théologale dans le texte de Rimbaud. Bardel a été influencé par cette lecture de Molino. Sur son site "Arthur Rimbaud, le poète", Bardel indique que Rimbaud veut retrouver l'idée de "charité" qui n'est pas la vertu théologale, mais un autre nom laïc pour l'amour. Bardel le dit dans la notice qui accompagne son édition en ligne de la prose liminaire (
cliquer ici). Je cite, mais vous pouvez le vérifier par vous-même en principe :
L'œuvre qui s'annonce aura donc quelque chose d'une autobiographie, dont l'enjeu sera de savoir si le poète peut inverser une destinée placée sous le signe de "la haine", et retrouver le chemin de "la charité", c'est-à-dire de l'amour. [...]
Bardel date ses interventions. Il donne une lecture méthodique en 2004 et une lecture linéaire en 2009. Je vais citer maintenant un passage important de sa lecture de 2009, mais encore une fois je vous donne aussi le lien pour vérifier par vous-même (
cliquer ici). Bardel rappelle que le mot désigne en principe une vertu théologale, mais il pense que Rimbaud n'exprime pas un désir de retour à la foi, et donc Bardel pense avec Molino et un autre rimbaldien que je vais citer plus loin que la "charité" ne désigne pas la vertu théologale, mais a un sens laïc quasi personnel à Rimbaud :
[...] C'est de l'amour humain qu'il s'agit. Car, toujours, dans la Saison, Rimbaud désigne blasphématoirement par "charité" l'amour profane, et même, plus précisément, "l'amour maudit", le "dévouement" ensorcelé" de l'Epoux infernal pour la Vierge folle (qu'on se souvienne du sens de ce mot dans Les Sœurs de charité).
Et plus loin dans son article, Bardel surenchérit dans cette optique :
[...] Ce n'est donc peut-être pas simplement par esprit de blasphème qu'il appelle "charité" l'amour témoigné à la Vierge folle mais aussi parce que cet amour représente pour lui, dans sa naïveté, une entreprise authentiquement charitable, une sorte de sacrifice fait à l'Autre pour le sauver : du vrai christianisme en quelque sorte. Illusion amère, bien entendu, puisqu'elle l'a conduit aux abords du trépas [...]
On le voit, Bardel prétend carrément que le "dernier couac !" a été frôlé à cause d'une quête éperdue de "charité" plus sincère.
Et puis, non datée, il y a une section "Panorama critique et bibliographie" sur le site de Bardel, où non pas Molino, mais Jean-Luc Steinmetz, l'éditeur de Rimbaud en Garnier-Flammarion depuis 1989, est convoquée pour une définition laïque de la notion de charité. je vous mets encore une fois le lien (
cliquer ici) et je cite :
Dans sa communication au colloque de Cerisy intitulé La Cruelle charité d'Arthur Rimbaud [...] Jean-Luc Steinmetz se demande quel sens il faut donner au mot "charité" en ce début d'Une saison en enfer : "La charité, l'amour du prochain, est donnée comme une clef dans le livre (...) Ce qui pulse là, dans l'inavouable et la réticence, est, avant tout (il ne faut donc pas se laisser prendre au paravent religieux qui vaut ici comme métaphore), une surprenante demande d'amour. [...]
Cette conférence comme le précise la note de bas de page internet a été publiée sous forme d'article en 1986, elle est antérieure au livre de Brunel et par conséquent à la réfutation de la lecture de Brunel par Molino, autrement dit on peut penser encore que la lecture de Steinmetz a influencé celle de Molino. Evidemment, comme la lecture de Steinmetz est indéfendable à cause de la fin de "Adieu" où le poète rit des amours mensongères et renonce à chercher la "main amie", Steinmetz met un pare-feu, en soutenant que par un ultime sursaut d'orgueil le poète s'enferme dans sa solitude. Steinmetz se moque de Rimbaud comme de son public disant ça. Non, le renoncement à la "main amie" est un mot de la fin, même si le désir d'amour est une réalité.
