On l'a vu et revu, les paginations en chiffres arabo-indiens des Illuminations sont nécessairement allographes. Il en va différemment des chiffres romains dont certains sont indiscutablement utilisés par Rimbaud lui-même. En gros, l'idée d'un ordre des manuscrits par la pagination ne résiste pas à l'analyse, mais des éléments dessinant un ordre partiel demeurent. Par une autre voie, à l'inverse, nous montrons que les manuscrits des poèmes en prose et des poèmes en vers "nouvelle manière" n'étaient pas mélangés les uns dans les autres, puisque si nous pouvons imaginer que les éditeurs les aient séparés on ne peut pas concevoir qu'ils aient conservé "Mouvement" parmi l'ensemble des poèmes en prose, alors qu'ils l'ont imprimé comme un poème en vers et qu'ils ne connaissaient ni le débat chronologique ni l'argument de datation des "f" bouclés de Bouillane de Lacoste.
Sans pagination unifiée, sans titre de la main de Rimbaud, sans table de sommaire, il n'y a aucune raison de parler d'un recueil ordonné par Rimbaud. Cela n'empêche pas d'essayer de déterminer l'ordre le plus probable de la liasse manuscrite dans le temps, mais avec bien sûr une limitation à cette réflexion, c'est que des manuscrits peuvent être changer de place de 1878 à 1886 et l'état des manuscrits évoluait encore au-delà de 1886 avant qu'il ne se stabilise dans des bibliothèques ou chez des collectionneurs ayant mis le prix.
Dans cette étude, je vais prendre aussi en considération les manuscrits des poèmes en vers et je reprendrai la désignation "dossier de 1886" pour les distinguer.
De l'ensemble désormais paginé, il y a une suite sur un format de papier homogène. Grâce à cette homogénéité au sein de la liasse, il y a très peu de chances que nous ayons perdu un feuillet manuscrit de cet ensemble. Il serait amusant que je sois démenti si on retrouvait un jour les manuscrits ou le manuscrit de "Démocratie" et "Dévotion". Qui plus, si on fait abstraction pour l'instant des feuillets d'un format différent dans la suite de 24 pages, nous avons un autre fait intéressant. L'ensemble tel qu'il nous est parvenu offre le cas intéressant où le verso du dernier feuillet comporte la transcription biffée du premier paragraphe du premier poème de la série, le premier paragraphe biffé de "Enfance I" avec quelques variantes. Cela donne l'idée que Rimbaud aurait recopié ses poèmes en faisant une erreur dès le début, il aurait repris son travail de transcription en évitant désormais d'avoir à recommencer et il aurait laissé le feuillet biffé pour la fin. On peut donner une variante à cette explication trop parfaite. Rimbaud a pu copier une première fois "Enfance I", puis il aurait repris le travail de transcription et aurait commis l'erreur de refaire une copie de "Enfance I". Cette variante fait que nous n'avons pas à supposer par quel texte Rimbaud a commencé ses mises au propre. Ce qui nous intéresse, c'est que le papier biffé a été reporté à la fin et est devenu un verso, et cela s'est fait avant la transcription des trois poèmes "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare", ce qui implique également que ces trois poèmes étaient les dernières transcriptions de la série homogène.
Cette série homogène a eu une existence initiale en soi et pour soi. Il est également intéressant de la prendre en compte avant de considérer de quelconques remaniements.
Il faut ajouter que les interventions de Germain Nouveau que Bouillane de Lacoste a identifiées concernent exclusivement des manuscrits de cet ensemble homogène. Germain Nouveau a pris le relais de Rimbaud pour recopier la fin de "Métropolitain", l'avant-dernier poème de la série de transcriptions selon l'hypothèse probable que permet de formuler le paragraphe biffé de "Enfance I". Germain Nouveau a commencé à prendre la plume laissée par Rimbaud après la première phrase à l'impératif du troisième alinéa : "Lève la tête". Je constate en effet que Nouveau a une manière particulière de transcrire les "s" de fin de mots, cela ressemble un peu à l'écriture énervée de Rimbaud après la partie biffée du manuscrit autographe de "Promontoire", mais ça ne s'y confond pas, la manière de Nouveau étant plus propre, tandis que Rimbaud était plus chaotique dans la fin de transcription de "Promontoire". Nouveau a une tendance à faire un trait allongé qui n'est pas de l'ordre de l'arabesque, des jolies boucles, mais cela y correspond en idée. C'est lié à un plaisir de l'écriture. Nouveau a aussi une façon particulière d'écrire les déterminants : "le", "ce", "ces", etc., il ne fait pas de boucles et ne les écrit pas tout le temps de la même façon, mais on ressent un double impératif contraignant de minimalisme et stylisation : "ce pont", "les derniers masques", "ces masques enluminés", "les crânes", "les autres fantasmagories". Pas habitué, j'hésite même à identifier un "c" ou un "l" : "le pont" ou "ce point", "les masques" ou "ces masques". Je suis frappé également par l'attaque en lettre minuscule du quatrième alinéa : "des routes bordées..." Je n'aurais jamais moi-même spontanément différencier les écritures de Nouveau et de Rimbaud, cela résulte d'une lente et laborieuse étude de la forme des lettres. Nouveau est donc intervenu sur un poème de la fin de la série des transcriptions et sur un poème à motif urbain. L'intervention de Nouveau est encadrée par les actes de Rimbaud, puisque Rimbaud a d'abord recopié "Angoisse" et le début de "Métropolitain", puis en-dessous de la transcription de Nouveau sur le dernier feuillet, celui qu a au verso un texte biffé, Rimbaud a recopié "Barbare".
