mercredi 17 décembre 2025

Au bas du "Promontoire", nouvelles remarques (édité à 22h40)

Sur son blog Rimbaud ivre, Jacques Bienvenu a publié le vendredi 12 décembre 2025 un article intitulé "Le mot Illuminations au bas du manuscrit de Promontoire est-il de Rimbaud ?" (cliquer ici pour le consulter !)
Convaincu que cette mention ne peut pas être de Rimbaud, j'ai réagi par un article intitulé "Perplexité face à 'Promontoire' " sur mon propre blog (cliquer sur ce lien ! ). Cela a été l'occasion d'une mise à jour de l'article de Bienvenu datée du 14 décembre, il s'agit du développement à la suite de l'article sous le titre "Mise à jour du 14 décembre", et nous avons ce jour même une seconde mise à jour datée du 17 décembre où le tome IV des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans l'édition de Steve Murphy, incomplète à ce jour, chez Honoré Champion.
Bouillane de Lacoste et Steve Murphy considèrent tous deux que la signature par les inititales "A. R." est autographe, parce que selon eux un éditeur ne ferait jamais, argument subjectif, et qui entre en contradiction avec le traitement par Steve Murphy du manuscrit du dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." où il daube superbement la signature "PV" que, par conséquent, il n'attribue ni à Rimbaud, ni à Verlaine, puisqu'il prétend que le poème est de Rimbaud et que la personne qui a écrit "PV" nous induit en erreur. Je rappelle que le poème "L'Enfant qui ramassa les balles..." a été recopié par Rimbaud et forme un duo de dizains avec un autre dizain recopié par Verlaine. A l'origine, le couple de dizains était attribué à Verlaine sur la foi du témoignage de son détenteur Félix Régamey. Une photographie du dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." a révélé au milieu du vingtième siècle en gros qu'il avait été recopié par Rimbaud, ou plutôt transcrit, parce que, ne pensant pas qu'il s'agissait d'un acte de recopiage, les rimbaldiens datent abusivement le dizain de ce moment de recopiage, septembre 1872, et ont considéré que la main qui copiait le poème était celle de l'auteur Arthur Rimbaud. A cette aune, il faut se dépêcher de réattribuer "Le Bateau ivre" à Verlaine qui nous a trop fait croire par ses multiples protestations que c'était un poème de Rimbaud. Certes, la copie de la main de Rimbaud peut entraîner un doute, c'est vrai. Mais, au début du troisième millénaire, une nouvelle photographie a été révélée du manuscrit du dizain "L'Enfant qui ramassa les balles...", photographie plus large qui incluait le paraphe des initiales "PV". Steve Murphy a fait remonter l'information, mais en en refoulant la portée. Le poème était de Rimbaud malgré tout selon lui. Donc, quand ça l'arrange, Murphy peut penser que ce n'est pas forcément un auteur qui signe par ses initiales à la suite d'une transcription.
Après avoir dit que le paraphe "PV" doit primer sur le fait que le poème soit recopié par Rimbaud en toute rigueur philologique, revenons maintenant au cas du manuscrit autographe de "Promontoire".
Le manuscrit est abîmé avec une déchirure tout en bas qui frôle la signature "A R" précisément.
Si on ne prend que le manuscrit lui-même, nous avons donc la transcription du poème avec un titre et des parties biffées, ainsi que quelques ratures. Et un point après le titre "Promontoire" selon un usage d'époque pour transcrire un titre. Voilà pour la partie autographe indiscutable.
Ensuite, il y a des mentions à l'encre brune qu'on peut classer en deux groupes. Il y a un groupe en bas du manuscrit où nous avons le paraphe des initiales "A. R." et une parenthèse qui donne le titre du recueil dans lequel est inclus "Promontoire" : "(Illuminations)". Puis en haut tout à gauche du manuscrit, nous avons des inscriptions à l'encre brune en oblique sur trois lignes : "Illuminations / page 34 / légères variantes" et un trait droit oblique souligne la dernière ou isole les trois lignes du reste du manuscrit.
