"Ah ! lire des articles du blog Enluminures (painted plates) au coin du feu pendant les vacances de Noël : je n'ai même pas eu le temps de lire le précédent article intrigant à propos de "Voyelles" et "Entends comme brame..." que voici déjà un autre article, celui annoncé sur les traits de séparation dans une série d'actualité consacrée aux manuscrits de Rimbaud !"
Voilà sans doute ce que vous vous dites en vous-même en attaquant la lecture du texte ci-dessous !
Il y a quelques mois, Alain Bardel a mis en ligne sur son blog un article intitulé "Sur les traits de séparation dans le manuscrit des Illuminations", article qu'il a daté tout en bas de la page internet du "26/04/2025".
L'étude est coiffée de ce que j'appellerai un chapeau, puisque nous avons le contraste d'une écriture oh ! bleu-violet pour le premier paragraphe, même si ça n'a pas l'air de convenir, puisque c'est simplement le paragraphe d'introduction. Bardel invite le lecteur à consulter le tableau fournis dans le présent article.et il annonce avec emphase l'importance de son sujet "les traits de séparation" comme l'indique le titre en nous tançant quelque peu : les traits de séparation "sont là autant d'indices et de traces du travail effectué par Rimbaud pour organiser son recueil, et autant d'énigmes que nous serions coupables de ne pas interroger."
Je ne sais pas ce que ça va m'apporter d'étudier ces filets de séparation, mais, pris de peur, je m'exécute.
J'observe tout de même que le paragraphe d'introduction de Bardel est assez confus. La première phrase donne la réponse à tout l'article : ces traits sont "employés à la séparation des poèmes". Et pourtant, Bardel dit dans la foulée que "leur fonction n'est pas toujours claire", qu'on ne comprend pas pourquoi certains sont biffés ou ont l'air de l'être.
Le paragraphe d'introduction n'est pas bien rédigé, mais l'idée c'est qu'il y aurait quelque chose de plus à découvrir.
J'avoue n'avoir jamais fait attention au fait qu'André Guyaux dans son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud ait reporté ces traits de séparation. Je ne consulte son édition que pour les commentaires, notes, je préfère lire les poésies de Rimbaud dans mes diverses éditions courantes. Dans cet article, Bardel ne mentionne pas ce fait, mais il en fait état sur d'autres pages de son site consacrées aux Illuminations, notamment dans l'article "La FAQ des Illuminations" de 2019, et il faut ajouter que dans son article de 2001 qui sert de référence ultime à Bardel, article du numéro 1 de la revue Histoires littéraires, Steve Murphy n'a pas parlé que de la pagination des manuscrits. Il faudrait aussi se reporter au livre Poétique du fragment d'André Guyaux. Bardel ne fait que rendre compte de travaux antérieurs, notamment de la part de Guyaux et Murphy, et l'idée est de trouver un nouvel axe pour justifier l'ordre canonisé des poèmes en prose dans le cas des Illuminations, vu que la pagination ça n'a pas suffi. La conviction de Bardel est moins tributaire de l'idée d'une pagination autographe que d'une constellation d'indices de remaniements et remords de plume sur les manuscrits en question, et les "traits de séparation" offrent un cas d'analyse transversale tout comme forcément la pagination.
Il est donc question de revenir là-dessus pour moi en interrogeant la fiabilité ou validité de la nébuleuse des arguments qui alimente la conviction de gens comme Steve Murphy et Alain Bardel.
Pour la pagination, leur raisonnement est tombé, à cause de deux arguments de plomb. De fait, le repassage à l'encre jusqu'à la page 9 coïncide avec le projet initial de la revue La Vogue de publier les neuf premiers feuillets paginés au crayon, et la mention au crayon "Arthur Rimbaud" montre que l'emploi du crayon est imputable à la revue La Vogue et ce constat vient rejoindre le constat que formulait déjà Guyaux dans Poétique du fragment : les vingt-quatre pages coïncident avec la publication des Illuminations dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue, et il faut ajouter que le feuillet 15 porte les indices manuscrits d'une reprise de la publication dans le numéro 6. Murphy et Bardel se fondent sur un argument psychologique qui n'a aucune valeur : puisque les feuillets 12 et 8 ont une pagination à l'encre qui ne repasse pas sur une pagination au crayon, c'est que les manuscrits en question ont remplacé des pages 12 et 18 antérieures. C'est ce que dit en toutes lettres Bardel dans sa "FAQ des Illuminations", je cite ce qu'il dit à la suite des fac-similés qu'il fournit des pages 18 et 19 du dossier manuscrit : "Quelqu'un a visiblement ôté les deux feuillets précédemment numérotés 12 et 18, dans le style original, pour y substituer ces nouveaux feuillets d'allure atypique." Là, il y a un problème de compétence scientifique, puisque Murphy et Bardel enferment le débat dans ce qui est clairement un préjugé. Ils sont convaincus que forcément il y a eu une suite paginée avec une présentation homogène des chiffres, de 1 à 24. Et ils sont convaincus qu'il y avait des feuillets paginés 12 et 18 qui ont été supprimés, feuillets qui dans leur théorie ne contenaient pas les textes actuels des pages 12 et 18, à savoir cinq poèmes courts et "Veillées" I et II, puisque ce serait pour fabriquer les séries que les manuscrits auraient été remplacés ! On se demande alors où sont passés les textes initiaux et même, plus encore, pourquoi nous n'avons pas parmi les feuillets non paginés des transcriptions sur un papier de même format que la plupart de la série paginée ! Puisqu'ils auraient été remplacés pour confectionner la série. Le raisonnement de Murphy et Bardel fait bon compte de l'importance de l'organisation en recueil, puisque les poèmes sont dégagés de l'ensemble ordonné, alors que Rimbaud aurait pu remanier une pagination qui était encore au crayon, il aurait pu décaler la pagination à deux reprises à partir des feuillets 13 et 19. Ajoutons que selon cette thèse de feuillets retirés les feuillets hypothétiques originaux étaient autonomes. Or, au-delà du feuillet paginé 18 à l'encre, nous avons des feuillets avec des enchaînement de transcription. Il y a deux feuillets pour "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare", tandis qu'il y a trois feuillets pour "Veillée" devenu III, "Mystique", "Aube" et "Fleurs" sachant que ce groupe fait partie du remaniement avec "Veillée" devenu "III". Donc, je répète ma question : où sont passés les manuscrits initialement paginés 12 et 18 ? Visiblement, comme dit Bardel, c'est la thèse des manuscrits remplacés qui ne tient pas face à l'analyse des faits.
