Pour me lire, vous pouvez au choix fredonner "ça tartine, ça tartine, ça tartine sans arrêt ! ça tartine, ça tartine, ça tartine sans arrêt !" Ou bien si vous voulez imiter mon recueillement profond vous partez sur deux heures et deux heures de concertos de Corelli...
Pour la bonne humeur, je vous invite à relire les Méditations poétiques avec une petite mise en avant de mes poèmes préférés. C'est le premier recueil de Lamartine, mais celui qui réunit aussi ses pièces les plus célèbres. Lamartine a publié ensuite quelques longs poèmes qui depuis belle lurette n'intéressent plus personne "La Mort de Socrate", "Le Dernier chant du pèlerinage de Lord Harold", "Chant du sacre ou La Veille des armes", trois poèmes que je vais vous obliger à prendre en considération dans de prochains articles. Quant au second recueil Nouvelles méditations poétiques, c'est un peu un fourre-tout pour continuer de profiter du succès de mode du premier, mais il est nettement inférieur au premier. En revanche, Lamartine va produire à nouveau un recueil important Harmonies poétiques et religieuses en 1830. Après cela, Lamartine ne fera un bon poème que de temps en temps, avec un cas particulier et bien connu l'épopée de Jocelyn. Il faudra aussi parler du long poème "La Chute d'un ange", mais comme tout cela vient plus tard, cela permet de mesurer que pour la période de lancement du romantisme, dans les années 1820, c'est un recueil de trente poèmes Méditations poétiques qui est la référence de Lamartine. Ce qu'il faut bien se mettre en tête, c'est que, plus que le reste des poésies de Lamartine, c'est ce recueil de trente poèmes qui va être lu et relu par Hugo, Vigny, Musset, Arvers, Gautier, Nerval, O' Neddy, puis même par Banville, Baudelaire, Leconte de Lisle, bien que ces derniers auront sans doute lu à peu près en même temps Méditations poétiques et Jocelyn par exemple. Avec Un cœur sous une soutane, nous savons que Rimbaud connaît très bien Lamartine et qu'il a lu Jocelyn.
Certes, pour la génération de 1860, celle liée au Parnasse contemporain, Lamartine est démonétisé. Badesco dit cela aussi de La Légende des siècles qui n'a pas le succès escompté, parce qu'en 1959 c'est un discours progressiste qui, déjà, est clivant parmi les poètes, mais en plus c'est un discours progressiste sur fond de pensée d'adhésion à la foi religieuse, ce qui fait que les progressistes ne vont même pas trop s'y reconnaître. Les critiques à l'époque ne reconnaissaient pas Les Fleurs du Mal et les Odes funambulesques, mais pour le petit milieu des poètes ces deux œuvres furent des références, alors que La Légende des siècles, autrement recommandée par la critique, a eu un succès d'estime, mais sans plus. Les jeunes préféraient pour le progressisme hugolien, soit les satires des Châtiments, soit à partir de 1862 le roman Les Misérables. Pour eux, Hugo était immense, mais plus par Châtiments et Les Misérables que par Les Contemplations et La Légende des siècles. Certains cependant étaient agacés par les idées sociales des Misérables, Baudelaire et Flaubert notamment. Ceci dit, Flaubert admirait les recueils poétiques d'Hugo, et dans ses critiques Baudelaire, différent des jeunes poètes de son époque et de Verlaine notamment, encense La Légende des siècles et Les Contemplations, tandis qu'il aura un discours plus violemment contradictoire en lui au sujet des Misérables. C'est pour cela que, moi, qui suis intelligent, j'ai compris que quand Rimbaud dit que Baudelaire est un "vrai Dieu", mais après tombe sur la forme, alors que pour Hugo il a dit que Les Misérables sont un vrai poème, je comprends d'office que Rimbaud n'est pas sincère (on ne dit pas de quelqu'un qu'il est un vrai dieu pour le dessouder de la sorte ensuite, -moi je sais lire un retournement : "je te tiens sur la paume de la main, je retourne la main, ah merde, je t'ai fait tomber", -vous pas, vous êtes tous là comme des ânes à répéter que Baudelaire est un dieu pour Rimbaud ! Vous l'avez bien lue la lettre à Demeny ?) et je comprends aussi que Rimbaud a fréquenté des poètes à Paris, souvent proches de Verlaine, et qu'il répète le catéchisme parisien. C'est sa critique de la forme chez Baudelaire qui révèle qu'il n'est pas convaincu et qui montre qu'il y a une remontée de son opinion personnelle de 1870 où on voit qu'il n'est pas cadré sur le cas Baudelaire, plutôt sur Hugo, Banville et Glatigny. Un autre truc qui m'a frappé, c'est que dans sa lettre à Demeny Rimbaud dit qu'il y a trop de Belmontet et de Jéhovahs dans Hugo, ce qui coïncide avec une lettre de Baudelaire que Rimbaud ne pouvait pas connaître qui dénonçait trop de lyres et de Jéhovahs dans Lamartine. Je me dis que la formule devait circuler parmi les poètes parisiens ou que Rimbaud a pu en hériter par des attestations dans la presse qui restent à identifier. Je pense que c'était une formule courante d'époque qu'elle ait été ou non initiée par Baudelaire, et elle passe facilement de Lamartine à Hugo.
