vendredi 15 janvier 2021

L'intertexte baudelairien du poème "Oraison du soir" !

Reprenons l'étude du sonnet "Oraison du soir".
J'ai à nouveau montré récemment qu'une étude des spécificités métriques d'un poème de Rimbaud permettait de clairement identifier des sources faisant l'objet de quelques réécritures. Le sonnet "Oraison du soir" a une organisation des rimes des tercets sur le mode ABA BAB. Jamais un poète français n'organisait ainsi les rimes des tercets dans un sonnet avant que Catulle Mendès n'en donne l'exemple dans son recueil Philoméla en 1863, et même entre 1863 et 1871 ce recours n'a pas connu une très grande fortune parmi les poètes parnassiens. Il s'agit pourtant d'une façon de faire qui remonte à Pétrarque lui-même, l'auteur à l'origine du rayonnement du sonnet dans le monde. Rimbaud nous a gratifié de trois sonnets adoptant cette alternance dans les tercets : il y a "Oraison du soir" et puis deux sonnets dits "Les Immondes" : "Nos fesses ne sont pas les leurs..." et "Les anciens animaux...", deux sonnets qui tendent à former un triptyque en compagnie du "Sonnet du Trou du Cul". Ces trois sonnets aux rimes de tercets organisées en ABA BAB sont contemporains d'une composition "Les Chercheuses de poux" qui est connue, depuis une étude de Steve Murphy publiée en 1990, pour s'inspirer du poème "Le Jugement de Chérubin" du même recueil Philoméla de Mendès. Fort de tous ces indices, nous avons affirmé que le sonnet "Oraison du soir" avait pour intertexte le sonnet "Calonice" du recueil Philoméla, mais qu'il reprenait aussi des éléments à d'autres poèmes du recueil mendésien de 1863. Par exemple, la mention "chauds" en rejet après la césure au vers 5 et l'occurrence "brûlures" à la rime du vers 6 font écho au vers suivant du poème de Mendès "Les Fils des Anges" (ou anges, je dois vérifier s'il y a une majuscule dans le titre avec la table des matières éventuellement) :
Quels étaient ces baisers chauds comme des brûlures [... ?]
Et, comme Rimbaud exploite l'occurrence "voilures" parmi les quatre mots qui riment en "-ures" dans ses quatrains, il n'est évidemment pas inutile de relever la mention à la rime et au singulier du mot "voilure" dans le poème "Le Jugement de Chérubin", déjà reconnu comme source au poème "Les Chercheuses de poux". Le mot "voilure" a un sens assez précis et ne vient pas spontanément sous la plume, et le vers que nous citons maintenant de Mendès offre en prime une expression "souffle brûlant" qui renforce la pertinence du rapprochement :
Comme un souffle brûlant tourmente une voilure,
L'haleine de ma bouche enfle ta chevelure !
J'ai déjà indiqué qu'au cours du mois de juillet 1871 Verlaine a envoyé deux versions distinctes d'une parodie des Princesses de Banville à Léon Valade et Emile Blémont, où il est visible que la parodie se double de références au sonnet "Calonice" de Mendès, puisque toutes les rimes sont féminines et qu'il y a une pratique de vers non rimés dans les tercets de la deuxième version. Et j'avais ajouté que la parodie du côté de Banville s'enrichissait d'un enjambement de mots sur l'adjectif "langoureuse" en référence à l'audace de Banville sur l'adverbe "pensivement" dans le poème "La Reine Omphale" publié initialement en 1861, procédé que Mendès avait imité dans le poème "Le Bénitier" avec la forme verbale "terrassé".
Il est donc clair que le sonnet "Bérénice" de Verlaine, dans sa dimension parodique même, incluait le jusqu'auboutisme de certaines provocations métriques de Banville et un peu Mendès dans la période 1861-1863) : enjambement de mots, rimes féminines et vers non rimé(s) défaillant(s). Il était également clair dans l'esprit de Verlaine, au vu de la parodie "Bérénice", que Mendès avait essayé de faire une certaine concurrence aux audaces récentes de Banville, que Banville était un modèle de référence pour la conception du recueil Philoméla. Mais Baudelaire est un autre modèle de référence pour le recueil de 1863 de Mendès avec ses sataniques tierces rimes sur deux rimes et treize vers, avec son univers de désespoir qui est son cœur même empli de ténèbres... Qui plus est, dans des articles consacrés à Baudelaire, Verlaine attribuait avec un peu d'inexactitude l'innovation d'audace des césures chahutées par des termes monosyllabiques proclitiques (déterminants du nom, pronoms préverbaux et prépositions).