Le fac-similé de cet autographe peut être consulté avec une bonne reproduction en couleurs sur l'article de Bienvenu dont je vous ai donné le lien plus haut.
L'encre brune est plus pâle en bas du manuscrit et elle est plus foncée sur les lignes obliques dans le coin supérieur gauche, mais il va de soi que cette différence est dérisoire, puisqu'on comprend qu'il suffit de retremper la plume pour que nous ayons une altération d'encre pâle à encre foncée. Le fait important, c'est que l'encre brune soit d'une rareté absolue sur les manuscrits de Rimbaud.
Il y a une hiérarchie des preuves dans le débat sur le caractère autographe ou non des mentions à l'encre brune.
L'élément de preuve le plus important, c'est précisément le recours à l'encre brune !
Le second élément de preuve important, c'est le mot "Illuminations" en écriture cursive.
L'étude des initiales "A" et "R" ne vient qu'en troisième lieu.
Si on reprend l'article de Bienvenu et ses mises à jour, on s'aperçoit que la première des preuves n'est pas prise en considération par la totalité des intervenants, sauf par Bienvenu qui a conscience que au bas du manuscrit ça doit être la même personne qui a écrit la parenthèse et les initiales du poète, puisque c'est à l'encre brune. Bienvenu dissocie l'encre brune du haut du manuscrit, parce qu'elle est plus foncée, mais comme je l'ai dit c'est la même encre avec une plume plus fraîchement retrempée dans l'encrier. Dans les études des manuscrits, il est vrai qu'on va opposer les constats où une encre foncée s'oppose à une encre plus pâle. Je le fais dans le cas de l'Album zutique et cela se fait dans le cas des manuscrits divers d'Arthur Rimbaud. Mais, dans ces cas-là, la réflexion porte sur l'immédiateté des transcriptions, sur la continuité immédiate des transcriptions. Les oppositions de l'encre pâle et de l'encre foncée permettent d'opposer des moments distincts dans les transcriptions, éventuellement cela permet de repérer l'utilisation d'une plume qui bave plus qu'une autre, mais il va de soi qu'on ne peut pas opposer l'encre pâle et l'encre foncée comme venant d'un encrier différent aussi facilement, ni même déterminer le changement de plume pour écrire.
C'est pour cela que l'encre brune est la première des preuves dans ce débat. Ce qui en fait aussi la première des preuves, c'est qu'elle n'apparaît pas à ma connaissance sur d'autres manuscrits de Rimbaud. En tout cas, aucun rimbaldien ne met sa présence en avant. Peut-être que j'en trouverai d'autres occurrences quand je pourrai consulter les fac-similés en couleurs de tous les manuscrits des Illuminations, puisque je suis limité à une consultation des manuscrits en fac-similé noir et blanc pour l'essentiel.
Bref, sur le manuscrit autographe de "Promontoire", obligatoirement, les mentions à l'encre brune viennent d'une même source. Or, comme la partie supérieure renvoie à la page 34 de l'édition des Illuminations et d'Une saison en enfer par Vanier en 1892, nous savons que les écrits à l'encre brune sont des interventions de Vanier ou de l'un de ses employés, ou éventuellement du docteur Guelliot acquéreur du manuscrit. Vanier aime abréger. Sur l'exemplaire du Reliquaire annoté de sa main, où d'ailleurs les quatrains de "Paris se repeuple" qu'il a recopiés sont à l'encre brune s'il me souvient bien (j'ai les photographies toujours inédites en ma possession sur un appareil photo numérique), pour "Le Coeur volé" il a écrit dans la marge gauche au poème "cop Vne", ce qui veut dire "copie Verlaine". Je ne vois de toute façon pas au nom de quoi Vanier s'interdirait d'écrire "A. R." plutôt que "Arthur Rimbaud". Notons que la mention "Illuminations" est à chaque fois faite sans article sur ce