Mais, au-delà du propos de comptoir un peu ridicule : "une surprenante demande d'amour", Steinmetz fait un contresens quand il dit que la charité est donnée comme une clef dans le livre, puisque la fausseté de cette idée est exprimée dès la prose liminaire. Steinmetz et derrière lui Bardel seraient également sans doute bien en peine d'expliquer en quoi le mot "charité" est une métaphore religieuse pour désigner autre chose dans la prose liminaire de la Saison. Pourtant, Yoshikazu Nakaji va lui aussi basculer dans l'idée que la "charité" n'est pas la vertu théologale dans la prose liminaire de la Saison. Sous mon influence, qu'ils n'avouent pas, les rimbaldiens sont revenus de cette erreur et admettent qu'il s'agit bien de la vertu théologale dans la prose liminaire, comme on le constate avec le livre récent de Bardel qui a changé d'interprétation visiblement.
Tout le monde commence à revenir à la lecture première. Au sein du même alinéa, la phrase : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" rejette l'affirmation : "La charité est cette clef !" sauf que les rimbaldiens cherchent à identifier le rêve dont il est question. Molino considère que le rêve correspond aux prétendus souvenirs d'une révolte contre la Beauté, la justice, etc., du moins que la lutte contre les bourreaux et les fléaux avaient l'aspect du rêve, puisque le poète songe à la "charité" pour retrouver le festin ancien. S'il songe à la charité, il ne peut pas avoir été ce révolté qu'il décrit.
En 2014, Bataillé a soutenu que d'évidence, puisque les pavots provoquent le sommeil et que le poète dénonce une chute qui va de pair avec un sommeil, ce sont les pavots de Satan qui ont provoqué dans son esprit des illusions religieuses avec une pratique de la charité permettant de se rendre à un festin de concorde universel.
Vaillant suit la thèse de lecture de Bataillé exprimée en 2014 dans un volume collectif dirigé par Yann Frémy. Yann Frémy était le codirecteur du Dictionnaire Rimbaud de 2021 avec Alain vaillant et Adrien Cavallaro. Et Cavallaro étant remercié pour son rôle de premier lecteur de l'essai de Vaillant paru en 2023, nul doute que sans son décès Frémy aurait lui aussi été remercié en début d'ouvrage. Solenn Dupas est remerciée qui était une verlainienne travaillant régulièrement avec Yann Frémy. Alors, on dira que je ne peux rien prouver, mais je permets de penser que si dans son essai de 2023 Vaillant soutient que les "pavots" ont provoqué les "illusions religieuses", c'est parce qu'il l'a lu dans certaines études et notamment dans celle de Christophe Bataillé dont je viens de rendre compte sur mon blog, sachant que Bataillé considère cette lecture comme une évidence. Je reprends la citation fournie dans mon article précédent (Christophe Bataillé, ""A l'épreuve du temps", Enigmes d'Une saison en enfer, textes réunis par Yann Frémy, Revue des Sciences Humaines, 2014, page 137) :
[...] Il s'agit tout d'abord de la plante du sommeil que l'on doit de toute évidence mettre en rapport avec l'expression "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" au paragraphe précédent. [...]
Alors, on va citer à nouveau la fin de la prose liminaire et je vais commenter contre les évidences :
Or,
tout dernièrement, m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j’ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où
je reprendrais peut-être appétit.
La
charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que j’ai rêvé !