Je reviendrai plus tard sur ces inexactitudes dont les critiques universitaires qui favorisent Baudelaire au détriment de Victor Hugo et Alfred de Musset s'accommodent abusivement.
En tout cas, parmi les procédés baudelairiens, il est un exemple connu, celui de la forme "comme un" placé avant la césure. En réalité, Baudelaire s'inspire de Victor Hugo et de Musset, ce dernier lui-même influencé par Hugo ayant placé la forme "comme une" à la rime dans la comédie Les Marrons du feu : "comme une / Aile de papillon", citation de mémoire.
Toujours est-il que le procédé qui consiste à placer la forme "comme un" devant la césure est résolument associé à Baudelaire qui y a recouru à trois reprises.
La première fois, il s'agit très précisément d'un exemple précoce de césure chahutée par Baudelaire, ce qui prouve qu'il a repris directement le procédé de Musset dans Les Marrons du feu. Baudelaire a composé un alexandrin où la forme "comme un" est placée avant la césure, et il l'a publié en 1851 même, à une époque donc où cette audace des poètes romantiques n'était plus à la mode, se faisait oublier et surtout n'avait été pratiquement utilisé que dans des vers de théâtre, à de rares exceptions près ("Mardoche" de Musset,...). Il s'agit donc d'une audace emblématique, et à partir de 1851 Baudelaire et Banville vont pratiquer de plus en plus régulièrement de telles césures et elles deviendront abondantes sous la plume de la génération de poètes parnassiens des années 1860.
Et Baudelaire a repris la suite "comme un" devant césure, mais dans le cadre cette fois d'un poème en vers de dix syllabes avec une césure après la quatrième syllabe : "Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur" (Un fantôme). Baudelaire a aussi exploité à nouveau l'effet suspensif de la suite "comme un" devant la césure d'un alexandrin dans le poème "Les Sept vieillards" : "Exaspéré comme un ivrogne qui voit double," vers cité comme exemple d'audaces nouvelles par Verlaine dans son article sur Baudelaire. 
Je n'ai pas encore cité l'exemple initial de 1851, mais, dans le poème "Accroupissements" envoyé par lettre à Demeny le 15 mai 1871, Rimbaud a pratiqué une césure sur ce patron baudelairien. Mais, en réalité, c'est toute une déclinaison à quoi nous avons droit dans les vers du poème "Accroupissements".
Citons d'abord le vers qui applique la formule de 1851 de Baudelaire et aussi le vers qui suit immédiatement :
Quelque chose comme un oiseau remue un peu
A son ventre serein comme un monceau de tripe !
Nous venons de citer les vers 19 et 20 du poème. Le procédé baudelairien est pratiqué au vers 19, puis au vers 20 nous avons une reprise des termes mais avec un déplacement après la césure. Cette remarque a déjà été faite par d'autres, par exemple par Jean-Pierre Bobillot dans son livre Rimbaud[,] Le meurtre d'Orphée[,] Crise de Verbe & chimie des vers ou la Commune dans le Poëme (note 44, page 53) :
[...] Notons que la séquence "comme un", précédant ici la césure : "Quelque chose comme un + oiseau remue un peu", la suit au vers suivant : "A son ventre serein + comme un monceau de tripe !", et l'enjambait un peu plus haut : "D'où le soleil, clair comme + un chaudron récuré," [...]
Bobillot nous invite même à relever un troisième vers qui prouve que Rimbaud s'est amusé à essayer cette suite à plusieurs positions autour de la césure :
D'où le soleil, clair comme un chaudron récuré,
sauf que ni le commentaire, ni le relevé ne sont complets.
