Dans son livre Une saison en enfer ou Rimbaud l'introuvable, Alain Bardel formule une thèse qui semble son principal apport original de chercheur au sujet du livre rimbaldien. Rimbaud change de voix dans Une saison en enfer, ce qui contribue à en rendre la lecture difficile, et Bardel semble donner l'impression d'avoir une méthode pour distinguer les voix entre elles au fur et à mesure du récit. Cette idée bénéficiait déjà d'une étude à part sur son site internet "Arthur Rimbaud, le poète", je ne la retrouve pas à l'instant, mais peu importe, je vais faire avec les données de son essai. Puis, cette idée est liée au titre de son essai "Rimbaud l'Introuvable". Bardel ne fait pas que commenter le texte ici, il donne une thèse de lecture avec des indices généraux ou avec une méthode transversale. Je rappelle que son livre ne fournit pas un commentaire suivi partie par partie. Nous avons un essai général avec une introduction sur la genèse du projet, puis l'essai va étudier trois thèmes présents dans la Saison : la littérature, le travail et la vie affective, et en préalable à cela nous avons une étude préliminaire pour développer la thèse d'un labyrinthe de l'énonciation à aborder méthodiquement.
Il est question d'oralité et de flux de conscience, et je reviendrai une autre fois sur ces idées, en me concentrant plutôt sur les modèles antérieurs à Rimbaud, par exemple le discours confus d'Elias dans la nouvelle de 1868 de Catulle Mendès flanquée du titre de genre "Etude".
Et donc à la page 34, j'arrive sur le terrain des multiples voix qui se contredisent dans Une saison en enfer. Bardel a choisi d'illustrer son propos par des commentaires tirés de "Alchimie du verbe", de "L'Impossible" et de la section 7 de "Mauvais sang".
Dans le cas de "Alchimie du verbe", le seul qui va nous intéresser aujourd'hui, Bardel pose que deux vois parlent en alternance, une voix du sage et une voix du fou. C'est une évidence pour tout lecteur qu'il y a un locuteur revenu de son expérience qui parle de son passé comme d'une folie, et inévitablement nous identifions un discours de fou au sein du témoignage. Mais, peut-on parler d'une alternance réelle de deux voix comme le fait Bardel ? C'est ce que nous allons mettre à l'épreuve. Notons que Bardel commence lui-même par préciser que "Alchimie du verbe" est le récit du livre où l'énonciation est la plus classique et la moins déroutante :
Le chapitre "Alchimie du verbe" est celui qui présente le système énonciatif le plus - relativement - classique et le moins - relativement - déroutant pour le lecteur. C'est aussi le seul qui corresponde aux caractéristiques d'un texte narratif, telles qu'on les observe, par exemple, dans une autobiographie.
Si tel est le cas, que va nous apporter comme enseignement le discours de Bardel sur l'alternance voix du sage et voix du fou ?
Comme c'était prévisible, Bardel identifie un récit au passé où c'est essentiellement la "voix du sage" (la voix du présent de l'écriture) qui s'exprime, puisque Bardel constate inévitablement que pour l'essentiel les folies sont enchâssées dans un témoignage qui rapporte les faits avec une mise à distance, qui les juge. Il va de soi que la voix du fou ne peut correspondre qu'à des énoncés où le narrateur va faire comme s'il était encore pris dans la folie. Dès qu'il y a un élément de distance critique, le témoignage est le fait de la voix de celui qui désavoue, condamne, remet en place en même temps qu'il nous dévoile un acte insensé ou une pensée folle du passé. Bardel décrit des indices évidents pour montrer que c'est la voix qui juge de manière négative qui prend la parole dans certains énoncés. C'est un peu la partie de la réflexion qui est courue d'avance. Je vais directement me pencher sur ce que dit Bardel de l'émergence d'une voix du fou. Cette voix est avant tout perceptible dans les poèmes insérés. Bon, là, l'évidence est sans intérêt en soi, il convient simplement d'élargir cela à deux citations prises dans la prose : d'abord la citation d'une partie du premier vers de "Voyelles", ensuite les propos rapportés entre guillemets sur le général invité à bombarder la ville. On n'apprend toujours rien, on fait simplement un relevé précis. Mais Bardel parle encore d'un passage subrepticement accordé à la voix du fou, et il en donne un exemple avec le paragraphe sur les "autres vies". La première phrase emploie un verbe modalisateur (sembler) qui met à distance : "A chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues." La suite du paragraphe est considérée comme un flashback et Bardel mentionne le passage au présent de l'indicatif : "Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange[,]" ou : "Cette famille est une nichée de chiens."