« Tu
resteras hyène, etc., »
se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. « Gagne la mort
avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »
Ah !
j’en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle
moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans
l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache
ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
Le poète a frôlé la mort (le dernier couac !) avant de songer à la charité comme moyen de renouer avec l'ambiance du festin. C'est dit en toutes lettres, donc cela vaut réfutation d'un point de lecture jadis prôné par Bardel sur son site. Il n'est pas dit non plus que le poète a de l'appétit pour le "festin", il en envisage la possibilité sans enthousiasme, sans vraiment y croire : "où je reprendrais peut-être appétit". C'est dit en toutes lettres. La phrase : "La charité est cette clef", n'est pas prise en charge par le poète qui la dénonce comme une "inspiration". Et cette "inspiration" comme il dit permet de cerner une autre duperie. Le poète a "rêvé". Ce rêve est en liaison avec le fait de songer à une clef pour renouer avec le "festin". Si ce passage est blasphématoire, ce n'est pas du tout parce que le mot "charité" désigne autre chose que l'amour chrétien, mais au contraire parce que le poète affirme brutalement que l'idée de la charité chrétienne est absurde en ce monde. La "charité" se double de "mépris" dans le jugement du poète, comme il le fait savoir dans "Mauvais sang". La "charité" est une pratique sociale hypocrite, pas un modèle d'accès à une concorde des êtres. Et d'ailleurs, je rappelle que "Mauvais sang", inversion par rapport à la formule "Bon sang ne peut mentir", comporte un développement sur le refus d'avoir sa main qui bien sûr a son pendant avec le problème de la "main amie" à la fin de "Adieu" et donc du livre Une saison en enfer. A la fin de "Adieu", le poète avoue s'être nourri de mensonge et ne répugne plus de la même façon à donner sa main, autrement dit à faire partie d'une chaîne humaine du type "festin où s'ouvraient tous les cœurs", mais comme il ne croit pas aux autres identifiés à des menteurs il reste tout de même dans sa solitude, il ne refuse pas de donner sa main, il prend acte que personne ne tend la main sans mentir et donc ne s'en inquiète pas outre mesure. Et il rit des amours mensongères de couples qui bien sûr se donnent la main. Bref, la lecture de Steinmetz est un contresens complet, celles anciennes de Bardel aussi. Et, dans la prose liminaire, on a bien un rejet de la charité en tant que vertu théologale. La subtilité de Rimbaud consiste à parler d'inspiration tout court, alors que pour un chrétien, l'invitation à pratiquer la charité est une inspiration divine. On constate que de nombreuses personnes qui publient des lectures supposées expertes d'Une saison en enfer ne comprennent même pas la feinte du poète dans ce passage précis. Ce n'est pas normal de manquer de remarquer l'absence de l'adjectif "divine" après "inspiration". C'est un trait d'esprit du texte. Comment peut-on passer à côté ?
Mais, les problèmes commencent avec l'alinéa suivant. Satan ne se récrie pas contre le rejet de la charité ainsi que l'a soutenu Brunel dans son édition en 1987 et dans son édition au Livre de poche en 1999, il se récrie contre le rejet du "dernier couac !" et donc contre le rejet de la mort. Je passe sur la lecture de Molino où Satan reprocherait à Rimbaud de croire avoir rêvé sa révolte contre la charité. Ce qui me sidère, c'est que Bataillé, Vaillant et d'autres reconduisent le non sens de la lecture de Brunel dénoncé par Molino. Les "aimables pavots" de Satan seraient les illusions religieuses. Pas du tout.
Rimbaud dit qu'il n'a pas voulu du "dernier couac !" La religion essaie alors de le récupérer, mais Rimbaud discrédite la source de cette parole, ce n'est qu'une inspiration quelconque, pas un souffle de la foi, pas une inspiration divine, et bien sûr il rejette aussi l'idée de retourner au festin ancien, puisqu'il comprend que tout l'édifice est mensonger, de la charité comme clef à la vie dans un festin. Et ce festin n'est pas l'enfance, mais une sorte de légende de l'origine prénatal des humains chrétiens.
Ce que ne comprennent pas les rimbaldiens, c'est la construction des paragraphes. Satan ne se récrie pas pour le paragraphe qui précède. Il a dû attendre son tour pour intervenir. Le poète refuse la mort, suit un alinéa de ratage de la récupération religieuse, puis Satan qui ne se réjouit même pas de ce ratage reproche au poète de ne pas accepter la mort. Et c'est dit en toutes lettres, puisque "Gagne la mort" répond à "dernier couac !"