Dans le cas du vers 3 du poème "Accroupissements", la césure sur le mot "comme" est une invention de Victor Hugo dans ses vers de théâtre, invention qui s'inspire d'une mention du mot "comme" à la rime au début des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. Il faut bien comprendre que Victor Hugo a inventé son procédé à la césure après l'avoir identifié à la rime chez un poète des siècles passés, et Baudelaire a finalement imité le procédé de déplacement hugolien en captant à son profit la rime suspendue "Comme une..." des Marrons du feu de Musset pour la placer à trois reprises à la césure, deux fois au sein d'alexandrin, une fois au sein d'un décasyllabe littéraire traditionnel. Hugo a plutôt réservé la césure sur le mot "comme" à son théâtre, mais il y a recouru en 1853 dans le poème "Force des choses" des Châtiments, autrement dit dans un recueil où les vers ne relevaient pas du langage dramatique. Mais, Baudelaire a abusé du procédé dans son recueil des Fleurs du Mal et, comme il faut un certain temps pour identifier les antériorités bien dispersées de Victor Hugo, Baudelaire s'est donc un peu imposé comme l'inventeur des césures tant sur la forme "comme un" que sur la forme "comme". Le vers 3 du poème "Accroupissement" en opérant le chevauchement de la césure par la suite "comme un" se signale à l'attention par une césure sur le mot "comme", ce qui confirme l'importance de l'arrière-plan baudelairien pour une juste compréhension du poème "Accroupissements". Mais je parlais encore d'un relevé incomplet. Il y a une autre occurrence de la séquence "comme un" dans le poème "Accroupissements", même si elle n'intéresse pas la réflexion sur la césure, elle se situe au vers 8, au centre du second quintil :
Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise,
et il va de soi qu'elle a son importance dans le relevé, puisque cela fait quatre occurrence impliquant quatre vers distincts dans le poème "Accroupissements". Cependant, même là, le relevé n'est pas encore complet, car au vers 15, le dernier du troisième quintil, Rimbaud nous offre une césure étonnante sur une forme que spontanément on rapprochera en tant que quasi synonyme de la suite "comme un", et pour bien signifier que nous avons droit à une audace comparable à celle du vers 3, il ne manque même pas la virgule rythmique à la cinquième syllabe :
Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.
Je ne vais pas tout déployer aujourd'hui et me lancer dans des rapprochements entre "Oraison du soir" et "Accroupissements", mais le vers que je viens de citer vous impose de comprendre la réécriture que nous pourrions proposer du premier vers du sonnet "Oraison du soir", et j'oserai y mettre un supplément, la reprise de la rime en "-ier" de "polypier" à "barbier" :
Je vis assis, tel qu'un Ange aux mains d'un barbier,
Je vis assis, [comme un] Ange aux mains d'un barbier[.]
Ce qui est passé complètement inaperçu, c'est que le premier vers du sonnet "Oraison du soir" vaut citation du modèle baudelairien avec la séquence "comme un". Et, comme le sonnet "Bérénice" superpose la parodie de Banville à celle de Mendès, comme le "Sonnet du Trou du Cul" superpose la parodie de L'Idole d'Albert Mérat au recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel, le sonnet "Oraison du soir" superpose la parodie de Philoméla de Mendès à la parodie des Fleurs du Mal de Baudelaire. Mendès est ciblé dans son caractère de disciple de Banville au plan de la parodie de Verlaine, il l'est en tant que disciple de Baudelaire dans le cas de la parodie de Rimbaud.
Et maintenant, il est temps de citer le poème de Baudelaire où figure la mention "comme un" devant la césure. Baudelaire joue sur l'allure de trimètre et fait chevaucher l'expression "comme un outil", mais c'est le poème "Un voyage à Cythère" qui est intéressant à rapprocher du sonnet "Oraison du soir" :
Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux
Et planait librement à l'entour des cordages ;
Le navire roulait sous un ciel sans nuages,
Comme un ange enivré d'un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire ? - C'est Cythère,
Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons,
Eldorado banal de tous les vieux garçons.
Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.

