lundi 15 janvier 2024

Le gaulois qui voulait"posséder la vérité dans une âme et un corps" !

Dans son essai sur Une saison en enfer, Alain Vaillant balance rapidement les noms de quatre historiens qui ont pesé dans la popularité du cliché de l'origine gauloise des roturiers de France : Augustin et son frère Amédée Thierry, Jules Michelet et Henri Martin. Et il ajoute qu'il importe peu de savoir à quelle source Rimbaud a pu puiser précisément. Je cite le passage en question (pages 51-52) du livre Une saison en enfer d'Alain Vaillant, Champion, 2023 :
Le XIXe siècle est l'âge d'or du "mythe gaulois", amplement développé chez les historiens romantiques (notamment Augustin et Amédée Thierry, Henri Martin, Jules Michelet) ; il est donc inutile de rechercher à quelle source Rimbaud a puisé - à laquelle il ne faut d'ailleurs pas oublier d'ajouter La Guerre des Gaules de César. [...]
On remarquera un indice grammatical révélateur d'une intime hésitation de la part de Vaillant, puisqu'il n'a pas écrit le mot "source" au pluriel, mais au singulier, et c'est surtout sensible quand il lance la proposition subordonnée avec la construction relative au singulier : "à laquelle..." Vous me direz que c'est normal puisque l'accord se fait avec "source" au singulier, mais il y a une discontinuité logique dans cette phrase pourtant grammaticalement correcte. Dans la proposition principale, la "source" est au singulier, mais en tant que réalité quelconque indifférenciée : "il est donc inutile de rechercher à quelle source Rimbaud a puisé", alors qu'en reprise dans la locution pronominale conjonctive "à laquelle" il est question cette fois d'une source mentalement caractérisée, ce qui fait que le tiret de décrochage a du sens, prouvant bien la rupture de continuité entre les deux parties de la phrase, prouvant l'effet de reprise mentale de la réflexion à ce moment-là de l'écriture : " - à laquelle il ne faut d'ailleurs pas oublier d'ajouter..."
Cette origine gauloise de la France n'est de toute façon pas un mythe, c'est une réalité déformée à l'époque parce que les historiens n'avaient pas les nuances pour en rendre compte, et surtout parce qu'ils posaient grossièrement que la noblesse était d'origine germanique, car c'était là l'erreur la plus flagrante de la présentation des faits. Or, avec l'actualité de la cession de l'Alsace-Moselle à l'Allemagne, il semble que ce discours n'était plus à l'ordre du jour en 1873. Certes, le texte d'Ernest Renan "Qu'est-ce qu'une nation ?" est plus tardif, mais il est bien né d'une volonté de contredire les prétentions des allemands sur l'Alsace-Moselle. Mais, peu importe, cela ne semble pas être le sujet dans "Mauvais sang". En revanche, Vaillant cite quatre historiens, c'est donc bien qu'ils ont une importance dans la diffusion de ce cliché, et leur discours part de quelque part. Il s'agit d'historiens romantiques libéraux, libéraux au sens aussi où ils sont proches de Guizot, Thiers et compagnie. Michelet est sans doute celui qui se rapprochera le plus de la pensée propre à Rimbaud parmi ces quatre. Il y a un autre problème à soulever, puisque ce cliché a connu une évolution. Au départ, le mythe du peuple gaulois sert à justifier la Révolution française avec la disparition de la noblesse, la fin de supériorité hiérarchique d'un corps que la théorie gauloise de la nation faisait étranger au pays, théorie à la fois fallacieuse et inutile pour justifier la Révolution française dont la légitimité puise à des sources autrement sérieuses et justes. Mais, dans un second temps, le mythe du barbare gaulois a servi à désigner le peuple menaçant d'insurrection. Pour moi, ce n'est pas très clair, vu que les nouvelles instances dirigeantes issues de la bourgeoisie ne viennent pas toutes de l'ancienne noblesse et vu que les insurgés présentés comme menace vont être en conflit avec une autre partie de la population tout aussi d'origine roturière, avec les paysans, des gens divers des villes, etc. Bref, c'est des métaphores politiques à la va comme je te pousse. Et remarquez bien que la lecture de "Mauvais sang" se ressent de l'approximation des métaphores. Rimbaud parle de ses "ancêtres gaulois" en s'attaquant à qui exactement ? Il s'attaque aux seuls élus, à la population. Il méprise les paysans, mais ce ne sont pas des gaulois ? Il méprise les mains à plume, mais elles ne sont pas d'origine gauloise et donc de mauvais sang comme lui ?
Mais peu importe. Ne nous embarquons pas là-dedans.
Contrairement à Vaillant, je trouve important d'identifier les sources de Rimbaud pour parler ainsi du mythe gaulois au début de "Mauvais sang". Cible-t-il un discours politique proche d'Adolphe Thiers ? A-t-il lu un texte récent sur le sujet ? Est-ce qu'il songe directement aux écrits d'Augustin Thierry ? Reprend-il du Michelet en passant ? On comprend bien en lisant "Mauvais sang" que le mythe est dressé comme une forme d'opposition, mais est-ce qu'il le fait pour montrer une contradiction du discours de Thierry repris par les gouvernants ? Ou est-ce qu'il le fait parce que définitivement les gouvernants s'en servent comme d'un repoussoir ? Est-ce que Rimbaud met dans le même sac les frères Thierry et Michelet ou est-ce qu'il est un peu pour Michelet, plus nettement contre Thierry ? Il y a tout ça à méditer. Et les réactionnaires comment traitent-ils du mythe ? Et puis, identifier les sources permet aussi d'identifier un langage, tout un art de recours à la métaphore, sur lequel joue aussi Rimbaud.
Dans l'absolu, Rimbaud a plus à voir avec le style poétique et enlevé de Michelet qu'avec celui d'Augsutin Thierry, mais au début de "Mauvais sang, le style est étrangement abrupt, et cela surprend même si Une saison en enfer a une certaine réputation de mime de l'oralité.
Je cite le début de "Mauvais sang" :
   J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
   Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.
   D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; - oh ! tous les vices, colère, luxure, - magnifique, la luxure ; - surtout mensonge et paresse.