C'est limpide et c'est indiscutable. Evidemment, Bardel qui se range à ma mise au point, sans citer que j'ai bataillé (pardon du jeu de mots) pour y arriver, trouve le moyen de dire que Rimbaud ne veut pas être en état de péché à sa mort. Non, pas du tout, le poète ne veut pas mourir par son comportement.
Et les "aimables pavots", c'est les illusions de Satan pour l'amener au "dernier couac !" Et pas du tout les illusions religieuses de la charité et du festin.
Le texte est limpide et clair. Le poète refuse la mort. Les deux figures de l'alternative se dressent et échouent toutes deux. Le poète se dit certes plutôt soumis à Satan, mais il se dérobe à ses injonctions.
Dans "Nuit de l'enfer", Satan est en colère parce que le poète n'apprécie pas le "poison" et se révolte contre son absorption.
Les lectures des rimbaldiens sont donc une longue suite de contresens, avec des divergences, mais des contresens.
Bref, face à des lectures diverses, Vaillant a joué la carte de la lecture soutenue notamment par Bataillé, et il se trouve que ce n'était pas la bonne carte pour gagner. Moi, je n'y crois pas un instant que cette lecture a été faite de manière indépendante, puisqu'il n'est en aucun cas naturel, en contexte de lecture immédiate, de supposer que les "aimables pavots" de Satan provoquent des "illusions religieuses". Si on en est là aujourd'hui, c'est tout simplement une voie de garage qui vient d'un débat mal encadré qui a fini par se conclure en absurdités absolues.
Et dans son livre, Vaillant fait un résumé des thèses sur le "poison" au début de "Nuit de l'enfer" qui correspond en un peu décalé à la mise au point de l'article de Zimmermann dont j'ai rendu compte sur ce blog, dans un article encore tout récent. Or, à la fin de son analyse de "Adieu", Vaillant rejette en toutes lettres les lectures par l'hétérogénéité d'Une saison en enfer, le mot "hétérogénéité" est cité qui est le maître mot de l'article de Zimmermann. Ce refus est fondé, mais cela prouve qu'il y a eu une lecture attentive de l'article de Zimmermann, ce qui donne du poids au fait que la mise au point de Vaillant sur le "poison" est née d'une lecture de l'article de Zimmermann, mais bien sûr avec des points d'opposition.
Bref, comment fait-on pour identifier la lecture originelle de Vaillant, si on a des indices importants sur l'ensemble de l'essai d'une lecture méditée de certains articles, notamment de Bataillé, Zimmermann, et j'en ai d'autres. Je pourrais m'inclure, comme je pourrais citer des phrases de l'édition critique de 1987 de Pierre Brunel qui sont clairement des sources à telle ou telle idée exprimée dans l'essai de Vaillant sur Une saison en enfer.
Définitivement, une publication sur Une saison en enfer doit prendre à bras le corps les débats critiques et citer abondamment les intervenants. De plus, vu l'importance des contresens diffusés par la majorité des lecteurs sur la seule prose liminaire, publier une prétendue étude vierge d'influence sur Une saison en enfer n'a aucun sens, aucun intérêt. Ajouter une voix aux autres voix, ce n'est pas ce qui doit advenir. L'heure, elle est aux mises au point.
Je vais m'arrêter là pour la recension du jour. Je ne vais qu'ajouter deux suppléments autour de la partie introduction. A propos de la lettre à Delahaye, Vaillant dit que les trois histoires déjà créées par Rimbaud peuvent être "Mauvais sang" et les deux "Délires", ou bien "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Alchimie du verbe", puisque des brouillons nous en sont parvenus. Doit-on croire que Rimbaud n'a rien écrit d'avril à juillet 1873 ? Il a écrit trois histoires, puis s'est arrêté et a donné ses brouillons à Verlaine pour qu'il l'aide à dépasser l'angoisse de la page blanche ? Et si les deux "Délires" étaient déjà écrits au début du mois de mai 1873, voilà que vole en éclats l'importance conférée au coup de feu du 10 juillet 1873.