manuscrit autographe, ce qui est là aussi une abréviation, puisque Vanier a publié le recueil avec le titre à article Les Illuminations, mais il est vrai sur deux lignes, une pour l'article et une pour le nom, élément qui est peut-être à prendre en considération. La revue La Vogue a publié le recueil sous le titre avec article, mais l'article et le nom sur une même ligne : Les Illuminations. Il se pourrait que le choix abrégé "Illuminations" soit significatif sous la plume de Vanier ou de l'un de ses employés. Je précise que le manuscrit allographe de "Promontoire" sur lequel Jacques Bienvenu a attiré l'attention dans un article de janvier 2013 comporte au haut la mention "Les Illuminations (suite)". Or, sur le manuscrit autographe, nous avons à deux reprises la mention "Illuminations", et je précise que la mention "Illuminations" au crayon figure aussi sur le manuscrit conservé à la Fondation Bodmer en Suisse qui comporte les transcriptions de "Jeunesse" II, III et IV. Il s'agit d'un manuscrit dont le texte a été édité la première fois par Vanier en 1895, tandis qu'avec la mention "page 34" le manuscrit autographe porte nécessairement des inscriptions liées au passage du manuscrit entre les mains de Vanier. Existe-t-il d'autres mentions du mot "Illuminations" sur les manuscrits de Rimbaud, en prenant également en considération les vers ? Il n'y a aucune mention de ce genre sur les manuscrits de poèmes en prose publiés par la revue La Vogue, cas à part des deux manuscrits de "Promontoire", le manuscrit allographe et le manuscrit autographe.
Dans le cas du manuscrit allographe, cela s'explique par deux raisons : la revue La Vogue établit par exception une copie de substitution, et je voudrais avoir accès à la page du numéro 8 de la revue où se poursuit la publication des Illuminations avec je présume la mention "Les Illuminations (suite)", puis le texte même de "Promontoire" issu du document allographe.
Dans le cas du manuscrit autographe, Vanier n'étudiant pas la graphologie ignorait que le manuscrit allographe n'était pas de Rimbaud et il faisait face à un cas unique de doublon avec des parties biffées. "Promontoire" est un manuscrit de Rimbaud qui, quasi par exception, a fini dans les mains d'un obscur docteur ardennais, alors que les autres ont plutôt fini dans les mains de collectionneurs comme Pierre Bérès ou de gens influents sur la scène littéraire. Si on écoute Murphy et Bouillane de Lacoste, "Promontoire" est le paradis des coïncidences. C'est précisément le manuscrit de reprise de la publication des poèmes en prose après les 24 pages qui a le mot "Illuminations", et coïncidence, la revue La Vogue a mis aussi le titre sur son manuscrit allographe, et Vanier qui, on le sait, a hérité des deux transcriptions de "Promontoire" a recopié une deuxième fois sur un manuscrit, une troisième fois sur l'ensemble des manuscrits de "Promontoire" le titre "Illuminations". Et par hommage à Rimbaud, il aurait fait ça comme lui à l'encre brune. Nous aurions la transcription de Rimbaud à l'encre brune, à une époque où il ignorait que son manuscrit aurait une suite en 24 pages et que ça repartirait dans un début de revue avec "Promontoire", puis nous aurions la transcription de la revue qui s'explique non pas parce que nous sommes après les 24 pages, mais pour une raison technique au début des pages consacrées à Rimbaud il y aura le titre et la mention "suite", et puis donc Vanier revient à l'encre brune. L'encre brune, elle est un peu fort de café à mon goût. Je n'y crois pas un instant. L'encre brune signifie clairement que les deux groupes de transcription viennent de Vanier ou de l'un de ses employés, sinon moins probablement du docteur Guelliot.