D'un côté, il y a une énumération de références culturelles. En-dehors du dernier alinéa sur les péchés et les fautes, le reste se trouve obligatoirement dans la source exploitée par Rimbaud : "œil bleu blanc" (nota bene : ça fait très nord de la France, mais c'est un critère bizarre pour discriminer les germaniques, ça conteste plutôt les yeux des romains et de la latinité méditerranéenne), la "cervelle étroite" (j'ai repéré ce discours dans les livres de Quinet, il est vrai au sujet des germaniques avec même recours à l'idée de crâne étroit, et c'est déployé selon l'idée de peuples moins civilisés selon les époques par Quinet), "la maladresse dans la lutte" (autrement dit, le manque d'organisation face aux armées romaines), l'étrangeté de l'habillement, le fait de passer du beurre dans sa chevelure (Chateaubriand en parle aussi et de mémoire ça ne concerne pas que les gaulois), puis "écorcheurs de bêtes" et "brûleurs d'herbe" avec enfin une impression générale historiquement fausse de gens "ineptes". Il faut identifier les livres qui offrent toutes ces références d'un coup. Mais dans l'alinéa, outre l'idolâtrie et l'amour du sacrilège, il faut ajouter la "colère", autrement dit les gaulois auraient le sang chaud, et la "luxure", puis on peut commencer à lever le pied pour ce qui est de chercher à identifier la réputation de mensonge et de paresse pour les ancêtres gaulois.
Franchement, ça ne doit pas être vain de chercher la source qui rassemble autant d'informations. Oui, moi, il me faudrait du temps pour les lires. L'Histoire de France de Michelet, je ne l'aurai jamais dans ma bibliothèque, mais je peux chercher les passages sur la période gauloise et les lire. Je peux lire en une semaine ou deux le principal des ouvrages d'Augustin Thierry (j'ai un vieux livre avec des petits caractères, excusez-moi de craindre pour mes yeux), je sens que la recherche doit être conduite. Adolescent, j'avoue que j'ai mis Augusin Thierry sous l'éteignoir à cause de mon manque d'intérêt évident pour les récits sommaires qu'il faisait autour de Khilpéric, Clovis et consorts. Les extraits dans les Lagarde et Michard ne m'ont pas encouragé à le lire, j'avoue.
Du coup, la piste du jour, c'est l'historien Henri Martin.
Je ne possède aucun ouvrage de lui et il faudra me lancer dans l'exploration de ce que Gallica met à disposition. J'ai commencé par consulter sa fiche Wikipédia. C'est éloquent.
Il a travaillé et publié en étroite collaboration avec le Bibliophile Jacob, alias Paul Lacroix, ce qui n'est pas sans intérêt quand on sait par une note conservée par Izambard que quand il faisait des recherches pour un sujet Rimbaud avait précisément tendance à fouiller du côté du Bibliophile Jacob. Henri Martin voulait être poète et écrire des vers, il a été historien par défaut, mais il y a rabattu ses prétentions littéraires en étant romanesque en diable. C'était un passionné de légendes. On dirait qu'on a échappé de peu à un Tolkien français (je n'ai pas vu les films du Silence des anneaux, j'ai récupéré les livres du Hobbit et de la trilogie, un jour je ferai l'effort de les lire, mais ça me tombe des mains dès les premières pages, pareil pour Lovecraft dont j'ai seulement apprécié l'étrangeté des premières pages de L'Appel de Chtulu, mais pas tant que ça puisque j'ai laissé en plan la lecture). Henri Martin a participé à la Révolution de Juillet, puis il a été invité par Lacroix à lancer un projet d'une Histoire des gaulois. Il y a eu une transformation en cours de route cette Histoire des gaulois est devenue une Histoire de France (1833-1836) et le nom d'auteur affiché était Lacroix, il a fallu du temps avant que le véritable auteur Henri Martin ne soit mentionné. Martin lui-même ne voulait pas être mis en avant. A propos de la Révolution de Juillet, je rappelle que c'est une révolution de trois jours, sans effusion de sang en gros, et elle a mis au pouvoir une monarchie parlementaire orléaniste qui n'a pas empêché les émeutes lyonnaises de 1832 et 1834, émeutes dont il est question dans Les Misérables, et cette révolution de Juillet elle fait débat vu que le pouvoir en place en a récupéré politiquement les fruits. De plus, il y a dans l'analyse de la révolution de Juillet par ceux qui l'admirent le début de ce mensonge que le peuple ne doit pas être violent et meurtrier dans les émeutes, ce qui est évidemment un moyen de le museler et d'anticiper par la culpabilité morale les révolutions. La Commune, oh ! le peuple tue des gens, oh ça ne peut pas aller. D'abord, la semaine sanglante et les exécutions en avril sur le champ de bataille, on en parle ? Oui, la vie est un absolu, gardons le pouvoir en place aussi arbitraire et oppresseur soit-il, on sera des gens bien. Mais oui... Mais oui... Mais oui... Allez, couchés ! Il est bien sûr intéressant de comparer le poème "Dicté après juillet 1830" de Victor Hugo et "Après le Déluge" de Rimbaud, par exemple.
Dans ce jeu de contraste entre les révolutions et Commune de 1830, 1848 et 1871, ajoutons qu'à la fin de sa vie Henri Martin fut avec Paul Déroulède et Félix Faure, un des trois gambettistes fondateurs de la Ligue des patriotes. La ligue ne sera fondée qu'en 1882, mais Henri Martin en sera le premier président et elle est née de la défaite de la guerre franco-prussienne et de la perte de l'Alsace-Moselle. Déroulède a participé à la répression de la Commune. Henri Martin est donc du côté des républicains Thiers, Gambetta, Ferry et du côté plus précisément des anticommunards. Henri Martin a été six mois durant maire du XVIe arrondissement de Paris en 1870, mais à cause des événements il ne s'y est pas maintenu. En fait, l'article est mal rédigé, puisqu'il faut déterminer si c'est avant ou après la chute de l'Empire. Il semblerait d'après un autre article Wikipédia sur les maires du XVIe arrondissement qu'Henri Martin était le second maire du XVIe arrondissement depuis sa création en 1860 et cela à cheval sur les années 1870 et 1871, donc en gros, il a dû quitter sa fonction de maire au moment de la Commune, avec le mouvement des maires qui est important dans l'histoire de la Commune. J'ai déjà dû lire son nom sans capter son importance d'historien dans mes recherches antérieures. Martin redeviendra maire de cet arrondissement en 1880.