En réalité, il faut procéder avec méthode. Rimbaud dit avoir créé trois histoires d'un livre qui en contiendra neuf, donc il dit avoir créé un tiers du livre prévu. Il est clair qu'il prévoit de créer plutôt une sorte de mince plaquette et ça correspond bien à l'état final qu'est Une saison en enfer. Ceci dit, ces fameux brouillons nous apprennent précisément qu'à l'origine les sections 4 et 8 de "Mauvais sang" étaient unies en une seule, et par conséquent il ne faut pas être bien savant pour comprendre que "Mauvais sang" est la fusion de trois récits originaux : sections 1 à 3, section 4 et 8, section 5 à 7 où comme par hasard prédomine le motif de l'innocence suspecte. Rimbaud a plus de chances de dire à Delahaye qu'il a rédigé les trois histoires de "Mauvais sang". C'est l'hypothèse qui serre au plus près les données de la lettre à Delahaye, oui ou non ?
A propos du récit "Vierge folle", Vaillant soutient qu'il faut vraiment être fermé à la lecture biographique pour ne pas voir une description de la vie passée avec Verlaine et il prétend comme Bardel que le récit parle explicitement d'une relation homosexuelle, alors même que pour la fin de "Adieu" Vaillant admet qu'il est question des "femmes".
Non, le récit "Vierge folle" parle d'une relation entre un homme et une femme, pas du tout d'homosexualité. Ce qui peut être piquant, c'est de souligner que pour parler d'un faux amour entre un homme et une femme déchus le poète prend pour point de départ son expérience avec Verlaine, une expérience entre deux hommes sert à Rimbaud à décrire l'amour en général entre hommes et femmes. De ce point de vue-là, il y a une audace d'époque, dissimulée, encore qu'identifiable par les gens qui connaissaient Rimbaud et Verlaine, ce qui était inévitablement le cas parmi l'élite littéraire parisienne des poètes d'époque. Mais, le propos de "Vierge folle", ce n'est pas le quant à soi de la vie homosexuelle de Rimbaud avec Verlaine. Non ! Rimbaud, il parle à la société, et il se garde bien de présenter la confession comme une pièce intime qui ne concernerait pas les amours en général entre hommes et femmes. Bien sûr, l'Epoux infernal et la Vierge folle sont deux damnés, mais c'est la figure générale du couple de damnés pour tout couple amoureux en général, le plus souvent un couple homme et femme, sauf que Rimbaud, avec son expérience personnelle, considère que décrire un amour raté entre deux hommes peut illustrer l'idée de la difficulté de l'amour entre homme et femme.
Mais, tous ces commentaires de 2023 sur l'échec d'une relation homosexuelle, ou sur la nuance de Rimbaud qui s'autocritique en laissant fuser des critiques bien senties de la Vierge folle Verlaine, tout cela, c'est des billevesées de comptoir...
Allez, encore une suite prochainement ! J'espère que vous observez les liens que je mets en place pour une lecture d'ensemble d'Une saison en enfer. Le gars de "Mauvais sang" qui ne peut pas avoir sa "main", ça devient sous la plume un vrai thème d'enjeu pour une compréhension globale du livre de Rimbaud, ce qui ne transparaît pas dans les écrits de Vaillant, Bardel et bien d'autres où la séquence de la "main" n'est pas articulée à une lecture symbolique de l'ensemble de l'ouvrage.
Et ne me reprochez pas de répéter sans arrêt ma lecture de la prose liminaire, puisque vous n'en tenez aucun compte encore en 2023 et que je n'arrête pas de montrer les contresens évidents qui résultent de toutes vos lectures échappatoires. Il y a une seule lecture de la prose liminaire, c'est la mienne, dé-fi-ni-ti-ve-ment !
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