La seule partie paginée qui a des chances d'être partiellement ou intégralement autographe, c'est l'ensemble des manuscrits de poèmes en prose que Vanier a publié en 1895, mais il reste des points d'achoppement. Notez qu'il y a six manuscrits et que cinq seulement sont paginés en chiffres romains. Plus précisément, dans le cas des poèmes publiés par Vanier, sur les manuscrits, ce sont les titres de poèmes ou le titre d'une série de poèmes qui sont numéotés I Fairy, II Guerre, III Génie, IV Jeunesse avec I Dimanche, le manuscrit II, III et IV n'est pas paginé, et le manuscrit de "Solde'" offre enfin la mention V. Et pour l'instant, je me pose encore des questions sur les manuscrits supports de publications originales de la part de Vanier.
Les poèmes en vers comme en prose publiés dans les numéros 7, 8 et 9 de la revue La Vogue ont été paginés en fonction de leur ordre de défilement dans la revue, avec le cas à part du manuscrit de "Promontoire" qui n'est pas paginé parce que remplacé par une copie allographe sur deux pages. Il y a peut-être une exception de pagination dans le cas de "Bottom" et "H".
Telle est la situation. La pagination des feuillets (non des poèmes) est même exclusive à la revue La Vogue, les manuscrits publiés par Vanier ne sont pas concernés !
Quant au respect des manuscrits que prétendent dresser les tenants de la pagination autographe, cela nous fait bien rigoler. Rimbaud était encore vivant en 1886, les poèmes sont publiés à son insu, et les éditeurs ne considéraient pas Rimbaud comme mort à l'époque. Les protes ont écrit sur les manuscrits qui ne leur appartenaient pas. Même les tenants de la pagination autographe tiennent des corrections pour allographe, la préposition "après" biffée au début de "Après le Déluge" : "Aussitôt après que l'idée du Déluge..." ou le "a" de "campagne" repassé en "o" pour donner "la main de la compagne" plus compréhensible que "la main de la campagne". Des manuscrits ont été vendus à des collectionneurs. Que faisait le manuscrit de "Promontoire" entre les mains du docteur Guelliot ?
Il n'y avait aucun respect des manuscrits. Ceux de "Dévotion" et "Démocratie" ont purement et simplement disparu, ainsi que ceux de "Paris se repeuple" et tous ceux utilisés par Verlaine pour l'article "Arthur Rimbaud" des Poètes maudits en 1883-1884.
C'est ça qu'il s'est passé, alors les histoires de respect...
Dans les premières éditions, Paterne Berrichon prenait l'initiative de modifier les poèmes ou les écrits de l'artiste, et pas forcément parce qu'il y avait une lacune qu'il était nécessaire de combler.
Ils ont fait ça comme des chacals, c'est ça la vérité !
Reprenons maintenant avec le cas des "filets de séparation".
Dans son article, Bardel fournit une légende à son tableau, puis le tableau récapitulatif lui-même qui est distribué en trois colonnes, sauf que dans son commentaire en quelques points Bardel me semble assez expéditif quant à la lecture des données du tableau.
On va y revenir.
En gros, il y a un contraste entre la série de 24 pages et les autres manuscrits. Dans la série de 24 pages, en général, Rimbaud ne biffe pas les traits de séparation et surtout il n'y recourt pas systématiquement. Les traits de séparation à la fin d'un poème sont plus nombreux dans le cas des manuscrits dits "non numérotés", ce qui est inexact au sens strict, puisqu'il y a d'autres paginations ou le repère des chiffres romains, et surtout les traits de séparation sont souvent biffés dans leur cas.
Bardel envisage la réponse, mais la noie dans les raisonnements. La suite homogène relève d'une transcription tardive qui s'est faite si pas d'une traite en un seul projet de recopiages des poèmes, et cela en février 1875 à peu près quand Nouveau était à Charleville, Bardel adhérant à raison à la thèse de Bienvenu sur le sujet. Mais Bardel n'en tire pas vraiment les conséquences. Il va considérer que sur les manuscrits plus anciens Rimbaud mettait des filets de séparation pour séparer chaque poème, ce qui va de soi, qu'il les a biffés pour les invalider, ce qui cette fois ne va pas de soi, et puis sur la série homogène il ne les aurait pas mis systématiquement parce qu'ils auraient une autre fonction.
Je pense différemment le problème de contraste du traitement.