- Ile des doux secrets et des fêtes du cœur !
De l'antique Vénus le superbe fantôme
Au-dessus de tes mers plane comme un arôme,
Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des cœurs en adoration
Roulent comme un encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d'un ramier !
- Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres,
Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.
J'entrevoyais pourtant un objet singulier !

Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères,
Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,
Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,
Entre-bâillant sa robe aux brises passagères ;

Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près
Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,
Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches,
Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

De féroces oiseaux perchés sur leur pâture
Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,
Chacun plantant, comme un outil, son bec impur
Dans tous les coins saignants de cette pourriture ;

Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,
Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices,
L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes,
Le museau relevé, tournoyait et rôdait ;
Une plus grande bête au milieu s'agitait
Comme un exécuteur entouré de ses aides.

Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau,
Silencieusement tu souffrais ces insultes
En expiation de tes infâmes cultes
Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.

Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes !
Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants,
Comme un vomissement, remonter vers mes dents
Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes ;

Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,
J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires
Des corbeaux lancinants et des panthères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

- Le ciel était charmant, la mer était unie ;
Pour moi tout était noir et sanglant désormais,
Hélas ! et j'avais, comme en un suaire épais,
Le cœur enseveli dans cette allégorie.

Dans ton île, ô Vénus ! je n'ai trouvé debout
Qu'un gibet symbolique où pendait mon image...
- Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage
De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût !
Difficile de ne pas songer à "Une charogne" en lisant ce poème. Il me faudra de prochains articles pour tirer pleinement parti de cette source que je viens de mentionner. Il me faudra confronter "Un voyage à Cythère" au recueil Philoméla notamment, mais je peux déjà donner des indices que ce poème de Baudelaire vaut pour la lecture de plusieurs poèmes de Rimbaud, à commencer par "Accroupissements", "Le Cœur supplicié" et "Oraison du soir". L'adjectif "triste" ne qualifie pas le mot "cœur" comme dans "Le Cœur supplicié" et "Oraison du soir", mais une "île" dont le poète va intérioriser l'effrayant spectacle. Cependant, le "cœur" est mentionné à cinq reprises, une fois au pluriel, et il ne manque pas l'expression du "vomissement", image poétique par définition peu courante qui concerne également "Le Cœur supplicié". Pour les rapprochements avec "Accroupissements", je vais m'en tenir au minimum. Dans "Un voyage à Cythère", nous avons à la fois la séquence "comme un" devant la césure et aussi le mot "comme" au vers suivant : "Hélas ! et j'avais, comme en un suaire épais," ce qui doit achever de convaincre que les nombreux termes de comparaison dans "Accroupissements" s'inspire bien du modèle baudelairien. La comparaison initiale "comme un oiseau" du poème de Baudelaire et d'autres éléments que nous ne développons pas ici invitent à se pencher sur "Un voyage à Cythère" pour le rapprocher de "Accroupissements". Ajoutons que "Accroupissements" et "Le Cœur supplicié", même s'ils ne figurent pas dans les mêmes lettres et sont envoyés à deux destinataires différents, le sont à deux jours d'intervalle, les 13 et 15 mai 1871, et tous deux illustrent les propos d'un poète qui veut faire entendre qu'il va devenir "voyant".
