Cet article poursuit le précédent et son titre donne une idée assez claire de l'intérêt de l'article précédent justement.
Je reprends donc mon combat très ferme contre le livre Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable d'Alain Bardel, parce que je considère que l'opinion sur les poésies de Rimbaud résulte non pas d'acquis à partir des travaux les plus pointus, mais à partir de l'influence officielle qu'on va conférer à des lectures consensuelles passe-partout relayées par ceux qui ont une plume s'adressant au tout venant. Les lectures de Bardel reçoivent un soutien extrêmement élevé avec une présence sur un site internet, avec une présence d'arbitre dans les comptes rendus de la revue Parade sauvage, par la publication d'articles à mi-chemin entre l'évaluation des écrits des autres et le développement d'idées personnelles, par le fait qu'il y a des citations d'entregent en tête d'ouvrages rimbaldiens. Il faut que les rimbaldiens arrêtent de croire estimable ce procédé qui consiste à remercier des collègues pour des échanges d'idées, pour des relectures d'articles. On ne met pas en avant des solidarités d'équipe ! Merde !
Je ne sais pas si j'aurai le temps de le faire, mais j'ai envie de collectionner toutes les fois où au cours de deux décennies, Bardel a formulé son idée sur l'identification du locuteur de la Saison à Rimbaud lui-même, avec une progression constante où on part de l'hésitation à la certitude qu'on peut dire que c'est l'auteur Rimbaud qui parle et pas tellement un truchement de narrateur.
Bref, bref, bref, bref !
Je reprends le fil !
Dans son livre Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable, Bardel se permet de repousser la correction de la coquille "outils" par la bonne leçon "autels" du brouillon. Pour discréditer la correction de la coquille, dans le corps du texte, il anonymise les éditeurs qui prennent le parti de la correction "autels" :
[...] Certains éditeurs récents rétablissent "autels" à la place de "outils", considérant ce dernier mot comme une coquille des typographes8.
On veut une liste de ces éditeurs récents. A ma connaissance, seul André Guyaux l'a fait, et il ne l'a pas fait sur l'édition de 2009, il l'a fait sur une révision de l'édition de 2009 des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la collection de la Pléiade. C'est très subtil, il l'a fait sur une édition de 2009 révisée en, je ne sais pas moi, 2014 je crois, quelque chose comme ça. La moindre des choses est de préciser ce statut éditorial tout de même très particulier. Et j'attends d'en savoir plus sur les autres éditions qui adoptent la leçon "autels" dans le texte original d'Une saison en enfer. Je n'en connais aucune, ce qui est normal vu que depuis la révision dans la Pléiade il n'y a pas vraiment eu de nouvelles éditions courantes d'Une saison en enfer, si ce n'est en Poésie Gallimard où la leçon "autels" est envisagée avec plus de sérieux que Bardel et Vaillant dans les notices, mais le texte imprimé maintient "outils" si je ne m'abuse.
Murphy, Murat, Reboul ou sinon des éditeurs courants comme Steinmetz ou Forestier devraient dire une fois pour toutes que la coquille relève de l'évidence et qu'il faut imprimer "autels" et non "outils". Là, il y a un problème de politique politicienne, et de lâcheté, qui dépasse l'entendement, puisque ça s'étend au déchiffrement des vers de "L'Homme juste" avec les âneries de Marc Dominicy (que je n'ai lues qu'en résumé, je n'allais pas payer pour lire des trucs aussi stupides). Il y a un moment où il faut savoir ce qu'on veut faire de Rimbaud. Et Cavallaro, puisqu'il est intronisé, lui aussi pourrait s'exprimer. Evidemment, si vous dites que la bonne leçon c'est "outils", attendez-vous à ce que je vous tourne en ridicule. Dans cet article-ci et le précédent, quelque part, je mets en place l'idée de lecture avec "autels" sur des bases difficilement contestables.