Passons au deuxième niveau de preuve. Nous avons une transcription du mot "Illuminations" à deux reprises sur le manuscrit. Il s'agit d'une mention en écriture cursive d'un mot assez conséquent, donc un graphologue peut travailler à déterminer si la mention est autographe ou non, et aussi il peut comparer les mentions en haut et en bas du manuscrit. Or, moi qui ne suis pas graphologue, j'ai constaté que l'écriture est identique pour les deux occurrences "Illuminations" sur le manuscrit autographe de "Promontoire" et j'ai pu constater une singularité en commun sur les deux occurrences : il manque la barre horizontale en haut de la barre du "t", alors que sur le même manuscrit tous les "t" avérés autographes sont barrés. Peut-être qu'on trouvera des "t" sans barre horizontale sur une transcription de Rimbaud. Je rappelle que sur le manuscrit de "L'Homme juste", les rimbaldiens n'arrivent pas à identifier le mot "Nuit" au début d'un vers des deux quintils ajoutés par Rimbaud, parce que précisément la barre horizontale traîne un peu à droite au lieu d'être correctement sur le "t". Seul Steve Murphy a envisagé que la leçon "Nuit", mais encore il n'ose pas l'affirmer, alors que c'est d'évidence la solution.
Mais, on voit bien que l'absence à chaque fois de la barre horizontale sur le "t" des deux occurrences du mot "Illuminations" sur le manuscrit autographe de "Promontoire" relève d'une affectation d'écriture d'une seule et unique personne. Et on a plusieurs faits convergents : même écriture penchée, même encre brune, même fondu des jambages et des i dans les séquences "umina" et "ion", même forme du "I" majuscule, même absence de la barre horizontale sur un "t", même désinvolture dans le peu de lisibilité du "s" final : ça fait beaucoup, c'est le moins qu'on puisse dire ! Le mot "Illuminations" était deuxième en niveau de preuve, parce qu'on pouvait l'évaluer ou non comme autographe, et le résultat de l'expertise c'est de constater qu'il est identique à la mention indiscutablement allographe.
 Enfin, précisément personne n'affirme le mot "Illuminations" comme étant autographe. Bouillane de Lacoste et Steve Murphy ne plaident le caractère autographe comme on va les citer plus bas que des initiales "A" et "R". Ils ratent les deux preuves principales, ils négligent l'analyse prioritaire du mot "Illuminations", lequel, qui plus est, a plus d'importance que la signature "A. R." L'intérêt, ce serait plutôt que Rimbaud ait écrit quelque part le titre de son recueil. La signature "A. R." n'a pas un grand intérêt.
Passons à la signature "A. R." Rimbaud n'a signé aucun autre poème de l'ensemble des manuscrits de poèmes en prose ou de poèmes en vers libres modernes des Illuminations. Il aurait signé le seul manuscrit autographe non paginé de cet ensemble ! En gros, pour s'excuser auprès de son manuscrit de ne pas l'avoir paginé, il l'a paraphé "A. R." et même gratifié du titre du recueil. Cela n'a aucun sens sous le soleil.
La graphologie doit aussi appeler une certaine réserve quand on étudie le tracé de chiffres ou de lettres majuscules isolées. De fait, le "A" ressemble à plusieurs "A" en majuscule du même manuscrit. Rimbaud a tracé plusieurs "A" similaire, j'avais oublié "Arabie" dans mon article cité plus haut et j'ai expliqué le cas particulier de "Allemagne" où le poète a repassé une lettre initiale de style minuscule : "allemagne" par un "A" en caractère d'imprimerie. Mais, effectivement, le "A" du paraphe "A. R." ressemble à plusieurs "A" autographes : "Arabie, "Arbres", "Asie". En revanche, pour les "R" autographes du manuscrit, cela ne correspond pas. Rimbaud privilégie à l'époque pour les majuscules une écriture plus sobre pour les R, les B, les P, avec des lignes droites ou bâtonnets et des formes arrondies basiques. Le "A" est une survivance de son écriture plus scolaire. En tous cas, les deux "R" de "Royal" n'ont rien à voir avec le "R" de la signature. Mais il est vrai qu'un auteur peut changer sa façon de transcrire une majuscule d'un moment à l'autre, ça se voit au sein d'un même manuscrit, on l'a vu avec "Allemagne" et il pourrait n'y avoir aucune explication du type repasser une lettre. On a d'ailleurs des cas sur d'autres manuscrits de Rimbaud, et on peut trouver chez Rimbaud des "R" bouclés comme celui de la signature. MAIS... MAIS...