Pour les rapprochements avec "Oraison du soir", au-delà de la séquence "comme un" transformé en "tel qu'un" dans un vers de "Accroupissements" et au premier vers du sonnet "Oraison du soir", les éléments réécrits ne manquent pas. Nous avons plusieurs comparaisons qui concernent le coeur, cela commence au premier vers, et nous avons à la rime le "ramier" qui peut servir à remplir, avec ses roucoulements en prime, le "vieux colombier". Le vers 3 du poème de Baudelaire parle d'une situation d'un bateau "sous un ciel sans nuages", tandis que nous avons la mention des "cordages" à la rime du vers 2 et nous aurons un peu plus loin l'expression "voiles blanches" à la rime. Les métaphores maritimes et climatiques du premier quatrain du sonnet "Oraison du soir" ont de quoi s'y retrouver, ou ont un modèle avec "soleil radieux" auquel s'opposer : "sous l'air gonflé d'impalpables voilures" / variante : "sous les cieux gros d'impalpables voilures". Le premier quatrain du poème de Baudelaire contient encore la gentille comparaison "comme un ange enivré" digne du texte de Rimbaud "tel qu'un ange... / Empoignant une chope à fortes cannelures[.]" Le quatrain avec le chevauchement de césure pour l'expression "comme un outil" vient plus loin, mais il a pour caractéristique d'embrasser une rime féminine avec sa correspondante masculine : "pâture", "mûr", "impur", "pourriture". Rimbaud va sélectionner la rime féminine au pluriel en "-ures", tout en croisant cette reprise avec des mots repris au recueil de Mendès : "voilures" ne se trouve pas dans le poème de Baudelaire, ni "brûlures". En revanche, pour le mot "brûlures", un rapprochement s'impose malgré tout aussi du côté du poème de Baudelaire avec la description de la "prêtresse" qui a "le corps brûlé de secrètes chaleurs".
Le "bec impur" de chaque oiseau mutilant le pendu sur l'île de Vénus, inversion du rapport sexuel, n'est-il pas comme l'outil tranchant du barbier ?
Je n'en ai pas fini avec ma lecture du sonnet "Oraison du soir". Ce que je viens de livre est éloquent en soi. Le rapprochement avec le poème "Un voyage à Cythère" n'a jamais été fait, j'ai demandé confirmation au sujet de l'article de 2003 de Steve Murphy. Ceux qui se reporteront au compte rendu des lectures jusqu'ici proposées de ce sonnet se rendront compte qu'il y a un clivage des lectures entre ceux qui trouvent quelque peu cosmique cette poésie du besoin d'uriner dans un monde oppressif et ceux qui pensent que le poème est une parodie obscène avec une interprétation masturbatoire à la clef. Ce que je viens de signaler à l'attention montre que ce poème présenté comme "Goguenard et pince sans-rire" par Verlaine dans ses Poètes maudits est une satire tournée contre Mendès, un poète qui, avec Mérat et quelques autres, reprochait à Verlaine sa relation à Rimbaud en novembre 1871 même. On sent que désormais la lecture de ce sonnet est complètement est réengagée. Non, Rimbaud n'a pas anticipé l'exaltation scatalogique du livre illisible et dérisoire de Deleuze le Contre-Œdipe. Quant à l'idée de sonnet parodique, elle devient cette fois plus précise, on sait désormais ce qui est parodié, réécrit. Quant à l'interprétation masturbatoire, j'émettrai des réserves. Il est évident qu'il y a un déploiement érotique dans "Oraison du soir" et qu'il y a bien un parallèle du fait d'uriner avec un acte sexuel solitaire, et le plan érotique est conforté par le rapprochement avec "Accroupissements". Toutefois, le mot de la fin ne consiste bien sûr pas à considérer que le fait de pisser soit assimilé à de la masturbation. Ce n'est pas la direction prise par ce sonnet satirique.

