lundi 25 mars 2024

Aspects intéressants du poème "Credo" de Richepin révélé par Jacques Bienvenu

Jacques Bienvenu a ouvert une série d'articles "Rimbaud lecteur de Richepin ?" dont le dernier en date, qui est précisé comme "suite" et non comme "fin", offre un poème inédit de Jean Richepin, fort antérieur à la publication de la Chanson des gueux en 1876 qui a lancé sa carrière littéraire publique.
J'ai fait immédiatement allusion à cet article à sa parution, parce que j'ai trouvé amusant que le poème nous soit donné à lire directement dans son état manuscrit, alors même que les rimbaldiens se permettent, de façon clairement tendancieuse, de tergiverser sur le déchiffrement de passages non raturés "ou daines" et "Nuit" dans le cas de "L'Homme juste", puis désormais "autels" dans le cas du brouillon connu pour l'élaboration du chapitre "Mauvais sang" d'Une saison en enfer. J'ai ironisé contre la mauvaise foi et la paresse intellectuelle très inquiétante des rimbaldiens. D'ailleurs, avez-vous bien lu les prénoms du poète dans la signature : "Jean Richepin" ou plutôt "Aug. - Jules Richepin ?" A vous de VOIR !
Ici, la révélation du texte de Richepin étant encore toute chaude, je vais faire un premier article d'analyse plus détaillée des enjeux de ce document. Après tout, je n'ai rien fait de tel ni pour "Famille maudite", ni pour "Le Rêve de Bismarck", ni pour la lettre à Andrieu de juin 1874.
Je donne au préalable les liens pour consulter les deux articles de Jacques Bienvenu.


Dans cet article, Bienvenu précise un fait d'actualité avec la vente d'un manuscrit du poème "L'Eternité" qui avait appartenu à Jean Richepin. Et il écrit ceci : "On sait que Rimbaud avait de l'amitié et probablement de l'admiration pour lui."
Pour ma part, je suis plus réservé en ce qui concerne l'éventuelle admiration. Premièrement, nous n'avons aucun témoignage direct ou indirect de ce que Rimbaud pensait de Richepin tant comme ami que comme poète. Nous avons uniquement un récit fait par Richepin lui-même, mais un récit qui paraît suspect à bien des égards et qui va de pair avec une relative indifférence de Richepin à l'égard de la gloire naissante de Rimbaud au début du vingtième siècle. Deuxièmement, les poèmes de Richepin ne sont pas ceux d'un écrivain de premier plan, en sachant qu'il a eu une carrière assez mondaine avec Sarah Bernhardt qui ne cadre pas complètement avec l'image d'Epinal qu'on donne de lui avec La Chanson des gueux. Troisièmement, je n'ai pas les références sous la main, mais Verlaine s'exprime lui-même de manière assez cassante au sujet du talent poétique de Richepin.
Et puis, il y a d'autres énigmes. Certes, Richepin possédait un ensemble de poèmes en vers de 1872 de Rimbaud et il semble avoir possédé aussi un exemplaire d'Une saison en enfer, mais on ne sait pas si Richepin a comme Millanvoye hérité de ces documents de seconde main ou s'il les a reçus de la main même de Rimbaud. On va peut-être penser que je fais un blocage sur Richepin, mais j'observe dans la transmission des manuscrits de Rimbaud une subdivision fort intéressante. Le dossier passé de Forain à Millanvoye contenait un portefeuille paginé de poèmes en vers première manière (1870-1872), un dossier en prose "Les Déserts de l'amour" qui doit être une version alternative sinon embryonnaire de "La Chasse spirituelle" et un ensemble de compositions nouvelle manière toutes datées de mai 1872 : "Comédie de la soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de cassis" et "Larme". Et de son côté, Jean Richepin a hérité d'un ensemble intitulé "Fêtes de la patience" qui rassemble quatre poèmes dont trois sont datés de mai 1872 et un de juin 1872.
