La mention du "coq gaulois" se rencontre dans le poème "Ô saisons ! ô châteaux !" Cependant, les commentaires semblent s'en tenir à faire entendre qu'il y a une connotation sexuelle qui permet d'engager une lecture obscène des vers de Rimbaud. Il est vrai que la vigueur sexuelle fait partie des significations symboliques attachées au coq et l'animal peut même être associé à la luxure. Toutefois, le coq gaulois est aussi un symbole de la France. L'identification aux gaulois est née d'un calembour à partir des deux homonymes "gallus". Tantôt, l'association est valorisante : bravoure, vigilance, tantôt elle est dévalorisante : orgueil, esprit bagarreur. Le coq est devenu également un symbole religieux et un symbole du roi de France, mais il est question ici du "coq gaulois" qui va désigner les qualités du peuple français lui-même dans son ensemble. Or, c'est la Révolution française qui va renforcer la portée symbolique du coq dans la vie politique du pays. Il va remplacer le lys dynastique notamment. Et, anecdote intéressante, Napoléon Ier lui substituera la figure de l'aigle, mais la Monarchie de Juillet, très tactique dans ses choix, réimposera la figure du coq. L'effigie du coq gaulois apparaît sur des écus à l'époque de la Révolution. L'animal est devenu un symbole patriotique, et en même temps un symbole révolutionnaire qui signifie à la fois le courage et la vigilance. Cette dernière qualité est contre-intuitive, puisque les français ne forment pas du tout un peuple caractérisé par la vigilance, c'est même plutôt l'inverse, mais il faut comprendre que l'arrière-plan de la Révolution française a pesé dans cette représentation symbolique jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Annonciateur du jour, le coq gaulois peut aussi être mobilisé par le poète pour défendre une vision de l'avenir portée par l'esprit de la Révolution. Il rentre de fait dans les ingrédients d'une poésie messianique, eschatologique, non soumise à la foi religieuse.
Or, en 1833, Pétrus Borel publie un recueil intitulé Rhapsodies où le troisième poème fait figurer la mention "coq gaulois" à la rime. Pour rappel, Pétrus Borel fait partie de la seconde vague du romantisme avec Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Philothée O'Neddy et quelques autres. Ils se réclament de leurs aînés qui ont dix ans d'avance sur eux : Hugo, Lamartine, Vigny et quelques autres, sans oublier les greffes de Musset et Sainte-Beuve. Pour s'imposer, ils ont imité le Cénacle hugolien et ont inventé leur mouvement de groupe, le Petit Cénacle. Suite à un poème de Victor Hugo, ils furent baptisés aussi les Jeune-France et ce fut un titre d'ouvrage de Théophile Gautier, ou bien les bousingots. Le terme de "bousingots" était plutôt une insulte pour rire de ceux qui arrivent après la bataille et font beaucoup de bruit, comme les bousingots de la révolution de juillet, mais ils décidèrent d'accepter ce qualificatif de bousingots. L'aventure du Petit Cénacle fut de courte durée. Elle ne se composait pas que d'écrivains, elle incluait des peintres, graveurs, etc. Le mot d'ordre qui tenait à cœur à Pétrus Borel était celui de "camaraderie littéraire", mais il faut avouer que ce soutien des artistes entre eux au sein d'un groupe n'était pas bien valorisant en soi. Cependant, le pire vint de Pétrus Borel lui-même qui commit ce qu'il appela lui-même des "pas de clerc". En effet, Pétrus Borel était le seul du groupe à afficher ouvertement ses idées politiques républicaines et révolutionnaires, et comme il exaltait l'idée de camaraderie littéraire il impliquait nommément tous ses camarades, citant de manière indélicate des faits privés, notamment les difficultés de Gérard de Nerval avec les directeurs de théâtres parisiens, ou exaltant un discours séditieux : il multiplie les citations de Saint-Just, il s'annonce comme ayant un couteau à la main, il proclame avoir coursé le nouveau roi sur la place publique pour lui rappeler ce qu'il devait aux "Trois Glorieuses". Malgré des publications collectives annoncées, le Petit Cénacle éclate en 1833 même. Ni Gautier, ni Nerval ne soutiendront par une quelconque recension dans la presse la publication du roman Madame Putiphar de leur compagnon. Au contraire de Baudelaire qui dira que sans Borel il manquerait quelque chose au romantisme français, Gautier ne portera jamais l'attention des lecteurs sur les livres de Pétrus Borel, sauf en 1872 avec son Histoire du romantisme, quand la mort approchant il sent bien qu'il ne risque plus grand-chose publiquement.