En attendant, ma lecture est contestée, et dans la citation plus haut, le 8 désigne la note de bas de page où je suis mentionné dans les termes suivants : "Cette révision a été initialement prônée par David Ducoffre. Cf. 2009, p.-187-197 et le billet du 19/06/2011 sur le blog Rimbaud ivre : rimbaudivre.blogspot./jp/2011/06/le-sabre-et-le-goupillon-une-coquille.html".
Bardel a cru très avisé le choix "prônée", si pas le mot "billet". Rira bien qui rira le dernier.
Et donc, j'en reviens à la place de "Mauvais sang" dans l'ensemble de la composition du livre Une saison en enfer. Dans le précédent article, je donnais un bon point sur une note de commentaire du fac-similé par Bardel. Et je maintiens cette bonne note, il est sensible que le portrait au début de "Mauvais sang" est un cliché de récit carrément scolaire. Ce n'est pas parce que nous avons affaire à un écrit génial de Rimbaud qu'il faut s'interdire de voir que c'est cette idée d'approche dans un début de récit représente quelque chose d'extrêmement basique. Je rappelle la note de Bardel : "Les deux premières [sections ou séquences], selon la tradition du genre narratif, dressent le portrait psychologique et social du protagoniste."
Je citais ce commentaire par opposition à la lecture de Samia Kassab-Charfi dans la notice à "Mauvais sang" du Dictionnaire Rimbaud de 2021 où la mise en intrigue était clairement sous-évaluée.
Je reviens d'ailleurs sur le sens du premier alinéa de "Mauvais sang" :
J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les gens se contentent de remarquer qu'il y a un jeu au second degré où Rimbaud passe d'une identification raciale, celle du gaulois, à une appartenance sociale de français qui tient tout de la déclaration des droits de l'homme en 1873. Et on parle d'une critique de ce récit des origines, et j'ai l'impression qu'il y a un peu de battement quand on parle de critique de ce récit des origines, puisque le poète critique le récit quand il s'agit d'en faire un bon français aux origines chrétiennes, mais pas quand il s'agit de se réclamer d'une ascendance gauloise par exemple. Je me demande si la stratégie d'écriture de Rimbaud est bien comprise. Je reprends la lecture du premier alinéa pour qu'on comprenne un peu les subtilités. Rimbaud se réclame des gaulois, il dit qu'il en a hérité un oeil bleu blanc, une certaine forme de faible intelligence et il se compare ensuite pour les habits et la coiffure. Mais une fois qu'on a énuméré cela, on n'a pas tout dit sur la subtilité du premier alinéa. J'ai aussi mis en avant un fait prosodique, le jeu sur les "eu", "e", etc., enchevêtrés à des "b", des "r", avec des cacophonies (au sens de Malherbe) "que le leur", et avec en point de mire la mention "barbare". Le titre "Mauvais sang" est synonyme de "barbare" et se diffuse dans "gaulois", "nègre" et "païen". Donc, le mot "barbare" est capital. Le poète se définit comme un barbare. Il le fait dès le bref premier alinéa et dès la deuxième phrase du récit. Cette subtilité va de soi, mais il faut bien la poser tout de même quand on commente. Mais il y a encore d'autres subtilités, et en tout cas celle-ci. Le concept de race est un concept patrimonial. On a hérité quelque chose d'ancêtres. Et ça peut être des traits physiques distinctifs. Rimbaud ne connaissait pas la génétique, ni l'histoire préhistorique des peuplements de l'Europe. D'ailleurs, à son