Et c'est important, figurez-vous ? Car on se contente d'identifier l'esprit parnassien dans "Credo in unam", "Sensation" et quelques autres poèmes, en y ajoutant des allusions à Musset, mais lequel est connu pour être retors en fait d'aspiration religieuse, bien évidemment. Or, les premiers poèmes de Lamartine, c'est la structure lourde du christianisme qui s'expose, mais dans une réappropriation personnelle ambitieuse qui n'aurait pas l'aval de l'église. Il faut bien voir que ça sent le soufre : désir de mort et sentiment du beau pour la révolte dans le Mal ! Toutefois, malgré ses images et ses goûts, la poésie de Lamartine hérite d'une rhétorique religieuse à la Bossuet, etc. Et Hugo va prolonger ça avec quelques altérations. Quand on lit "Credo in unam", on comprend qu'il s'oppose à la religion, on comprend que ce n'est pas la note de spiritualité chrétienne d'Hugo, mais on ne voit jamais que c'est souvent une réponse terme à terme aux poésies de Lamartine, puisque Lamartine offre un discours chrétien castrateur mis en vers, souvent en alexandrins, malgré ses quelques côtés sulfureux. Croire et croître, c'est dans les poèmes de Lamartine, et Rimbaud réplique à cela dans "Soleil et Chair" ! "Je crois en toi ! Je crois en toi ! Divine Mère !" Oui ! il songe au dernier vers du poème "L'Homme" :
Et qu'il fit pour chanter, pour croire et pour aimer !
Ayant perdu Elvire, le poète Lamartine appelle la mort de ses vœux. Or, il joue à distinguer la lumière réelle de la lumière spirituelle de l'au-delà. Il le fait avec une symbolique lunaire particulière dans le poème en octosyllabes "Le Soir", mais surtout il n'arrête pas de mentionner le soleil, en distinguant le "soleil réel" et le soleil de l'au-delà. Il parle aussi sur un mode métaphorique du "soleil des vivants" qui concerne ce monde-ci, mais qui n'est pas le soleil physique, mais l'idée qu'une étendue d'existence en ce monde nous est accordée. Il y a donc une complexité avec plusieurs notions de "soleil", plusieurs notions symboliques face à la seule notion physique.
Je travaille sur tout ça, et je vais vous ramener plus tard les pépites sous forme de synthèse.
Lamartine compte aussi pour comprendre Les Fleurs du Mal. Baudelaire se plaint de ses lyres et de ses Jéhovahs. Et bien, en effet, le vers "Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère," réécrit le vers du poème "La Foi" : "Homme, semblable à moi, mon compagnon, mon frère !", tout comme le premier hémistiche du sonnet "Les Correspondances" : "La Nature est un temple" reprend un second hémistiche d'un alexandrin du poème "L'Homme" : "la nature est ton temple", sachant que nous avons ensuite plusieurs poèmes de Lamartine où la métaphore du temple revient avec le mot "univers", dans un poème qui s'intitule "Le Temple" notamment.
Bref, dans le volume de la collection Lagarde et Michard pour le XIXe siècle, voici les poèmes des Méditations poétiques qui ont été retenus pour l'anthologie : "Le Lac", "L'Immortalité", "L'Isolement", "Le Vallon" et "L'Automne", cinq poèmes sur trente. Le recueil Harmonies poétiques et religieuses souffre de présentations typographiques divergentes peu agréables, mais il a encore une bonne représentation, puis après on a quelques pages sur Jocelyn et quelques poèmes épars. J'ai refermé mon Lagarde et Michard, mais rien ou peu s'en faut sur le Lamartine prosateur.