En clair, Forain et apparemment Richepin ont reçu de la main de Rimbaud toutes ses compositions datées du mois de mai 1872, avec un excédent le poème "Âge d'or" daté de juin. On peut soupçonner une suite chronologique des compositions. Rimbaud a commencé à composer d'une nouvelle manière avant de quitter Paris en mars 1872, puisqu'une version de "Tête de faune" figure dans le dossier paginé des copies essentiellement faites par Verlaine. Le poème "Comédie de la soif" est constitué de quatre poèmes qui forment un ensemble de 75 vers. On peut parier que le poème a été commencé dès le mois d'avril. On ne peut pas exclure non plus que Rimbaud ait repris sa pratique de datation approximative de 1870, en datant de mai 1872 une ultime version recopiée pour Forain. D'après la correspondance de Verlaine, Forain avait sécurisé un dossier de poèmes manuscrits de Rimbaud. Selon toute vraisemblance, le dossier paginé concocté par Verlaine et remanié pour "Les Mains de Jeanne-Marie" et "L'homme juste" lors du retour de Rimbaud à Paris. En gros, comme Forain possédait ce dossier paginé en dépôt, Rimbaud a continué de lui remettre ses dernières créations : "Les Déserts de l'amour", "Comédie de la Soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis" et "Larme". Il va de soi qu'un double, avec sans doute plutôt des manuscrits autographes, a été détruit par la famille Mauté. Je rappelle que, minorant au maximum les faits (elle n'allait pas avouer publiquement cette destruction), Mathilde admet dans Mémoires de ma vie la destruction de poèmes déjà publiés : "Voyelles" et "Les Chercheuses de poux". Donc, Rimbaud a remis les poèmes en chantier en avril et finis au milieu du mois de mai, sinon dès son retour vers le 7 mai 1872, à Forain. Et on dirait que, pour des raisons inconnues, au lieu d'étoffer le dossier du côté de Forain, Rimbaud a préféré remettre la suite de ses composition, quatre poèmes réunis sous le titre "Fêtes de la patience" à un membre du Club des Vivants, à une époque où ceux-ci écrivent précisément à nouveau dans le corps de l'Album zutique, puisque nous avons des allusions à la tête décapitée de Mérat exposée en peinture, sujet d'actualité au mois de mai 1872. Moi, j'ai l'impression que l'explication est là, toute simple. A son retour d'exil, Rimbaud, devenu indésirable parmi les parnassiens et les membres du dîner des Vilains Bonshommes, découvre qu'on est fort réticent à le publier dans la revue La Renaissance littéraire et artistique. On attendra qu'il soit parti loin à Londres pour publier son poème "Les Corbeaux" en septembre 1872. Et Rimbaud doit se refaire des amis, au-delà de Verlaine. On peut penser que ses liens aux membres du Cercle du Zutisme sont en pleine dissolution. Nous avons du témoignage dans le cas des frères Cros. Et le voilà qui fréquente de nouveaux jeunes, Les Vivants, lesquels sont amis avec Léon Valade qui visiblement est alors le détenteur de l'Album zutique. Forain et Valade sont les derniers amis de la première heure, mais des amis qui ont déjà dans l'idée de prendre leurs distances, et donc il ne reste que Verlaine avec Rimbaud. D'Angleterre, c'est Verlaine qui écrivait Blémont, lequel n'a pas conservé de lettres de Rimbaud sur lui. Nouveau critiquait Blémont dans une lettre à Verlaine, et si Verlaine a pris la défense de Blémont, on peut se demander si Nouveau n'a pas critiqué Blémont parce que Rimbaud l'englobait dans son mépris. Verlaine avait encore des amis, mais la situation de Rimbaud était nettement détériorée. Rimbaud a alors remis la primeur d'une version manuscrite des "Fêtes de la patience" aux membres littéraires du cercle des "Vivants" qui apportèrent des contributions à l'Album zutique en mai, puis à la fin de l'année 1872. Richepin en faisait partie et c'était un ami d'Izambard, et du coup on se demande comment Richepin et Rimbaud se sont