Je rappelle que les majuscules ne sont pas inventées par leurs utilisateurs et que Rimbaud ou Vanier ont appris à écrire dans un cadre scolaire avec une formation, un entraînement, des consignes. Il va de soi qu'il n'y a pas des dizaines de façon d'écrire une majuscule, comme il est sensible que, à l'époque, l'écriture à la plume plus chargée en boucles est liée à l'héritage scolaire qui pouvait se perdre ou non, tandis que les formes plus rudimentaires sont plus propres à la vie courante. Léon Vanier est né en 1847, il n'avait que sept ans de plus que Rimbaud, il est à peu près de la même génération si c'est bien lui qui a écrit à l'encre brune, et pas un de ses employés. Evidemment, on oppose en revanche l'écriture de Rimbaud en 1875 à celle de Vanier en 1892, mais ils n'en sont pas moins de la même époque pour l'apprentissage de l'écriture. C'est pour ça qu'il faut nécessairement rester prudent sur l'étude graphologique d'une lettre isolée ou d'un chiffre isolé. C'est l'étude de l'écriture cursive qui permet d'identifier clairement l'écriture de quelqu'un. Un seul signe est rarement discriminant.
L'encre brune et le mot "Illuminations" sont les deux preuves principales du caractère allographe des mentions et la preuve a ceci de beau que c'est la même main qui a tout écrit à l'encre brune. Ce point est acquis. Le "A" peut être rimbaldien, mais le "R" dans la signature a l'inconvénient de ne pas coïncider avec le manuscrit sur lequel il figure et on constate une autre tendance et humeur de la part de Rimbaud en fait de transcription des majuscules.
D'après l'article de Bienvenu, Bouillane ne prend même pas en considération la similitude plus intéressante du "A", mais il prend en considération le "R" qui justement ne convient pas à la partie indiscutablement autographe du manuscrit. Il va chercher un "R" équivalent sur un autre manuscrit. C'est un peu léger. Ensuite, dans sa mise à jour du 17 décembre, Bienvenu nous apprend l'analyse clairement erronée de Steve Murphy qui écrit clairement à tort que le "A. R" est autographe, mais pas le mot "Illuminations" à l'encre qui est considéré comme clairement "allographe". Bienvenu cite le passage suivant du raisonnement de Murphy : "la mention (illuminations) en bas du texte, a été écrite d'abord au crayon, puis surchargée à l'encre, l'écriture à l'encre étant au moins allographe". Et Bienvenu ajoute que Murphy "ne parle pas de la couleur des encres."
Le raisonnement de Murphy est absurde. Il est nul et non avenu. Il est en train de distribuer à deux intervenants distincts la signature des initiales et la parenthèse. En admettant que la parenthèse est allographe, il aboutit au moins sur un point à notre conclusion et cela suppose que si Murphy revient sur son analyse en prenant en considération l'encre brune il sera forcé d'admettre que son étude des initiales est subjective et sans solidité scientifique.
Pour attribuer la signature des initiales à Rimbaud, Murphy procède par un argument de l'intime conviction que nous rapporte Bienvenu : "Rimbaud signe souvent de ses initiales et on imagine mal ce qui aurait poussé un éditeur à ajouter ces initiales (et non le nom entier de Rimbaud) au manuscrit". Ce n'est pas un argument, ça ! C'est une pétition de principe, une autodétermination subjective de la pensée. Pour imiter Bienvenu qui répliquait à Murphy sur les feuillets paginés 12 et 18 à l'encre, je demande qu'est-ce que Murphy peut savoir de scientifique sur l'interdiction que s'appliqueraient les éditeurs à ne pas citer un auteur par ses initiales ? Qu'est-ce qu'il en sait ? Ici, on a justement la preuve du contraire.