Le poème "Ô saisons ! ô châteaux" date apparemment de la seconde moitié de l'année 1872, éventuellement du début de l'année 1873. Le poème "Fêtes de la faim" date pour sa part du mois d'août 1872 d'après une précision manuscrite. Il n'y est pas question de "coq gaulois", mais l'idée de faim et de vie rude face aux pierres est bien présente dans les pages du mince recueil Rhapsodies de Pétrus Borel : nous pourrions citer le poème "Misère", mais pas seulement. Rimbaud ne réécrit aucun passage du recueil de Pétrus Borel, nous n'envisageons qu'une affinité thématique. Toutefois, dans son recueil Romances sans paroles, publié en 1874, Verlaine a placé pour une des "ariettes oubliées" en principe composées en "Mai, juin 1872" selon le témoignage en partie fiable du recueil une épigraphe tirée du recueil de Borel : "Son joyeux, importun d'un clavecin sonore." Ce vers est placé en tête du poème qui commence ainsi : "Le piano que baise une main frêle..." et il est tiré du poème "Doléance" auquel Borel accorde une certaine importance puisqu'il le cite dans sa notice à Champavert, contes immoraux. Rappelons que, dans le sonnet "Voyelles" dont la composition semble dater des environs du mois de février 1872, Rimbaud associe les mots "strideur(s)" et "clairon", ce qu'il fait également dans un quatrain du poème "Paris se repeuple", antidaté de mai 1871 alors qu'il raconte le repeuplement de Paris après la semaine sanglante ! Cette association est rarissime. Jacques Bienvenu l'a signalée à l'attention dans les écrits de Buffon avec une idée en prime de chant du cygne, et Antoine Fongaro a fait remarquer il y a assez longtemps déjà que le couple se trouvait également dans un alexandrins du poème "Spleen" du recueil Feu et flamme de Philothée O'Neddy. Gautier, Nerval, Borel et O'Neddy sont les quatre poètes principaux du Petit Cénacle. L'année 1872 est l'occasion pour Gautier d'enfin se livrer un peu plus au sujet de cette "camaraderie littéraire", et on observe une convergence dans la mesure où Verlaine met en épigraphe à un poème de mai-juin 1872 un alexandrin de Borel, tandis que Rimbaud cite clairement le vers de Philothée O'Neddy. A moins de ne pas être très intelligent, on comprend aisément que Philothée O'Neddy s'est inspiré du passage de Buffon sur le cygne et que Rimbaud a repris le principe de composition du couple "strideur(s)" et "clairon(s)" placé au sein d'un alexandrin à Philothée O' Neddy. Il va de soi que Rimbaud ne s'est pas inspiré directement de Sainte-Beuve et il va de soi qu'il n'y a pas un dieu du hasard qui a permis que Rimbaud ait la même idée qu'O' Neddy.
En si bon chemin, on peut dès lors considérer que quand Rimbaud célèbre le "coq gaulois" dans "Ô saisons ! ô châteaux !", il a présent à l'esprit sa lecture encore fraîche du recueil Rhapsodies de Pétrus Borel. On admettra sans peine que Rimbaud s'est intéressé à tout ce que Verlaine pouvait mettre dans un recueil de Romances sans paroles qui lui était tout particulièrement dédié.
La mention du "coq gaulois" se trouve dans le poème "Le Vieux capitaine". Un vers est répété de manière lancinante : "Il vit, notre Empereur", à chaque fin de strophe, mais une seconde partie du poème en deux strophes apporte son contrepoint. L'empereur, c'est ce "vieux coq gaulois". Il faut noter d'ailleurs que la mention du "coq gaulois" se fait au sein d'un alexandrin, là où la construction strophique exigeait un octosyllabe ! Dans la seconde strophe, un vers court est abrégé : au lieu d'un octosyllabe, un vers de six syllabes !
Jean, quel est donc ce cri que, là-bas sur la plage,La foule a cent fois répété ?Est-ce Napoléon ? - Non, dans ces cris de rage,Je n'entends rien que : Liberté. -Cependant, couronnant le chef de la bannière,C'est bien un aigle que je vois ?Oui ! l'aigle impérial enserrant le tonnerre !...- Pardon, mon commandant, c'est le vieux coq gaulois !A ces mots, sur le pont, on voit le capitainePâlir et reculer ;Et les deux vétérans, la mine moins hautaine,Se regardent sans se parler.Plus surpris et défaits que dans la nuit fatale,Et, dans son fol enivrement,Une fille qui croit accoler son amant,Et qui baise au front sa rivale.
J'ai conservé le même émargement pour "Pâlir et reculer ;" que pour les octosyllabes, à l'instar de l'édition consultée : Pétrus Borel, Œuvres poétiques et romanesques, Editions du Sandre, 2017.
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