Dans l'Anthologie Crépet qui date de 1862, que je n'ai jamais lu, mais qui est disponible sur Wikisource (et donc je vais m'y mettre), nous avons droit à une notice de Jules Janin, là, c'est la catastrophe, on a droit à deux poèmes seulement du prestigieux recueil "Le Lac" et "L'Isolement", au profit de pièces secondaires du second recueil un peu faiblard : "Le Crucifix" et "Le Papillon".
En tout cas, moi, je vous conseille non seulement "Le Lac", "L'Isolement", "Le Vallon", "L'Automne" et "L'Immortalité", cinq classiques retenus par le Lagarde et Michard, déjà le poème "L'Homme" qui est exceptionnel. On ne peut pas aimer la poésie du dix-neuvième siècle : "Eloa" de Vigny, "La Nuit de mai" de Musset, les envolées des Contemplations et Les Fleurs du Mal ou plusieurs poèmes de Rimbaud, sans s'arrêter sur le poème "L'Homme", ça me semble évident. Il est même meilleur que "L'Immortalité". Le poème "L'Immortalité" est très chouette, mais il est bizarre dans sa conception. Le poète tutoie la mort, puis il tutoie mais sans bien l'appuyer explicitement Elvire, et il développe en tutoyant des idées générales, puis à la fin les derniers vers on a quelques vers cornéliens à Elvire. Je trouve qu'il a fait un peu ça "à la weak" ! (Je ne sais pas si aujourd'hui on entend parfois une telle expression dans les classes ?) Evidemment, le poème "L'Homme" affirme lourdement une foi chrétienne avec une adhésion héritant d'enseignements coercitifs au refus d'interroger le mystère de la création et le hasard injuste qui s'abat sur les humains.
On remarquera que nous préférons nettement les poèmes en alexandrins alors que la quantité d'octosyllabes, voire de poèmes tout en octosyllabes n'est pas négligeable dans Méditations poétiques. Parmi les poèmes en octosyllabes, je vous recommande "Le Soir" très fin dans sa mise en place métaphorique et symbolique, avec en prime le "que me veux-tu" que reprend Delorme-Sainte-Beuve dans "Premier amour" puis Verlaine dans "Nevermore". On voit aussi que beaucoup des premiers poèmes des Méditations poétiques sont parmi les meilleurs. Même le troisième poème, s'il n'est pas le plus mémorable, à un effet de clausule bien tourné. Pour leur articulation et leur côté thèse antithèse les poèmes VII "Le Désespoir" et VIII "La Providence à l'homme" sont à lire. Le discours du "Désespoir" surprendra, je le trouve trop excessif pour être bien pensé, mais en revanche il montre que Lamartine va assez loin dans l'indiscipline religieuse avant d'étaler le discours pour rentrer dans le rang.
Voilà, je m'arrête là, je ne vais pas chercher à montrer que je maîtrise tout et que je peux citer d'autres poèmes touchants dans la suite du premier recueil, il y a bien sûr "L'Automne" vers la fin, mais déjà là on a une bonne base pour se faire une idée de l'importance et de la qualité de la poésie de Lamartine.
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En regard du poème "Ophélie", un relevé conséquent des mentions de "lac(s)" avec en prime les étoiles qui y dorment va s'imposer. Cela commence aux vers 7 et 8 du premier poème "L'Isolement" des Méditations poétiques, celui qui contient le légendaire "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé." Quelque part, plusieurs poèmes lamartiniens sont liés au souvenir d'une femme morte, qui ne s'est pas noyée, mais qu'il vient prier près d'un lac.
Là, le lac immobile étend des eaux dormantesOù l'étoile du soir se lève dans l'azur.
Même si Lamartine ne compose pas de sonnets, un fait étonnant, c'est que l'antépénultième quatrain de "L'Isolement" avec son "Là" en attaque de deux consécutifs et son occurrence du mot "idéal" s'inspire d'un tercet d'un des plus célèbres poèmes de la seconde version du recueil L'Olive de du Bellay.
Dans la foulée, je parle de lac dormant, d'étoiles reflétées dans l'eau, mais si dans "Ophélie" on a le "chant mystérieux" des "astres d'or", là encore on a des sources lamartiniennes, par exemple : "Le chœur mystérieux des astres de la nuit," dans "L'Immortalité".