Murphy ajoute un argument que nous rapporte également Bienvenu : "Ces initiales sont bien de Rimbaud : le poète a coupé le feuillet de manière à contourner à la fois le trait séparateur au-dessus du titre de Guerre et ces initiales". Donc, les feuillets autographes de "Promontoire" et "Guerre" formaient un unique papier initialement. Toutefois, ce n'est là encore qu'une interprétation subjective. La mention "A. R." peut parfaitement avoir été reportée après ce découpage. Celui qui a écrit à l'encre brune a pu tenir compte du découpage, tout simplement. Où est la preuve que lors du découpage les initiales "A. R." ont été évitées expressément ? Il n'y en a pas. Pourquoi Vanier n'aurait-il pas écrit les simples initiales "A. R." parce qu'il n'avait plus de place, la parenthèse "(Illuminations)" ayant pu être écrite avant les initiales "A. R." Et, au passage, il faudrait vérifier si Vanier n'avait pas en sa possession des manuscrits autographes avec précisément la signature "A. R." qu'il pouvait reprendre par mimétisme...
Enfin, au-delà de la hiérarchies entre ces modalités de la preuve, il y a les éléments de contexte et le rasoir d'Occam.
Rimbaud n'a aucune raison de signer ce manuscrit-là en particulier.
Les coïncidences, cela existe. D'ailleurs, il y en a d'indéniables puisque Rimbaud recopie mal son poème, oublie un passage, biffe ce qu'il a écrit trop vite, se reprend, écrit un mot trop tôt, le biffe, puis finit sa transcription. Face à cela, le manuscrit concocté par la revue La Vogue témoigne de nouveaux oublis et d'un remaniement improvisé. Puis, le texte imprimé par la revue témoigne de nouveaux oublis par un troisième intervenant. "Promontoire" est un poème maudit au plan des recopiages successifs. Heureusement, Rimbaud avait remédié correctement à ses propres erreurs et grâce au docteur Guelliot on a pu retrouver le manuscrit et corriger les oublis et défauts des deux intervenants ultérieurs. Mais, il faudrait ajouter à cette coïncidence maudite dans les recopiages de trois intervenants que les deux manuscrits de "Promontoire" sont ceux qui par hasard ont à chaque fois la mention "Illuminations", et cela serait le fait de trois intervenants distincts : Rimbaud, La Vogue, Vanier. Il est plus simple de considérer que la première mention vient du manuscrit allographe de La Vogue, que les deux mentions à l'encre sont le fait de Vanier qui avait les deux transcriptions manuscrites de "Promontoire" en sa possession et la mention Illuminations est trois fois utilisé à l'époque de Vanier sur les manuscrits comme l'atteste la transcription au crayon sur le manuscrit de Jeunesse II à IV. Et justement, d'après Murphy, la parenthèse "(Illuminations)" aurait été initialement écrite au crayon avant d'être repassée à l'encre brune, ce genre de repassage rappelant le cas des chiffres 1 à 9 de la pagination de manuscrits des Illuminations par La Vogue. Mieux encore, non seulement ce repassage correspond aux pratiques des éditeurs et protes, mais si la mention était initialement au crayon, cela confirme l'idée que la mention de la parenthèse est antérieur au report des initiales "A. R." sur le peu de place restante. CQFD.
 
Texte édité à 22h40 :

Je parlais des manuscrits avec le paraphe des initiales "A. R."
J'ai déjà deux contre-exemples.
Le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." est recopié par Rimbaud qui a une chance sur deux d'être l'auteur du paraphe "PV", à moins que Verlaine s'en soit chargé après la copie de Rimbaud, Verlaine ayant tout de même recopié lui-même le premier dizain. Mais cela n'est pas sûr. En clair, Rimbaud signerait par des initiales qui ne sont pas de lui.