Nouveau a permis à Rimbaud de se reposer lors d'une fin de transcription de la série homogène. Et l'intervention de Nouveau permet de cerner la date des transcriptions. Grâce à la lettre à Andrieu de juin 1874 et à Jacques Bienvenu qui en a étudié le défaut de "f" bouclés, nous savons que les transcriptions de la série homogène n'ont pas eu lieu dans la période londonienne d'avril à juin 1874, mais vers janvier-février 1875, avant le passage de Verlaine à Charleville. Cela a son importance, puisque dans le cadre de réflexion antérieur, la période de composition pour des Illuminations postérieures à Une saison en enfer selon la doxa initiée par Bouillane de Lacoste était anormalement courte, surtout que le mois de juin était moins probable pour une intervention de Nouveau que les précédents. La lettre à Andrieu nous apprend aussi que Rimbaud joue désormais à poser faussement à la manière d'un voyant, ce qui permet d'affronter différemment les contradictions évidentes que les rimbaldiens n'ont jamais assumé entre Une saison en enfer et "Vies", "Génie", etc. Ce n'est pas normal que Rimbaud dise qu'il ait trouvé la "clef de l'amour" et qu'il attende la folie dans un texte postérieur à Une saison en enfer où il dénonce la folie, en fait quelque chose de son passé et rejette la "charité" en s'avouant aussi s'être nourri d'illusions et de mensonge. Au début de l'année 1875, Rimbaud va partir en Allemagne pour un nouveau travail, il vit chez sa mère, on peut concevoir qu'il n'ait pas les moyens de s'acheter autant de papier qu'il le souhaite pour recopier tous ses poèmes. Et on sait que le projet est de faire publier les poèmes en prose qu'il vient de recopier, grâce à une lettre de peu ultérieure de Verlaine.
Rimbaud a commis une erreur immense par négligence, il n'a pas paginé tous ses manuscrits, ni la série homogène, ni les autres.
Rebondissons à partir de l'intervention de Germain Nouveau. Celui-ci a également transcrit un autre poème de l'ensemble. Il a recopié l'un des deux poèmes intitulés "Villes" au pluriel, celui qui commence par : "L'acropole officielle..." J'en profite pour dire que son écriture ne coïncide pas malgré l'inclinaison à l'écriture allographe des deux occurrences à l'encre "Illuminations" sur le manuscrit autographe de "Promontoire". Nouveau a recopié cette fois tout un poème à lui tout seul et cette transcription est à cheval sur deux feuillets. Nouveau a recopié le poème à la suite de la transcription de "Vagabonds" par Rimbaud, transcription qui vient elle-même après la transcription du premier poème intitulé "Villes" au pluriel.
Ici, on peut s'arrêter un instant à quelques réflexions.
Le cas du paragraphe biffée de "Enfance I" nous apprend que la transcription des textes peut précéder le report d'un titre et même des chiffres romains. Le texte biffé "Cette idole..." n'est précédé d'aucun titre, d'aucun chiffre. Ou ce principe était systématique et concernait aussi "Antique", "Matinée d'ivresse", etc., ou le procédé n'était pas systématique ou le procédé était réservé à des constitutions de séries pour des poèmes initialement séparés. Dans la série homogène, il est impossible que les trois parties de "Vies" aient jamais été séparées, il y a des liaisons étroites entre les trois textes. Mais la question se pose pour les cinq parties de "Enfance" et bien sûr pour la série intitulée "Villes" au pluriel.