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Dans "L'Homme", n'y a-t-il pas une source au poème en deux quatrains que Rimbaud coiffera finalement du titre "Sensation" :
Je m'élance entouré d'esclaves radieux,Et franchisse d'un pas tout l'abîme des cieux ;Soit que, me reléguant loin bien loin de ta vue,Tu ne fasses de moi, créature inconnue,Qu'un atome oublié sur les bords du néant,Ou qu'un grain de poussière emporté par le vent,Glorieux de mon sort, puisqu'il est ton ouvrage,J'irai, j'irai partout te rendre un même hommage,Et, d'un égal amour accomplissant ma loi,Jusqu'aux bords du néant murmurer : Gloire à toi !
Dans "Par les beaux soirs d'été...", on a les futurs simples de l'indicatif dont la série est lancée par "J'irai", lequel revient au vers 7 devant le même effet d'étirement par la répétition que dans notre extrait lamartinien : "loin, bien loin..." Dans le poème de Lamartine, la métrique est régulière, mais on a un petit effet dansant puisque la première mention "loin" vient juste après la césure. Dans le cas du poème de Rimbaud, les effets métriques ne sont pas sur "loin bien loin", mais sont très présents dans tout ce qui suit, sans oublier l'effet de rime interne.
Les poèmes n'ont rien à voir ? Ben, si ! Lamartine parle de religion, tandis que Rimbaud s'y oppose en réclamant les droits du corps à la sensation.
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Dans le poème "L'Immortalité", on a un morceau qui annonce de loin en loin les poèmes catastrophes de destructions du monde de Leconte de Lisle, et cela concerne "Soir historique" (n'est-ce pas Bruno Claisse ? Il se porte bien le "Solvet seclum", hein ? Dis pas merci, ce n'est pas poli ! J'ai bien rigolé quand tu me remercies pour ma recherche encore non publiée sur le monostiche de Ricard. ouais, je pourrait pas te reprendre "Solvet seclum", ouais, je sais pas ce que ça t'apporte, mais bon... A l'époque, je faisais pas gaffe que les pièces concrètes étaient très importantes et précieuses, j'étais trop dans on commente le poème, les intertextes il n'y a de propriété dessus, quel idiot j'étais ! Après tout, il vaut mieux que quelqu'un exploite mes découvertes, Bardel est plus heureux de citer Teyssèdre, Murphy, Reboul ou Murphy que moi-même, il faut que je m'efface pour le bien de la diffusion des bonnes idées, c'est certain !)
Pour moi, quand je verrais dans les célestes plaines,Les astres, s'écartant de leurs routes certaines,Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés,Parcourir au hasard les cieux épouvantés ;Quand j'entendais gémir et se briser la terre ;Quand je verrais son globe errant et solitaireFlottant loin des soleils, pleurant l'homme détruit,Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit ;Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,Seul, je serais debout ; [...]
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Bon, je fatigue un petit peu, j'ai fait plein d'autres trucs aujourd'hui, faut dire. Mais, bon, je voulais aussi souligner cette idée importante.
Bon, déjà, je fais un dossier sur les descriptions du ciel avec les anges, les mondes, le silence, je relève aussi le fait d'élévation en traversant les mondes. Je me prépare à la nouvelle grande bataille exégétique sur "Voyelles". Moi, je le veux, mon Prix Nobel de critique littéraire.
Mais, je développe donc surtout une idée sur le lexique comment dire ? "liturgique" dans "Voyelles"; on a "vibrements divins" où les deux termes sont liturgiques avec soutien l'un par rapport à l'autre, on a évidemment le "Suprême Clairon", on peut relever "des mers", sachant qu'il y a une idée de globalité, puisque c'est l'article défini qui est pris dans la forme contractée "des". Il y a bien sûr la répétition du mot "paix" et les "fronts studieux". Il y le vers 13 silences mondes et anges. Il y a la rime "étranges"::"anges". Il y a "l'Oméga" et puis les majuscules du divin dans "Ses Yeux", il y a le "rayon", les connotations du "violet". Mais ce que je mets surtout sous la lunette, c'est "semé", "parce que ça, on y pense pas, hein ?" comme dirait François Damiens avec son fort accent belge. En effet, le verbe "semé" n'est pas appliqué à des plantes, mais à des animaux, transfert qui signe que l'expression suppose une origine divine au geste de semer. Le "semeur", c'est tout un symbole, on a tous lu Hugo. Dans les poèmes des Méditations poétiques, le verbe "semé" est utilisé pour la dissémination des étoiles et il revient quelques autres fois, mais je suis fatigué, la recension c'est pour une autre fois, mais bon encore une idée sur "Voyelles" que j'ai déjà dite, que j'améliore et que vous n'aurez pas avant moi...
Bye Bye !
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