Passons aux manuscrits de poèmes rimbaldiens avec les initiales A R. Ô surprise, le manuscrit de "A quatre heures du matin...", poème du "dossier de 1886" pour La Vogue qui est le seul connu qui ne sera publié qu'en 1912 par Berrichon, bien après les interventions de La Vogue et Vanier, est paraphé AR, mais il l'est après une autre transcription au crayon "Une saison en enfer" qui est clairement allographe, puis la personne qui a écrit "Une saison en enfer" considère que le poème fait partie en principe de ce livre, ce qui est illogique en regard de toutes nos connaissances ultérieures et du traitement par la revue La Vogue. Rimbaud lui-même n'aura jamais écrit "Une saison en enfer" en-dessous d'une copie de son poème, surtout si ce n'est pas la version utilisée pour "Alchimie du verbe". Le lien avec les poèmes en vers des Illuminations selon le principe de mélange des vers et proses de la revue La Vogue n'est pas envisagée ici par celui qui écrit le titre au crayon du livre de 1873 et les initiales "A R" en caractères d'imprimerie à la main et sans point d'abréviation après chacune des initiales sont en-dessous de cette mention "Une saison en enfer", ce qui veut dire qu'elle est elle aussi allographe et ceci est une nouvelle preuve qu'il n'est pas réservé à Rimbaud de signer ses manuscrits par ses initiales ! On est exactement dans le même cas de figure que pour le bas du manuscrit autographe de "Promontoire", même si le livre référencé et l'intervenant sont distincts !
Les poèmes où Rimbaud signent "AR" sont rares et la plupart n'était pas connu de Vanier : "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" a été découvert et divulgué au vingtième siècle, "Famille maudite" au vingt-et-unième sachant que son paraphe n'est pas obligatoirement autographe même si c'est probable.
La même remarque vaut pour le poème en deux quatrains "Par les beaux soirs d'été..." dans la lettre à Banville de mai 1870.
Aucun texte n'est signé "A R" dans les manuscrits de 1870 qui proviennent d'Izambard. On a quelques "A. Rimbaud".
Aucun non plus dans les poèmes de 1870 remis à Demeny.
Il en apparaît quelques-uns dans les manuscrits de l'année 1871. Dans les lettres à Demeny, on a "Mes petites amoureuses", "Les Poètes de sept ans" et "Le Coeur du pitre". Dans une lettre à Izambard, on a un cas particulier en post scriptum "Pour A. R." et non en signature au bas d'un poème. On a un cas similaire dans la lettre à Jean Aicard, inconnue de Vanier, il s'agit de la signature de la lettre elle-même, pas du poème inclus "Les Effarés".
Aucun manuscrit n'est signé dans le dossier paginé confié à Forain, qui par ailleurs était inconnu de Vanier.
Les manuscrits autographes de "Voyelles" et "Oraison du soir" sont signés "A. Rimbaud et inconnus de Vanier à l'époque.
Les initiales "A. R" apparaissent à plusieurs reprises dans les contributions de l'Album zutique, elles aussi inconnues de Vanier.
L'avertissement des "Déserts de l'amour" est signé "A. Rimbaud", manuscrits inconnus de Vanier tout comme les manuscrits de poèmes de 1872 également confiés à Forain puis Millanvoye qui ne sont pas signés.
Inconnus de Vanier, les manuscrits détenus par Richepin des "Fêtes de la patience" ne sont pas signés non plus.
La lettre de "Jumphe 72" à Delahaye inconnue de Vanier est signée "A. R."
Les lettres de 73 à Delahaye et Verlaine inconnues de Vanier sont signées "Rimbaud", "R." ou "Rimb." Ce qui s'étend à la lettre à Andrieu de 1874 et aux lettres à Delahaye de 1875.
Les manuscrits des Illuminations au sens exclusif des poèmes en prose et "Mouvement" ne sont pas signés, sauf mention par La Vogue au crayon au bas de la page 9 "Arthur Rimbaud" et mention "A. R." par Vanier à l'encre brune qui lui est propre sur le manuscrit autographe de "Promontoire".
Il reste le brouillon de "Ô saisons" qui n'est pas signé, le manuscrit de "Enfer de la soif" signé "A. Rimbaud", et bien sûr ce qu'on appelle "le dossier de 1886" qui rassemble les manuscrits de vers nouvelle manière qui ont été assimilés au recueil Les Illuminations, à tort ou à raison, par la revue La Vogue, et j'y inclus des manuscrits non publiés par La Vogue qui en font partie. J'ai traité à part le cas de "A quatre heures du matin" puisque non connu de Vanier qui avait au moins publié une version à variantes de "Fêtes de la faim" dans son édition des Poésies complètes de 1895. La plupart du temps, les manuscrits du "dossier de 1886" ne sont pas signés, certains le sont "A. Rimbaud" ou "Arthur Rimbaud. Il y a tout de même le cas de "Est-elle almée ?..." qui est signé "A. R." avec une écriture en oblique un peu particulière. Mais cerise sur le gâteau, c'est aussi le cas de "Fêtes de la faim", poème que Vanier a publié en 1895 avec la précision entre parenthèses "'(variante)" dans sa table de sommaire. "Michel et Christine" est signé "A. Rimb." 