Revenons à sa carrière d'écrivain. Il a commis aussi une Histoire de la ville de Soissonsen 1837, mais ce qui nous intéresse pour l'instant, c'est l'Histoire conjointe des gaulois et de la France.
Visiblement, Martin a continuellement remanié son ouvrage, il l'a réécrit, et donc il publiait de nouvelles versions de son Histoire de France. Il y a même eu une version abrégée en 1867. Son Histoire de France, éclatée donc en plusieurs versions, était la plus lue à l'époque de Rimbaud avec celle de Michelet.
Déjà qu'objectivement l'histoire poétique de Michelet ne fait pas très sérieux scientifiquement, en gros, on avait un tirage à succès populaire par un historien poète qui affichait des convictions, mais qui n'avait pas de réelles compétences. On ne lit plus Henri Martin de nos jours, ça ne sert quasi à rien, sauf que c'est un répertoire populaire d'époque auquel Rimbaud pourrait très bien faire référence dans Une saison en enfer. Je n'en sais rien, mais je prends la piste au sérieux. Pourquoi je parle avec mépris d'Henri Martin ? Tout simplement parce que la page Wikipédia consacrée à cet auteur offre des mises en garde qui n'ont pas l'air de rater leur cible. Lacroix lui-même parle d'un "brave homme", d'un "naïf qui croit aux rêves druidiques, aux vertus et à l'infaillibilité du peuple, à l'avènement de l'âge d'or par la République." Certes, on peut imaginer une perfidie à mettre sur le même plan la foi dans le peuple et la croyance dans les magies des druides, mais l'intérêt pour les druides ça me met quand même en alerte. Je remarque le motif de l'âge d'or. Je rappelle que les quatre poèmes des "Fêtes de la patience" de Rimbaud sont à rapprocher d'Une saison en enfer, thème de la patience, du désir de mort ne s'illusionnant à rien et donc d'un "affreux rire de l'idiot" face au printemps, de l'usure des saisons, de l'éternité et comme ici de l'âge d'or ou du "Noël sur la terre", et ces poèmes étaient annoncés comme des "prières" auprès de Verlaine. Lacroix fait une description physique de Martin dans le style maigre de Rimbaud pour son gaulois, style qui serait sec sans la longueur de l'énumération : "Au physique, Henri Martin est grand, maigre, l'air gauche, le teint haut en couleur, les cheveux, les moustaches et le collier de barbe tout blancs, vigoureux encore, marcheur intrépide."
Puis, on apprend que son Histoire de France souffre de l'influence de Jean Reynaud et de sa philosophie cosmogonique. Il introduirait une croyance dans les légendes des druides dans son récit historique avec des idées sur l'immortalité consciente. Il préfère aux dynasties les célébrations de héros : Vercingétorix, Jeanne d'Arc, etc. Inévitablement, les derniers volumes sur l'histoire plus récente sont considérés comme meilleurs et plus sérieux, mais pour les origines...
On sent bien qu'il y a un problème. On a affaire à un zozo.
Et, voici un début de preuve, la note 7 cite un extrait de son Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, pas son ouvrage le plus ancien donc, et la note est d'autant plus intéressante que c'est une description du gaulois qui entre en résonance avec le portrait du début de "Mauvais sang" :
Le Gaulois est loquace, vantard, adonné aux femmes ; le Germain est ivrogne, obstiné, sournois dans son orgueil ; l'un a les défauts d'une activité déréglée ; l'autre a des défauts paresseux et sédentaires. Le Germain est plus chaste de corps et plus froid de cœur que le Gaulois.
On sent les affirmations gratuites de parti pris : le "Gaulois" est "adonné aux femmes", tandis que le Germain serait "chaste de corps". Mais oui, bien sûr ! On notera que Rimbaud a fondu les défauts de l'un et de l'autre en un seul portrait, puisque l'ivrognerie et le mensonge changent de bord. Le "magnifique, la luxure !" comique dans "Mauvais sang" prend la note d'un persiflage si on fait le rapprochement avec un tel extrait des livres populaires d'Henri Martin. Je rappelle qu'Henri Martin est contre la Commune, ce que n'ignore certainement pas Rimbaud, puisque Martin, en tant que maire a refusé de participer à la Commune en mars 1871. Et puis, on retrouve ce style d'affirmations sèches dans des phrases pauvres avec le simple verbe "être": "Le Gaulois est..." Rimbaud fait aussi simple, mais avec le verbe "avoir" : "J'ai..."
Franchement, les livres d'Henri Martin ont l'air de bons candidats pour apparaître en sources de référence à l'élaboration du contre-discours de "Mauvais sang".
Il y a un truc.
Puis, ce n'est pas tout.
La fiche Wikipédia sur l'historien Henri Martin nous offre une section "Bibliographie" avec un ouvrage d'époque, un ouvrage composé du vivant de l'historien, et surtout un ouvrage d'un an antérieur à la composition d'Une saison en enfer. Il s'agit d'un livre d'Henri de l'Epinois, lequel a son propre page Wikipédia, et ce livre est consultable en ligne. Il s'intitule : Critiques et réfutations - M. Henri Martin et son "Histoire de France", 480 pages publiées en 1872. Rimbaud n'avait ni sympathie pour Henri Martin, ni pour Henri de l'Epinois, mais si en avril 1873 environ, Rimbaud pense à brocarder le républicain anticommunard Henri Martin au début de "Mauvais sang", c'est quand même assez étonnant qu'un an auparavant un écrit réactionnaire et catholique majeur ait été composé pour dénoncer les thèses historiennes d'Henri Martin. Rimbaud, il lisait les discours ennemis aussi. Donc, je suis tenté de lire cet ouvrage aussi à tout hasard.
En attendant, je reviens sur un autre point.
