mardi 16 décembre 2025

Vanier et Les Illuminations, et du nouveau sur "Veillées ?" (édité le 17/12)

On parle beaucoup de la revue La Vogue à propos de la publication originale des Illuminations, mais le cas de Vanier est assez intéressant.
Avant de parler de Vanier, j'en profite pour faire un petit état des lieux.
Sur internet, il n'est pas possible de consulter une partie de la publication originale des Illuminations par la revue La Vogue.
Il faut bien comprendre qu'il faut distinguer la publication originale dans les numéros 5, 6, 7, 8 et 9 de la revue, et la publication sous forme de plaquette.
Seul le numéro 5 de la revue peut être consulté en fac-similé sur le site Gallica de la BNF. En effet, vous avez un livre qui réunit le dossier de 24 pages des manuscrits des Illuminations avec une lettre de Verlaine à Léo d'Orfer de janvier 1888 et les pages du numéro 5 de la revue où nous avons le contenu des 14 premières pages du dossier manuscrit, jusqu'à "Ornières", puis les autres pages imprimées de la revue avec des extraits de L'Eve future de Villiers de L'Isle-Adam, un poème de Stuart Merrill adressé à Stéphane Mallarmé, etc.
Et, cerise sur le gâteau, la publication originale des Illuminations s'intitulait Les Illumiunations.
La page suivante donne la fausse impression d'un "145", mais je pense que le "6" est mangé et se voit mal, de toute façon on a ensuite la page 147, et la logique recto/verso des pages impose de comprendre que la publication originale commence bien à la page 145. La transcription des poèmes rimbaldiens s'arrête à la page 161 avec la mention "à suivre" et la signature "Arthur Rimbaud" en-dessous du texte intitulé "Ornières".
En revanche, nous n'avons pas accès aux photographies fac-similaires des numéros 6, 7, 8 et 9 de la revue sur internet, et donc à la publication originale des Illuminations en 1886.
Sur le site Wikisource, ils donnent fièrement des transcriptions de la plaquette en précisant la pagination, mais ils ne donnent pas eux non plus l'édition originale dans la revue !
Passons maintenant à la publication en plaquette. A cause du prestige des manuscrits, la recherche "Google" vous ramène plus volontiers au lien précédent. Je vous invite à lancer une recherche sur le site Gallica lui-même avec les mots clefs "Arthur Rimbaud Illuminations La Vogue" et cette fois vous allez tomber sur les photographies fac-similaires de la plaquette de la revue La Vogue qui n'est que la deuxième édition des Illuminations, avec un ordre différent des poèmes, ce qui prouve encore une fois que la pagination des manuscrits ne vient pas de Rimbaud !
Moi, ce que je veux en fac-similé sur internet c'est les numéros 6, 7, 8 et 9 de la revue ! Je veux LA publication originale.
Notez que le titre "Les Illuminations" est aussi celui qui figure sur le manuscrit allographe de "Promontoire" : "Les Illuminations (suite)". Le mot "(suite)" se justifie parce que "Promontoire" est le premier poème rimbaldien de la fournée du numéro 8 de la revue.
On verra tout à l'heure comment Vanier procède pour le titre.
Pour l'instant, je veux souligner un problème que me pose le manque d'accès au numéro 7 de la revue.
Quand il est question des poèmes en prose, les rimbaldiens donnent le bon ordre de publication des poèmes, et cela va concerner aussi les poèmes en vers "nouvelle manière". En revanche, dans le numéro 7, sous le titre Les Illuminations, il n'y a eu que des poèmes en vers, pas un seul poème en prose. Sur son site internet Arthur Rimbaud, Alain Bardel fournit la liste des poèmes en question sur une page particulière intitulée "Archives Verlaine 1872-1873 / Pièces du "dossier de 1886". Comme j'ai beaucoup d'affaires chez moi, mon volume I Poésies des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud, édition philologique de Steve Murphy, chez Honoré Champion, est coincé dans une armoire, la biographie de Lefrère est rangée dans un carton, et de fil en aiguille je cherche le moyen le plus simple d'accéder à l'information. Bardel cite donc les cinq poèmes parus dans le numéro 7 de la revue : "Chanson de la plus haute Tour", "Âge d'or", "Nous sommes tes grands-parents...", "Eternité" et "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,...", sauf que l'ordre ne correspond pas à la pagination des manuscrits, puisque sur les photos d'un catalogue de vente de la collection de Pierre Bérès en 1886, on voit sur les photographies des manuscrits de trois poèmes que "Qu'est-ce pour nous,..." est la page 3, "Âge d'or" la page 4 et "Nous sommes tes grands-parents..." les pages 5, 6 et 7. Je pense donc que Bardel s'est trompé pour l'ordre des poèmes ou qu'il a repris son information dans un ouvrage qui donnait une information erronée. Je pense que l'ordre est plus probablement : "Chanson de la plus haute Tour" pages 1 et 2, "Qu'est-ce" page 3, "Âge d'or" page 4, "Nous sommes tes grands-parents..." pages 5, 6 et 7, et "L'Eternité" page 8. Je n'ai pas pu consulter les manuscrits de "Chanson de la plus haute Tour" et de "L'Eternité", sachant qu'il ne s'agit pas ici des manuscrits de Richepin réunis sous le titre "Fêtes de la patience".