Prenons les manuscrits au-delà des 24 pages. Plusieurs feuillets ne comportent la transcription que d'un seul poème : "Scènes", "Soir historique", "Mouvement" et "Solde". Il n'y a pas de trait de séparation dans le cas de "Soir historique", tandis que le trait de séparation de "Scènes" n'est pas biffé. Il est simplement repassé par deux lignes courbes qui ne correspondent pas à l'acte de biffer, et qui, même si on voulait le croire, ne correspondent pas aux traits de séparation biffés par de multiples petits traits verticaux pour "Mouvement", "Bottom", "H", "Solde", etc.
Donc, on a une variété de cas : une dominante des traits biffés avec "Mouvement" et "Solde", un cas de poème sans trait de séparation "Soir historique" et un poème avec un trait de séparation maintenu mais sentant le cafouillage : "Scènes".
La conclusion est qu'il n'y a pas une unité de conception sur cette liasse de manuscrits considérés comme plus anciens que la série homogène.
Or, sur la partie homogène, il y a un cas de poème transcrit sur un feuillet qui lui est exclusif dont le papier ne correspond pas à la série homogène qui est "Après le Déluge". "Après le Déluge" rejoint les cas de "Scènes" avec pour spécificité une ligne continue en bas de manuscrit (bizarrement, on croit voir des lignes du même type en plein sur le texte un peu plus hauts sur le fac-similé).
Au plan philologique, on ne peut pas traiter purement et simplement le manuscrit de "Après le Déluge" comme faisant partie de la série homogène.
"Après le Déluge" rejoint de toute façon le cas des poèmes où il y a simplement un trait de séparation à la fin d'une transcription de poème. Il n'y a pas là de quoi casser trois pattes à un canard.
Par ailleurs, pour être exhaustif, on peut rapidement jeter un oeil sur les cas dans la série homogène où un poème est publié seul sur un unique feuillet. Le cas est unique, c'est celui de "Parade" et son manuscrit ne comporte aucun trait de séparation, ni avant ni après le poème !
C'est d'ailleurs un fait remarquable que dans la série homogène "Parade" soit le seul poème à avoir son propre feuillet unique pour la transcription. Et dans la série de 24 pages, il n'est rejoint que par "Après le Déluge".
Passons maintenant aux cas des manuscrits où plusieurs poèmes sont reportés ensemble, mais sur un unique feuillet.
Là encore, les textes au-delà de la suite homogène se distinguent. Nous savons que "Promontoire" et "Guerre" étaient transcrits sur un seul feuillet avant même que le feuillet ne soit découpé. C'est pour cela que je n'ai pas fait figurer "Promontoire" dans l'ensemble ci-dessus avec "Mouvement", "Après le Déluge", etc. Et ici, il s'ouvre un sujet de réflexion intéressant. En découpant certains feuillets qui contenaient deux transcriptions de poèmes, Rimbaud recréait le principe d'unicité : un feuillet par poème, celui-là même qu'il applique dans le cas des manuscrits de poèmes en vers "nouvelle manière" dont les manuscrits sont plus anciens et d'ailleurs souvent déchirés (qu'on pense aux parties perdues de "Juillet" : "Je sais que c'est toi, [P...]" et "Nous sommes tes grands-parents..." : "Et mourrai [...]ent / Puis que je s[...]ent"). Ce principe d'unicité concerne plusieurs poèmes de l'au-delà des 24 pages, et cela inclut les poèmes découpés "Fairy", "Guerre", "Génie", "Promontoire", "Jeunesse I Dimanche". On ne saura peut-être jamais ce qu'il en est pour "Démocratie" et "Dévotion", un ou deux manuscrits, encore que la pagination des poèmes en vers pour les poèmes publiés dans la revue La Vogue pourrait apporter une réponse. Je crois identifier un "9" sur le coin supérieur gauche du manuscrit de "Ô saisons ! ô châteaux !" Et la version sans titre de "La rivière de cassis..." est paginée 10 !
Attention, dans le même catalogue, le manuscrit de "Larme" provient de Forain et Millanvoye. J'ignore où consulter le manuscrit sans titre de "Larme" qui devrait comporter la pagination 8. Il y aurait un ensemble de sept pages à identifier auparavant, ce qui ne convient pas, puisque "Mouvement" et "Bottom/H" tiennent sur deux manuscrits distincts. Il n'est pas possible de croire que "Démocratie" et "Dévotion" s'étalaient sur cinq pages, même en imaginant un manuscrit allographe étalé sur deux pages pour l'un comme pour l'autre poème. En clair, où cette pagination vient de la revue La Vogue et les poèmes paginés qui correspondraient à cet ensemble seraient à identifier parmi ceux qui ont fini entre les mains de Vanier, à moins de disparitions pures et simples, ou la pagination concerne bien des poèmes qui ont fini entre les mains de Vanier, mais la pagination serait tardive et indépendante de la publication originale.
J'avoue ne pas connaître la pagination complète, je vais voir si je peux y remédier ou si les rimbaldiens ont déjà reconstitué cette série.
Pour l'instant, on va se contenter de l'étude des traits de séparation.
Il y a d'abord le cas de "Fairy". Dans son cas, le papier semble avoir été découpé avant la transcription des poèmes "Veillées I et II". De toute façon, par rapport au papier originel, "Veillées I et II" ont une transcription couchée par rapport à "Fairy", le papier a été tourné à 90 degrés, le bas du papier devenant la hauteur pour la transcription de "Veillées I et II", passage de l'horizontal au vertical pour ce rebord du papier utilisé. "Fairy" devrait rejoindre le cas des poèmes où un papier comportait un seul poème en entier. C'était le cas avant le découpage. Or, "Fairy" est suivi d'un trait de séparation biffé. Quant à "Veillées I et II", chaque texte, le "I" comme le "II" est suivi d'un trait de séparation non biffé, sujet sur lequel nous reviendrons plus loin.