A la fin du livre Une saison en enfer, le poète dit qu'il peut rire du reste de la société enferrée dans son mensonge, tandis que lui il va être à même de "posséder la vérité dans une âme et un corps". En clair, il demande "pardon pour s'être nourri de mensonge", mais c'est un peu retors, puisqu'en face les gens continuent d'être dans le mensonge. Et donc j'ai souligné les reprises volontaires du récit. Rimbaud disait qu'il n'aurait jamais sa "main". A la fin du récit, c'est plus nuancé, il aimerait bien avoir sa "main" lui aussi, et son rejet est motivé par le fait que la société continue d'être désespérante. En revanche, il admet être un "paysan" et il a au moins une "main" désormais, pas pour avoir des amis, mais pour "embrasser (comme un amant) la réalité rugueuse" telle qu'elle est. Il aura sa main en tant que paysan, mais il n'aura pas une main liée aux autres. Puis il rejette le mensonge, puisque c'est un des vices valorisés dans le portrait du gaulois. Et en écho aux mentions "loquace" et "sournois" des portraits du gaulois ou du germain par Martin, nous avons "mensonge" et "langue perfide" dans le portrait du poète de "Mauvais sang". Or, à la fin, le poète va vers la vérité, vérité qui sera pour lui-même et non pour les autres, car le problème du mensonge vient surtout du fait de se tromper soi-même.
Et c'est ici que j'ai toujours été fortement étonné de l'anomalie de raisonnement des rimbaldiens. Pour moi, "posséder la vérité dans une âme et un corps" est une phrase qui sent le christianisme à plein nez. C'est une formule chrétienne et les italiques sont connus pour souligner une citation d'un discours d'autrui. Evidemment, comme je ne considère pas qu'il y a un retour à la foi de Rimbaud, j'ai un peu sous-évalué la référence chrétienne en cherchant à mobiliser une référence à la formule d'origine latine "d'un esprit sain dans un corps sain", parce que le fait de posséder la vérité, c'est être "sain" (et pas "saint" pardon du jeu de mots dirait l'autre). Puis, l'illumination m'est venue enfin, et j'ai pu raccorder la citation explicitement chrétienne "posséder la vérité dans une âme et un corps" (je précise aussi que j'ai souligné la reprise des mots "âmes" et "corps" dans la même section avec le passages "âmes et corps morts et qui seront jugés" où les mots "âmes" et "corps" sont en-dehors des italiques, mais juste à côté, juste devant), j'ai pu la raccorder, dis-je, au fort constat d'étrangeté d'un poète qui venant de flageller son orgueil de mage affichait en mot de la fin l'expression d'une nouvelle crise sarcastique. Et tout s'illumine. Le damné commet une attaque finale sur laquelle son autoflagellation nous a endormi : il lui "sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps", parce que le christianisme c'est le mensonge des gens dont il se gausse. C'est un fin ironique très subtile et préparée de longue main. Or, le problème, c'est que les rimbaldiens, qui déjà ne se posent guère la question de l'étonnante arrogance finale du récit, soutiennent que la formule est une critique explicite du christianisme. Moi, j'identifie au contraire une formule chrétienne en tant que telle, et c'est son imbrication dans ce qui la précède qui en fait saisir tout le sel ironique. Or, les rimbaldiens qui déjà ne faisaient aucun cas de l'idée du "mens sana in corpore sano" que je proposais en lecture de basse cohérence assurée à l'ouvrage sont carrément à soutenir que la formule en italique est antichrétienne et moniste.
Mais, le monisme, cela veut dire qu'on ramène deux réalités distinctes à une seule. Le monisme abscons de Leibniz, c'est la monade. Un monisme capable de réduire la distinction entre corps et âme, ça pourra être un discours matérialistes où l'âme n'est qu'une évolution complexe du corps qu'il est exagéré de placer sur un autre plan. Oui, certes, on peut critiquer le dualisme platonicien en tant que tel avec sa séparation du monde des idées, mais est-ce que c'est pourtant un monisme qu'on lui oppose ? Ce serait un peu court de dire que critiquant le dualisme platonicien on est moniste parce qu'on parle pour un seul monde. Et c'est pareil avec le dualisme chrétien, on ne fait que critiquer le dualisme chrétien tel qu'il est exposé.
Les rimbaldiens ont l'air de croire que la philosophie, c'est compliqué, grave et sérieux, et qu'on ne peut pas se contenter d'une critique linguistique où on constate que le dualisme suppose une paire conceptuelle inconciliable quand le monisme parvient à dépasser l'opposition par un mot unique. Ben si, c'est une conséquence parfaitement limpide de la prétention au monisme ! Point barre !
Il n'existe que la monade chez Leibniz, il n'existe que les réalisations empiriques de ce monde et pas de plan spirituel, c'est ça le monisme. C'est quoi, une âme ? Si on est moniste, on renonce au moins à ce mot, pas forcément au mot "corps" mais au moins au mot "âme".
Le chrétien dit : "Dieu est partout, et il est la vérité dans l'âme et le corps", ça c'est dualiste.
Rimbaud dit : "Je vais posséder la vérité dans une âme et un corps", ça c'est moniste, et actuellement vous avez des rimbaldiens qui avec le plus grand sérieux du monde s'interroge sur le monisme d'emploi des déterminants "une" et "un" devant "âme" et "corps", alors que "une âme et un corps" ça fait toujours deux. Ils philosophent sur le fait que la vérité est dans l'âme et dans le corps, mais pourquoi ils ne philosophent pas sur le monisme de la vérité chrétienne ? Depuis quand l'analyse grammaticale d'un énoncé change dans son sens premier et littéral en fonction de celui qui parle ?
Je sais que Bruno Claisse s'est laissé obnubiler par les méandres subtils de la pensée meschonnicienne, donc il était content d'imaginer le petit Rimbaud parfait moniste face à la déplorable religion dualiste. Oui, le monisme, ça vous pose un homme. Meschonnic, Claisse, et puis Mario Richter. Oui, parce que Mario Richter n'a pas publié de livre sur Une saison en enfer, mais il a publié une série d'articles où il vous fait du conceptuel, il vous explique comment Rimbaud démonte des significations dualistes, tout en soutenant, à rebours de sa thèse, que l'allégorie injuriée de la "Beauté" fait référence à Baudelaire et pas à l'équation bourgeoise Beau = Bon = Bien du dualisme platonico-chrétien de la Restauration.