rencontrés. Richepin ne connaissant pas Rimbaud, et Rimbaud étant en froid avec Izambard, on peut envisager une histoire triviale. Richepin est présenté à Rimbaud à Paris lors d'on ne sait quelle réunion, et éventuellement Rimbaud lui parle d'Izambard, ce qui n'est même pas certain, mais Richepin est un moyen intermédiaire pour Rimbaud de prendre une revanche sur le professeur Izambard. Par exemple, Richepin peut faire savoir à Izambard que Rimbaud lui a offert des manuscrits très intéressants coiffés d'un titre général "Fêtes de la patience". Malheureusement, c'est tout un univers de supputations, puisque nous manquons de documents précis pour rendre compte de ce qui s'est réellement passé. Il me semble tout de même qu'à travers les lettres de Nouveau Rimbaud ne se montre pas spécialement soucieux d'entretenir une relation épistolaire avec Richepin. Et, finalement, Richepin a-t-il reçu de Rimbaud les quatre poèmes en question, parce qu'il était un ami d'Izambard, parce que c'est le seul des "Vivants" qui s'est montré intéressé par un don de manuscrits inédits ou bien parce que Rimbaud a voulu que les "Vivants" le connaissent et qu'accessoirement les manuscrits ont fini dans les mains de Richepin ?
J'ajoute encore ceci. La coïncidence de la ligne de démarcation entre les manuscrits de mai 1872 remis à Forain puis à Richepin invitent à penser qu'il s'agit d'un don qui s'est effectué au début du mois de juin 1872. Etrangement, daté de la fin du mois de juin 1872, le poème "Jeune ménage" a été recopié sur une missive prévue pour Forain, ce qui montre bien qu'on tourne alors sur un cercle très restreint de personnes, et cela peu de temps avant le départ précipité pour la Belgique qui supposait la coupure des liens avec les contacts parisiens. Enfin, tous les poèmes nouvelle manière remis à Forain et Richepin existent dans des versions manuscrites alternatives plus tardives qui ont été publiées au sein de la première édition des Illuminations par la revue La Vogue en 1886. Il faudrait se pencher sur l'ordre des manuscrits des poèmes en vers nouvelle manière du dossier de 1886 pour vérifier, dans l'hypothèse où nous pourrions le fixer, s'il correspond à l'ordre chronologique ou à l'ordre tout court des poèmes remis à Forain, puis Richepin, d'autant plus que les manuscrits de Forain comme de Richepin n'ont été découverts qu'au vingtième siècle. Donc ce serait amusant de vérifier si la liasse manuscrite des poèmes en vers nouvelle manière a pu coïncider avec la distribution des manuscrits remis à Forain et Richepin. Il y a deux choses à vérifier. Est-ce que depuis 1886, en dépit du mélange avec les proses du recueil originel des Illuminations, nous avions d'abord dans l'ordonnancement des manuscrits : "Enfer de la soif", les versions sans titre de "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis" et "Larme" avant "Fêtes de la patience", et si nous avions précisément le même ordre de défilement pour "Enfer de la soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis" et "Larme" dans les états originels des manuscrits détenus par Forain ou les membres de la revue La Vogue ?
En attendant, la relation réelle entre Rimbaud et Richepin demeure un mystère. Notez tout de même qu'en gambergeant je soumets des hypothèses inédites : donner les "Fêtes de la patience" à Richepin peut être une façon de régler des comptes avec le condescendant Izambard... Et même le don d'un exemplaire d'Une saison en enfer peut être fait dans l'espoir que l'ami Richepin exhibera la pièce, un livre imprimé, sous les yeux du professeur incrédule. Rimbaud n'aura rien demandé de tel expressément en tout cas, vu la suite. Richepin préférera le lancement de la carrière de Maurice Bouchor, de toute façon, l'ironie du sort s'acharnant sur Rimbaud. Richepin avait après tout peut-être plus d'affinités avec Izambard qu'avec Rimbaud.