époque, il n'y a pas l'idée que la préhistoire dure des millions d'années, il y a encore cette conviction que le monde n'est pas très ancien, même si on s'échappe petit à petit du cadre religieux. Or, l'œil bleu blanc, il s'oppose évidemment à la latinité romaine. Je ne suis pas spécialiste des textes latins, mais les latins faisaient déjà remarquer que les gaulois étaient plus souvent roux ou blonds, qu'ils avaient plus souvent les yeux bleus, ça valait pour les gaulois comme pour les germains. Entre le nord de la France et son sud, il y a un contraste dans la proportion des yeux bleus et des yeux bruns ("bruns" est un terme générique chez moi, cela vaut même pour des yeux ou cheveux clairs, je ne dis pas des yeux marron ni des cheveux châtain à la base). Certes, il y a des yeux bleus en Italie, ou sur le pourtour de la Méditerranée, mais en gros Rimbaud se dit que les yeux bleus sont caractéristiques pour l'essentiel des gaulois ou celtes, des slaves et des germaniques, et que s'il y en a en Iran ou en Italie, c'est parce que d'anciens gaulois ou germains ont été assimilés. Rimbaud ne se pose aucune question compliquée à son époque, d'autant qu'il est dans un cadre où l'humanité n'a pas plus que quelques milliers d'années d'existence. Rimbaud se doute bien que c'est plus compliqué que ça, mais de toute façon son texte est écrit en fonction des clichés de son époque : "j'ai les yeux bleus qui prouvent que j'étais un gaulois". Premier démenti, le nom "Rimbaud" a une origine germanique. Bref, Rimbaud joue avec une idée convenue qui a une sorte d'assise d'apparence imparable : "les yeux bleus, ça ne fait pas tellement romain, je dois descendre des gaulois". Rimbaud passe ensuite à une idée contestable, il se prête une "cervelle étroite" et une "maladresse dans la lutte", sortes de tares congénitales. Il joue sur une idée d'atavisme, pour parler comme à son époque, et on perd petit à petit en qualité d'évidence. Ici, il crève les yeux qu'il y a de l'ironie, ce qui n'empêche pas que l'idée de "cervelle étroite" va être avalisée comme repère pour l'ensemble du récit de la Saison. Ensuite, Rimbaud passe à une estimation : "je trouve mon habillement aussi barbare que le leur". Ici, il n'est plus question d'un héritage, il revendique une ressemblance, ce qui n'est plus de l'ordre de l'identification en tant que telle. Et il est à noter que l'emploi du mot "barbare" est réservé à l'estimation subjective et pas à l'identification brute de la première phrase. Enfin, dans la déclinaison, le poète marque une distance au sujet de la "chevelure", avec un effet comique où il se glisse de l'incertitude : dans un sens, le poète est trop lâche pour être barbare au point de beurrer sa chevelure, et dans le sens inverse le poète n'est pas assez vain pour chercher à donner de la parure à ses cheveux.
Dans ce premier alinéa, Rimbaud parle des gaulois comme de ses ancêtres. Or, si l'idée d'un héritage (génétique) des yeux bleus se défend quelque peu, l'habillement n'est pas une affaire d'héritage de race. Et Rimbaud est bien évidemment conscient du décalage, puisque ce premier alinéa est une forme de persiflage. Pour les yeux bleus, on peut comparer avec d'autres obsessions : "oh tiens, j'ai le nez d'un Bourbon" ou Lamartine qui se pâmait du fait d'avoir un pied égyptien au lieu d'un pied grec (moi aussi, j'ai un pied égyptien, mais je n'y vois pas une origine).