Et je m'empresse de préciser que le sujet a son importance pour Les Illuminations, y compris si on veut écarter les poèmes en vers "nouvelle manière", puisque les dossiers étant publiés en parallèle, ou ensemble, comme vous voulez, il est intéressant d'étudier la pagination des manuscrits des poèmes en vers "nouvelle manière" en sachant que la présentation des manuscrits permet de construire des sous-groupes et on constate aisément que la revue n'a pas tenu compte de ces sous-groupes et il est même probable que ce soit la revue qui ait désolidarisé les quatre nouvelles versions de poèmes des "Fêtes de la patience" en mélangeant aléatoirement les feuillets manuscrits !
Encore un sujet fâcheux pour la thèse de la pagination autographe des poèmes en prose ! Et cette question fragilise la prétention à publier un livre fac-similaire des manuscrits des poèmes en prose qui se voudrait une somme d'enseignements, alors que les enseignements sont tributaires de la prise en considération des manuscrits des poèmes en vers.
Le travail, il doit être fait à fond !
Je vous donne les liens pour vérifier par vous-même :
Sur la page "Archives de Verlaine" de Bardel, je précise qu'il y a deux informations contestables. Le poème "Enfer de la soif" n'a pas été publié par la revue La Vogue, laquelle a publié une version sans titre, moins soignée. Le poème "Enfer de la soif" n'a été publié pour la première qu'en 1999 dans l'édition philologique de Steve Murphy chez Honoré Champion visiblement. Le cheminement de ce manuscrit demeure une énigme ! Il est improbable qu'il ait fait partie du dossier de 1886.
La même remarque vaut pour le brouillon de "Ô saisons !" qui n'a été publié qu'en 1931. La revue La Vogue a publié une autre version manuscrite du poème et la provenance du brouillon n'est pas clairement établie. En gros, il y a deux manuscrits dont on prétend un peu vite qu'ils faisaient partie du dossier publié par La Vogue en 1886, puis par Darzens, Vanier et Berrichon.
Maintenant que nous avons mis en place toutes ces références, il est temps d'en venir aux éditions Vanier.
Vanier a publié Une saison en enfer et Les Illuminations en 1892, mais en s'en tenant aux textes publiés par La Vogue. Vanier n'a pas exploité l'édition originale chez Poot d'Une saison en enfer, il est parti sur le travail de la revue La Vogue et il a fait de même pour Les Illuminations.
Et on observe que Vanier a publié le recueil sous le titre Les Illuminations.
Notez que sur le manuscrit autographe de "Promontoire", vous avez deux fois la mention "(Illuminations)" à l'encre brune sans article, mentions qui sont postérieures à l'édition de 1892, puisque comme Bienvenu l'a souligné en 2013 sur un article de son blog, la page 34 mentionnée renvoie à l'édition Vanier de 1892 où "Promontoire" commence à la page 34, ce qui n'est pas le cas dans la plaquette où il est à la page 39, et ce qui ne devrait pas être le cas dans la revue où la pagination continue entre les numéros nous renvoie au-delà de la page 200, sinon au-delà de la page 300, ce que je n'ai pu vérifier.
Enfin, nous en arrivons à la publication de 1895 d'un second volume sur Rimbaud qui s'intitule Poésies complètes qui ne reprend pas les textes publiés en 1892, le titre "Poésies complètes" désigne les poèmes en vers réguliers. Toutefois, le volume contient tous les poèmes inédits des Illuminations que la revue La Vogue n'a pas pu publier, tout sauf un : "A quatre heures du matin..."
Je parle ici à la fois des vers et des proses, puisque le principe de la revue était de mêler les vers et les proses en 1886.
Je vous dirige sur les pages de sommaire, parce que ce qui m'intéresse, c'est le relevé des poèmes qui auraient dû faire partie des Illuminations publiées par La Vogue.
De fait, "Patience", "Jeune ménage", "Mémoire", "Est-elle almée ?" et "Fêtes de la faim" avec la précision entre parenthèses "variante", par référence à la version d'Une saison en enfer, forment la suite des cinq derniers poèmes en vers de ce volume. Puis, nous avons une section à part, une rubrique intitulée "Prose" qui rassemble dans cet ordre les poèmes "Fairy", "Guerre", "Génie", "Jeunesse" de I à IV et "Solde".