Et c'est à l'avis de Mario Richter que se range Alain Vaillant à la fin de son essai... Ah non, ce n'est pas dans son essai qui ne cite pas une seule fois Richter, ni dans l'article du volume Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud, ça doit être dans l'article du collectif Enigmes d'Une saison en enfer, sauf que je n'arrive pas à mettre la main dessus. Dieu, il est vraiment bête ! Il essaie de m'empêcher de rédiger mes articles, mais Dieu je n'en ai rien à foutre de ta gueule, t'es omniscient, tu le sais que je te méprise, t'es un idiot fini sans intérêt, casse-toi ! Tu va gêner quoi ? J'en ai tellement plus rien à battre du peaufinage de l'article, de ne publier qu'un truc achevé fini, je ferai un complément s'il le faut et j'en remettrai une couche, t'as perdu contre moi Dieu, faut que tu te fasses une raison. Ton système s'écroule face à ses contradictions, j'ai gagné puisque ma vérité dénonce tes incohérences, je fais pareil avec les rimbaldiens. Vous ferez quoi quand je serai mort ! Vous serez toujours dans les incohérences, sans avoir d'ennemi à abattre ! A quoi rime votre petit jeu ? Enfin, bref ! Donc je m'en fous ! Je vais me contenter de qui est dit dans l'essai paru fin 2023, puis je reviendrai sur l'argument moniste par une autre référence que je n'avais pas suffisamment envisagée :
Donc, on va directement à la page 147, oui, j'avoue, je n'ai jamais lu l'essai de Vaillant, ni la thèse de Bardel, je crois que j'ai lu pourtant intégralement le deuxième ouvrage et quasi intégralement le premier, moi c'est des livres outils, je les lis dans n'importe quel sens. Alors, on y va ! De toute façon, vous pouvez acheter une version numérique pour dix euros, et vous lire ça fissa fissa vous-même...
Donc, Vaillant dit que le dénouement intervient tout entier dans l'ultime paragraphe. Il a l'air assez énigmatique, mais selon Vaillant il y a deux problèmes seulement à traiter. Que sont les "vieilles amours mensongères" (cliquer ici pour écouter Part-time lover de Stevie Wonder) et que veut dire la partie en italique : "posséder la vérité dans une âme et un corps" ?
Heu ? Pour moi, j'avais plus d'interrogations devant l'incise : "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas" que devant "vieilles amours mensongères". Puis, j'ai un peu peur d'une analyse du seul dernier alinéa qui ne fasse pas jouer les connexions avec tout ce qui est développé et dans la deuxième partie de "Adieu" et dans l'ensemble de la section "Adieu".
Pour le mensonge amoureux, Vaillaint fournit deux hypothèses. La première est biographique et concerne Verlaine, ce qui est un contresens manifeste avec le sens littéral du texte. La deuxième interprétation prétend justement s'en tenir à la lettre du texte, et elle est assez juste, le poète s'intéresse à "l'infini servage de la femme", citation de la lettre à Demeny du 15 mai 1871, sauf que ça commente partiellement "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas" en fait de lettre du texte et pas du tout "vieilles amours mensongères". Puis ça sent un peu la lecture de sauvetage, on se raccroche de loin à loin à une pensée avérée de Rimbaud sans trop savoir pourquoi Rimbaud en parle ainsi dans la conclusion du livre Une saison en enfer. Moi, au moins, j'ai fait le lien avec "l'enfer de la caresse" et les "caresses" parasites, j'ai vu la citation de Quinet derrière la "position gagnée", etc. Je n'ai pas fait une lecture à la louche, oui, moyennant ce qu'on sait de lui, il doit penser ça. Mais bon !
Et, signe que c'est à la louche, Vaillant explique laborieusement que Rimbaud ne veut pas être ridicule avec une conclusion personnelle qui concerne sa vie privée avec Verlaine, donc il maquille ça avec un petit propos à visée générale qui ne mange pas de pain. Je ne rigole pas, je cite un extrait (page 148) :
   Mais les deux interprétations, loin d'être contradictoires, se complètent. Il est difficile de ne pas envisager que Rimbaud envoie ici un message à usage personnel. Mais il sait aussi que son éventuel public n'est pas censé connaître sa vie. Surtout, soupçonner derrière la morale finale de la Saison un règlement de compte privé en réduirait vertigineusement la portée à une querelle poursuivie jusque dans les coulisses d'une Cage aux folles du XIXe siècle. Il est donc beaucoup plus raisonnable de supposer que Rimbaud termine par une conclusion sur l'amour à portée très générale - même si, au niveau connotatif, il y instille peut-être (voire sans doute) une ironie très fielleuse à l'égard de Verlaine. [...]

Oui, le discours de Rimbaud c'est "je ne suis pas mesquin, mais je me soigne !" Le commentaire de Vaillant est franchement problématique. Rimbaud dit quelque chose l'air de rien, il aurait pu dire autre chose, mais c'est le second sens, pourtant implicite et incertain ("peut-être"), qui a seul de l'intérêt à être compris. Ce que dit dans sa ligne générale Une saison en enfer, c'est "peanuts"! Ce qui importe c'est la lecture biographique même s'il n'est pas sûr qu'elle est inscrite dans le sens de détail de telles et telles phrases plus importantes que d'autres.
Enfin, bref.
Et Vaillant affirme alors ceci pour la suite, avec une expression "Dans tous les cas, le plus remarquable est..." qui a bien l'air de rejeter dans l'insignifiant le commentaire de la première difficulté soulevée du paragraphe finale. Plusieurs fois, Vaillant emploie des relances du genre : "Dans tous les cas, le plus remarquable et le plus important c'est ce que je dis maintenant, ce n'est pas grave ce que j'ai dit avant, du moment que vous reteniez que ce que je vais dire maintenant..." Et voici ce qu'il faut retenir :
[...] la conclusion de la Saison ne porte sur aucun des deux sujets qui semblent y dominer (le devenir de la poésie ou l'angoisse métaphysique ou religieuse), mais sur la question de l'amour : c'est pourquoi, d'ailleurs, ce happy end sentimental est le plus souvent escamoté. [...]