Et cela prépare le terrain aux développements de la seconde séquence de "Mauvais sang" où l'histoire commune du peuple français devient partie intégrante des individualités. Rimbaud récuse alors le principe de transfert, tout en subissant la limitation de conscience historique : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme." Rimbaud ne va pas s'inventer une contre-histoire par rapport aux livres. Il constate que s'il se cherche dans les livres, il sera forcément à la marge. Rimbaud, il se dit que les sorcières, les mendiants, les reîtres pas trop éduqués, c'était des gens comme vous et moi, des ancêtres de tous les fils de famille qui tiennent tout de la déclaration des droits de l'homme, et ces gens-là ne participaient pas aux conseils des élus. Et l'idée dans "Mauvais sang" et dans "L'Impossible", c'est de contester que Rimbaud en tant que fils de famille qui tient tout de la déclaration des droits de l'homme soit enfin installé dans un monde où il a un pouvoir de décision, ce qui évidemment a un sens redoutable en 1873, puisque si le pays se cherche encore une constitution il n'y a plus ni empereur, ni roi, mais une naissante république, et les forces roturières furent déjà actives sous le premier Empire, sous la Restauration, etc. Et Rimbaud, il va y avoir un petit côté réactionnaire à son discours, parce que, après l'épisode des versaillais sous la Commune, il a l'idée d'une spoliation des idéaux républicains, ce qui est d'ailleurs de pleine actualité en 2024 avec le dirigisme financier d'élites corrompues des Etats-Unis et des pays de l'Union européenne. On n'est pas dans de la démocratie directe, c'est le moins qu'on puisse dire. Oh ! putain !
Je reviens à "Mauvais sang". Dans l'introduction de son livre Rimbaud l'Introuvable, Bardel signale en passant que certains, moi notamment, pensent que l'essentiel de la Saison a été composé avant le drame de juillet. Par exemple, je suis cité pour l'idée selon laquelle Rimbaud a mis à profit son séjour à l'hôpital pour rédiger au propre une partie d'Une saison en enfer et déterminer le choix d'un éditeur local, mais Bardel s'empresse aussi de noter ma concession : "[...] il n'exclut pas que Rimbaud ait 'pu envoyer un complément par courrier en août'." Quelques pages plus loin, Bardel développe l'idée d'une "composition par strates successives" où il commence par citer une thèse qu'André Guyaux a exprimée dans son édition de la Pléiade en 2009 des Oeuvres complètes de Rimbi-Rimbo :
[...] André Guyaux défend prudemment certes, mais clairement, l'hypothèse selon laquelle "le plan n'a sans doute pris sa forme définitive qu'à la fin de l'été et l'essentiel du travail de rédaction s'est vraisemblablement déroulé, à ce moment, à Roche, à l'écart du monde". Il discerne dans "Vierge folle" l' "implication immédiate" du "psychodrame londonien" et de "son issue tragique à Bruxelles". C'est l'approche la plus traditionnelle de la question. J'en proposerai une sensiblement différente.
La remarque sur la prudence de Guyaux a son prix, puisque c'est un moyen de dire que le raisonnement est plus que défendable. Je rappelle que dans mon précédent article j'ai mis en avant un argument saisissant. La légende la Saison propagée par Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon c'est que Rimbaud (Arthur, pas Isabelle !) a écrit Une saison en enfer à Roche au mois d'août. Et Patti Smith a acheté la maison de Roche je crois pour y respirer l'ambiance si j'ai bien compris. Et Bardel et Vaillant, qui bien sûr ne se réclameront pas de Berrichon et de la sœur du poète sont sans s'en rendre compte dans l'exacte filiation de la légende posée par Berrichon et Isabelle. Au fait, ça vous a frappé le petit tour littéraire de la parenthèse : "(Arthur, pas Isabelle)" ? Et donc moi, j'arrive là-dedans et je dis : "Boah ! Patti Smith, elle ne va pas se fâcher si je lui dis qu'elle doit déplacer de quelques mois l'écriture émotive à Roche ?" Oui, en avril, Rimbaud rédigeait le début d'Une saison en enfer à Roche, il développait un plan d'ensemble dans sa tête, l'endroit lui a inspiré des idées sur les paysans, sur le fait d'être hors du monde dans un "triste trou", sur le sentiment de soif et d'horreur... Et la lettre à Delahaye atteste que Rimbaud n'écrit pas froidement, mais qu'il se rend habité par le personnage de fiction, c'est le cas de la quadruple répétition du mot "innocence" brisée par l'occurrence "fléau" ! Rimbaud, pour écrire, se mettait visiblement au niveau émotionnel du personnage.