Et ce qui est intéressant, c'est que les interventions de Nouveau coïncident avec le travail sur "Enfance" et sur "Villes", puisque Germain Nouveau, qui a écrit sur quatre feuillets distincts en tout, a écrit sur le manuscrit où le début de "Enfance I" est biffé et il a recopié l'un des deux textes intitulés "Villes", et cet intérêt se redouble d'une autre considération : la présence de chiffres romains pour les cinq parties de "Enfance", mais aussi autour des deux poèmes intitulés "Villes".
Il faut ajouter à cela que les interventions de Nouveau tendent à se trouver à la fin de la série homogène, ce qui peut s'expliquer. Nouveau a proposé son aide quand Rimbaud a commencé à se sentir fatigué de recopier autant de textes à la suite. On pourrait imaginer aussi que les deux poètes ont recopié des textes en même temps, chacun de leur côté, selon une hypothèse où l'aide de Nouveau ne serait pas que contre la fatigue, mais permettrait d'accélérer le travail de mise au propre.
Il y a tout de même un fait à remarquer. Si on prend en considération les enchaînements de transcriptions sur plusieurs feuillets, Nouveau n'a pas fourni sa propre suite de transcriptions. Nouveau a recopié à la fin d'une suite rimbaldienne : "Ce sont des villes !", "Pitoytable frère..." et donc de lui "L'acropole officielle..." Puis, Nouveau est intervenu au milieu de la série "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare". Cela fragilise l'idée qu'ils recopiaient en même temps. On a plutôt l'impression d'une alternance ménageant deux pauses pour Rimbaud.
Ici, il y a deux faits troublants. Il ne faut pas oublier que c'est une probabilité, mais pas une certitude que Rimbaud et Nouveau aient transcrit en dernier "Métropolitain" et "Barbare" sur le feuillet qui contient la partie biffée de "Enfance I". Il n'y a pas de loi physique qui impose ce constat. Or, Rimbaud a abandonné la transcription de "Métropolitain" en son cours, et même après la première phrase du troisième alinéa. En clair, on peut se demander si la première transcription effectuée par Nouveau n'est pas la fin de "Métropolitain", et dès lors rien n'empêchait plus Nouveau de recopier un poème long entier tel que "Villes".
Il y a un autre fait troublant. Telle qu'elle nous est parvenue, la série homogène de recopiages est constituée de groupes de feuillets qu'on peut déterminer par les enchaînements de certaines transcriptions. Si on écarte les feuillets d'un format différent. Nous avons trois derniers groupes. Le groupe "Villes", "Vagabonds" et "Villes" où Nouveau termine la série de transcriptions, le groupe "Veillée", "Mystique", "Aube" et "Fleurs" qui est très propre et du seul fait de Rimbaud, puis le groupe "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare" où Nouveau intervient à nouveau, mais entre deux "sessions" de Rimbaud si on peut dire.
On peut se demander si la suite de "Veillée", "Mystique", "Aube" et "Fleurs" n'est pas antérieure aux transcriptions de "Villes", "Vagabonds" et "Villes". J'ai l'impression et il faut étudier l'hypothèse que les transcriptions des deux groupes de copies témoignant de la participation de Nouveau furent en réalité les deux dernières et même qu'elles se firent probablement dans la foulée le même jour. Je n'émets qu'une hypothèse, mais nous en avons besoin pour nous détacher de l'acceptation passive de l'ordre des feuillets tels qu'ils nous sont parvenus. Si ces deux groupes furent les derniers, on a une alternance de pauses pour Rimbaud qui est plus compréhensible.
En tout cas, je vois mal pourquoi Rimbaud aurait attendu le milieu de transcription de "Métropolitain" pour laisser intervenir Nouveau si celui-ci avait déjà transcrit l'intégralité de "L'acropole officielle..." Le rubicon était déjà franchi si j'ose dire. Rimbaud n'avait pas besoin de se forcer à commencer la transcription de "Métropolitain" s'il ne s'en sentait plus la force. Je ne dis pas que c'est certain, mais je trouve plus naturel de considérer que la lassitude a frappé d'un coup Rimbaud au milieu de la transcription de "Métropolitain" et qu'ainsi il a pu laisser la plume à Nouveau.
Mais, dans ce cadre, on en revient à l'idée qu'on ne sait pas exactement quelles furent les premières transcriptions de la série homogène. Il ne s'agirait pas forcément de "Enfance" et surtout on voit que Rimbaud n'aurait pas attendu d'avoir épuisé toute sa réserve pour se servir du feuillet où un paragraphe de "Enfance" a été biffé. Après tout, Rimbaud ayant déjà décidé du sort de ce feuillet, il n'était pas obligé d'attendre pour s'en servir. Nous raisonnons à partir du résultat final où le texte biffé est le verso final de la série paginée, mais ça ne veut pas dire grand-chose sur l'ordre des transcriptions en réalité.