"Bottom" et "H" sont tous les deux suivis d'un trait de séparation et à chaque fois ils ont été biffés par des traits verticaux. Pour "Promontoire" et "Guerre", conséquence du découpage du feuillet, les deux traits de séparation non biffés encadrent la transcription du seul poème "Guerre". Les filets de séparation sont faits par des lignes courbes instables, ce qui nous rapproche un peu du cas de "Scènes".
Pour "Génie" et "Dimanche", là aussi le trait de séparation du texte supérieur, "Génie" cette fois après "Promontoire" a fini sur la limite supérieure du poème suivant "Dimanche", mais "Dimanche" a aussi son trait de séparation et lui est biffé. A noter que le trait de séparation était long après "Génie", mais court après "Dimanche".
Il ne reste alors qu'un cas particulier, celui avec les chiffres romains II, III et IV qui est devenu la suite de la série "Jeunesse" commencée par "Dimanche". Remarquez l'importance de telles précisions, puisque la transcription du manuscrit avec les chiffres II, III et IV serait postérieure au remaniement du manuscrit sur papier bleu ! En tous cas, la numérotation en chiffres romains.
Et le manuscrit est le lieu de plusieurs anomalies : la partie IV n'a pas de titre autonome contrairement à I, II et III dans l'optique de la série "Jeunesse", sauf à considérer que "Veillée" au crayon est de la main de celui qui a écrit au crayon "IV" et "Jeunesse" sur le papier bleu avec la transcription de "Dimanche"... Ce qui pose la question d'une éventuelle invention allographe de la série "Jeunesse".
En tous cas, sur le manuscrit II, III et IV, il y a un trait de séparation long biffé après le "II", aucun trait de séparation après le "III" et un trait de séparation concis non biffé après le texte "IV".
Quelle peut bien être la cohérence propre à ce manuscrit ?
Le trait de séparation qui a été biffé était assez long et il était à l'intérieur d'un regroupement de poèmes qu'atteste au minimum sur ce seul feuillet les chiffres II, III et IV. Rimbaud a donné des titres à deux des poèmes de ce manuscrit : "Sonnet" et "Vingt ans". Le titre "Sonnet" a probablement été inventé après la transcription du texte lui-même, après le constat que la transcription tenait sur quatorze lignes avec des rimes involontaires pour les premières lignes de la transcription. Par exception, ce titre qui du coup correspond à une "private joke" incongrue est soulignée deux fois à l'encre par un trait court. A l'évidence, Rimbaud lui-même a souligné ce titre, signe qu'il avait conscience que son titre était une invention accidentelle inhabituelle. Mais l'idée était séduisante et ouvrait des perspectives. Ce qui m'intéresse ici, c'est l'idée que le chiffre romain a dû être reporté dans un troisième temps. A l'inverse de l'ordre du manuscrit, Rimbaud a d'abord copié le texte, puis il a reporté le titre "Sonnet" au-dessus du texte, puis il a encore reporté un peu plus tard le chiffre II au-dessus du titre. Pour le trait de séparation qui fait tout le poème, il a pu être reporté immédiatement après la transcription du seul texte, éventuellement après le report du titre "Sonnet", mais pas après la mention du chiffre II. Ce qui permet de le penser, c'est que le titre "Vingt ans" est parfaitement centré par rapport à la transcription du poème suivant : "Vingt ans" donc, tandis que le "III" au-dessus du titre "Vingt ans" est à la fois au-dessus du filet de séparation, ce qui invitait à le biffer, et le "III" est un peu déporté, même pas dans l'alignement du "II" et du "IV", mais à cause du trait de séparation biffé pour éviter d'être sur un trait verttical ou sur la courbe qui débordait au centre du trait de séparation initial.
La transcription de "Vingt ans" est assez homogène avec une écriture qui a un faux-air de "à la manière de Léon Valade", je dis bien un "faux air". Rimbaud n'a pas eu à supprimer de trait de séparation après "Vingt ans" puisqu'il ne l'a pas écrit. Fait étrange, le texte bien isolé par un espace "Tu en es encore..." n' pas de titre propre. Il est précédé du chiffre IV sans qu'on ne puisse dire avec évidence s'il a été transcrit avant le texte ou après.e poème est suivi d'un trait de séparation bref non biffé et on peut penser que l'idée c'est que avec la constitution d'une série, il était normal de supprimer les traits de séparation après "I" ou "II", et d'en maintenir un pour signifier la fin de la série. Et comme il s'agit d'une création de série comme pour "Enfance" et "Vies", Rimbaud a pu éviter de le biffer, puisqu'il dispensait de chercher un "V" sur un autre manuscrit par exemple. Mais cela n'est qu'hypothèse psychologisante.
Le titre au crayon "Veillées" est-il réellement allographe ? Pourrait-il être de la main de Germain Nouveau ? Ne peut-on pas le comparer pour son "es" final à ce qui suit la partie biffée du manuscrit autographe de "Promontoire" ? Le "V" est quasi en caractère d'imprimerie et ne peut-on pas le comparer aux trois titres "Villes", "Villes", "Villes", au titre biffé au singulier "Veillée" et au titre au pluriel du feuillet 18 "Veillées". Pourquoi est-il considéré allographe alors que "Jeunesse" et "IV" sont considérés comme autographes ? Notons également que ce manuscrit contient un mot souligné à imprimer en italique "Homme" au début de "II Sonnet", sachant qu'il y a plusieurs mots soulignés à imprimer en italique dans le cas de "Génie", poème dont la transcription est liée à celle de "Dimanche" devenu "Jeunesse I". On tient peut-être l'exception de deux écritures au crayon par Rimbaud lui-même sur les manuscrits, ou alors il faut s'inquiéter de ces mentions au crayon et penser que la série "Jeunesse" jusqu'à son titre n'a pas été inventée par Rimbaud.