8 commentaires:

  1. La lecture du sonnet doit revenir aussi sur certains éléments. Le personnage vit "assis". On peut considérer que dans les tercets il l'est toujours, il se tourne assis pour pisser très loin.
    Je me demande combien de gens l'imaginent debout au lieu d'assis dans les tercets.
    Un autre truc. Le poète est brûlé par des rêves qui sont des excréments. Cela est un indice fort de la nature satirique du poème. Puis on a une bascule entre les quatrains et les tercets. Dans le second quatrain, les rêves brûlent et le coeur saigne. Dans le premier tercet, dans un double mouvement voulu, le poète ravale les rêves et remplace ll'excrémentiel des rêves par le fait de pisser.
    Et le poète pisse en direction de cieux bruns, couleur suspecte du coup, avec un parallèle métrique des rejets d'adjectifs d'une syllabe : "excréments + chauds" vers 5, "coeur + triste" ou "tendre" au vers 7, "cieux + bruns" au vers 13.
    Qu'est-ce que tout cela va donner comme lecture ? Tout cela est encore dans le plus grand chaos. C'est cela "Oraison du soir".

    "Un voyage à Cythère" on a l'idée d'une projection sombre du coeur du poète sur une vision extérieure, et dans Philoméla le poète décrit un séjour infernal dans une vallée de désespoir qui est en fait son propre coeur ténébreux. L'excrémentiel des rêves, on comprend vite les implications dans la référence à Mendès.
    Il est question aussi, Philoméla ou Cythère, de l'amour sous le signe de Vénus et de malédiction. Or, Mendès charrie la relation maudite de Verlaine et Rimbaud. "Oraison du soir" ne parle pas directement de ce conflit, mais de manière dérivée on comprend que Rimbaud dénonce la facticité de la malédiction de l'amour dans le recueil de Mendès.
    J'en reviendrai à une lecture plus littérale du sonnet la prochaine fois, mais les motivations profondes sont tournées satiriquement contre Mendès.

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  2. Pour bien comprendre les enjeux de ma lecture, je fais quelques rappels de mise au point.
    J'insiste sur l'importance du recueil Philoméla et sur l'ambiance zutique qui a présidé à la création du sonnet "Oraison du soir".
    Il faut bien mesurer que ce qui a empêché une telle lecture c'est le consensus ancien sur la datation des poèmes de Rimbaud. Ce n'est que depuis peu qu'une petite poignée de rimbaldiens pensent que "Voyelles" date de 1872, que "Le Bateau ivre" date de 1872 il n'y a guère que moi et Jacques Bienvenu. Murphy et quelques autres pensent que "Voyelles" date de 1872. Pour "Les Mains de Jeanne-Marie", l'acceptation de la date livrée par le manuscrit est très récente, et il n'y a pas si longtemps le poème "Les Corbeaux" était placé à la suite des poèmes de 70. Borer dans l'édition du centenaire s'en expliquait en disant que le poème pouvait dater de fin 70 ou de début 72, mais qu'il le plaçait à la première date possible, mais c'était d'une désastreuse influence.
    Dans cette édition du centenaire, Steinmetz dans les Notes au poème dit : "l'autographe donné par Rimbaud à Léon Valade, sans doute à Paris en automne 1871 (...)" Voici ce que Bardel dit sur son site dans l'analyse consacrée au poème : "La datation précise est impossible", "il s'agit presque certainement d'un poème de 1871." Ce jugement est erroné, le poème date de la fin de l'année 1871 ou du début de l'année 1872. L'avis de Bardel est l'avis traditionnel où les vers première manières sont tous antérieurs à 1872 sauf "Les Mains de Jeanne-Marie" et "Les Corbeaux". Brunel est ensuite cité avec même une pointe d'humeur contre l'évolution de la critique : "Le ton est plutôt assorti au comportement [...] au début de l'année de la Commune." Puis contradictoirement les chopes sont associées à l'été, mais toujours avant Paris. Enfin, Bardel reprend la main et prétend que le poème a été modifié et donné à Valade autour du 5 octobre. Vous voyez le problème ?