Il faut aussi envisager un autre cas de figure, des transcriptions en cours sur plusieurs groupes déjà établis de trois ou quatre feuillets. Par exemple, il y avait déjà trois feuillets pour la série "Villes", "Vagabonds" et "Villes", mais seuls deux feuillets avaient des transcriptions de "Villes" et "Vagabonds", et au lieu d'achever Rimbaud aurait écrit le début de la suite "Angoisse", "Métropolitain", aurait laissé Nouveau intervenir et puis aurait transcrit "Barbare", tandis que Nouveau écrivait "Villes". Ou bien on peut imaginer cet autre scénario. Rimbaud aurait écrit "Ce sont des villes" et "Pitoyable frère", puis Nouveau aurait écrit "L'acropole officielle...", pendant que Rimbaud recopiait "Angoisse" et "Métropolitain". Rimbaud ayant un peu traîné, et étant fatigué, Nouveau aurait eu le temps de recopier un texte long et aurait remplacé Rimbaud pour recopier la fin de "Métropolitain", mais lui aurait laissé le soin de la copie finale de "Barbare", d'autant que Nouveau avait du mal à déchiffrer certains mots sur lesquels Rimbaud est revenu.
J'essaie d'envisager tous les cas de figure pour ne m'enfermer dans aucun préjugé.
Le sujet important, c'est les chiffres romains incohérents I et II pour les deux poèmes intitulés "Villes" au pluriel.
Seul un des deux poèmes justifie le titre au pluriel : "Ce sont des villes !" L'autre poème ne décrit qu'une seule ville, ce qui ouvre la voie à l'idée que Rimbaud a renoncé à une série de trois poèmes, puisque nous avons un poème intitulé "Ville" au singulier qui ne s'est pas fondu à l'ensemble. Cela est similaire à l'existence initiale d'un couple de deux poèmes réunis sous le titre au pluriel "Veillées", tandis qu'un autre poème demeurait avec le titre au singulier "Veillée".
Il est dommage que je ne puisse pas consulter moi-même les manuscrits et que je doive me contenter de fac-similés. Sur le feuillet paginé désormais 15, la transcription de "Ce sont des villes !" est donc flanquée d'un titre "Villes" et d'un "II" à l'encre plus foncée qui sont l'un sur l'autre. Je ne sais pas spontanément quand je consulte ce manuscrit quel est l'élément qui est superposé à l'autre. Je trouve l'encre un peu pâle du mot "Villes" si c'est lui qui s'est superposé au "II". Toutefois, sur le manuscrit, le "II" est biffé de trois petits traits. Les trois éléments à considérer sont tous écrits à l'encre si je ne m'abuse.
Pour l'autre titre "Villes", il est suivi d'un chiffre romain "I", mais les deux éléments ne sont pas l'un sur l'autre. Il y a en haut le titre "Villes" et en-dessous le chiffre romain I. Contrairement au titre "Vagabonds", le titre "Villes" sur le même feuillet n'est pas suivi d'un point servant à délimiter un titre. Le "V" est plus stylisé que le "V" du titre "Villes" de "Ce sont des villes", lequel est rudimentaire et identique au "V" du poème intitulé "Ville" au singulier.
L'analyse critique des chiffres romains consiste à dire que Rimbaud a dû renoncer à une suite "Villes" : "L'acropole officielle..." et "Villes" : "Ce sont des villes !" à cause d'une erreur de recopiage, puisque Nouveau, sans que ce ne soit lui le fautif, puisqu'il devait suivre les consignes de Rimbaud, a recopié "L'acropole officielle..." à la suite de "Vagabonds".
Cela me laisse perplexe.
Le travail de recopiage a pu se faire dans une certaine confusion. Je remarque que dans la suite telle qu'elle nous est parvenue nous avons une alternance : "Ville", "Ornières", "Villes", "Vagabonds" et "Villes", où "Ornières" et "Vagabonds" seraient les contrepoints. Je me garde d'affirmer que tel est le cas. Le poème "Villes" "L'acropole officielle" a été recopié là où il restait de la place, et il en restait peu selon l'hypothèse probable de contributions tardives de Nouveau. Soit la numérotation était prévue, et il y a eu un cafouillage lors du recopiage. Soit l'idée de la numérotation est venue ensuite à Rimbaud qui aurait alors réalisé trop tard que sa mise au propre le trahissait.