Il n'y a pas grand-chose à redire à ce cas, mais en relisant "Alchimie du verbe" je considère qu'on ne peut pas systématiser les remarques sur les indices. Et, d'ailleurs, la dernière phrase de ce paragraphe est au passé simple et pourtant elle est formulée sans distance critique : "je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies." Enfin, j'ai quand même des réserves sur le fait que Bardel dise que la voix du fou prenne le dessus dans "Alchimie du verbe", car au contraire l'absence de distance critique s'appuie sur le confort pour le lecteur qu'il sait faire le départ entre la voix du fou et la voix du sage.
Je dois ajouter une précision. Non seulement les phrases comportant un indice de critique ou jugement sont assurées par la voix du présent de l'écriture, mais il faut aussi inclure les phrases qui décrivent des faits du passés non suspects d'étrangeté. Les seules phrases qu'on peut attribuer au fou sont celles qui font part d'une idée en principe folle, mais sans aucun mode de mise à distance. Je conseille d'ailleurs de ne pas proposer des études opposant les deux voix, seul le relevé des phrases étranges a de l'intérêt pour l'analyse.
Je vais donc citer l'intégralité des passages en prose de "Alchimie du verbe". J'ai souligné en jaune les passages que je considérais comme émergence de la voix du fou. J'ai supprimé les poèmes en vers mentionnés et j'ai souligné quelques répétitions de mots sur lesquelles je vais effectuer quelques remarques. J'ai aussi transcrit "moderne" en rouge pour le débat sur le correct établissement du texte, puisque, personnellement, je ne vois pas clairement pourquoi "modernes" n'est pas accordé au pluriel avec à la fois "peinture" et "poésie".
Citation des passages en prose dans "Alchimie du verbe" :
A moi. L’histoire d’une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder
tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors,
toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la
littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans
de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de
découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de
religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de
continents : je croyais à tous les enchantements.
J’inventai la couleur des
voyelles ! – A
noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne,
et, avec des rhythmes
instinctifs, je me flattai d’inventer
un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à
tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des
nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.
**
La vieillerie
poétique avait
une bonne part dans mon alchimie du verbe.
Je m’habituai à l’hallucination simple : je voyais
très-franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours
faite par des anges, des calèches sur les
routes du ciel, un salon au fond d’un lac ; les monstres, les mystères ;
un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.
Puis j’expliquai mes sophismes magiques
avec l’hallucination
des mots !
Je finis par trouver sacré le désordre
de mon esprit. J’étais oisif, en proie à une lourde fièvre :
j’enviais la félicité des bêtes, - les chenilles, qui représentent l’innocence des limbes, les
taupes, le sommeil de la
virginité !
Mon caractère s’aigrissait. Je disais
adieu au monde dans d’espèces de romances : […]
**
J’aimai le désert, les vergers brûlés,
les boutiques fanées, les boissons tiédies. Je me traînais dans les ruelles
puantes et, les yeux fermés, je m’offrais au soleil, dieu de feu.
« Général,
s’il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des
blocs de terre sèche. Aux glaces des magasins splendides ! dans les salons !
Fais manger sa poussière à la ville. Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs
de poudre de rubis brûlante… »
Oh !
le moucheron enivré à la pissotière de l’auberge, amoureux de la bourrache, et
que dissout un rayon !
**
Enfin,
ô bonheur, ô raison, j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus,
étincelle d’or de la lumière nature.
De joie, je prenais une expression
bouffonne et égarée au possible : […]
**
Je
devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de
bonheur : l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque
force, un énervement. La
morale est la faiblesse de la cervelle.
A chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu’il
fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant
plusieurs hommes, je
causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. – Ainsi, j’ai aimé un porc.
Aucun
des sophismes de la folie, - la folie qu’on enferme, - n’a été oublié par moi :
je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur
venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais
les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de
dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie
de l’ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la
mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix
consolatrice. J’avais été damné par l’arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon
ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et
à la beauté.
Le
Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait
au chant du coq, - ad matutinum, au Christus venit, - dans les plus sombres
villes : […]
**
Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui
saluer la beauté.
Fait remarquable, il n'y a aucune réelle émergence de la voix du fou dans les deux premières parties en prose. J'ai souligné en jaune : "J'inventai la couleur des voyelles", "je réglai..." et "J'écrivais...", parce qu'il s'agit de passages sans mise à distance critique et parce que si deux citations sont au passé simple, l'autre est à l'imparfait. Ce n'est pas la voix du fou qui parle, c'est la voix du présent qui se dispense de critiquer.