Qu'est-ce je rigole de l'écart entre ce que j'arrive à percevoir et le consensus très académique et illusoire des rimbaldiens scolaires ou universitaires !
Au passage, l'expression "triste trou" a quelque chose du relief heurté des "b", des "r" et des "e" dans le premier alinéa de "Mauvais sang".
Mais bref, après avoir cité Guyaux, Bardel va passer à sa propre idée. Selon lui, "[l]e livre manifeste, à la lecture, une certaine hétérogénéité." Ce n'est pas faux, mais la phrase veut tout dire et rien dire, on peut exploiter de tant de manières différentes cette idée d'hétérogénéité. Bref, cette phrase met d'accord le lecteur pour subrepticement dans la suite immédiate le prendre par la main et le rendre acquis à l'idée que cette hétérogénéité est celle de la structure même de l'ouvrage : "Bien que Rimbaud ait eu pour souci d'établir des passerelles d'un chapitre à l'autre, par des rappels thématiques, de quasi répétitions parfois, la Saison donne l'impression d'une addition de "petites histoires", liées par un fil directeur assez ténu (la fiction infernale)."
Je ne suis pas d'accord du tout ! Bardel fait passer les répétitions et les rappels thématiques pour du bricolage de surface pour donner un semblant d'unité, alors que, non, ces répétitions et rappels que très souvent les commentateurs ne relèvent d'ailleurs même pas, prouvent au contraire la très solide architecture d'ensemble. Les répétitions ne sont pas du rafistolage de surface, elles sont la preuve que le poète ne perd à aucun moment de vue son propos. Moi, j'ai déjà massivement commenté des répétitions et reprises sur ce blog pour montrer que si on fait attention on voit une vraie continuité, une vraie homogénéité, là où les commentaires habituels s'embrouillent et hésitent au plan du sens littéral. Bardel ne cite pas les répétitions et les rappels thématiques, il ne fait aucun état de lieux, il affirme en passant que les répétitions et les rappels ne sont que du rafistolage. Et comme la lecture de ce texte pose problème, on admet passivement ce que dit Bardel. Moi, pas ! Et surtout, il y a cette idée que la "fiction infernale" mention d'ailleurs en parenthèse n'est qu'un "fil directeur assez ténu". Vous rigolez ? Le terme "Mauvais sang" implique l'enfer et les défauts qu'il s'accorde sont pour partie une énumération des sept péchés capitaux. Les termes "nègre" et "païen" des premiers titres prévus impliquent l'idée d'enfer. Même si Rimbaud écrit dans "Nuit de l'enfer" que "l'enfer ne peut attaquer les païens", je rappelle que ce n'est qu'une opinion qu'il donne à ce moment-là ! Dans la pensée chrétienne, le païen est voué à l'enfer. Virgile vit en enfer quand il promène Dante, et le paradis lui est interdit. Et de toute façon, la phrase : "l'enfer ne peut attaquer les païens" coordonne la référence à l'enfer et aux païens, sachant que c'est l'unique mention du mot "païen" en-dehors de "Mauvais sang" dans tout le reste du livre Une saison en enfer. Et les six mentions du mot "nègre" dans un même alinéa (sur les sept occurrences du livre dans son ensemble), elles servent à introduire une conversion forcée qui suit immédiatement et donc voue le blanc qui est parti se réfugier au royaume de Cham à l'enfer, puisque sa conversion ne prend toujours pas bien.
Rimbaud ne nous a laissé aucun texte où il est question d'un nègre ou d'un païen non concerné par l'enfer. Il n'y a rien de cela dans tout le livre Une saison en enfer. J'ai même envie d'ajouter que les mots "païen" et "nègre" n'ont pas été répétés dans plusieurs endroits de la Saison, preuve que les répétitions choisies par Rimbaud ne sont pas du rafistolage, mais bien les indices de ce qui importe pour lui. Et le mot "innocence", c'est une notion morale étroitement liée à la dialectique de l'enfer. Si le poète n'est pas innocent, l'enfer lui tend les bras. Bardel croit que "Mauvais sang" n'est pas un récit conditionné par la "fiction infernale", mais c'est son problème, pas le mien. Ce que dit Bardel est résolument contradictoire avec le contenu de "Mauvais sang", il va vous falloir dix ans encore de débats stériles pour déterminer si la mention des péchés capitaux parmi les défauts du gaulois supposait d'office une "fiction infernale" du projet rimbaldien ? C'est une plaisanterie ! Et c'est cette plaisanterie qui nous vaut la thèse de "composition par strates successives" de Bardel, page 22 de son livre : il y aurait eu un projet de "Livre nègre ou Livre païen" en avril-mai 1873, puis Rimbaud se serait dit qu'il devait passer à un scénario infernal en mai-juin 1873, puis à cause du drame de Bruxelles Rimbaud se serait dit que son récit en cours était l'occasion d'y insérer une mise au point sur ses problèmes existentiels, et là tout y passe : la philosophie pour "L'Impossible", la relation avec Verlaine dans "Vierge folle", l'expérience poétique dans "Alchimie du verbe", le rapport au travail dans "L'Eclair", dont d'ailleurs Bardel ne s'avise pas que seule une partie de "L'Eclair" correspond à cela, toute une partie du récit "L'Eclair" étant clairement du côté d'une structuration d'ensemble du rapport à la fiction infernale. Et Bardel finit sur la nécessité de faire un avant-propos à ce matériel décousu.
Non, sérieusement, vous ne comprenez pas pourquoi "Vierge folle", sorte de supplique à Dieu (sorte de De profundis clamaui), fait partie de la fiction infernale ? Vous ne comprenez pas le sens de "L'Impossible" dans la fiction infernale ? Vous ne comprenez pas le soufre du récit dans "Alchimie du verbe" avec ce mot même "alchimie" ? C'est une farce, vous vous moquez du monde !
Mais vous allez souscrire à "ça", à ces choses (comme dirait Verlaine à propos des vers d'Amédée Pommier), jusqu'à quand ?
Page 22, Bardel écrit qu'après "Mauvais sang" il y a une "évolution substantielle du projet" puisque "l'image que l'auteur (sic) offre de lui-même " "n'est plus" "celle d'un irréductible sauvage étranger à la loi morale et aux mœurs de l'Occident" mais celle d'un "chretien" "esclave de son bapteme" etc. Or irréductible est une probable allusion comique à Asterix et donc au mot gaulois qui donc ne fait pas du poète un étranger. Et dans Mauvais sang le poète n'est pas un nègre il s'enfuit chez eux. Et il dit aussi ne pas se souvenir plus loin que le christianisme et ce monde. Donc il se dit gaulois par ses ancêtres mais il est bien chrétien.
RépondreSupprimerPage 23, Bardel quasi-affirme (quasi-affirmer est un néologisme nécessaire pour l'analyse de la critique rimbaldienne) que Vierge folle est une des trois histoires évoquées dans la lettre à Delahaye avec Alchimie du verbe et Mauvais sang, donc lien aux trois brouillons et méconnaissance du montage de Mauvais sang) alors que plus haut Page 33 il considère que Nuit decl'enfer est le moment de bifurcation entre la lecture païenne et la lecture infernale....
SupprimerCertes Rimbaud se disputait avec Verlaine avant juillet, mais Vagabonds qui aide à prouver l'écriture précoce de Vierge folle c'est du non raisonnement.
Puis si Vierge folle est écrit en mai avant Bruxelles, le dernier couac a provoque donc l'envie de parler d'autre chose que de Verlaine ?
Et qu'à écrit Rimbaud en mai et juin ? Puisqu'il fait en laisser pour juillet-aout ?
Et on en termine.
SupprimerDonc en passant Bardel constaté que tout devmeme Vierge folle appartient à l'idée de la chute en enfer il est question de l'epoux infernal. Avoir vu la contradiction exonererait Bardel de toute critique sur sa thèse.
Puis vous l'avez compris. Bardel prend au pied de la lettre la rhese de feuillets tirés d'un carnet intime.
Il affirme que les derniers textes impossible éclair matin et adieu sont de juillet. Rimbaud n'a rien écrit en juin. En avril mauvais sang Alchimie du verbe et vierges folle. En mai Nuit de l'enfer.
En juin il s'est tourné clés pouces.
Et les arguments d'autorité sont la. Guyaux pense que ces dernières parties furent rédigées tardivement à Roche. Et les arguments ? Et Guyaux il a publié quoi comme livre ou article sur la Saison ? Puis Brunel à dit que le prologue a du être écrit apres-coup, ben oui comme au lycée on rédigé l'intro une fois le plan détaillé établi sur le brouillon. Et alors ?
Je croyais avoir fini et je trouve ceci page 31 a propos de Mauvais sang section 7 : "le thème central de cette section est au fond le même que celui du prologue".
SupprimerAh !
Bardel nous a expliqué que le projet a changé tout le temps : d'abord le paganisme de Mauvais sang, ensuite l'affrontement à l'enfer, ensuite le cérébral et enfin un prologue pour relier tant bien que mal le tout. Et voilà que la péripétie centrale de Mauvais sang est déclarée homogène au prologue....
Il y a une partie de l'essai de Bardel auquel je n'ai pas encore fait un sort, c'est la partie sur l'hétérogénéité des genres littéraires dans la Saison : confessions, conte, carnet, monologues de théâtre. Sur le carnet, il y a un défaut évident, puisque les deux Délires ne sont pas analysés comme des anomalies dans le carnet, ou à peine pour "Alchimie du verbe". Puis, les monologues de théâtre sont traités trop distinctement de la logique de carnet.
RépondreSupprimerPour la référence au conte, là il y a un énorme problème. Bardel prétend identifier le schéma narratif non sur l'ensemble de Mauvais sang à Adieu, mais il plaque le schéma narratif sur la prose liminaire et pense que ça va de soi.
Bardel a été enseignant, je l'ai été, et quand Bardel dit que les sept premiers alinéas sont la situation initiale et que l'élément perturbateur commence à l'alinéa du récent risque de "dernier couac", il oublie que la méthode mécanique des collégiens identifiera l'élément perturbateur au second alinéa avec le "Un jour", marque de soudaineté, et le passage après l'imparfait du premier alinéa au passé simple. Le schéma narratif est un problème scolaire, une codification erronée appliquée aux textes. Il y a plein de choses à dire. Je vais faire un article conséquent pour battre en brèche ce concept...
Enfin, Bardel revient sur la tension entre la prose liminaire et la section "Adieu" en prétendant que tout est résolu, Bardel infléchissant nettement sa lecture ancienne pour se rapprocher de la mienne et de celle de Claisse, mais il y a un problème à dire béatement que tout est réglé et surtout il y a une valeur de la prose liminaire qui n'est jamais enregistrée : la dédicace à Satan prépare le lecteur à estimer quelque peu retors le propos édifiant et goguenard qui clôt "Adieu".
A suivre...
Je relis l'essai de Vaillant sur la Saison et je relève à l'instant ceci sur les trois histoires avouées composées à Delahaye dans la lettre de "Laitou" : Vaillant identifie les trois histoires à trois parties titrées : "Mauvais sang", "Vierge folle" et "Alchimie du verbe", et sans rien en faire, il lâche pourtant que ces trois segments peuvent être "des fragments fondus dans d'autres séquences au moment de la phase finale d'écriture." Et il passe outre !
RépondreSupprimerBen oui, c'est ça l'idée importante qu'on laisse filer. "Mauvais sang" est un mix des trois histoires annoncées à Delahaye. Il n'y a pas de mythe nègre ou païen dans "Vierge folle", "Alchimie du verbe", etc. Et ces mythes sont résiduels, de simples allusions dans "Nuit de l'enfer". Et c'est pareil pour le motif de l'innocence.
Et mieux encore, je le pense depuis quelque temps, mais j'oublie de l'écrire, alors ceci : première histoire sections 1 à 3 de "Mauvais sang", c'est un livre païen, deuxième histoire sections 4 et 8, troisième histoire, sections 5 à 7, un "livre nègre où la préservation de l'innocence tourne court". On peut imaginer que "Nuit de l'enfer" soit la 3e histoire, ce qui ferait envisager les sections 4 et 8 comme le brouillon poursuivant l'histoire des sections 1 à 3, mais c'est forcé les données qui ne vont pas tout à fait naturellement dans ce sens.
Notez que Vaillant fait l'inverse de ma proposition séquences pour les parties titrées (les chapitres dans le choix de Bardel) et ils conservent le mot "sections" pour les subdivisions de "Mauvais sang" et "Adieu".
Je fais un choix d'employer "sections" pour les parties titrées et "séquences" pour les subdivisions internes. Je ne dis pas avoir raison, mais quel peut être le juste emploi des termes section, séquence ou chapitre ? Je trouve qu'il y a un problème.
coquille "c'est forcé" au lieu de "c'est forcer".
SupprimerSinon, j'oubliais cette autre idée.
Sur les brouillons qui nous sont parvenus, d'abord, il faut se garder de la tentation de considérer que les trois textes sont successifs à ce moment de l'élaboration. Par exemple, on peut imaginer que Rimbaud fasse lire à Verlaine une part plus substantiel de l'avancement de la Saison avec Mauvais sang, Fausse conversion alias Nuit de l'enfer, éventuellement Vierge folle, puis Alchimie du verbe (dont en brouillon nous n'avons que la fin !), puis L'Impossible et peut-être plus. On peut même penser à une version de Vagabonds incluse dans le projet initial.
Puis Rimbaud reprend sa liasse et il peut dire à Verlaine : ce brouillon-là je peux te le laisser, ça non, ça non, ça oui je peux te le laisser, ça non, ça aussi tu peux le prendre. Et Verlaine se retrouve avec trois parties du récit qui ne sont pas successives. Si les brouillons de Mauvais sang et Fausse conversion s'enchaînent (du moins section 8 de l'un et contenu de Nuit de l'enfer), "Alchimie du verbe" est éloigné. Qui plus est, seule la fin de "Alchimie du verbe" nous est parvenue sous forme de brouillon. Soit Rimbaud a gardé le début, soit le début contenait sur l'autre côté un texte Vierge folle qui déplaisait à Verlaine par des insinuations biographiques (fameuse lecture privilégiée d'ailleurs par Bardel et Vaillant).
Une autre idée a estimé. Nuit de l'enfer décrit l'absorption du poison qui précipite en enfer, et le titre pour le même texte de "Fausse conversion" sur le brouillon a fait naître l'idée que le poison qui jette en enfer était le baptême, ce qui justifierait le caractère contradictoire des titres Fausse conversion et Nuit de l'enfer pour le même récit.
Or, puisque les sections 4 et 8 sont fondues, l'idée c'est que Rimbaud a dû composer un texte de fausse conversion où le poète finit par vouloir s'empoisonner, le récit des sections 5 à 7 mais sous une forme distincte et Nuit de l'enfer était la suite immédiate, les atermoiements qui s'ensuivent. Ce qui nous empêche de voir que les sections 5 à 7 sont la fausse conversion qui tourne mal dans "Nuit de l'enfer", c'est que nous lisons la clausule de la section 7 et surtout la 8e section qui clôt "Mauvais sang" comme des moments où la conversion a été rejetée, dépassée. Ce qui ne saurait être le cas, puisque dans Nuit de l'enfer le poète s'adresse à Dieu comme il le faisait dès la quatrième section de "Mauvais sang".
A suivre toujours...