Dans son premier livre sur Rimbaud, Rimbaud ou le "dégagement rêvé", Bruno Claisse a démontré qu'il y avait des répétitions de mots qui créaient un jeu de miroir entre les deux poèmes intitulés "Villes" au pluriel. Il me semble assez clair que les deux poèmes sont solidaires et que le titre au pluriel "Villes" pour "L'acropole officielle..." ne convient que dans un tel cadre de compréhension. Et la numérotation invite à penser que nous passons du constat décevant de "L'acropole officielle" à la féerie livresque "Ce sont des villes" des ouvrages de vulgarisation sur la transformation industrielle, en Amérique notamment. Pourtant, face à quelques rimbaldiens qui ont voulu rétablir dans le recueil l'ordre des chiffres I et II, les tenants de la pagination autographe ont poussé des cris d'orfraie.
Pour la transcription de "Villes" par Nouveau, il est important de déterminer si le titre est de la main de Rimbaud ou de Nouveau. Il faut aussi déterminer si le I a précédé le report du titre. Je remarque que le I est calé assez bas près du texte, les manuscrits utilisés par Vanier fournissant d'autres exemples. Le "II" biffé était-il antérieur à la transcription du titre "Villes" qui le remplace ? Le chiffre I est biffé par trois ou quatre traits horizontaux courts tout comme le chiffre II, je suppose à l'encre, peut-on en déterminer le caractère autographe ?
Il faudrait patiemment étudier tous les passages biffés, toutes les ratures des manuscrits des Illuminations.
Je remarque qu'aucun des deux titres "Villes" au pluriel n'est suivi d'un point final. Cela s'oppose au titre "Ville" au singulier qui cumule le point et l'allongement de la dernière lettre, le "e" de singulier. En tous cas, Rimbaud n'a pas daigné créer la série des trois villes, ce qu'il aurait pu minimalement assurer en mettant au pluriel le premier poème. Il aurait pu aussi numéroter les trois poèmes en chiffres romains, sans s'inquiéter de l'alternance causée par "Ornières" et "Vagabonds", ceci dit dans l'hypothèse que Rimbaud lui-même a établi cet ordre des manuscrits.
Rimbaud a purement et simplement renoncé à la série des deux "Villes" et de ces deux textes-là seuls, et une étude de Claisse révèle que c'est une perte tout de même pour les lecteurs qui sont éloignés du jeu de miroir inventé par Rimbaud.
Il se dégage l'idée que les aléas du recopiage ont empêché de peaufiner l'ordre de défilement des poèmes dans la série homogène !
Je pense que j'ai raison dans la mesure où le II faisait office de titre. Le mot "Villes" qui le remplace lui est superposé alors que le I est en-dessous du titre "Villes". On sent qu'il y a eu une rédaction du titre "Villes" et des deux chiffres romains I et II, avant de constater que la transcription de "II" était placée avant celle de "I"' dans la transcription. Et on peut considérer qu'il y a une coïncidence entre les interventions de Nouveau pour permettre à Rimbaud de se reposer et les cafouillages qui concernent "Enfance I" et la numérotation des deux "Villes", puisque cela concerne les deux mêmes groupes de manuscrits.
L'usage des chiffres romains pouvait contribuer à réunir des poèmes distincts. Il y a un problème que les éditeurs des poésies de Rimbaud n'affrontent jamais. "Comédie la soif" est-il un seul poème ou une série de cinq poèmes comparable à "Fêtes de la patience" ? "Enfance" est-ce un poème ou une série de cinq poèmes ? "Jeunesse" est-ce un poème ou une série de quatre poèmes ? J'évite de détailler le cas de "Veillées". Quant à "Vies", malgré les chiffres romains, il s'agit d'un unique poème en trois volets, ce qui se démontre par une étude lexicale.
Et nous en arrivons à cet autre sujet, les chiffres romains en ce qui concerne "Veillées", mais aussi les manuscrits de poèmes dont l'édition originale revint à Vanier.
Rimbaud a recopié "Veillées I et II" sur un même feuillet, mais après la copie du poème "Fairy". Rimbaud a d'abord transcrit "Fairy" sur une feuille assez grande. Sur la place qu'il lui restait en bas, il a transcrit les poèmes "Veillées I et II" en tournant la feuille de 90 degrés. Je suppose que Rimbaud a d'abord découpé le papier en deux avant de transcrire "Veillées I et II". On peut observer que "Fairy" a un filet de séparation initiale qui est de la même longueur que les deux filets de séparation utilisés pour "Veillées I et II". En revanche, Rimbaud a biffé le filet de séparation de "Fairy", mais pas ceux de "Veillées I et II".