En tous cas, il n'y a aucune harmonisation systématique des traits de séparation sur la série de manuscrits au-delà de la pagination en 24 pages. Les traits de séparation sont pensés poème par poème et ne correspondant jamais qu'à des délimitations des fins des transcription. Rimbaud n'a pas biffé systématiquement ces traits de séparation, et les cas de "Bottom" et "H" sur un même manuscrit ou de "Solde", etc., nous montrent que les traits ont été biffés de manière dérisoire, puisque biffés ou non cela ne changeait rien aux délimitations des poèmes. Peut-être ont-ils été partiellement biffés dans la mesure où Rimbaud reportait les titres après les transcriptions des textes, mais l'étude de variation de l'encre ne permettra pas de constater un report des titres à la fin par une étude transversale des manuscrits. Le cas a l'air bien plus nuancé que ça. Je plaide donc coupable de ne pas m'intéresser aux traits de séparation biffés. On peut les étudier au cas par cas et constater que dans le cas de la série II, III et IV il était justifié de supprimer le trait après "II Sonnet". Tout cela n'aboutira pas à un système intéressant où se représenter la nécessité globale pour Rimbaud de les mettre puis de les supprimer. C'est comme les minuscules en tête des vers de six manuscrits, cela n'engage à rien. C'est du "peanuts" au plan des indices manuscrits.
Il reste alors le cas de la série paginée. J'ai déjà fait un sort à "Après le Déluge", je ne peux pas parler des traits de séparation pour le feuillet paginé 12, même si les trois croix font office de traits séparateurs. J'ai déjà parlé des traits de séparation conservés pour "Veillées I et II" et du contraste d'emploi avec "Enfance" et "Vies" comme avec la série "Jeunesse", vu le trait biffé après "Sonnet II".
Il reste alors le cas du manuscrit paginé 21 et 22 avec un cas unique de transcription au recto et au verso d'un feuillet manuscrit.
Mais avant d'en parler, évoquons les conclusions que Bardel a tiré pour sa part. Il distribue cela dans un texte intitulé "Quelques conclusions et hypothèses" divisé en quatre points.
Le point 1) affirme ceci à propos des traits de séparation biffés : "La régularité des traits de séparation biffés, en fin de poème, suggère qu'ils ont fait partie d'un système consistant à marquer d'un trait la transition d'un texte à un autre." L'ajout des titres a rendu cet artifice inutile si on peut dire. En réalité, les traits n'ont pas été biffés systématiquement, et il y a un cas où le trait est supprimé pour créer une série, le cas en-dessous de "II Sonnet". En revanche, pour la série "Veillées I et II", Rimbaud a dérogé à son principe, puisqu'il a maintenu le trait après "Veillées I".
Est-ce que nous apprenons des choses intéressantes ? Non. Est-ce qu'on peut créditer Murphy et Bardel de nous apprendre quelque chose avec leur mise au point ? Non.
L'idée de Bardel, c'est qu'en revanche on aura le cas insolite de traits de séparation au-dessus de poèmes dans la suite paginée. On verra ça plus tard.
Le point 2) est lié au premier puisque Bardel l'introduit avec une idée de conséquence : "Tout prouve donc..." Ce qui est prouvé, c'est le contraste entre l'emploi de ces traits dans la série homogène et sur les divers autres manuscrits. La série homogène est tardive et à part. Mais, derrière ces vérités de La Palice toutes prouvées, Bardel fait une hypothèse qu'il lie à son sentiment d'évidence, et qu'il lie indûment. Puisque sur la série homogène, les traits de séparation entre poèmes ne sont pas systématiques, c'est qu'il faut distinguer les cas où ils lui sont nécessaires des cas où ils sont inutiles, et dans le même ordre d'idées pour les autres manuscrits quand c'est biffé c'est inutile quand ça ne l'est pas c'est nécessaire.
J'en reste à l'idée que les manuscrits sont à étudier séparément en fonction de dates de recopiages distinctes, en fonction des recoupements entre certains manuscrits que favorise l'approche philologique, mais je récuse cette idée d'une étude transversale où, malgré les différences de traitement, on fait comme si Rimbaud avait médité une homogénéisation par-delà les différents "dossiers", je dis bien "dossiers", manuscrits.
Et vous vous en doutez, il y a encore à parler du cas du manuscrit de "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver".
Le point 3) de son étude concerne la série homogène, j'y reviens après. Quant au point 4) sur "les exceptions notables dans la dernière partie du manuscrit [sic !]", il parle de "Jeunesse" II, III et IV, mais ça n'a rien à voir avec l'étude précise des filets de séparation que j'ai menée plus haut. Bardel ne dit rien de l'ordre des transcriptions des titres, des textes et des chiffres romains, ne confronte pas le filet de séparation biffé au III, ne remarque pas qu'on peut opposer le trait biffé après le II et le trait maintenu après le IV en tant qu'indice de la série en train d'être créée. Il ne revient même pas sur la mention au crayon "Veillées" au crayon, comme s'il suffisait de réfléchir sur les traits de séparation sans coordonner la réflexion à ce que suggèrent d'autres indices. Bardel dit qu'il manque un trait avant le IV et qu'il est maintenu après le IV parce que la transcription serait sans doute tardive, et comme il est tard on peut être indulgent pour un air d'inabouti. Je n'invente rien : les traits ou l'absence de traits "laissent supposer que la transcription de ces poèmes s'est réalisée, elle aussi, à une époque tardive [...]". Je n'appelle pas ça une conclusion ou une analyse au plus près des filets de séparation.