Dans le deuxième passage en prose, je cite une proposition relative à l'indicatif présent : "qui réprésentent l'innocence des limbes" et du coup le syntagme nominal qui suppose l'ellipse du même verbe : "le sommeil de la virginité". La voix du présent prend en charge des affirmations tout de même étranges.
Ces cas sur les deux premiers passages en prose ne sont pas trop importants à prendre en considération sans doute. En revanche, dans le troisième extrait en prose, nous avons un propos rapporté que j'ai mis en jaune, mais il est sur le même plan du passé que les poèmes cités (j'aurais pu souligner en jaune la quasi citation du premier vers de "Voyelles"), et ce qui est impressionnant, c'est que ce discours rapporté le cède à une exclamation qui vaut pour le temps présent de l'écriture puisque non mise entre guillemets. Et c'est un fait assez troublant. Il y a une continuité de pensée de l'un à l'autre discours. Le moucheron dissout dans l'ambiance peu hygiénique de la pissotière est en parfaite correspondance avec le projet de bombarder de blocs de terre sèche les magasins splendides, les salons, de faire manger sa poussière à la ville... Il serait un peu court de dire que l'interjection "oh !" exprime une réprobation. On sent plutôt un relent dans l'instant présent, en même temps qu'une dérision.
Et c'est précisément à partir de ce moment-là que le poète va laisser passer les idées de folies sans aucune distance critique, puisqu'après la citation d'un poème, le poète dit qu'il a écarté l'azur du ciel, sans dire si c'était une illusion, une simple prétention.
Il va pourtant de soi que le lecteur identifie la folie et qu'il y a une connivence avec le narrateur qui se moque de son moi passé.
Passons alors à un nouveau segment en prose qui commence par la phrase : "Je devins un opéra fabuleux", opéra reprend l'idée des "opéras vieux" qui allaient avec des "refrains niais". Il s'agit donc visiblement de mimer la niaiserie. Notez la rime entre "opéras vieux" et "opéra fabuleux". La phrase suivante est introduite aussi par un passé simple : "je vis que", tandis que les verbes de la subordonnée sont au présent de l'indicatif, mais il s'agit de mentionner des sortes de vérités de la connaissance : "l'action n'est pas la vie..." La phrase : "La morale est la faiblesse de la cervelle[,]" est détachée, séparée, mais on comprend qu'il s'agit d'un extrait de foi ancienne.
La voix de la folie prend-elle le dessus ? La question se pose évidemment. Nous avons évoqué l'image du moucheron comme relent. Au passage, la bourrache n'est pas n'importe quelle plante, puisqu'il semble s'agir d'une plante qui était utilisée au Moyen Âge dans les armées pour donner du courage face à la mort. C'était aussi une plante censé donner du courage aux amoureux, et puis une plante aphrodisiaque.
Nous avons ensuite le paragraphe cité en exemple par Bardel et que j'ai déjà commenté, mais ce qui m'intéresse en contexte c'est que nous enchaînons avec un paragraphe très particulier. Le poète dénonce sa folie passé jusque-là, et ici il se vante d'avoir conservé le système mis au point quand il était fou, et on voit que l'opposition voix du sage / voix du fou est problématique, puisque c'est bien la voix réprobatrice du présent à l'égard de la folie, mais sa prétention à détenir le système est-elle sage ?
Sur toute la suite du texte, il n'y a plus aucune émergence de la voix folle du passé, le témoignage étant parfaitement encadré par les indices d'une distance critique.
Dans cette étude, aucun procédé grammatical ne permet de distinguer automatiquement les deux voix. Il y a toujours nécessité de recourir à une appréciation intime au cas par cas.
On constate également que le narrateur perd le contrôle à deux moments. Premièrement, quand il évoque le désir de destruction avec l'image du "moucheron" qui permet alors de glisser à une fusion de l'être dans la lumière et la nature. Deuxièmement, quand il prétend détenir le système de production des folies, sauf que cette prétention-là est résolument assumée tout en maintenant la distance avec le passé : "je pourrais les redire tous"... C'est un point de prétention du passé qui n'est pas dénoncé, renié.
On aboutit donc à un résultat plus nuancé et moins net que celui envisagé par Bardel finalement, bien que dans l'opération nous avons minimisé l'importance de l'émergence de la voix du fou pour la plupart des passages. Il suffit de considérer que le narrateur ne ressent pas le besoin de fixer sa distance critique, le lecteur doit comprendre naturellement. En revanche, il se joue quelque chose quand il affirme détenir le système et il y a aussi un flottement réel dans l'image du moucheron, même si après pour l'azur écarté la dérision est signifiée après coup avec "De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible".