Je ne sais pas si on peut déterminer plus précisément la chronologie de toutes ces copies. En général, on prétend que la série homogène correspond à la dernière phase de transcriptions et que les copies sur des papiers de format divers sont plus anciennes. Dans l'idée d'une intervention de Nouveau sur la série homogène juste avant le passage de Verlaine en février 1875 à Stuttgart, cela est parfaitement cohérent, puisque les manuscrits ont été confiés à Verlaine à des fins de publication. Accessoirement, on peut se dire que Rimbaud avait plusieurs jeux de copies et que ce n'est pas forcément le jeu qui nous est parvenu qui était entre les mains de Verlaine, mais il n'en reste pas moins que l'écriture de Nouveau fait que le jeu que nous possédons semble bien se terminer par la série de transcriptions sur un papier homogène.
Il faut jamais oublier que les cas de figure sont plus ouverts que nous ne l'imaginons. Nous ne savons pas quel jeu de copies Rimbaud a envoyé à Verlaine. Pourquoi ce jeu-là ne se serait-il pas perdu ? Nous avons peut-être conservé le brouillon du recueil des Illuminations, ce qui expliquerait son caractère inabouti. En tous cas, la main de Nouveau tend à conforter l'idée que la série homogène est la dernière transcription pour ce qui nous est parvenu. Toutefois, si Rimbaud a découpé le papier qui contenait la transcription de "Fairy" et recopier ensuite "Veillées I et II", sachant qu'il y a débat si Rimbaud lui-même ou non a allongé la série en corrigeant le titre "Veillée en "III", force est d'admettre qu'il faudrait vérifier s'il n'y a pas moyen de préciser la chronologie de transcription de "Fairy" et surtout de "Veillées I et II". Est-ce que la série "Veillées I et II" en tant que copie est exactement contemporaine ou pas de l'établissement de la grande série homogène ? Si non, à tout le moins, pendant un certain temps, "Veillées I et II" existaient séparément d'un poème intitulé "Veillée", existe autonome originel de ce dernier poème qui est de toute façon un fait avéré.
Je remarque que le remaniement pour "Veillées III" a été fait dans une encre particulièrement foncée. Le titre "Veillée" est biffé d'une manière similaire aux I et II des deux poème intitulés "Villes". Mais le chiffre romain est reporté au-dessus du titre "Veillée" biffé. Il est vrai qu'il aurait été maladroit de superposer la correction au texte biffé plus large.
L'encre foncée s'oppose à celle plus pâle du filet de séparation qui suit la transcription initiale sous le titre "Veillée". Le filet de séparation ne peut pas être relié au remaniement, il date de la copie de "Veillée" et n'entre pas dans les arguments pour attribuer à Rimbaud une création de la série de trois "Veillées" !
Je dis simplement que l'argument de filet de séparation ne peut pas servir dans le débat.
Ensuite, je constate que l'encre foncée du remaniement s'oppose aussi à l'encre plus pâle de la transcription de "Veillées I et II", ce qui ne plaide pas pour un remaniement dans la foulée de la part de Rimbaud. On peut envisager que Rimbaud après avoir recopié les deux "Veillées" ait retrempé sa plume, mais il est difficile d'affirmer une telle chose étant donné le violent contraste de cette encre foncée qui suppose que le remaniement est de toute façon séparé dans le temps : qu'il s'agisse de quelques minutes ou de quelques années. L'énigme persiste. Enfin, le chiffre romain III est impossible à attribuer à Rimbaud, comme il est impossible de le lui refuser. Il s'agit d'une écriture en simples bâtonnets verticaux, ce qui le rapproche des chiffres I et II du feuillet intitulé "Veillées", mais il est impossible de rien affirmer. Le "I et surtout le "II" de "Veillées" sont moins vifs et on percevrait presque un début de stylisation sur les rebords des bâtonnets du chiffre "II", mais c'est dérisoire. Puis, si le "III" vient pour compléter "Veillées I et II", le mimétisme de transcription est envisageable. Il n'est pas possible en l'état de déterminer si le "III" est autographe ou non. Je ne sais pas si une étude du titre biffée "Veillée" pourrait donner quelque chose. L'enquête sur les biffures est d'évidence capitale à traiter à l'avenir pour les manuscrit des Illuminations.
J'en reviens alors au cas de "Fairy". Le chiffre romain est doublé. Il y a un chiffre romain I qui est moins en-dessous du titre "Fairy" qu'il n'est collé au texte de la transcription lui-même.
J'imagine mal Vanier placer le chiffre I entre le titre et le texte du poème. Il n'a aucun relief, il n'est pas visible, et surtout il y avait la place pour reporter le I au-dessus du titre. C'est d'ailleurs le cas un grand chiffre romain I au crayon a été reporté au-dessus du titre "Fairy", le crayon invitant à penser qu'il s'agit d'un acte d'une équipe éditoriale et non des compères Rimbaud et Nouveau.