Au passage, dire qu'il y a ou non référence au devenir de la poésie, ça pose le problème de définition du point de départ pour penser la poésie. Rimbaud parle de s'être cru "mage ou ange" dans cette section intitulée "Adieu" et il y a toute une définition rimbaldienne de la "Fonction du poète", non sans écho avec la définition hugolienne, où le poète est un peu un visionnaire sur Terre. On n'est pas dans une définition du poète qui produit de jolis vers comme d'autres produisent des partitions musicales et de jolis tableaux. Puis, sur le christianisme, "posséder la vérité dans une âme et un corps", j'ai déjà annoncé la couleur. La "couleur des voyelles" ! Ahahah ! Non, pas en l'occurrence... Bref, Rimbaud conclurait sur un thème autre que les deux qu'il a traités.
Et pourtant, première hypothèse, Vaillant envisage bien l'allusion chrétienne (page 148), et il cite l'Evangile selon saint Jean (nota bene : c'est pas celui du "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu "??) : "Je suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité." Citation de l'Evangile selon saint Jean (XVIII, 37, 38). Alors, la subtilité de réponse d'Alain Vaillant, c'est de dire que la vérité s'adresse plutôt aux âmes qu'aux corps. Super, dommage que Rimbaud n'ait pas pensé à écrire ça dans Une saison en enfer ! Il est vraiment con d'avoir oublié de le dire. Et donc, on passe sans crier gare à la seconde hypothèse. "posséder la vérité" s'oppose terme à terme à "vieilles amours mensongères", donc "mensongères" à "vérité" et "posséder" en relation à "amours" suppose la signification sexuelle... Une possession sexuelle dans un corps et une âme. On l'appelle la "vérité". Vous connaissez la blague sur Michael Jackson ? Comment les enfants appellent-ils le sexe de Michael Jackson ?... Non, sérieusement, il faut arrêter le délire.
Vaillant salue les lecteurs rimbaldiens d'avoir compris que le poète voulait posséder la vérité tant dans son âme que dans son corps. Ben évidemment, c'est ce qui est écrit en toutes lettres ! Et on le sait bien que la vérité est dans deux lieux à la fois, l'âme et le corps, c'est écrit en toutes lettres. Donc, dans un article du collectif "Enigmes d'Une saison en enfer" de 2014, Vaillant saluait la lecture moniste de Mario Richter, mais je n'ai pas les détails en tête. Et là, on a l'union de l'âme et du corps comme deux amoureux. Il n'y a pas d'âme qui fuit comme pour la "Vierge folle". J'ai du mal à prendre au sérieux une telle explication. C'est sans queue ni tête, même si les citations des "Premières communions" sont justes et même si ça tourne bien autour de la solution.
Le problème c'est qu'il est vain de méditer sur le dualisme "âme" et "corps" en imaginant que Rimbaud le critique. Rimbaud, il n'y pense pas au monisme, il ne sait même pas ce que c'est. Non, Rimbaud dit une formule typiquement chrétienne : "posséder la vérité dans une âme et un corps" avec des italiques qui précisent que c'est bien une citation, sauf que la citation elle est incrustée dans d'autres énoncés. Le poète est en train de dire qu'il est seul, sans aucune "main amie", mais qu'il va rire avec sarcasme de cette société de mensonge qui le laisse seul. On voit qu'il a l'humeur rancunière, donc sa sortie de l'enfer ce n'est pas la sagesse et surtout si tout le monde ment, il dit que lui seul ne se nourrit plus de mensonge, d'une part, et d'autre part, il dépossède expliciement le christianisme de sa prétention à un discours de vérité, puisque que le discours d'appel au christianisme vient d'une société mensongère qu'elle soit tout ou partie de ces autres gens aux "vieilles amours mensongères", expression qui en l'occurrence fait un écho de contraste avec "nouveaux corps amoureux" dans "Being Beauteous" et "nouvel amour" dans "A une Raison". On voit bien que la réflexion sur l'amour fait partir du devenir de la poésie dans la pensée de Rimbaud et on voit tout le prix du sel ironique de l'expression finale en italique.
Mais, du coup, au-delà de Richter, Claisse, Vaillant et quelques autres adeptes d'une lecture moniste d'un propos indéniablement formulé de manière dualiste, je cite l'édition critique d'Une saison en enfer par Pierre Brunel en 1987. Brunel n'est pas le plus antichrétien et le plus communard des lecteurs de Rimbaud à ce que je sache, et pourtant il a de lui-même visiblement lancé l'idée que la phrase dualiste finale à résonance chrétienne d'Une saison en enfer était une contestation moniste du dualisme chrétien. Je cite un passage de la toute dernière page de commentaire, nous sommes à la page 350, page 351 c'est les "Eléments de bibliographie" déjà !
Et donc, voici ce qu'écrivait Brunel en 1987 :
[...] la décision qui est prise [...] n'engage pas seulement le sentiment d'un jour, le désir d'une saison, mais l'être tout entier : un être rendu à lui-même, à l'intégrité de son âme et de son corps, sans qu'il soit possible, comme le voudrait la religion, de les séparer. Le dualisme apparemment traditionnel de l'expression n'est qu'au service d'un monisme retrouvé.
Je viens de vous citer une fin de paragraphe, la fin de l'avant-dernier paragraphe précisément.
Moi, j'appelle ça du n'importe quoi !
Mais on comprend d'où ça vient. Les rimbaldiens sont acquis à l'idée qu'il est anormal, surtout au plan chrétien qui est très surtout très franchement surtout euh spirituel de chez spirituel de considérer qu'il y a une vérité pour l'âme comme pour le corps. Mouais, la religion ne s'intéresse pas à la chasteté des corps au fait ? Moi, j'ai depuis longtemps répliqué par ce propos latin aisément récupéré dans le domaine chrétien de l'esprit sain dans un corps sain, où l'adjectif "sain" est le liant qui correspond à "vérité". Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il est question d'accord de l'âme et du corps, et qu'il y a une perspective philosophique antique sur la question, une perspective chrétienne, et une perspective rimbaldienne.