Dans ce point 4), Bardel parle aussi du découpage qui concerne "Promontoire" et "Guerre", là encore sans rien dire d'intéressant, à tel point que Bardel ne dit rien, mais formule une question farfelue : Rimbaud n'a pas biffé les traits après le découpage, mais les a écrits avant le découpage parce que peut-être que ces poèmes-là ont été eux aussi copiés tardivement, ou bien ces traits biffés sur le seul poème "Guerre" sont l'indice d'un grand symbole thématique caractérisant l'ensemble des poèmes de la suite non paginée, du moins de tous ceux qui précèdent "Guerre", avec l'anomalie soit dit en passant du chevauchement des publications originales par la revue La Vogue et par Vanier. On nage en plein non-sens : un trait biffé "pour marquer l'achèvement d'un cycle de la guerre contre l'ordre bourgeois, susceptible d'englober tout ou partie des poèmes qui précèdent dans la troisième colonne du tableau ?" Ce n'est pas de l'étude philologique, ça ! Ce n'est même pas un raisonnement serré et cohérent dans son propos.
Passons donc à l'étude du manuscrit avec une transcription au recto et au verso.
Le point 3) de Bardel manque de rigueur. Normalement, en toute rigueur, il y a une différence de traitement des traits de séparation pour les transcriptions tardives sur un papier homogène, par opposition à tous les autres manuscrits, feuillets 12 et 18 compris ! Or, si je ne parle pas du feuillet 12 qui est vraiment à part avec les trois croix, et si j'ai déjà parlé de l'anomalie de "Veillées I et II" avec un trait de séparation pour chaque poème d'une série, il y a deux autres feuillets à extirper : celui de "Après le Déluge" et celui de "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver".
En toute rigueur, il faut traiter le manuscrit paginé 21 et 22 avec tous les manuscrits qui sont en-dehors de la série homogène. D'ailleurs, ce manuscrit est le seul de la série paginée avec des traits de séparation biffés. C'est un manuscrit avec une transcription au recto et au verso, avec un format de papier différent, des transcriptions particulièrement peu soignées et il a des traits de séparation biffés. Il n'a donc rien à voir avec la série homogène. Quant à son insertion par la revue La Vogue dans la série homogène, c'est qu'il s'agit d'un manuscrit qui offre un enchaînement de trois poèmes, alors que les autres manuscrits en-dehors de la série homogène offrent une transcription d'un sinon deux poèmes sur un feuillet, cas à part de "II", "III" et "IV", le manuscrit devenu suisse.
Et étonnamment, Bardel va considérer que ce manuscrit est la preuve d'une pagination autographe et d'un recueil ordonné par Rimbaud, sauf que le raisonnement fourni est incohérent, voire incompréhensible : "Mais pour quelle raison d'Orfer et Kahn auraient-ils inséré, parmi les calligraphies initiales, un texte à l'établissement aussi problématique que "Nocturne vulgaire" et inclus dans leur pagination un recto-verso au format et à l'apparence aussi atypiques que le folio 21-22 ? Cette décision ne peut s'expliquer que par la volonté de suggérer un lien thématique, au demeurant assez subtil et ténu, entre plusieurs pièces d'inspiration onirique et nocturne (un lien que Fénéon n'a pas vu puisqu'il éparpille ces textes dans son édition d'octobre 1886)."
Le raisonnement n'est pas tenable. Bardel avoue que le lien thématique qu'il attribue à Rimbaud est "au demeurant assez subtil et ténu", alors qu'il fait grief à Fénéon de ne pas l'avoir vu et du moins de ne pas en avoir tenu compte pour la réédition en plaquette. Mais, ce lien thématique, il faudrait déjà prouver sa validité critique au plan de prouver un ordonnancement voulu par l'auteur. Notons que la pagination désolidarise plutôt le cycle urbaine "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds", "Villes" puis une longue pause avant "Angoisse" et "Métropolitain" et par-delà "Barbare", "Promontoire" qui non paginé est dans la conscience de Bardel la page 25 du recueil manuscrit.
Il y a un moment où il faut être sérieux dans ses affirmations. Et c'est une pétition de principe que d'affirmer que le folio 21-22 a été mis là pour créer un lien thématique. Les manuscrits ont été publiés au petit bonheur la chance, puisque personne n'a remarqué l'oubli des titres "Les Ponts" et "Fête d'hiver", ni le problème des hybrides ou chimères qui en résultaient. On lit un texte sur des "Ouvriers" qui finit par parler de "Ponts". On lit un poème avec des retours à la ligne qui convient à son titre "Marine", sauf qu'au milieu du poème ça part en spectacle public avec chinoises de Boucher et rondes sibériennes, le poète rédigeant soudain un épais paragraphe.
Non, il y a un manuscrit qui est mélangé à la suite homogène, soit par Rimbaud, mais justement on n'en voit pas la raison, soit par Vanier. Et puisque Bardel joue à trouver absurde l'attribution du geste à la revue La Vogue, opposons l'idée d'étrangeté si ça doit venir de Rimbaud. Pourquoi une série homogène si en plus des remaniements pour faire des séries, nous avons "Après le Déluge" en tête de la série sur un papier distinct et ce folio 21-22 qui est glissé là sans supposer un remaniement de série ?