Comme les manuscrits des poèmes en prose sinon en vers libres modernes publiés par la revue La Vogue, cas à part de "Promontoire", les manuscrits des poèmes de cette section "Prose" sont paginés, mais il y a deux subtilités. Premièrement, ils ont deux paginations concurrentes, et deuxièmement Vanier a suivi une pagination des manuscrits en chiffres romains.
Beaucoup de rimbaldiens prétendent qu'il faut publier les poèmes en prose dans l'ordre suivant : les poèmes publiés dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue, le dossier de 24 pages manuscrites, puis les poèmes en prose parus dans le numéro 8 en maintenant l'ordre "Promontoire", "Scènes" et "Soir historique", puis les poèmes en prose parus dans le numéro 9 en maintenant l'ordre "Mouvement", "Bottom", "H", "Dévotion" et "Démocratie", et enfin on clôt le dossier avec la section "Prose" de l'édition de Vanier en 1895 en en maintenant l'ordre : "Fairy", "Guerre", "Génie", "Jeunesse" et "Solde".
Le problème, c'est qu'il y a une pagination concurrente en chiffres arabo-indiens que certains éditeurs ont parfois suivie ultérieurement.
"Fairy" est paginé I en chiffre romain en haut au centre du feuillet, mais paginé 2 en haut à droite.
"Guerre" est paginé II au centre mais 4 à droite.
"Génie" est paginé III au centre mais bizarrement 3 à gauche et 6 à droite.
"Jeunesse I Dimanche" est paginé IV au centre mais 3 à droite.
"Solde" est paginé V au centre mais 1 à droite.
 Conservé à la Fondation Bodmer en Suisse, le manuscrit de "Jeunesse II, III et IV" n'est pas paginé, mais il porte la mention en haut à gauche au crayon "Illuminations" et une mention "veillées" à côté du poème IV sans titre, puis une mention chiffrée toujours au crayon en bas à gauche 129, et il y a d'autres mentions moins nettes à côté des titres.
Les manuscrits de "Solde", "Fairy", "Jeunesse I Dimanche" et "Guerre" sont dans l'ordre de pagination 1, 2, 3 et 4 fournis en fac-similés sur le site Gallica de la BNF, avec les photographies des versos où il est à chaque précisé au crayon qu'il s'agit de "legs Vanier".
Le manuscrit de "Jeunesse II III et IV" est déchiré sur le côté, on peut envisager une perte de la mention du chiffre 5. Génie porte bien le chiffre 6 en haut à droite, le chiffre 3 en haut à gauche étant là pour une autre raison visiblement.
La pagination de 1 à 6 est antérieure à la séparation du dossier avec un manuscrit qui a fini en Suisse et l'autre dans la collection de Pierre Bérès. Et cette pagination ne tenait pas compte de l'unité de la série "Jeunesse" puisque "Jeunesse I Dimanche" paginé 3 est séparé de sa suite par "Guerre" paginé 4, à supposer que "Jeunesse II III et IV" ait eu une pagination initiale 5.
Cette pagination de 1 à 6 était-elle antérieure à l'acquisition des manuscrits en question par Vanier ? Etait-elle antérieure à la pagination en chiffres romains ? Et si elle est postérieure à la pagination en chiffres romains, pourquoi vient-elle lui faire concurrence alors que l'éditeur a publié les poèmes en fonction de la pagination en chiffres romains ? Une explication pourrait être qu'il était commode de ranger les manuscrits en fonction de leur taille, les plus petits portent les premiers chiffres 1, 2 et 3. Mais ce n'est là qu'une hypothèse.
Pour "Fairy", le I au crayon est reporté au-dessus du titre encerclé au crayon.
Pour "Guerre", le II est placé faute de meilleure place, à hauteur du titre à sa gauche, mais il est écrit à l'encre et dans une encre nettement plus foncée que ce qui concerne la transcription du poème et de son titre. Le titre "Guerre" n'est pas souligné, peut-être encore une fois à cause du manque d'espace.
Pour "Génie", le III est transcrit en-dessous du titre "Génie". Le titre est souligné comme pour Fairy d'un cercle au crayon, mais le "III" est particulièrement foncé comme pour "Guerre".
Pour "Jeunesse I Dimanche", il faut ralentir et apprécier le tout. Le titre du poème est simplement "Dimanche", le titre "Jeunesse" a été ajouté au crayon dans le peu d'espace disponible. Comme pour "Guerre", le IV en chiffre romain est sur le côté gauche à hauteur du titre "Jeunesse". Tant bien que mal un chiffre romain "I" a été inséré entre les titres "Jeunesse" et "Dimanche" avec des tirets pour le mettre en relief "-I-".
Pour Jeunesse II, III et IV, nous observons que les chiffres romains consistent exclusivement en petits traits verticaux non reliés par des traits horizontaux, ce qui concerne aussi le IV de "Jeunesse" et le V de "Solde", mais pas les I, II et III de "Fairy", "Guerre" et "Génie" et pas non plus, ce qui est paradoxal, le I de Dimanche. Malgré les paradoxes, on devine face au manuscrit de la fondation Bodmer que Rimbaud écrit plutôt les chiffres romains par des bâtonnets non reliés horizontalement entre eux, mais aussi le titre "Jeunesse" au crayon" considéré comme autographe soulève la question de la mention au crayon "Veillées" à côté du "IV" du dernier poème de la série "Jeunesse", parce qu'il y a de quoi se demander si ce n'est pas une mention autographe. C'est un peu étrange. Ou alors, les deux titres "Jeunesse" et "Veillées" au crayon ne sont pas de la main de Rimbaud...
Le "III" en-dessous de "Génie" pourrait être de Rimbaud lui-même vu son emplacement. Mais, en attribuant ce III à Rimbaud lui-même, sachant qu'on a un I au crayon au-dessus de "Fairy", il y a une nouvelle question qui se pose. Est-ce que nous n'aurions pas un montage chiffré artificiel parce que les chiffres romains autographes n'étaient pas cohérents ? Manque-t-il des manuscrits de poèmes en prose ?
Rien de tout cela n'est clair. Je vous le soumets à la réflexion.
Il faut aussi se pencher sur la pagination éventuelle des manuscrits de "Jeune ménage", etc., publiés par Vanier en 1895. Notez deux singularités. Deux poèmes en vers nouvelle manière n'ont pas été publiés par La Vogue, ni par Vanier.
"Entends comme brame..." a été publié dans l'édition du Reliquaire de 1891 par Genonceaux et Darzens, alors qu'il s'agit d'évidence d'un manuscrit du dossier de La Vogue. Cette publication ayant eu lieu en amont, Vanier publie bien le poème dans son édition de 1895, mais il le place au milieu des poèmes en vers réguliers et pas du tout à la fin avec "Mémoire", "Jeune ménage", etc.
Notez aussi que Vanier s'est gardé de créer une section "Les Illuminations (suite)", il a mis les cinq nouveaux poèmes en vers à la fin de la série en vers et il a fait une série à part pour quelques poèmes en prose.
Enfin, le poème "A quatre heures du matin..." n'a été publié qu'en 1912 par Paterne Berrichon, ce qui est assez tardif, puisque Berrichon a publié une première édition des poèmes de Rimbaud en 1898. Il s'agit là encore d'un poème qui faisait partie du dossier de 1886. Et ceci prouve que Vanier n'avait pas récupéré le reste des manuscrits, et finalement personne ne peut dire que tout le dossier des Illuminations prévu par la revue La Vogue, proses et vers, a été publié. En tous cas, ce n'est pas très clair.
 
EDIT 17/12 :
 
Je reprends.
Commençons par une analyse des chiffres romains dans manuscrits des poèmes en prose.
Pour Enfance, les cinq chiffres romains sont obligatoirement autographes. Rimbaud tand à les transcrire en bâtonnets, mais timidement il esquisse des petits traits horizontaux pour les rendre plus impeccablement romains. Le I est un simple trait droit vertical, mais pour le II et le III on a des traits horizontaux pour faire romain, mais c'est très peu appuyé. Le signe V semble avoir des conséquences. Pour le "IV", le I est un de nouveau un simple trait droit vertical, tandis que le "V" n'est stylisé que pour pour les deux pointes supérieures. L'angle en bas du V n'est pas flanqué d'un trait horizontal faisant tangente. Et c'est la même chose pour le "V" chiffre de la cinquième partie, deux traits sur les pointes supérieurs, pas de tangente à l'angle du V en bas.
Pour "Vies", nous avons de nouveau des mentions I, II et III indiscutablement autographes. Cette fois, les six bâtonnets pour former les chiffres romains I, II et III sont flanqués de traits horizontaux qui les stylisent. Pour le chiffre I, les traits sont hésitants, pas vraiment horizontaux, indice d'une hésitation rimbaldienne qui cherche à encore à affermir une manière de faire je pense. Le trait ne fait pas naturel, c'est ça qui me fait penser à une sorte de réflexion hésitante au moment de la transcription. On pourra me répliquer que c'est peut-être simplement un trait moins harmonieux parce que précipité, mais je pense que le côté précipité signifie justement que Rimbaud n'a pas une idée claire de ce qu'il veut faire.
Pour "Veillées", nous avons sur un même manuscrit deux chiffres romains indiscutablement autographes. Nous retrouvons les bâtonnets, simples traits droits verticaux pour les deux chiffres : I et II (pour vous en donner une idée, utilisons la barre oblique à défaut : / et //. Ici, il faut ajouter une remarque importante. André Guyaux a montré qu'à l'origine le papier des transcriptions de "Veillées I et II" et de "Fairy" était unique. Il y a eu un découpage du papier après l'une des transcriptions.
Sur la page internet suivante de son site Arthur Rimbaud, Alain bardel fournit les photographies confrontées des deux fac-similés pour "Fairy" et "Veillées I et II" : cliquer ici pour consulter l'article "La FAQ des Illuminations", les deux photographies sont vers le milieu de la page internet. 
Le papier comportant "Fairy" a des bords verticaux, si je prends pour repère le texte transcrit, de 10,7 cm et de 10,1 cm, tandis que le manuscrit de "Veillées I et II" a des bords horizontaux par rapport aux textes "Veillées" de 9,3 et 9,9 cm. Si on combine ces bords, cela fait deux longueurs de 20 cm. Il y a un autre aspect dont il convient de parler pour que le lecteur ne se perde pas, parce que moi-même j'ai eu un temps de recul. Pour obtenir ce résultat, il faut considérer que Rimbaud a tourné le papier de 90 degrés qui contient les transcriptions de "Veillées I et II", comme on le voit sur le montage photographique de Bardel où le double poème est couché si on peut dire. Or, dans la comparaison, on voit que le papier est très abîme au niveau de la découpure pour "Veillées I et II", mais pas du tout pour la découpure pour "Fairy", où le côté abîmé est sur la droite de la transcription. Il ne faudrait pas croire pour autant que les parties abîmées sont les déchirures de séparation en deux bouts de papier, il s'agit en réalité de l'usure des manuscrits avec le temps, usure qui s'est faite pour ces deux manuscrits sur les côtés droits des transcriptions.
En conclusion, Rimbaud avait d'abord transcrit le poème "Fairy", puis il a découpé le papier, il l'a tourné de 90 degrés et a transcrit "Veillées I et II".
Mais, ceci étant acquis, il y a encore deux observations qui relancent l'enquête. Premièrement, "Fairy" est surmonté d'un chiffre romain "I" au crayon qui n'a rien à voir avec les chiffres de "Veillées". Non seulement il est au crayon, mais il est au-dessus du titre de poème "Fairy" et enfin il est stylisé à la romaine par les barres horizontales.
Rimbaud avait mis un filet de séparation à la suite de "Fairy", il l'a ensuite biffé, sans doute parce qu'il a découpé le papier.
Rimbaud a reporté un filet de séparation après "Veillées I" comme après "Veillées II", preuve que les filets de séparation sont pensés par Rimbaud comme ne concernant que des séparations de poèmes, puisqu'ici celui qui isole Veillées I est interne à une série chiffrée. Je ne partage pas du tout les convictions de Murphy, Guyaux et Bardel sur des filets de séparation regroupant des poèmes, ce qui n'a aucun sens. Je pars du principe que, comme tout être humain, Rimbaud n'a pas un usage systématique rationnel des filets de séparation qu'il reporte ou qu'il biffe. Je trouve très imprudent de considérer d'évidence que les biffures des filets de séparation ou leurs présences relèvent d'un choix mûrement concerté.
Notons que le rebord supérieur du feuillet de "Veillées" n'est pas très droit et pourrait laisser penser qu'il a été découpé et que le montage de "Fairy" et "Veillées I et II" pourrait être une coïncidence trompeuse. Je préfère tout de même faire confiance, mais je ne m'explique pas le bord irrégulier au-dessus de "Veillées". Il gondole ? Il a eu une petite coupure ?
Pour le manuscrit aujourd'hui paginé 19 au crayon, nous avons un titre initial au singulier "Veillée" et un filet de séparation allongé suit ce texte, alors qu'il n'y en aura pas pour "Aube" plus bas sur le même feuillet. Il faut toutefois remarquer que "Veillée" contient une ligne de points de suspension et offre un texte très fragmenté, ce qui peut favoriser le besoin de Rimbaud d'insister sur la fin de transcription. Ce filet de séparation date de toute façon, au vu de l'encre, de l'époque de transcription avec le titre "Veillée" suivi d'un point qui veut dire délimitation d'un titre. Le même procédé est appliquée pour "Mystique" et "Aube" sur le même feuillet.