Il est important de se rappeler que Rimbaud pouvait transcrire les textes des poèmes en laissant de côté les titres, comme l'atteste le paragraphe biffé de "Enfance I". Rimbaud aurait d'abord transcrit le chiffre romain "I" et le texte du poème, avant de reporter le titre "Fairy". Dans la mesure où le feuillet contenant "Fairy" a été découpé, cela aurait eu pour conséquence d'entraver la création d'une série numérotée en chiffres romains.
Le manuscrit de "Guerre" contient un "II" à hauteur du titre "Guerre". Je relève que le titre "Guerre" est parfaitement centré par rapport au texte qui le suit, mais ce "II" est malgré tout lui aussi collé de près au texte. Le manuscrit de "Guerre" provient d'un découpage du bas du feuillet du manuscrit autographe de "Promontoire". "Guerre" est encadré de deux filets de séparation, mais le premier est celui qui suivait la transcription de "Promontoire". Je suppose que le découpage a eu lieu après la transcription de "Guerre" à la suite de "Promontoire". Le poème intitulé "Guerre" aurait fait suite initialement à un poème où il est question de "défense des côtes modernes", soit dit en passant. Rimbaud avait-il recopié "Guerre" à la suite de "Promontoire" par pure opportunité de la place disponible pour un texte aussi concis ? En tous cas, transformer "Guerre" en un tel bout de papier suppose bien l'envie de déplacer le poème et le chiffre II serait à cette aune autographe. Le découpage qui a concerné "Fairy" où figure un "I", qui a concerné "Guerre" où figure un II a concerné aussi les deux feuillets de couleur bleue où Rimbaud a recopié "Génie" et "Dimanche", deux poèmes où il est question de la "descente du ciel". "Génie" porte le chiffre romain III tassé entre le titre et le texte, cas de figure similaire à "Fairy", et là encore cela ne ressemble pas à un geste des éditeurs. L'emplacement ne convient pas. Comme "Guerre", le poème intitulé "Dimanche" fournit un chiffre romain "IV" sur le côté. Nous aurions une sérite initale : "Fairy", "Guerre", "Génie" et "Dimanche". Notons que la série "Génie" et "Dimanche" a eu une existence initiale. Pourquoi découper "Dimanche" de la sorte puisqu'il était dans la succession immédiate de "Génie" numéroté III. Je n'arrive pas à comprendre la logique. Or, "Dimanche" fournit un chiffre romain encadré de deux traits droits calé entre le titre "Dimanche" et le texte du poème, ce qui est à comparer aux cas du "I" à l'encre en-dessous de "Fairy" et du "III" en-dessous de "Génie". Le titre "Jeunesse" serait pour sa part écrit au crayon ce qui demande une expertise pour déterminer s'il est autographe ou non. Et cela concerne aussi le chiffre IV sur le côté.
Il y a une mention "couple de jeunesse" dans "Mouvement" comme il y a un écho à l'idée de sens anglais du titre "Illuminations" dans l'occurrence "enluminés" du poème "Métropolitain", mais il faudrait déterminer malgré tout si "Jeunesse" et le "IV" ne sont pas des mentions allographes.
Il n'y a plus d'autres manuscrits découpés dans l'ensemble. Nous avions trois découpages : "Fairy" et les deux "Veillées", "Génie" et "Dimanche", "Promontoire" et "Guerre".
Evidemment, les manuscrits tels qu'ils nous sont parvenus permettent d'arriver à un résultat complet pour les manuscrits dont Vanier s'est occupé de l'édition originale. Les chiffres I à V créent l'ordre "Fairy", "Guerre", "Génie", "Jeunesse" et "Solde" dont le manuscrit comporte un "V" un peu mangé au rebord supérieur du manuscrit, et puis nous avons un sous-groupe interne à "Jeunesse", avec "Dimanche I" et une suite de trois poèmes où les chiffres II, III et IV sont nécessairement autographes : "Jeunesse II", "Vingt ans III" et "IV". L'absence de titre pour "IV" renforce l'idée d'une numérotation autographe, mais il y a bien un titre "Veillée" ou "Veillées" au crayon à côté de ce "IV", sauf qu'il est considéré comme allographe. Or, la série "Jeunesse" étant considérée comme une unité, ou je me trompe en croyant que "IV", "Jeunesse" et "Veillées" sont tous trois au crayon, ou il y a une anomalie dans l'analyse graphologique. Ou les trois mentions sont autographes ou aucune ne l'est ! Je maintiens que cela n'est pas clair.