Si la série homogène est pensée comme ordonnée en recueil, au moment des transcriptions Rimbaud doit avoir une idée de l'enchaînement des poèmes. La théorie de Murphy, Bardel et d'autres, c'est que Rimbaud crée le recueil en subissant la contrainte des enchaînements déjà effectués. Je le disais plus haut : où sont les feuillets paginés 12 et 18 initiaux, puisque Murphy et Bardel prétendent qu'ils ont existé, en présupposant qu'ils ne sont pas inexploitables, mal rédigés, puisqu'il aurait été seulement question de les remplacer ? Le folio 21-22 n'est pas n'importe où dans la liasse, il vient avant les deux derniers feuillets de la série homogène qui à cause d'un enchaînement des transcriptions ne pouvait pas être séparé. Qui plus est, vous avez un feuillet différent page 1, un feuillet différent page 12, un feuillet différent page 18 et un feuillet différent qui fait les pages 21 et 22 à lui seul. On aurait un ensemble harmonisé si un feuillet était glissé entre les pages 6 et 7 en quelque sorte.
"Nocturne vulgaire" a un trait de séparation non biffé après sa transcription, mais il serait difficile de le biffer vu qu'il est écrit sur le rebord inférieur même du feuillet manuscrit, lequel est sans doute rogné sur ce bord inférieur.
Contrairement à Bardel qui insiste sur la transcription peu soignée de "Nocturne vulgaire", ce qui me choque c'est le manque de soin des transcriptions de "Marine" et "Fête d'hiver" au verso, et ce qui rend cette critique plus légitime c'est qu'effectivement les protes de la revue ont oublié de reporter le titre "Fête d'hiver". On a oublié de le souligner comme titre, puis on a oublié de relever son absence. Or, entre la dernière ligne de "Marine" et le titre "Fête d'hiver" il y a un long trait de séparation qui a été biffé grossièrement par des traits ondulés, le titre "Fête d'hiver" étant tassé tout contre juste en-dessous.
En quelques sorte, en croyant bien faire en biffant le trait, Rimbaud a sali encore plus un manuscrit et rendu peu visible le titre du poème suivant, à tel point que c'est un des éléments qui expliquent l'erreur de la revue La Vogue. Avec sa compulsion psychologique à inutilement biffer les traits de séparation, Rimbaud a favorisé une bévue des éditeurs.
Voilà ce qu'objectivement on peut conclure de l'observation attentive du manuscrit.
Rimbaud a également biffé le trait de séparation qu'il a mis à la suite de "Fête d'hiver" en bas du manuscrit. Mais ces filets de séparation biffés coïncident avec les cas de "Bottom" et "H", ça ne va pas plus loin. Enfin, exception dans l'ensemble des transcriptions, Rimbaud a mis des lignes ondulées de chaque côté du titre "Marine" ce qui a un air de trait de séparation. J'observe que Bardel ne relève pas ce double emploi unique, puisque du coup il y a un trait de séparation en-dessous de "Nocturne vulgaire" et un au-dessus de "Marine", deux poèmes pourtant successifs dans le dossier paginé.
"Marine" n'était-il pas le recto du manuscrit finalement ? La revue La Vogue aurait publié le manuscrit en inversant le recto et le verso. Si on prend la thèse de Guyaux, Murphy et Bardel dans sa pleine rigueur, le trait de séparation de "Marine" ne peut pas venir après celui à la fin de "Nocturne vulgaire".
Il serait un peu facile de dire que les lignes ondulées ne sont pas un trait de séparation parce qu'elles son à hauteur du titre "Marine", cette mise à niveau ne change rien au fait que ce sont des traits séparateurs en tant que tels.
A cette aune, la solution la plus simple, c'est de ne pas chercher à faire dire aux traits de séparation au-dessus des poèmes, comme aux traits biffés tout un système de représentations qui ne s'impose pas. Rimbaud est incohérent dans le traitement des traits de séparation, c'est une réalité de fait. Qu'est-ce que vous voulez de plus ? Il a le droit d'avoir un comportement erratique sur des éléments qui ne changent rien à l'édition des poèmes.
Parfois, on croit que quelque chose est important, et ça ne l'est pas.
Parfois, on veut résorber un sentiment d'incohérence au détriment de la réalité d'une attitude incohérente.
Et, bien évidemment, il faut renoncer à uniformiser l'interprétation par-delà des manuscrits qui participent de phases de recopiages inconciliables entre elles, surtout quand on met sur le même plan des traits de séparation biffés et des absences de traits de séparation sur les manuscrits.
La singularité, c'est que sur la série homgène, autrement dit sur la suite paginée à l'exclusion des pages 1, 12, 18 et 21-22, Rimbaud a parfois mis un trait de séparation au-dessus du titre de poème, et tout au haut du feuillet. Notez que le cas de "Marine" est assimilable à un trait de séparation pour marquer le début du poème, mais sous une forme exceptionnelle, qui lui est propre.
Vingt-quatre moins cinq, il n'y a que dix-sept cas à éplucher pour les haut de feuillets. Rimbaud a mis un trait de séparation sur seulement trois d'entre eux, au-dessus de la série "Vies", au-dessus de "A une Raison", au-dessus de "Angoisse", trois hauts de feuillets contre quatorze. Si on tient compte des enchaînements sur des feuillets, cela fait trois hauts de feuillets contre neuf groupes délimités. C'est un pur caprice qui ne prête pas vraiment à conséquence. Rimbaud n'a pas mis de trait de séparation à l'intérieur des parties numérotées de "Enfance" et "Vies", ce qui veut simplement dire que Rimbaud reporte le trait séparateur en-dehors des séries qu'il constitue, exception faite de "Veillées" I et II. "Conte", "Parade", "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." ne sont suivis d'aucun trait de délimitation de fin de transcription. Rimbaud ne s'y applique pas. Notons que la pratique d'enchaîner les copies de plusieurs poèmes à la suite ne lui était pas familière pour les vers et même pour les proses malgré des cas à part : "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver" ou "Bottom"/"H".