Le titre "Veillée" a été biffé et remplacé par un chiffre romain III. Le chiffre romain III coïncide avec la pratique du simple trait droit verticale du feuillet contenant "Veillées I et II", mais il semble impossible de déterminer si ce "III" est de l'écriture de Rimbaud pour plusieurs raisons : ce sont trois traits rudimentaires difficiles à attribuer à une écriture précise, l'alternative de styliser ou non les chiffres romains par des traits horizontaux ne fait que diviser les humains en deux groupes, le mimétisme n'est pas à exclure dans l'hypothèse d'une intervention allographe.
Pour démontrer le "III" comme autographe, il faudrait pouvoir démontrer que le filet de séparation a été reporté au même moment qu'il y a eu modification du titre "Veillée" en "III" ou il faudrait démontrer que la biffure de "Veillée" a des caractéristiques systématiques rimbaldiennes qu'un certain nombre d'exemples sûrs étaieraient.
Il existe un dernier cas de recours aux chiffres romains dans le cas de la série de 24 pages. Nous avons une transcription du poème intitulé "Villes" qui commence par "L'acropole officielle...". Entre le titre et le début de la transcription du texte : "L'acropole...", nous avons un chiffre romain I. Le titre "Villes" a été encerclé au crayon par les protes de la revue La Vogue, ce qui est prouvé par les changements de manière d'entourer les titres au fur et à mesure de la publication des poèmes dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. Le chiffre I semble lui-même biffé au crayon, ce qui voudrait dire que le chiffre a été biffé non pas par Rimbaud, mais par l'équipe de la revue La Vogue. Il faudrait confirmer si la biffure est au crayon ou à l'encre.
Or, il y a une anomalie qui a amené à la récusation de ce chiffre. Rimbaud a transcrit sur trois feuillets les poèmes dont les "incipit" sont : "Ce sont des villes !...", "Pitoyable frère..;" et "L'acropole..." Les titres semblent avoir été reportés dans un deuxième temps sur un espace laissé disponible. Le poème commençant par "Pitoyable frère..." a été intitulé "Vagabonds". Le poème commençant par "L'acropole officielle..." a été intitulé "Villes" avec l'ajout d'un "I", et enfin au début des trois feuillets le poème "Ce sont des villes..." a été numéroté II, avant qu'il ne soit réécrit par-dessus le titre au pluriel "Villes", à moins que le II n'ait été transcrit par-dessus le titre "Villes". Or, le II a été biffé de la manière que le I de "L'acropole officielle", et il l'a été au crayon. Or, il faut une enquête. On ne peut pas dire par préjugé que c'est forcément Rimbaud qui s'est rendu compte de son erreur et qui a biffé au crayon les deux chiffres romains, usage du crayon qui est clairement sur l'ensemble des manuscrits en 24 pages le fait de la revue La Vogue. Je ne prétends pas trancher, je soulève un sujet qui appelle un complément d'informations. Une dernière hypothèse serait que les chiffres romains I et II furent de la seule initiative de la revue, et pas du tout des créations de Rimbaud. Les protes auraient vu les séries créées par Rimbaud "Enfance" "Vies" et "Veillées", sans oublier "Jeunesse", ils auraient allongé la série "Veillées" et un temps voulu créer une série des deux "Villes".
Il s'agit d'un aspect capital des manuscrits à étudier.

Passons maintenant aux manuscrits dont Vanier a eu la primeur éditoriale. 
Comme j'ai égaré ma clé de boîte aux lettres depuis deux semaines, je n'ai pas encore pu consulter mon exemplaire du livre fac-similaire des Illuminations que Bardel vient de publier. Je pars donc de son site en quête des photographies disponibles sur internet. Pour "Fairy", fac-similé consultable sur le site Gallica de la BNF, je l'ai déjà dit, nous avons un chiffre romain "I" au crayon au-dessus du titre "Fairy". Dans "Enfance", "Vies" et "Veillées I et II", le "III demeurant dans le débat contradictoire, Rimbaud transcrit les chiffres romains à l'encre et il les met sous la direction d'un titre supérieur, il s'agit de subdivisions internes. Il y a donc deux anomalies dans le cas de "Fairy" qui laissent penser à une possibilité de mention allographe.
"Guerre" est flanqué d'un chiffre II romain stylisé à l'encre à hauteur et à gauche du titre du poème sur le bout de papier qui nous est parvenu.
"Jeunesse", titre au crayon est flanqué d'un "IV" au crayon sur sa gauche. "Solde" est précédé d'un "V" à l'encre.
Face à cela, nous avons le I stylisé de "Dimanche" en-dessous du titre "Jeunesse". Puis nous avons le "III" de "Génie" qui est placé en-dessous du titre "Génie" lui-même, sachant que "Dimanche" et "Génie" viennent d'un même papier bleu découpé en deux, papier bleu qui n'a aucun équivalent dans le reste des manuscrits qui nous sont parvenus.