Il y aurait peut-être des choses à dire sur la ponctuation et l'usage des doubles points. Remarquez que j'ai pris la peine de souligner la reprise "enchantements". Elle peut passer inaperçue vu que nous passons du début de la section à sa fin, mais précisément cet écho entre le début et la fin impose d'y faire attention au plan de l'analyse critique.
Je n'ai pas souligné toutes les répétitions, j'ai même oublié de souligner la deuxième mention "ange" alors que j'ai mis en vert la première.
Je vous laisse apprécier par vous-même ces soulignements.
Je me permets tout de même d'insister sur certains rapprochements à effectuer. J'ai souligné plusieurs emplois du verbe "devoir" dans un même passage en prose de "Alchimie du verbe" : "A chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues" et dans un même paragraphe : "Je dus voyager", "elle eût dû me laver d'une souillure".
Il m'arrive souvent de me demander si "Vagabonds" ne serait pas un poème initialement prévu pour Une saison en enfer, mais réarrangé en poème en prose indépendant. Dans les poèmes en prose des Illuminations, les répétitions de mots ont une organisation sensible, ce qui n'est pas vraiment le cas dans "Vagabonds" où je relève à peine la reprise du mot "frère" de "Pitoyable frère" à "pauvre frère". Or, "Vagabonds" décrit des moments symétriques à ceux du passage en question de "Alchimie du verbe". Le poète se vante de créer de nouvelles fleurs, d'inventer la couleur des voyelles, dans la Saison, et dans "Vagabonds" les "fantômes du futur luxe nocturne" ravalé ensuite à une "distraction vaguement hygiénique" qui fait songer à une fantaisie masturbatoire assez vaine, masturbation au sens métaphorique puisqu'il s'agit ici d'imaginations creuses. Mais, surtout, l'état de folie est celui cette fois du compagnon avec son "songe de chagrin idiot" qui correspond à l'état de déperdition du poète dans "Alchimie du verbe" qui poursuivait (au sens de continuer mécaniquement) les "rêves les plus tristes". Le verbe "devoir" ainsi conjugué avec sa forte voyelle en "u" se retrouve à l'attaque du poème : "Que d'atroces veillées je lui dus !"
Notons aussi que le mot "idiot" est commun à "peintures idiotes" et "chagrin idiot".
Je ne m'attarde pas sur ce rapprochement pour l'instant et je m'empresse d'en signaler un autre.
Les scènes de "Alchimie du verbe" ne décrivent pas le moment où le poète a pris conscience du risque de mourir par un "dernier couac", mais ils développent très clairement les alinéas qui suivent le rejet de la beauté. Il est clair que la phrase : "ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté[,]" fait écho au rejet de la Beauté comme étant amère et au fait de s'armer contre la "justice" qui mobilise la force des fléaux et des bourreaux. Du coup, l'idée d'une vie dévouée à autre chose que la force et la beauté confirme que cette vie est le trésor confié aux sorcières haines et misère, et en même temps cette vie est qualifiée de "trop immense" ce qui confirme qu'elle soit estimée comme trésor dont la Beauté et la justice sont indignes, et ce qui permet de comprendre les "autres vies" comme des déversoirs d'immensité.
Et j'ajoute qu'il y a une articulation forte à cerner avec le passage où le poète dit qu'il va demeurer "avare comme la mer" ! C'est plus fort encore, vu que du coup ça permet le rapprochement net avec le poète qui se vantant d'avoir tous les talents parle de ne pas répandre son trésor, donc sa vie, et dit en même temps sa compétence d'alchimiste : je ferai de l'or !"
Pour montrer que ces liens manquent aux études rimbaldiennes, il me suffit de citer la note de Bardel pour "je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer", sachant que "riche" fait écho au désir de réduire en poussière brûlante les richesses des splendides magasins :
L'auteur précise son principe d'écriture : succession d'images mentales décousues, supposées être des "hallucinations" [...] mais il ne nous révèlera rien de ce qui est important [...] Pour ne pas rendre jaloux ses collègues voyants ?
Quand on songe à la vie comme trésor immense expliquant la révolte contre la Beauté on comprend l'insuffisance du commentaire effectué ici.
Je veux manger, donc je vais arrêter de commenter les citations du critique commentant des passages rimbaldiens ici.