Il faudrait passer du temps à éplucher tout ce qui a été rapporté par les contemporains sur Richepin et Rimbaud, il faudrait éplucher les récits de Richepin qui ne sont pas spécialement connus. Je les ai à peine eus entre les mains. J'ai dû les lire deux fois il y a très longtemps, pas plus.


Dans ce nouvel article, Jacques Bienvenu offre un fac-similé d'un manuscrit inédit d'un poème de Jean Richepin. Il ne l'accompagne que d'une note plutôt succincte. Il y a des droits réservés et le manuscrit appartient à Yves Jacq. Je savais par Jacques Bienvenu (j'ai participé aux débuts du blog Rimbaud ivre) qu'Yves Jacq possédait des documents inédits sur le poète Jean Richepin, mais j'ignorais totalement ce que ça pouvait être. Je n'étais pas dans la confidence, à part que je savais qu'Yves Jacq possédait des documents inconnus des rimbaldiens. J'ai tenu ma langue, je n'en ai jamais touché un mot nulle part.
Je découvre donc en même temps que tout le monde le manuscrit du poème "Credo". Il est recopié au recto et au verso d'un même feuillet, comme l'attestent la relative transparence du papier utilisé. On devine le texte du verso ("Mais...") à l'envers sous l'illustration du recto et le début du recto "Je..." sous l'illustration du verso.
Avant même la lecture du poème, la dédicace retient toute mon attention : "A mon ami G. Izambard." Le mot d'adresse est flanqué d'un point. Nous avons un court trait de séparation puis le titre Credo (non souligné, alors qu'il s'agit d'un mot de latin : pas d'accent aigu), puis un nouveau trait de séparation.
C'est EXACTEMENT la présentation adoptée par Rimbaud pour son envoi à Banville du poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". L'adresse : "A monsieur Théodore de Banville" n'est pas flanquée d'un point, Rimbaud le réservant au titre du poème, mais pour le reste, c'est identique !
Et la symétrie vaut pour la fin de transcription, puisque la datation en épigraphe est placée à la fin du poème à côté de la signature "Alcide Bava".
Rimbaud ne lisait certainement pas souvent des poèmes manuscrits dédicacés à son époque, à plus forte raison avant septembre 1871, et personnellement je n'y connais rien aux habitudes d'époque en fait de présentation manuscrite des dédicaces. Pour l'instant, je trouve la coïncidence frappante. Tout converge.
Et je vais ajouter un petit scoop. Rimbaud a écrit à Banville un poème en octosyllabes. Le poème "Credo" est en octosyllabes lui aussi. On peut opposer les quatrains de l'un et les huitains de l'autre, mais les octosyllabes ça nous fait un point commun supplémentaire. Et puisque nous sommes en si bon chemin, il me semble que "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", c'est une sorte d'anti-crédo. On en vient à se demander si le poème envoyé à Banville ne raille pas indirectement le professeur Izambard qui lui aurait montré le manuscrit inédit de Richepin auparavant du coup. Et je vais boucler la boucle. Comme le signifie l'article de Bienvenu, le poème "Credo" aurait été montré très tôt à Rimbaud par son professeur Izambard. Rimbaud a composé le poème "Credo in unam" en avril et mai 1870, alors qu'il ne connaît pas encore Izambard depuis tant de mois que ça. L'idée de reprise du titre est sensible : l'écho a peu de chances de relever de la coïncidence. Il est clair que Rimbaud a dû avoir des exemples d'emploi du mot "credo" en titre de poème sous les yeux pour avoir l'idée non seulement du calembour : "credo in unam (une âme)" avec corruption satirique du masculin "credo in unum", mais pour carrément faire du calembour le titre du poème.