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  3. Fait amusant. Dans l'édition du Centenaire dirigée par Alain Borer, le poème "Oraison du soir" est dans la section des trois notes commenté par trois intervenants : Steinmetz, Ascione qui relaie une thèse déjà publiée par son épouse et Borer. Les notes d'Ascione et Borer sont minimales, ne portent que sur l'aspect du poète bourré. La lecture d'Ida Zajdel a un intérêt. En effet, l'idée de mousse peut justifier l'image du barbier, j'y ai pensé également de mon côté. En revanche, je ne comprends pas l'explication d'Ascione qui dit que comme les anges sont imberbes le rasage pourrait s'éterniser et notre ange demeuré assis. C'est quoi, la logique ? Quand tu as l'air imberbe, tu es considéré comme rasé, donc on te vire de la chaise du barbier. Ascione a essayé d'expliquer l'éternisation de la position, mais ce qu'il dit est absurde.
    En revanche, ce qui m'amuse, c'est que, alors qu'aucun des trois ne lit le poème et surtout aucun des trois ne tient compte du fait que les rêves excréments soient ravalés, l'urine non ! ce qui contredit les lectures proposées sur la libération des "pensées profondes" et le côté éructation, pourtant Steinmetz voit bien qu'il y a un lien avec "Accroupissements" et Borer cite "Mes Petites amoureuses", poème qui commence par un certain profil de ciel.
    Puis, si on se reporte au cite de Bardel, la lecture de Murphy nous fait une affirmation de virilité du poète dans "Oraison du soir" face aux cieux. Murphy n'avait pas les intertextes de Baudelaire et Mendès, il essayait une lecture obscène où Rimbaud se pose en défi face au monde, cela au mépris du récit qui se joue dans le texte et qui n'est pas qu'images, puisque nous avons des rêves non maîtrisés qui se manifestent, le fait de les ravaler, puis l'abandon au fait de pisser, et les rêves sont assimilés à des excréments d'un vieux colombier, la mauvaise poésie des petites amoureuses en quelque sorte et la recherche de Vénus au ciel profond par le curé assis avec d'autres besoins du bas corporel.
    Vous voyez que la lecture consensuelle de "Oraison du soir", elle ne va pas ?

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    1. série des notes, demeurer assis... Coquilles, toujours !

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  4. Quelques questionnements.
    Bon, on l'a compris, la lecture du poème doit être fonction de quatre textes négligés ou ignorés jusqu'à présent : "Un voyage à Cythère" de Baudelaire, le recueil Philoméla de Mendès, les poèmes de Rimbaud "Accroupissements" et "Mes Petites amoureuses", en y ajoutant quelque peu "Le Coeur supplicié".
    Voici une liste de points que j'essaie de mieux comprendre.
    Vers 1 : l'image du barbier me semble forcément exprimer la confusion mousse de la bière et mousse à raser, mais vu que l'ensemble est une comparaison, je me demande si ce n'est pas surinterprété que de dire que "aux mains d'un barbier" ça veut dire "entre les mains d'un barbier". Pour l'instant, ce n'est pas clair. Sinon cadeau bonus : l'ange c'est Chérubin et le barbier c'est Fogaro ! Lol !
    Vers 2 : Rimbaud cheville-t-il ? Pourquoi l'hémistiche "à fortes cannelures". Je pense anachroniquement au verre de bière en verre anglais cannelé et même à carreaux. J'ai aucune spécialisation en chopes de 1871-1872. On parle plutôt de chopes cannelées (ou à rainures), Rimbaud fait plus recherché avec "cannelures". Pourquoi insister sur le fait qu'elles soient "fortes". Cela accentue le côté fier, gouailleur, mais encore... Je vois surtout pour "cannelures" qui rime avec "coulures" un prétexte à comparer l'aubier ensanglanté de sève dorée avec la chope qui déborde.
    Pour l'aubier, je pense à un arbuste, et il a des coulures, pas à la partie de l'arbre.
    Pour "ravalé", je ne lis pas "avalé", je pense que le poète ne veut pas laisser sortir ses rêves du second quatrain. S'il continue ainsi, il va se retrouver avec un sacré fécalome.
    Pour "me recueille", je visualise la scène, le moment d'arrêt pour rendre solennel l'instant qui va suivre.
    Pour "cieux bruns", évidemment que la couleur désigne le soir, à la brune, mais "bruns" est en rejet et c'est une couleur fécale, non ?
    Enfin, pourquoi personne ne s'arrête sur le "vieux colombier" qui permet d'interpréter la médiocrité des rêves ? C'est des sentiments amoureux excrémentiels ces rêves !