De toute façon, la lecture moniste de Brunel tourne en eau de boudin, je vous cite le dernier paragraphe avec son allusion à Stephen Dedalus :
Que peut-être alors la "vérité" (l.53) ? Assurément, pas celle des positivistes. Peut-être plutôt une révélation fugitive, plus proche de l'épiphanie joycienne. La "splendeur claire" (la clarté divine ?) ne peut être atteinte pour Stephen Dedalus que dans les moments où le monde disparaît sous ses pieds, "comme s'il eût été consumé par le feu". Le passage par l'enfer est peut-être nécessaire pour trouver cette vérité-là, même si ce feu n'est qu'un feu intérieur, celui où l'artiste brûle les scories de son passé pour se retrouver lui-même.
Au sujet de James Joyce, il met déjà en place ses moments dits d'épiphanie dans son recueil des débuts Gens de Dublin ou Dublinois (selon les traductions), recueil de quinze récits plus accessibles, et les épiphanies c'est peut-être des moments de vérité, mais ce n'est pas des moments où on a la vérité en soi, c'est des moments vécus par des gens ordinaires comme des révélations mais ça reste hyper confus. Une femme s'attache à la grille d'un aéroport et fait exprès de rater son avion contre toute sa conduite antérieure et tous ses projets, c'est des trucs du genre les épiphanies joyciennes. Le recueil date du début du vingtième, je me trompe peut-être sur l'avion, peut-être que c'est un train ou un bateau, mais c'est ça une épiphanie joycienne. La question de la vérité ne va pas loin, c'est plutôt des révélations, et une sorte de moment absolu en terme d'expression de la vie.
Bref !
Et donc l'article est déjà assez long, mais la prochaine étape ça va être de citer des extraits du livre de 1872 d'Henri de l'Epinois, livre dont le titre précise sa cible l'Histoire de France d'Henri Martin qu'il réfute.
Je vous garde ça pour un prochain article. Je suis fatigué, j'ai envie de faire autre chose, il y a tout ce qu'il faut pour justifier le titre de l'article, j'ai tenu un propos complet.
Allez, bye !

7 commentaires:

  1. Allez, je profite des commentaires pour préparer la suite. "Pew Pew Pew papapapapa", j'espère que vous avez la référence.
    Donc, pages 2 et 3 de sa critique et réfutation, Henri de l'Epinois attaque fort. Il vient de rappeler qu'il y a eu différentes versions de l'Histoire de France d'Henri Martin en ironisant sur la première de 1833 annoncée en 48 tomes et dont un seul tome est paru. Mais, on a aussi une énumération des prix attribués à ces ouvrages, et puis on en vient sur le terrain des réserves critiques au sein même de l'Institut, et bam, ça commence avec le ridicule de l'adhésion au druidisme (et tenez-vous, j'ai trouvé un rapport rimbaldien possible que j'expose après). L'Epineux Henri de l'Epinoix (un lien avec l'épineuse réalité de "Bottom" ?) cite Villemain de l'Académie française : H. Martin "semble s'être écarté du vrai, par son admiration pour les 'Druides', et par l'influence qu'il leur attribue sur le génie de la France. Ici tout manque au paradoxe : le témoignage des faits, la logique des conséquences. Le Druidisme n'a pas servi de modèle à la constitution de notre Eglise ; il ne portait pas 'dans son sein' l'idée de la France ; il ne s'est pas retrouvé jusque dans l'héroïsme de notre moyen âge."
    [ici introduire une vidéo Youtube de la chanson "You spin me round (like a record)" sur beaucoup d'images de Gandalf.]
    Avec la puissance de saisie de mon énorme cerveau, j'ai fait un lien dans "Mauvais sang" entre la description du gaulois en phrases simples péremptoires à la Henri Martin et la célébration section 5 de l'enfant admirant le forçat intraitable, ce druide des temps modernes, et voyant "son idée" dans le travail fleuri de la campagne. Je précise que "avec son idée" est en italique chez Rimbaud et ici j'ai mis des signes ' et ' pour délimiter deux mentions en italiques. Capisc' !

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    1. En note au bas de la même page 3, un autre intervenant est cité qui dit que Martin a de l'expression a de la "force" dans l'expression, mais beaucoup d'imagination. Décidément, que de rencontres ! Et je passe sur la recension de gens ayant critiqué l'incompétence de Martin, fût-ce avec la pudeur euphémisante de l'académicien, pour arriver à une Histoire populair de la France en cours de publication depuis 1866 que L'Epinois lit et relit avec le même sentiment de tristesse que l'Histoire de France. Et enfin, on arrive au reproche idéologique qui est formulé ainsi, puisque voici une citation (page 10) : "[...] il s'est représenté le catholicisme comme opposé à la justice et à la vérité." Comme L'Epinoix regrette que les vrais savants ne répondent que par un silence prudent de dédain, L'Epinoix qui se reproche de ne pas avoir la compétence, se vante de répondre au nom du "culte du vrai". On appréciera le côté paysan de la main à plume qui se dévoue : "Ce n'est point par goût que je prends la plume : la tâche est laborieuse et ingrate ; mais j'obéis à un devoir."' Il ne le met pas de côté comme plusieurs.
      L'introduction est en place. L'Epinois va faire sur le modèle revendiqué de Maistre une critique des erreurs saillantes.