Vanier a pu imiter à tout le moins le cas des manuscrits de "Fêtes de la faim" et "Est-elle almée ?" Et justement, Vanier a été le premier à publier ces deux poèmes en 1895 !
Mais je ne voudrais pas donner trop d'importance à l'argument d'une imitation d'un manuscrit de Rimbaud. Le plus éloquent, c'est le cas du manuscrit "A quatre heures du matin..." qui dément formellement que les éditeurs s'interdisaient d'attribuer un poème à un auteur en se contentant de mentionner ses initiales !
 
EDITE le 18/12 à 11 heures :
Petit complément.
Sur le manuscrit autographe de "Promontoire", pour le titre et le texte, en incluant les parties biffées, tous les "t", malgré la variété des formes, ont une barre horizontale, à l'exception de deux cas particuliers : le "t" de "frissonnante" a une barre formée par une remontée à la verticale un peu particulière qui peut s'approcher par exception du cas du mot "Illuminations" à l'encre en haut à gauche du manuscrit, mais sans s'y confondre, et le "t" de "étendu" où la barre horizontale a été compensée exprès par un soudain retour aggravé sur la gauche de la hampe bouclée du "d". Il va de soi que parfois la barre horizontale est trop basse, le deuxième "t" de "trouvent" ou celui de "à présent", mais la barre est transcrite. Parfois, la barre horizontale se confond avec le geste de l'écriture cursive qui passe à la lettre suivante comme dans "terrasses". J'ai tout relevé, j'avais transcrit la liste en éditant l'article, mais j'ai oublié d'enregistrer ma liste et fermé l'article au lieu de le mettre à jour il y a un instant. Je peux refaire la liste, je suis en confiance.
J'ajoute que la transcription à l'encre brune du "t" des deux occurrences du mot "Illuminations" se fond à un ensemble. On voit que le même scripteur fait une barre horizontale très longue à "variantes", mais dans le cas du mot "Illuminations" on a le même incident, l'absence de barre horizontale, même si c'est un peu différent au haut du manuscrit où comme en écriture cursive la hampe est formée de la montée et de la retombée verticale de la main on a une montée en oblique qui fait presque figure de "barre horizontale" et en même temps la liaison au "i" serait un peu une sorte de barre trop basse, mais rien de comparable au cas rimbaldien. On pourrait penser qu'en bas il y a une barre horizontale mais dérisoire quasi pas appuyée. Mais, en gros, dans un mot où il y a pas mal de jambages accumulés, seul un "n" dans "variantes", contre "m", "n" et "n" avec plusieurs "i" et deux "ll" dans "Illuminations", on a une tendance à ne pas mettre une barre horizontale, à ne pas la marquer, et cela s'accompagne dans le délié de l'écriture du fait qu'à chaque fois à l'encre brune, le deuxième "i" de "Illuminations", le premier en minuscule, est ponctué, tandis que le dernier qui vient après le "t" ne l'est pas. Cette identité va de pair avec plusieurs éléments convergents dont l'inclinaison à je dirais 25 degrés des lettres sur la droite, l'écriture est clairement penchée de la même façon à chaque fois.
L'écriture à l'encre brune est tassée, minimaliste, mais reste claire et maîtrisée, ce qui est très différent de l'écriture chaotique de Rimbaud.
La hiérarchie des preuves, la convergence d'éléments nombreux et les mises en contexte, tout plaide en faveur d'une transcription par Vanier ou un de ses collègues, ou alors il faut renoncer à débattre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire