Catulle Mendès fait partie de ces auteurs sur lesquels il me faudra à un moment donné consacrer du temps de lecture pour quelques articles de mise au point.
Permettez-moi une petite digression initiale, j'ai besoin d'en toucher un mot.
Là, je lisais la préface de Catulle Mendès de 1884 au recueil L'Idylle éternelle de Jacques Madeleine dont j'ai ensuite lu une bonne partie du recueil. C'est assez stupéfiant, Jacques Madeleine fait partie d'un ensemble de poètes parnassiens tardifs, puisque publiant dans la décennie 1880, qui offrent l'occasion de constater la survie de thèmes et de formes que Verlaine et Rimbaud ont traité auparavant. Il y a plein de comparaisons à faire dans les poèmes de Jacques Madeleine avec des poèmes en vers de Rimbaud, "Tête de faune", "Les Réparties de Nina", "Rêvé pour l'hiver". J'ai la conviction que Madeleine, dont le recueil est d'ailleurs dédié à Léon Dierx, a beaucoup apprécié les recueils de Verlaine, car je pressens les reprises. En revanche, malgré ce que dit Mendès dans sa préface, Jacques Madeleine n'est pas un très bon poète. Il est inintéressant au possible et il n'a pas du tout une maîtrise subtile de la langue des vers.. Pourtant, il pratique les césures acrobatiques des parnassiens et il a même osée la césure sur le déterminant "une" des poèmes diaboliques de Verlaine encore inédits à l'époque, césure sur laquelle joue la clausule de "Guerre" des Illuminations. Mendès annonce aussi un auteur candide et plusieurs poèmes sont clairement sensuels et faunesques. Dans sa préface, Mendès raille l'idée que désormais il est difficile de faire de mauvais vers, et il vient sur ce terrain dans des mots qui mériteraient un rapprochement avec le tour excessif de Rimbaud dans "Alchimie du verbe" : "je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne". Le livre en prose de Rimbaud était encore inédit en 1884, il en va différemment de l'édition des Poètes maudits et étonnamment Mendès parle d'une époque où extraordinaire et monstrueux n'étonnent plus avec les poètes sataniques de notre époque.
Puis, attiré par le titre, j'ai survolé, mais vraiment superficiellement, le roman Le Chercheur de tares. Je me suis dit : "Tiens ! ça me fait penser au titre de poème "Les Chercheuses de poux" qui est une parodie en partie d'un poème de Catulle Mendès. Un truc inattendu m'a frappé, j'étais en train de penser que Mendès pouvait avoir déjà lu Une saison en enfer à ce moment-là, il y avait un festin au début du prologue avec du Swedenborg, et puis à la toute fin du prologue, il y avait une sorte d'envoi satanique et le début du chapitre on passe à un souvenir de la mère du narrateur, mais un souvenir traité comme incertain. Je me demande du coup si Mendès ne s'est pas inspiré d'Une saison en enfer, mais je ne m'aventurerai à rien au sujet d'un livre que je n'ai pas encore lu. Puis, j'ai lu le recueil d'épigrammes contre le Journal de Toulouse et Pujol paru en 1859.
Et enfin, j'en reviens au recueil Histoires d'amour paru en 1868. Je rappelle cette bonne vérité de La Palice que pour qu'un texte de Mendès ait eu une influence sur Rimbaud il faut qu'il ait pu le lire à l'époque où il s'adonnait à la poésie. Or, si on considère Mendès comme un écrivain prolifique, on ne lui attribue la composition de romans, contes et nouvelles que tardivement et postérieurement à la carrière poétique de Rimbaud. Tout se passe comme si à l'époque de Rimbau Mendès n'était qu'un poète. Même le théâtre n'est pas tellement mis en avant. C'est à se demander si la date donnée 1868 n'est pas erronée pour le recueil Histoires d'amour. Ce qui m'intéresse, c'est le tout premier récit intitulé "Elias", il est flanqué d'un sous-titre qui vaut requalification ironique en genre littéraire : "Etude". Rimbaud songera écrire des "études néantes", donc dans la genèse d'emploi du terme par Rimbaud on peut déjà faire rentrer ce document qu'est "Elias".
La nouvelle est précédée d'une lettre adressée "A madame Juliette Chardin" signée "C. M." Elle est assez perfide puisque l'auteur feint de taire le dénouement réel du récit qu'il va nous faire sous prétexte de ne pas divulguer des faits qui font culpabiliser madame Chardin. Catulle Mendès déclare que cette étude a été écrite d'après les souvenirs de cette femme et du docteur Delton.
Le recueil Histoires d'amour est disponible sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France où je l'ai trouvé et téléchargé.
Pour se faire une idée de l'humeur ironique de cette nouvelle, il convient d'en citer le tout début :
Dans son remarquable traité Uber die Krankheite des Kinder und ihren Einflus auf die Entwickelung der moralischen Kraefte, c'est-à-dire : Des Maladies du premier âge et de l'eur influence sur le développement des facultés morales, le professeur Spitzberg, vice-président de l'académie médicale de Dusseldorf, met en lumière plusieurs exemples de précocité vraiment extraordinaires chez des enfants de sept ou huit ans malades depuis leur naissance, et croit pouvoir en tirer cette conclusion que, dans les cas où de continuelles souffrances n'oblitèrent pas absolument l'intelligence des jeunes malades, elles peuvent au contraire en précipiter l'épanouissement. Les innombrables réflexions sur lesquelles le docteur Spitzberg appuie sons système ne pourraient qu'intéresser vivement la plupart de mes lecteurs ; mais il me serait asser difficile de les exposer, ces réflexions étant, de leur nature, si délicates, si subtiles, et, d'autre part, formulées en un langage si peu mesuré à la portée présumable des esprits ordinaires, qu'il m'a radicalement été impossible d'en comprendre une seule. Je me bornerai à ajouter que la vie et la mort du baron Elias de Borg, qui forment le sujet de cette étude, semblent militer assez vigoureusement en faveur de la théorie ci-dessus mentionnée [...]
Vers la fin de l'année 1853, le comte suédois Nils-Agrippa de Borg était en mission diplomatique à Berlin et entretenait une liaison avec la fille d'un colonel prussien qui passe de "secrète" à "scandaleuse". Il est du coup obligé contre ses grands projets de se marier à cette femme pauvre qui, une fois épouse, n'a plus droit au moindre amour. Elle est emmenée en Suède, puis cloîtrée dans une maison isolée de Norvège, au milieu des forêts, "dans la malsaine contrée de Dormsô", une sorte de retraite à la campagne en hyperbolique. Lorsque le comte reçoit, on lui fait comprendre qu'elle n'a pas intérêt à s'y montrer. Sa santé fragile se révèle, elle dépérit "malade de la poitrine". Bien que délaissée, elle est enceinte et met au monde un enfant plus malingre qu'elle, le petit Elias, dont vous remarquerez qu'il a environ l'âge d'Arthur Rimbaud finalement, ce que Mendès en 1868 n'a évidemment pas fait exprès. La première fois qu'il voit Elias, le comte demande ce qu'est ce monstre, et son épouse lui répond offensée que c'est son fils, ce qui lui vaut cette réplique faite en passant la porte : "Dites le vôtre, madame".
Et, ce nouveau coup du sort l'accable encore plus et ceci nous vaut une description d'une mère comtesse en un pays étranger qui ne quitte plus son lit :
[...] Dans ce climat, par ces chagrins, l'état de la comtesse s'aggravait d'heure en heure. Bientôt elle ne quitta plus sa chambre, une chambre ancienne, très-profonde, qui avait de grandes fenêtres. Elle restait là tout le jour, à demi couchée dans un large fauteuil et considérant, à travers les vitrages, le vaste ensemble mélancolique de la forêt sombre et du ciel ténébreux. Elias, qui avait cinq ans, jouait à côté d'elle, rampant. C'étaient des heures d'une tristesse affreuse. Le soir, elle pleurait. L'enfant, dont l'intelligence se développait avec une rapidité peu fréquente, s'efforçait de consoler sa mère d'une douleur dont il paraissait deviner la cause. Mais la comtesse n'osait point garder trop longtemps Elias auprès d'elle, craignant qu'il ne fût malsain pour ce pauvre être déjà si maladif de demeurer dans une chambre presque mortuaire, où l'odeur douceâtre de quelque potion se mêlait seuel à l'atmosphère fadement tiède qui émane des phtisiques proches de leur fin. Lorsqu'un blanc rayon septentrional venait à caresser les vitres, elle montrait le soleil à Elias, le soleil et les bois, et lui disait : "Va jouer, Elias." L'enfant partait. [...]
Le maître autorisant les domestiques à exprimer leur répugnance pour l'enfant, celui-ci joue seul, s'allonge dans les bruyères et quand il revient sa mère l'appelle de la fenêtre, et elle admire son identique air triste en le cajolant dans ses jupons.
La mère est sur le point de mourir, le père ne daigne pas revenir malgré une lettre, elle meurt en disant à son fils de pardonner à son père. Il ne pleure pas, il a huit ans. Il parle à la pierre muette, et passe de solitaire à farouche. Ses difformités s'accentuent : "nain, boiteux et bossu." Le père se remarie, mais reste sans héritier, il se rappelle l'existence de l'avorton et l'emmène à Paris pour voir des médecins. Ils vont demeurer faubourg Saint-Honoré. Le troisième étage est spécialement réservé au baron Elias. Nous avons droit à la description de la "chambre à coucher" :
[...] La troisième pièce était une chambre à coucher, obscure tant elle était vaste, et que singularisaient de pesantes tentures de satin cramoisi sombre surchargée d'armoiries en cuivre peint ; il y avait au fond, dans un coin morne, un lit d'ébène massif, sans sculptures, très-grand, très-haut, qui ressemblait à un sépulcre de marbre noir. [...]
Tout cela fait dire que les meubles ont un "pressentiment de l'agonie" à venir. Puis, nous avons une vue de l'extérieur floral qui nous est précisée :
[...] A côté du lit, une portière en étoffe, presque toujours à demi relevée, permettait d'apercevoir un large balcon qui donne sur la cour intérieure de l'hôtel et que la volonté du jeune baron avait transformé un une serre opulente, à la toiture et aux murs de cristal. Mais le voisinage de ce jardin suspendu, plein de floraisons éclatantes et d'aromes délicieux, ne réussissait pas à égayer la sombre chambre de repos : c'était une tombe, il y avait des fleurs à l'entour.
Mendès ne s'est pas trop foulé, la chute n'est pas du tout habilement amenée : "il y avait des fleurs à l'entour."
Après dix-huit mois, l'enfant a onze ans et d'une pâleur toujours plus inquiétante. Nous avons droit à une description de ses cheveux :
[...] Ses cheveux, longs, directs, presque blancs tant ils étaient blonds, serraient, comme entre deux plaques de vermeil dédoré, un front volumineux qui surplombait le reste de la face, approfondissant l'azur triste des yeux et prolongeant une ombre jusqu'aux ailes trop minces du nez. [...]
Et puis, il finit par avoir la vision de la femme aimée de fenêtre à fenêtre :
Par le vitrage où s'appuyait la tête du jeune baron, on pouvait apercevoir, au delà des bâtiments intérieurs de l'hôtel de Borg, une partie de la cour et la façade tout entière d'une maison voisine. C'était à une fenêtre, d'ailleurs fermée, de cette maison que s'attachait le regard d'Elias, regard fixe où se lisait l'angoisse d'une longue déception. Depuis deux heures l'enfant était là, invisible et guettant. Soudain, la fenêtre qu'il observait s'étant ouverte, une femme très-jeune, blonde, une jeune fille sans doute, s'y accouda, lointaine et gracieuse. Les yeux d'Elias, éblouis, se fermèrent ; il retira vivement sa tête [...] [P]ar instant ses narines se gonflaient comme aspirant un parfum lointain, et il semblait extraordinairement heureux. Il resta ainsi très-longtemps. La jeune fille accoudée à sa fenêtre ne se doutait guère de la joie que donnait sa vue à un pauvre enfant malade qui la contemplait de si loin. Elle semblait plongée en un rêve doux et long. Il se pouvait qu'elle attendît quelqu'un, car ses regards interrogeaient fréquemment l'allée d'une porte cochère située en face de sa croisée. [Ce fut de ce côté que se montra bientôt un homme aux allures élégantes, qui la salua d'un geste familier, traversa la cour et disparut sous la marquise d'un perron. [...]
Elias voit rouge, la beauté de la joie cède la place à la hideur de regard fixé sur cet homme, mais quand Elias se reprend, la fenêtre de la femme est déjà refermée. L'état d'Elias empire en toux rauque. Il essaie de se rassurer en pensant que cet homme est le frère de cette jeune fille. Le domestique introduit alors le docteur Delton et le narrateur nous offre un effet de réel, en le présentant comme célèbre grâce à un portrait de Flandrin qui fit du bruit au Salon de peinture de 1852, quand il n'avait pas encore trente ans. C'est un médecin qui s'attire des inimitiés de ses collègues : "[o]n sait qu'il attribue une large part d'influence à la santé de l'âme sur la santé du corps". Mécontent, Elias va s'asseoir pour permettre au docteur Delton sa consultation.
J'évite de détailler le dialogue avec le docteur. Celui-ci dit qu'il n'a pas besoin de prendre le pouls, il décrit les bourdonnements des tempes du malade, sa fièvre et sa difficulté pour dormir. L'enfant dit que la guérison c'est être normal de corps, il préfère mourir. Il ne sera pas aimé. Et on a ce propos important au récit sur la précocité du malade, ce qui fait qu'on peut lui parler du désir d'amour malgré son jeune âge de onze ans. Et il ne manque pas l'assimilation des femmes bonnes à des anges. Cela s'accompagne de l'idée que les femmes auront pitié d'Elias, ce qui n'a pas l'air d'enchanter celui-ci, mais le docteur Delton arrive à le persuader que même si ça commence par de la compassion cela tourne en véritable amour ensuite.
Mais cela retombe un peu en défiance. Le médecin sent que l'état s'aggrave à cause d'un chagrin caché, et il veut un aveu du patient tant que le mal est encore latent. Elias se retire dans la serre, en colère.
Elias ne veut pas révéler son secret, son amour pour la mystérieuse voisine à la fenêtre. Il se dit qu'il a une "reconnaissance de tendresse" pour les femmes à cause de son vécu, mais il se demande "Pourquoi tant de désirs inexpliqués ? Pourquoi des larmes ? Pourquoi de la jalousie ?" Un soir, à la serre, il comprend que c'est soir de bal chez l'énigmatique jeune fille. Il reconnaît le bel homme qu'il avait vu passer et qu'il "détestait de préférence" à tous les hommes, lui étant boiteux, etc :
[...] Une musique joyeuse se faisait entendre ; des couples très-rapides passaient en dansant derrière les croisées en flamme. Elias songea à ses jambes contournées, à ses genoux cagneux, et sourit amèrement. Il n'y avait qu'une fenêtre, éclairée cependant, où ne transparussent point les formes fugitives : c'était celel qui était chaque jour l'objet de la contemplation d'Elias. L'enfant, ce soir, la regardait encore avec douceur [...]
Et tout-à-coup, la fenêtre s'ouvre et la belle vient s'accouder "au rebord de la croisée". Le narrateur ironise sur ce "grand amour", puisque la femme ne voit pas Elias "pleurer" et probablement se repose après une valse. "L'inconnue, dans la nuit, semblait un doux fantôme blanc." Et elle est soudain rejointe par le fameux homme que maudit Elias. Il la baise même sur l'épaule. Elias s'évanouit dans une chute bruyante qui amène le domestique. L'enfant est mis au lit comme mort et on part en quête du docteur Delton qui est à un bal pour le mariage de Juliette de Poean avec monsieur Chardin. Alors que le docteur Delton a fait sortir le domestique et veille auprès du lit, Elias se réveille et parle dans une sorte de délire du baiser, de la femme et de l'homme, il va dans la serre. La femme est à sa fenêtre seule, mais c'est pour dire au revoir au beau monsieur qui passe dans la cour. La scène finie, il s'attaque au docteur en riant amèrement du mensonge des femmes angéliques qui ont pitié. Pour lui, ça n'existe pas ! Elias essaie de tuer le docteur avec une serpe en le confondant avec le beau monsieur, mais il finit par être épuisé. Elias sous le contrôle du domestique semble calme, mais dans son âme il voit défiler sa vie et se rappelle "la chambre ancienne, où sa mère était assise devant les vitrages peints d'une haute croisée." Il passe par divers états d'oppression, de soif brûlante et sue, puis une lumière douce de la fenêtre semble le rasséréner, et il réalise qu'il est dans son lit et que la femme est venue à son chevet, puisqu'évidemment le docteur Delton a fait le lien et est allé la chercher. Et dans ce récit où les motifs des vitrages, de la fenêtre et de la croisée sont si importants, insistons bien sur l'image du rayon entrant par la fenêtre :
[...] il s'imagina que l'on ouvrait les rideaux d'une fenêtre par où il entrait du soleil. [...]
La jeune fille est "délicieusement belle" avec des "violettes dans les cheveux", elle a "dix-sept ans", un bleu saisissant dans ses tendres yeux, de l'or pour cheveux, une candeur de la peau blanche comme des lis, et le sourire d'une sainte. Les Beach Boys auraient pu dire qu'elle avait des cheveux blonds et un sourire comme une star du cinéma.
Elle semble "l'ange chargé de recueillir et d'emporter l'âme de l'enfant moribond".
Elias pleure abondamment en se disant que finalement il est vrai qu'il existe des femmes qui sont comme des anges. Evidemment, il lui reste peu d'instants à vivre et il passe par un tourbillon d'émotions fortes. Il se fâche quand elle l'appelle enfant, il ne veut pas en être un pour elle, ce qui effraie Juliette. Il lui parle des mauvais traitements qu'il a subis, de sa laideur d'être boiteux et tordu. Puis il se remet en valeur en disant que sa mère aimait ses cheveux :
[...] Je suis trop laid. Regardez-moi. Ma mère me disait que j'avais de beaux cheveux. [...]
Incohérent, il finit par se dire un enfant dont elle va s'occuper, et il décrète qu'elle est sa soeur :
[...] Puis vous pourriez être ma soeur. Voilà vous êtes ma soeur. [...]
Elias a de la suite dans les idées, il lui demande si elle est venue seule, elle mentionne la présence de sa mère, elle est prête à l'appeler, elle serait ainsi deux à s'occuper de lui, mais il lui demande sans prévenir si son frère est là aussi, elle répond qu'elle n'a pas de frère, et il renie son rôle d'enfant, fait savoir qu'il est jaloux. Mendès qui imite depuis quelque temps un style larmoyant de personnage complaisant à la Hugo aligne quelques formules, donc toujours sur le modèle hugolien rêvé : "je suis né homme comme je suis né bossu", "je vous aime comme un homme ! Je ne suis pas un enfant, je suis un nain et je suis jaloux." Cette dernière réplique est sans doute la principale réussite littéraire de tout le récit. Il annonce qu'il a voulu tuer le docteur, qu'il veut tuer le beau monsieur et puis il l'agresse et la chasse. Effrayée, elle va pour se retirer, le docteur entre alarmé. Comprenant qu'elle veut partir, il se calme pour qu'elle reste et repasse en mode chantage affectif et apitoiement. Le docteur les laisse, il raconte son amour depuis un an. Il la voit à la fenêtre, elle non, elle ne le pourrait pas puis il se cache. On retrouve le motif de la croisée. Il parle de ses rêves heureux, de ses songes plus agités. Presque de manière anodine, il précise qu'il va mourir dans le lit où il se trouve présentement, mais lui parle de sa vision d'elle et lui transportés au château de sa mère en Norvège. Il s'imagine sa mère sortant de la tombe et rentrant avec lui et Juliette au château, pendant que les bûcherons chantent en abattant les mélèzes.
Et il la remercie de l'avoir fait mourir.
Cela lui arrache deux larmes, et l'émotion est tellement forte pour lui qu'en lui prenant la main il est attaqué par les "convulsions dernières". La mère de Juliette reproche au docteur ce qui arrive à sa fille, Elias demande qu'elle reste et Juliette obéit comme à une injonction "magnétique". Exploitant l'instant de sa mort sans vergogne, Elias demande à Juliette le serment qu'elle n'appartiendra à aucun autre (nous savons ce qu'il en est vu la lettre de l'auteur au début du récit). Roulée dans la farine de la manière la plus sale, elle jure au dernier instant de vie d'Elias. Mendès trouve ça beau, moi je trouve ça abject : on n'a pas les mêmes valeurs. Evidemment, ça finit en pirouette : "si vous saviez ce que j'ai juré", dit-elle au père d'Elias qui arrive à l'instant et compose une visage de circonstance, et le docteur dit qu'elle est un ange, mais qu'elle est une enfant. Le récit est daté "Octobre 1866".
Voilà, j'ai résumé le récit et j'ai cité je pense tous les passages à plus volontiers rapprocher des "Chercheuses de poux". Certes, les deux récits sont nettement distincts, mais du point de vue des ingrédients la relation de reprise parodique par Rimbaud est plus que certaine.
Vous aurez compris en lisant cette nouvelle "Elias" que cela apporte une dimension plaisante au poème "Les Chercheuses de poux". L'enfant et les deux soeurs sont dans une relation sexuelle ambiguë, et ici dans "l'étude" mendésienne l'enfant veut être un homme et non un enfant, mais quand ça l'arrange il joue le rôle et se rêve une soeur, comme il refoule l'idée que l'homme et la femme soient amants en les imaginant frère et soeur. Dans le poème de Rimbaud, deux grandes soeurs charmantes et donc charmantes viennent moins au chevet de l'enfant qu'au lit du malade qui pleure quand on le touche. Et il y a aussi cette idée de mort qui occupe la fin du poème.
RépondreSupprimerEn passant, j'en profite pour épingler la lecture dérisoire de la fin de "Adieu" dans Une saison en enfer par Bruno Claisse, lui aussi parle d'une attaque du dualisme, lui aussi lit résolument au premier degré ce passage en italique (autrement dit, les italiques ne sont pas une citation pour lui, mais un soulignement de l'essentiel à retenir). Claisse lit tellement les poèmes au premier degré qu'il n'identifiera pas le sel humoristique de la chute du récit. Cette arrogance de la leçon finale et ce subtil jeu de miroir "je peux posséder la vérité, pas vous les menteurs du christianisme."
RépondreSupprimerOutre son livre final, l'article de Claisse sur "Adieu" figure dans la revue "Europe" n°966, 2009, : "L'irréductible tragique d'Une saison en enfer". Malgré "loisible" Claisse affirme que les italiques veulent dire qu'il ne s'agit pas que de chercher, mais bien de posséder. Remarquable sous-évaluation de "loisible" déjà. Et il nous pond une "dialectique du spirituel et du corporel, [pensée] conçue passant par le corps", on est dans les calembredaines.
Il n'a rien compris à la chute d'Une saison en enfer, alors même que son article développe un concept d'humour noir. Il n'a pas identifié le paradoxe de la fin d'Une saison en enfer où le poète tient le pas gagné, a une allure de Christ, admet des "splendides villes" et donne une grande leçon de mage.