Le poète était mûr pour le trépas, il est bien confirmé que cela se passait avant le risque du "dernier couac". Et l'image de la boue est bien exhibée dans "Alchimie du verbe" comme un moyen d'attaquer l'ordre établi et ses richesses, les blocs de terre sèche sur les salons et les magasins sont l'équivalent de l'image du poète qui se faisant sécher dans la boue est une vision sale insupportable à la société.
Je n'ai pas remarqué que les rimbaldiens s'empressaient de signaler à l'attention ces genres de liaisons, ces reprises qui précisent le sens du discours rimbaldien dans sa prose liminaire.
A bientôt pour une suite, je suppose !
Bon succès après quelques heures de mise en ligne. Le clou du spectacle à la fin de l'article avec la phrase : "ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté." C'est encore un truc exceptionnel, je les accumule.
RépondreSupprimerSinon, je ne sais pas quand je pourrai le faire, mais j'ai un énorme dossier de citations d'Horace à construire. C'est à propos du poème en prose "Antique", à cause je suppose de "Gracieux fils de Pan" les gens excluent les Odes d'Horace de la réflexion, ils vont citer les Métamorphoses d'Ovide, ils vont citer Pan, Silène, les mythes grecs, éventuellement le centaure, Krotos ou Chiron plutôt ça dépend. Ils vont s'étonner que la cithare soit citée à la place du syrinx. Ils vont citer le poème "Le Satyre" d'Hugo.
En fait, Rimbaud a déjà composé "Tête de faune" et le faune est un motif parnassien et romantique rebattu. Antique s'en inspire, on le dit, on le sait.
Or, il faut prendre le poème différemment: il est antique parce qu'il y a Pan certes et ce que ça peut impliquer, mais il est antique parce qu'il est composé à la manière d'une ode d'Horace, et on sait la confusion qu'il y a entre Faunus et Pan, entre les faunes et les satyres, Faunus étant le père des faunes et un dieu de la fécondité, à tel point que "fils de Pan" pourrait ne pas appeler d'identification, fils de la fécondité en quelque sorte, faune fils de Faunus au vu des crocs.
Tout le poème de Rimbaud reprend les traits d'une poésie d'Horace traduite en France, périphrase "fils de...", Pan pour Faunus bien présent en latin, cithare présente dans les Odes, le tutoiement, les impératifs, les couronnes de fleurs, la lubricité, la quasi forme "Promène-toi" apparaît tel quel (latin "errat" en réalité) avec des équivalences dont même le "carpe diem". On a le fleuve aussi qui va à gauche contre l'avis de Jupiter. On a l'idée des cuisses et jambes, de la poitrine. Il me reste à monter le dossier, car on l'accusera de n'être que suggestif, sauf que culturellement la filiation rhétorique elle va sauter aux yeux.
A noter que ce que je dis sur la mer permettant de trouver une image déversoir du cœur à une signification pour Le Bateau ivre auquel ce passage de Alchimie du verbe fait allusion.
SupprimerIl me sera impossible avant la fin février de monter un dossier sur Horace mais j'ai repéré aussi une célèbre ode du livre troisième avec l'expression aimables délires amabilité insania en latin ode qui se finit sur Paris house enchaîné qui fait écho au motif decl'election du poète traitée par Rimbaud à l'école en vers latins et il y a une idée de courage et de départ pour découvrir le monde. Hélas je dois laisser tout ça en plan pour deux semaines...
SupprimerNon seulement, j'envisage des liens entre différentes odes d'Horace et le poème "Antique", mais je suis sur une piste originale qui concerne Une saison en enfer.
RépondreSupprimerL'ode IV du 3e livre est célèbre et longue, et surtout c'est quelques vers de cette ode qui ont servi de base à la première composition en vers latins de Rimbaud qui nous est parvenue : "Ver erat". C'est un poème sur l'élection du poète, je l'ai déjà mis en relation par le passé avec "Voyelles" notamment. Et, le truc de dingue, c'est que le poème commence par une expression en latin amabil[...] insania qui se traduit "aimables délires" (traduction actuelle) ou "délicieuse illusion" (un truc du genre dans la traduction en prose de 1873 même de Leconte de Lisle). Délires, c'est le surtitre de deux sections de la Saison, illusion c'est l'effet des pavots, et Rimbaud choisit l'adjectif aimables antéposé à pavots, donc est proche de la leçon latine d'Horace. L'ode d'Horace se termine par la mention d'un Pirithoos enchaîné et ce poème a servi à Rimbaud à parler en latin de son élection magique de poète. La coïncidence est tellement forte que je dois observer ça de plus près, même si ça paraît ténu comme lien.