Rimbaud a d'autres chats à fouetter que de vérifier scrupuleusement s'il met bien des traits de séparation partout. Parfois il y pense et il s'y applique jusqu'à l'absurde, parfois il n'y pense pas du tout.
Pourquoi chercher une explication plus élaborée.
Et comme Rimbaud n'y pense pas à maintes reprises et vu l'état paginé, nous avons des rimbaldiens qui pensent que Rimbaud a regroupé deux poèmes "Départ" et "Royauté" d'un côté et de l'autre une longue série : "A une Raison", "Matinée d'ivresse", "Phrases" en huit parties, "Ouvriers", "Les Ponts" (oublié dans le tableau de Bardel), "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds", "Villes" et "Veillées I", "Veillées" II et III sont un sous-groupe séparé de "Veillées" I dans la théorie de traits pour définir des groupes de poèmes !
De "A une Raison" à "Veillées" III en ayant l'indulgence de ne pas prendre en compte le cas de "Veillées I et II" cela fait un ensemble de 10 feuillets plus le début d'un onzième ! Ce qui est conséquent sur un dossier de 24 pages, dix ou onze pages sur vingt-quatre.
Dans le cas de "Départ" et "Royauté", Bardel avoue lui-même que le recoupement n'a aucun sens probant : "le premier célèbre le "départ" en général, tandis que le second semble recueillir et transposer le souvenir d'une anecdote de la vie de l'auteur", et je laisse Bardel seul responsable de son interprétation du côté biographique.
Selon Guyaux, Bardel et Murphy, Rimbaud a créé les sections suivantes : la section du poème liminaire "Après le Déluge", la section qui est une série "Enfance", la section "Conte", "Parade", "Antique", "Being Beauteous", "Ô la face cendrée...", qui est tout un programme, la section des trois "Vies", la section "Départ" et "Royauté", la section formulée plus haut que va de "A une Raison" à "Veillées III", puis la section "Mystique", "Aube", "Fleurs", "Nocturne vulgaire" qui s'accommode un peu vite du changement de type de papier, puis la section "Marine", "Fête d'hiver" et enfin la série "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare".
Notez que Rimbaud a biffé le trait de séparation au bas de "Fête d'hiver", mais qu'il en a mis un au-dessus de "Angoisse". Si ça, ça a du sens dans la suite paginée... ?
Dans certains cas, il se pose la question d'un report des transcriptions en fonction de la place disponible, et on remarque que cela pourrait bien être le cas pour "Conte" à la suite de "Enfance" et pour "Royauté" à la suite de "Vies" et "Départ", les deux poèmes "Conte" et "Royauté" ayant des affinités thématiques plus qu'évidentes sont séparés l'un de l'autre, mais tels qu'ils sont transcrits on a plus l'impression qu'il fallait optimiser la place disponible sur les feuillets.
Rien ne permet d'affirmer que "Conte" a été écrit à la suite de "Enfance" pour organiser l'ordre des poèmes dans un recueil, rien ne prouve la même chose pour "Départ" et bien sûr "Royauté".
En clair, même dans les cas où les poèmes s'enchaînent pour la transcription, on ne peut pas affirmer la volonté de faire se succéder précisément ainsi les poèmes dans un recueil. Il en va parfois différemment, ainsi l'écho entre "nouvelle harmonie" et "ancienne inharmonie" permet d'envisager comme pertinente la succession de "A une Raison" et de "Matinée d'ivresse", un peu comme si "Matinée d'ivresse" racontait la fin de l'expérience de "A une Raison". Mais ces cas sont rares et il n'est pas non plus étonnant de trouver des suites qui ont du sens. Ce qui manque, c'est le constat d'un procédé systématique de liaison des poèmes l'un après l'autre.
Dans certains cas, l'enchaînement des poèmes est déconcertant. Bardel l'avoue pour "Départ" et "Royauté, et la question se pose clairement pour "Conte" dont on ne comprend pas pourquoi il viendrait naturellement après "Enfance". S'il faut rassembler les poèmes qui ont des thèmes similaires, pourquoi le cycle urbain est-il aussi discontinu ? Les feuillets qui contiennent "Veillées", "Mystique", "Aube", "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" pourraient être déplacés à la suite de "Phrases", ce qui nous offrirait une suite continue "Ouvriers", "Les Ponts", "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds", "Villes", "Angoisse", "Métropolitain" avec pour seul cas incongru "Barbare", surtout si on enchaîne avec "Promontoire" et "Scènes"...
Bardel et Murphy n'ont même pas exploité en faveur de la pagination autographe le trait de séparation qui vient après "Veillée" remanié en III. Mais il y a des raisons, puisque le trait de séparation a l'air d'avoir été écrit à la suite de la transcription qui s'accommodait du titre "Veillée". Les remaniements à l'encre foncée seraient ultérieurs, et en tous cas pas de la même encre. Car, moi aussi, je peux inventer des raisons d'apparence fiable pour faire croire que la pagination est autographe.
Il faut éviter de surinterpréter les indices, et le cas des traits de séparation en est un bon exemple.
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