Un seul a compris : moi ! Et c'est assez ! diront l'homme juste et la corneille.
En gros, les rimbaldiens s'interdisent d'aimer la liberté libre, puisqu'ils doivent s'interdire de dire la vérité sur la prose liminaire d'Une saison en enfer, sur la fin de "Adieu" pour "enfer des femmes" et "posséder la vérité", pour la coquille "outils" pour "autels", pour le déchiffrement de L'Homme juste "ou daines" et même "Nuit", sur "Voyelles", sur "Oraison du soir", sur "Le Bateau ivre", ils doivent taire une source sur "Les Chercheuses de poux", sur la pagination allographe des manuscrits des Illuminations.
SupprimerCe n'est pas des gens libres, les rimbaldiens ! Murphy, il a arrêté d'être en avant, il fait quelques articles secondaires maintenant.
C'est atroce d'être rimbaldien, c'est une aliénation mentale permanente.
A part ça, j'ai sous la main l'article de Vaillant sur la fin de "Adieu". Donc Vaillant a au moins compris comme Richter qu'il y a une allusion à l'eucharistie, au christianisme comme témoignage à la vérité, mais donc dans son article de 2014, on a encore ce truc théorique d'un dualisme dépassé entre non pas l'âme et le corps, mais l'esprit et le corps, on n'est pas à ça près.
Et là on a la sixième méditation de Descartes où le corps est trompeur pour découvrir la vérité... "L'esprit doit toujours redouter les mensonges du corps". Et on cite Richter qui nous pond un christianisme humanisé façon Michelet où la vérité : "c'est l'inconnu [sic !], c'est le réalisme véritable, l'espace inexploré et terrible qui se cache entre l'âme et le corps, entre l'abstrait et le concret, entre le spirituel et le matériel,..."
Bref, comme dans Le Bourgeois gentilhomme, Rimbaud dit tant de choses en peu de mots. Autre truc, les rimbaldiens proposent tour à tout une solution à la vérité par le corps pour supposer un dépassement du dualisme.
Vous connaissez la théorie de l'éther ? Il y a une théorie de la relativité qui est venue après. L'éther servait à justifier la lumière comme onde et non corpuscules, mais l'onde se répand dans le vide, l'éther pose problème donc on s'est dit qu'il n'existait pas. C'est pareil pour la phrase finale de "Adieu", le combat de Rimbaud contre le dualisme n'existe pas, on jette tous vos débats et on garde l'allusion chrétienne pour voir l'ironie de la vérité dressée contre la société chrétienne mensongère.
Pauvres petits rimbaldiens qui voudraient continuer après moi à publier des livres sur Une saison en enfer...
Ohohoh !
Ah oui. Je précise. Donc si la lumière est onde, il lui faut un médium ou milieu ambiant de propagation qui devait être l'éther, mais les définitions de l'éther étaient bidouillées dès le départ, et on sentait que la notion d'éther aboutissait à des contradictions, mais ce qui l'a fait tomber c'est le fait que la vitesse de la lumière ne peut pas évoluer, on ne peut pas imaginer un ajout à la vitesse de la lumière, et si on ne peut pas imaginer un ajout, ça veut dire qu'on ne peut pas imaginer un référent qui fasse contraster la vitesse de la lumière. C'est pour ça que la notion d'éther est tombée et qu'il est admis que la vitesse est constante et déployée dans le vide.