Enfin, à la Fondation Bodmer en Suisse, nous avons le manuscrit de trois poèmes enchaînés par une numérotation en chiffres romains de II à IV. Les chiffres romains II, III et IV sont non stylisés, aucun trait vertical sur les six bâtonnets, ni sur le "V".
Où est passé le poème qui devait fournir le chiffre I ? Ces chiffres romains sont-ils autographes ? Nous avons une mention en haut à gauche au crayon du titre "Illuminations" et à côté du "IV" une proposition de titre au crayon qui n'a pas été retenue : "Veillées". La mention "Veillées" est au pluriel et pas au singulier, mais elle n'a pas été retenue lors de l'impression, ce qui fait dire depuis lors qu'elle était allographe. Mon principe selon lequel le crayon vient des éditeurs sur les manuscrits m'inviterait à considérer cette mention comme allographe, mais il faut tout inspecter. Le titre "Veillées" pourrait être le dernier mot de Rimbaud lui-même, sauf que les protes ont préféré s'en défier. La présence du "s" m'interpelle, on a l'impression qu'il y a eu une tentation de joindre ce poème à la série des "Veillées", ce qui réglait la question de son absence de titre. Cette idée n'a pas été suivie d'effet, et il faut préciser le contexte. La revue La Vogue a déjà publié "Veillées" en trois parties. Ceux qui connaissaient la publication de La Vogue auraient été surpris de voir que la série s'allongeait d'un quatrième poème. Qui plus est, il faut aussi préciser que Vanier a publié le texte des Illuminations selon La Vogue en 1892, et que "Jeunesse" est publié à part avec quatre autres poèmes en prose dans une édition de 1895. Vanier ne publiait pas à nouveau la suite des trois "Veillées". On peut penser qu'il a été tenté de joindre ce poème sans titre aux "Veillées", à moins que l'intervention au crayon ne soit plus ancienne qu'il n'y paraît, Rimbaud ou La Vogue, mais l'édition de 1895 ne permettait pas au projet d'aboutir et peut justifier à elle seule le renoncement. Fait amusant, l'écriture du titre "Veillées" est précipitée avec le même caractère moche de la chute en "es" que dans les dernières lignes du manuscrit de "Promontoire" après la partie biffée, mais il va de soi que ce n'est pas de facto un argument suffisant pour parler d'une transcription autographe. En revanche, il y a un signe inquiétant en sens inverse, puisqu'on peut se demander si ce n'est pas aussi un prote de La Vogue (hypothèse bien sûr d'un travail non conduit à terme) ou Vanier qui aurait inventé deux titres aux poèmes de Rimbaud : "Jeunesse" pour constituer une série et "Veillée" pour que chaque poème de la série ait un titre. Et, du coup, on se demande si la série n'a pas été créé artificiellement. "I Dimanche" a des liens thématiques évidents avec "Génie" : descente du ciel contre son mépris, etc. "Dimanche" était un texte qui figurait initialement sur le même papier bleu que "Génie". On peut se demander s'il ne manquait pas des manuscrits à chiffres romains entre les mains des protes de La Vogue ou Vanier. Une question simple témoigne de l'importance du débat. Rimbaud a-t-il copié "Dimanche" avant le manuscrit aujourd'hui détenu par la Fondation Bodmer ? On sent qu'il y a quelque chose qui cloche. Peut-être qu'il y avait simplement ce manuscrit avec les chiffres de II à IV, puis l'étrange "I" et l'étrange III" de "Dimanche" et "Génie" sur papier bleu, avec le "II" de Guerre. Des manuscrits auraient-ils été perdus ? Entre 1878 et 1886, puis au-delà ?
On peut imaginer que Rimbaud a créé plutôt la suite "Dimanche", "Guerre" et "Génie", tandis qu'une suite sans début est représentée par le manuscrit de la Fondation Bodmer. Le "I" de "Fairy" est au crayon. Le IV de "Jeunesse" tout comme le titre de série est aussi au crayon si j'ai bien vu. Le "V" de "Solde" tout en haut de manuscrit est assez faiblement marqué. Ou alors, ces chiffres romains et ces mentions au crayon seraient de Rimbaud, par opposition à tous les autres manuscrits où les paginations en chiffres arabo-indiens et les mentions au crayon ne sont jamais de Rimbaud.
En voilà assez pour les réflexions du jour.
Pour la pagination en 24 pages, sur sa page internet "La FAQ des Illuminations", Bardel prétend réfuter les arguments de Bienvenu sur le caractère non rimbaldien des chiffres "2" et "8" des feuillets paginés à l'encre "12" et "18". Bardel fournit plusieurs photographies censées témoigner d'une contre-expertise.