J'ai fait un raisonnement où j'ai privilégié l'idée que les chiffres romains à l'encre étaient bien de Rimbaud, mais je dois réfléchir s'il n'y a pas des failles à ce raisonnement et s'il n'est pas envisageable que l'équipe de Vanier ait pu placer ces chiffres romains, voire découper les manuscrits. J'ai du mal à le croire, mais il y a cette coïncidence où Vanier a publié précisément la suite des manuscrits classés par deux séries de chiffres romains. Les coïncidences existent, et d'ailleurs c'est peut-être les difficultés apparentes de ce classement erratique qui ont fait que la revue La Vogue a trop tardé à publier les textes de ces manuscrits, avant qu'une personne agacée ne les empêche tout de même de le faire dans un numéro 10 de la revue. Il faut accepter les coïncidences et rester ouvert d'esprit. Mais, on en arrive encoe une fois à des paradoxes. C'est précisément la pagination en chiffres romains qui aurait dérouté la revue La Vogue. Ce serait la seule partie ordonnée par Rimbaud qui aurait provoqué un recul à la publication des poèmes.
La série homogène n'a pas été paginée par Rimbaud, mais par la revue La Vogue, même dans l'hypothèse que le "III" pour "Veillée" soit autographe.
Notons également que Fénéon affectionnait de placer au début du recueil l'idée d'une sorte de table rase. En effet, sur un papier de format différent, "Après le Déluge" a été publié en tête de la série homogène. On peut se demander si sans pagination le manuscrit occupait cette place ou non. Je trouve ça étonnant tout de même, même s'il y a une idée du déluge dans "Enfance", la partie "II" notamment, même s'il y a une mention commune à "Après le Déluge" et au premier poème du recueil Gaspard de la Nuit d'Aloysisus Bertrand. Or, dans la plaquette, Fénéon a fait remonter "Barbare" à la suite de "Après le Déluge", créant la suite de deux poèmes qui supposent une table rase : "Aussitôt après que l'idée du Déluge..." transformé en "Aussitôt que..." et "Bien après..."
L'insertion du feuillet manuscrit avec une transcription par exception au recto et au verso : "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" semble elle-même forcée vers la fin de la série homogène.
Pourquoi Rimbaud qui a créé la série homogène ferait-il de tels remaniements timides à la marge ? Pourquoi n'a-t-il pas paginé "Mouvement", "Bottom" et "H", "Promontoire" dont le manuscrit aurait été pourtant découpé pour créer une série en chiffres romains ?
J'observe que sur la foi de la différenciation des écritures penchées à droite ou à gauche de Rimbaud (écriture dextrogyre et écriture sinistrogyre), on prétend, mais j'ai des réserves sur la validité de l'argumentation, que "H" a été écrit longtemps après "Bottom" sur le même feuillet manuscrit.
"Scènes", "Soir historique" n'étaient pas classés, et probablement "Dévotion" et "Démocratie".
On peut considérer que la série homogène non paginée tenait, moyennant l'inclusion des feuillets pginés désormais 12 et 18 dans l'hypothèse de séries créées par Rimbaud, mais il reste les cas suivants : "Après le Déluge", "Promontoire", "Scènes", "Soir historique", "Mouvement", "Bottom" et "H" couplés, "Démocratie", "Dévotion" et le trio "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver".
Il faut ajouter à cela que les détenteurs de la série homogène ont pu intervenir certains blocs de poèmes. Il est frappant que la série, après "Enfance" et "Conte" a une tendance momentanée aux transcriptions d'un poème sur un feuillet "Parade" ou de poèmes courts sur un seul "feuillet" "Antique", "Being Beauteous" et "O la face cendrée..."
La place de "Aube", "Mystique" et "Fleurs" est-elle concertée de la part de Rimbaud ou ne s'agit-il que d'une conséquence sans importance de la création de la série "Veillées" en trois poèmes dans l'hypothèse où elle serait de Rimbaud.
En tous cas, il est évident que les manuscrits qui nous sont parvenus n'ont pas un ordre fixé par l'auteur. Il y a des flottements et la liasse a été laissée au hasard des manipulations. Il n'est pas interdit de penser que nous n'avons que le brouillon de copies par opposition à un autre jeu de copies qui aurait été remise à Verlaine, puis à Nouveau en 1875.
J'ai beau tourner ça dans tous les sens, je n'arrive pas à un ordre de recueil lumineux.
La pagination en chiffres romains mérite un débat sur son caractère autographe qu'en revanche la pagination allographe en 24 pages du dossier homogène ne mérite plus.
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Prochainement, un classement du dossier de 1886 de vers "nouvelle manière".
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