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  5. Avec la fonction "google alerte Arthur Rimbaud" (qui ne m'a jamais servi, elle ne donne aucune pépite rare), je suis tombé sur le blog "Episssures" qui parle de la fin de l'histoire du Panthéon et j'ai été surpris de voir plusieurs mots dans le style des commentaires de "nostoc", à commencer par "ordonnateur", mais ce n'était pas le seul.
    Mais, surtout, j'ai vu un passage où les contributions zutiques sont assimilées à des parodies du Parnasse. Non ! Ce n'est pas ça, les parodies zutiques.
    D'abord, le mouvement du Parnasse est un fourre-tout littéraire. Hugo aurait daigné envoyer un poème, il aurait été un parnassien. Il l'a été mais en tant qu'artiste pour le recueil Sonnets et eaux-fortes. Sainte-Beuve, Deschamps, Autran et plusieurs romantiques ont publié dans le Parnasse, et les conceptions divergent entre les parnassiens. Rimbaud a voulu être un parnassien.
    Bref, non, ce ne sont pas des parodies du Parnasse en tant que mouvement passéiste ou que sais-je ?
    Non ! Coppée, Mérat et Silvestre sont visés pour d'autres raisons. Il y a bien un petit esprit de boutade contre l'école parnassienne, mais c'est à la marge.
    Il y a plus significatif : Belmontet, Ratisbonne, Daudet et Amédée Pommier ne sont pas des parnassiens.
    Et il y a plus significatif encore : les parodies contre Daudet et Amédée Pommier sont tournés contre les anti-parnassiens que sont Daudet et Barbey d'Aurevilly.
    Je précise que, pour l'instant, il n'existe aucune lecture satisfaisante quant au positionnement de Rimbaud par rapport à Ricard, suite au monostiche qu'il lui attribue : "L'Humanité chaussait..."
    Evidemment, si on dit que le but c'est de parodier les parnassiens, on ne voit pas le problème, mais on a aussi des lectures résolument pauvres.
    C'est toujours la même histoire. Oh, Rimbaud ose être grossier, on ne l'était pas avant, oh ! il faut traiter les sujets de manière plus folle, les parnassiens ne l'étaient pas assez, oh Rimbaud ose décrire une Vénus qui est laide. Tout ça, c'est faire semblant de lire, ça n'a aucun intérêt.
    Dans "Oraison du soir", non, on n'aura pas une révélation d'obscénité parodiant les prières bon teint d'un romantique ou d'un parnassien, non c'est autre qui se joue.
    Non, "Oraison du soir", ce n'est pas le pipi de toute eternité qui fait qu'on apprécie le poème et qu'on ne demande pas d'en savoir plus, car on sait déjà tout. Non !

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  6. Et bien non, cher monsieur, ce n’est pas moi.

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    1. OK ! J'ai noté "ordonnateurs", "fulgurances" c'était plutôt un mot de Circeto. Après, c'est écrit dans le même style que Nunez et quelques autres. Enfin, bref ! Ce qui m'inquiète, c'est ces lectures fermées : Rimbaud se moque zutiquement du Parnasse et avec ça on est parés à toutes les conversations en soirée.

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