Pour les 2, l'échantillonnage est absurde. Le 2 de la page 24 du dossier paginé fait débat et il n'a rien d'identifiable à un "2" typique rimbaldien, et j'ajoute qu'il ne ressemble pas au "2" du feuillet paginé "12", ce que Bardel prétend pourtant. Ce "2" peut venir de deux écritures allographes distinctes, et dans l'absolu on ne peut rien déterminer sur la forme de ces 2 comme typiquement rimbaldienne ou non. Il n'y a rien à tirer également du "2" dans l'en-tête de la lettre du "2 novembre 1870". Enfin, les "2" sont identiques pour celui à côté de "Voici de la prose" dans la lettre "du voyant" et pour celui qui accompagne le titre "L'Esprit" d'un manuscrit de 1872, identiques entre eux, mais n'ayant rien à voir avec le "2" de la page 12.
Les considérations sur ce "2" sont nulles et non avenues.
Pour le "8" du feuillet paginé "18", effectivement, il ne faut pas partir de l'idée d'un tracé à l'envers. L'habitude de tout le monde est bien de partir de la boucle du haut en revenant vers la droite puis de former la suite par le va-et-vient horizontal que l'on connaît. La fin d'écriture du "8" serait toujours du coup de finition de la boucle du haut par son côté droit. Evidemment, le tracé varie pour tout le monde. parfois on part sur un trait droit pour le début de la transcription, parfois on fait un bel arrondi pour commencer en revenant vers la gauche. Et les mêmes remarques valent pour la finition, boucle ou trait droit. Le trait frappant du "18" en question, c'est que ça part par un arrondi qui s'appuie sur un tracé de départ inhabituelle très à l'intérieur de la boucle, puis la forme arrondie du 8 est lancée pleinement et plus appuyé et quand le jeu de va-et-vient se termine on a une ligne droite oblique ascendante finale. Et cette configuration-là précisément n'a pas l'air d'être spécifiquement rimbaldienne. Sur les exemples donnés par Bardel, nous avons des exemples de jeunesse (1870-1872) où Rimbaud ne lâche jamais un trait droit final montant trop en hauteur, même si on en a l'amorce sur le "8" de la date manuscrite du "Dormeur du Val". On sent une écriture instable où le poète s'applique, mais avec pour résultat une forme assez moche, un tracé peu ferme quoique les masses soient équilibrées. Et on sent l'effort de bouclage. Pour l'unique extrait fourni d'une lettre de la vie adulte plus tardive, nous avons une lettre datée de "Chypre" qui contient deux "8". Or, l'écriture de Rimbaud a évolué. Le tracé est plus sûr, et Rimbaud a appris à améliorer le retour de la plume sur la boucle supérieure pour former un arrondi impeccable. Notons que le premier "8" a une boucle inférieure plus petite qui se rapproche aussi de celle du "8" du feuillet paginé 18, mais pour le haut les "8" chypriotes n'ont rien à voir. Mais, à la fin des fins, il est impossible d'identifier des spécificités rimbaldiennes pour l'époque 1874-1875, ni même dans l'absolu, à partir d'un tel échantillonnage. Là encore, les considérations graphologiques ne tiennent pas. Toutefois, le trait vertical final ascendant du chiffre "8" sur la pagination "18" reste un fait remarquable qui si une série était révélée dans un membre du personnel de la revue La Vogue ne serait pas sans conséquence en terme de démonstration.
Voilà tout ce qu'on peut dire sur ces études graphologiques pour l'instant.
Pour l'hésitation entre le titre "Illuminations" et "Les Illuminations", je pense qu'en effet le titre doit comporter l'article, puisque la publication sans l'article fut une initiative tardive de Bouillane de Lacoste. Les mentions "Illuminations" sur les manuscrits sont bien sûr abrégées, et n'ont pas été prises en considération. Vanier a publié lui aussi le recueil sous le titre "Les Illuminations".
Je n'avais pas d'avis sur le sujet, mais sur ce plan-là, le titre du recueil est bien Les Illuminations, même si la lettre de Verlaine avec la mention "Avoir relu Illuminations" n'est pas un témoignage à réfuter d'un revers de la main en prétextant une écriture elliptique. Mon idée finale, c'est que la présence ou l'article dans le titre n'était pas considérée comme un problème essentiel. Il est clair que Verlaine joue sur ce flottement. Il est possible que ces écrits postérieurs à 1886 prennent le parti de ce qui a été décidé, ce qui expliquerait qu'ils mettent parfois l'article en italique lui aussi dans ses citations. En tous cas, la publication originale comportait l'article et il faut en tenir compte. Je ne suis pas à cent pour cent sûr que Rimbaud n'ait pas eu en vue un titre sans article, surtout quand on songe aux titres des poèmes eux-mêmes, à peu d'exceptions près, mais la publication originale a une valeur philologique difficilement contestable dans le débat.

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