SupprimerLe texte de Rimbaud, vous lisez Brunel, Claisse, peut-être Bardel, Nakaji, peut-être Frémy, Richter et Richter-Vaillant et Vaillant 2023, vous vous rendez compte qu'on a à chaque des solutions différentes et incertaines pour toujours soutenir que le dualisme est combattu, avec des idées peu claires, du genre l'analyse du déterminant "une"/"un" pour "une âme et un corps", par exemple. Il faudra un jour que les rimbaldiens se posent la question si oui ou non Rimbaud s'attaque à la notion du dualisme. Moi, j'ai déjà répondu : "non" ! Rimbaud n'est pas ce métaphysicien-là. Les italiques, les rimbaldiens n'arrivent pas à les expliquer, alors que pour moi j'ai la réponse de base : en général, les italiques servent à indiquer une citation, un propos repris. Rimbaud reprend un propos chrétien, mais s'en sert pour persifler la société dont il vient de dire précisément qu'il allait s'en moquer !
***
Les rimbaldiens n°1 à 12 dans la panade lors de leur 13e tour d'horloge : "Heu ! mais Richter et Vaillant ont dit que la phrase finale renvoyait au Christ, donc ça en désarme Ducoffre, heu ! et puis heu ? on va se débrouiller, t'inquiète pépère, on va récupérer la vérité pour nous, t'inquiète qu'on va te bricoler du je savais déjà les choses à 100%".
On citera Ducoffre pour dire qu'il se trompe sur un truc, et on récupérera la vérité, t'affole pas, tout va s'arranger.
Une petite mise au point du matin. La proposition verbale en italique à fait l'objet d'analyses que l'on peut croire convergentes de remise en cause du du dualisme sauf que les arguments sont à chaque fois différents. Donc il s'agit plutôt d'une perspective convergente et la variation d'arguments flous tend à la discréditer ainsi que le fait que personne ne reprend tel quel un prédécesseur.
SupprimerSur un autre plan dans l'approche, le commentaire antidualiste n'arrive ni à rendre compte du texte de loin ou de près, ni au plan de l'extrait et du contexte immédiat à justifier sa présence et le choix de formulation de Dualiste de Rimbaud. Rimb1ud dirait ça voilà voilà. Ce n'est pas même une chute.
Moi je rends compte de tout dans ma lecture.
Un os à ronger restera avec corps en mot de la fin mais j'ai lu ce qui fait l'intérêt littéraire de ces italiques pas les autres. CQFD.
Un autre truc, dans le chantage sur le lit d'Elias, on a droit à des phrases contradictoires qui font songer finalement à la dynamique de certaines phrases drôlement changeantes en terme de point de vue d'Une saison en enfer. Je garde ça sous le coude pour un article sur les modèles littéraires de changement de point de vue contradictoire en cours d'énonciation pour Une saison en enfer.
RépondreSupprimerJe suis dans la librairie La Comédie humaine à Avignon et je tombe sur une édition 2023 d'une saison en enfer dans la collection Poésie Gallimard. Enfin on n'a plus le texte ancien de Forestier impose à trois collections (poésie gallimard, folio classique et Bouquins). Hélas le préfacier Yankick Haenel nous pond que le livre raconte la recherche d'une clef au festin et dit que la clef est la charité est dite la clef incidemment dans l'envoi !!! Bref la lecture périmée de Steinmetz et Molino jadis relayée par Bardel.
RépondreSupprimerDans la postface Grégoire Beurier indique sur les brouillons que "outils" est une probable coquille de l'imprimeur pour autels.
L'édition est imitation de fac-simile en maintenant les coquilles le clef ou que que.
A propos de Oraison du soir, donc comme Accroupissements ce sonnet s'inspire de Un voyage à Cythere. Mais pour empoignant j'ai relevé le doublon empiignait poignée dans le sonnet A M. Théodore de Banville. Sonner de jeunesse un peu faible ajouté 1 l'édition posthume de 1868 et du coup je reviens sur le quatrain de Bénédiction :
RépondreSupprimerPourtant sous la tutelle invisible d'un Ange,
L'enfant déshérité s'enivrer de soleil.
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
Ce quatrain est l'enverron du premier de Oraison du soir à certains égards.
La fin de Bénédiction est aussi une inversion en parallèle à la fin de Oraison du soir.
A noter que la Mère joue le rôle mais ici dénonce du poète ayant injurie la Beauté....