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    2. Partie chiffrée I en romain, seulement à la page 12, L'Epinois commence par épingler que dans son Histoire populaire prend le prétexte d'informations récentes (donc non présentes dans son Histoire de France) pour diffuser son venin contre le christianisme. Certes, l'homme est la créature la plus récente, mais il est plus ancien que ce que les gens disaient auparavant. L'Epinois rappelle que Cuvier est un des devanciers assimilés à des crétins, et L'Epinois rappelle face à ce qu'implique ce débat un propos d'il y a quarante ans selon lequel le christianisme "a tout à espérer et rien à craindre du progrès des sciences physiques." L'Epinois poursuit dans un persiflage qui aujourd'hui ferait plutôt rire contre lui. On a essayé de mettre en désaccord la foi et la science en reculant de milliers d'années l'origine des êtres humains, mais Dieu merci ! grâce à M. de Lettrone et Cuvier nous savons que l'humanité n'excède pas 7000 ans d'existence. Mais, de nouveaux savants font de mauvais rêves avec une théorie de la lente et progressive évolution du genre humain qui aurait du coup cent mille, 70 000 ou allez 40 000 ans s'il vous plaît ? Dieu merci ! cette théorie hostile au récit biblique "perd chaque jour de son crédit". L'Epinois rejette explicitement les notions d'âges de pierre, du bronze, du fer, etc. A Mayence, ils avaient adopté cette nomenclature, mais ils viennent de l'abandonner. Et une conclusion s'impose : "dès aujourd'hui, on peut affirmer que les résultats de la science ne sont point en contradiction avec les résultats de la science." C'est drôle comme ça fait penser à ce trait d'humour dans "L'Impossible" : "cette déclaration de la science, le christianisme". Il connaissait ses contemporains, Rimbaud !

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    3. corriger : "... avec les textes bibliques".

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    4. L'Epinois cite encore (page 17) ce bon "savant docteur Reusch" : "toutes les contradictions signalées par moment entre la nature et la Bible ne sont qu'apparentes, et se réduisent à des malentendus, soit de la part des naturalistes, soit de la part des exégètes."
      Puis L'Epinois reproche à Martin de faussement croire à l'unité originelle du genre humain puisqu'il décrit les Gaulois arrivant sur une terre déjà occupée par d'autres humains, et tout cela donne un récit confus. On voit aussi qu'il est question de la descendance de Cham malgré tout dans l'Histoire populaire des Martins (le nom le plus répandu en France je crois, pardon pour ma blague idiote).
      L'Epinois épingle le ridicule complaisant des affirmations de ce genre : "Les femmes étaient belles et sages, les hommes généreux et envahissants, sensibles, etc." Pas des "brutes sensibles comme des bûchers" je suppose.
      Mais si ils faisaient des sacrifices humains rappelle l'épineux.
      Puis on a un autre Martin, un tout autre, du côté de la religion qui rejette les extravagances des gens du genre de son homonyme dans un livre intitulé "La Vie future suivant la foi et suivant la raison". Bon évidemment on reparle de la foutaise de l'influence originelle du druidisme en parlant aussi de Bouddha, Zorro astré et qu'on sort.
      On a l'emblème du sanglier, donc Obélix c'est une référence à l'Histoire populaire des Martins.
      Et donc entre quatre conneries que je raconte, je dois citer ceci :
      "Mais que veut donc M. Henri Martin en exaltant ainsi les anciens Gaulois ? Montrer [...] que l'élément progressif chez nous c'est le gaulois ; qu'à Rome, au catholicisme, aux conquérants germains, nous ne devons à peu près que les enclaves séculaires qui ralentissent ou arrêtent le naturel essor de notre génie national." En clair, dans "Mauvais sang", Rimbaud prend le contrepied du modèle exalté prôné par Henri Aston Martin.

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    5. Et donc, reprenez votre souffle, page 22, Les Gaulois sont vaincus par les romains et Martin parle enfin de la Gaule asservie, la seule dont les historiens ont objectivement les moyens de parler selon L'Epinois et donc il cite un passage de Martin qui vaut aveu sur la religion du caractère finalement peu brillant de la civilisation gauloise : "En dehors des druides et des nobles, tout le reste du peuple était tombé dans la dépendance, l'égalité avait disparu. Leur religion ne leur enseignait point l'amour des hommes, et chez eux le mépris de la mort n'était pas joint à la charité." Concessions dangereuses comme on dit, et L'Epinois reprenant la plume ne se prive pas de le faire remarquer : "L'aveu est grave, ce me semble, et vient jeter quelque ombre sur cet âge d'or tant vanté."
      Vous avez noté ce lien entre charité et mépris de la mort ?
      Vous commencez à le sentir qu'Une saison en enfer fait bien écho aux débats d'époque entre historiens poètes pouet-pouet et religieux onctueux ?

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    6. Bon, je devais faire un dernier ajout de citations fin de partie I et peut-être début de partie II, on verra ça une autre fois. Pour l'essentiel, après, dans les parties II et III, très longues, rien d'exploitable. J'en suis à la partie IV et donc faudra que je vois ce qui est dit sur l'enfer, et j'en suis qu'à un sixième du bouquin. Faudra lire aussi directement les textes d'Henri Martin. L'Epinois s'attaque aussi à Renan, Havet, Aubé et consorts sur la figure de Jésus qu'ils appellent simplement Jésus et non plus le Christ notre seigneur.
      J'oubliais un truc dans ma comparaison tout à l'heure. Donc Rimbaud qui en plus devait connaître les critiques des croyants sur cette éternelle façon de tout rapporter à la Gaule chez Martin. Constantin a régné sur la Gaule avant d'aller là-bas, et donc c'est encore grâce à la Gaule, et telle martyre elle fait comme les anciennes gauloises, etc., donc bref Rimbaud inverse le principe d'exaltation des gaulois, évite de les placer partout, et fait un portrait admis dépréciatif du gaulois mais rongeur, plus subversif donc que du Martin. Rimbaud ironise sur le christianisme comme déclaration de la science donc c'est clair qu'il connaît et cite le discours d'époque des croyants qui veulent d'une science qui finira par donner raisons aux données bibliques. Rimbaud fait du forçat son druide disais-je et pour l'instant je n'exclus pas l'allusion aux italiques de ce texte de 1872 de L'Epinois, premières pages, mais je cherche d'autres possibilités, mais bref, le forçat est l'équivalent du druide et du coup à la fin dans "Adieu", le poète qui s'est cru mage ou ange offre un parallèle avec le zozo Henri Martin qui croit au druidisme. Il y a vraiment un jeu élaboré dans Une saison en enfer avec les débats d'historiens et croyants de son époque. Vous avez eu aussi du culte du vrai, le christianisme comme vérité, et face à cela Martin qui comme Quinet et Proudhon dit que l'église n'est pas force de progrès, et qu'elle est contre la vérité et la justice. Franchement, les implications pour Une saison en enfer sont évidentes.

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