Rappelons qu'Izambard est né en décembre 1848, il n'a que six ans d'écart avec Rimbaud, ce qui est moins que les dix ans avec Verlaine, puis que Jean Richepin est né en février 1849, ce qui ne fait que trois mois de moins qu'Izambard et cinq ans et demi d'écart avec Rimbaud. Le poème remis à Izambard est précisé avoir été composé à "Douai" en "janvier 1866". A ce moment-là, Izambard avait à peine 17 ans, et Richepin ne les aura pour sa part que le mois suivant. A cette époque, Richepin était élève au lycée de la ville de Douai. Je n'ai pas vérifié le cursus scolaire d'Izambard : était-il en classe avec Richepin ou était-il à un an d'écart dans les études ? Je l'ignore, ce détail ne m'ayant jamais importé jusqu'à présent. Je dois même vérifier s'il était bien élève à Douai où résident les tantes Gindre. Izambard n'a rencontré Rimbaud qu'à partir du mois de janvier 1870, mais en tant que professeur de rhétorique pour une classe de 25 élèves. Rimbaud était déjà un élève réputé pour ses copies en latin, Izambard s'est plus que visiblement immédiatement mis dans une proximité de collègues littéraires avec lui, sur le modèle de sa relation avec Richepin quelques années plus tôt. Seulement, la situation était différente : nous passions de deux amis lycéens avec trois mois d'écart à une relation de professeur à élève où les six ans d'écart prennent du sens, puisque Rimbaud étant né le 20 octobre 1854 et son poème "Credo in unam" daté alors du 29 avril 1870 a été envoyé par lettre le 24 mai suivant à Banville, cela veut dire que Rimbaud n'avait pas encore tout à fait quinze ans et demi quand Izambard lui a montré le poème de Richepin. Richepin n'était pas connu, mais on imagine sans peine le professeur Izambard qui élève Rimbaud en lui montrant qu'il peut être estimé comme ce poète inconnu Richepin de dix-sept ans, un professeur Izambard qui se sert de cet exemple pour faire passer le rapport de maître à élève sous une forme de complicité amicale à venir, et face à cela un Rimbaud dont on ne sait pas ce qu'il pense du poème de Richepin, mais un Rimbaud qui cherche à se faire reconnaître, et ça peut alors commencer par la reconnaissance d'adultes locaux inconnus, un professeur Izambard et des amis poètes du genre Paul Demeny et Jean Richepin. A l'évidence, Rimbaud vise d'emblée plus haut puisqu'il écrit à Banville dès le mois de mai 1870, vingt-cinq à ving-six jours après la date de composition revendiquée pour "Credo in unam" (29 avril pour une lettre du 24 mai).
Sur la lettre à Banville, je n'ai pas le fac-similé sous les yeux, mais nous avons en en-tête de la lettre une adresse "A monsieur Théodore de Banville." Et nous avons cette fois une adresse terminée par un point. Puis, les dates de composition des trois poèmes envoyés et inclus dans la lettre sont systématiquement placées après la transcription de chaque poème correspondant avec à chaque fois la signature : "A. R." pour les deux quatrains, "Arthur Rimbaud" pour "Ophélie" et "Credo in unam".
Il est intéressant d'observer que du coup les deux lettres de Rimbaud à Banville portent la trace d'une rumination par Rimbaud de cet inespéré manuscrit de Richepin détenu par Izambard que viennent de nous révéler Jacques Bienvenu et, ne l'oublions pas, Yves Jacq. Et ce lien est d'autant plus pertinent que la lettre contenant "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" contient un rappel de la lettre ayant contenu "Credo in unam".
Et je ne vais pas m'arrêter là !
Vous allez voir que c'est plus impressionnant que ça encore !

Donc, en août 1871, Rimbaud envoie un poème dédicacé "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" à Banville sous une forme similaire à celle adoptée par Richepin quand il fit don du poème "Credo" à Izambard. La différence vient de ce que Rimbaud a bien été obligé de compléter sa lettre par un mot de prose. On sent que ça l'a embarrassé et que le résultat est hybride, puisque Banville a ouvert un courrier assez long, mais qui commençait par une dédicace et un poème en octosyllabes, et ce n'est qu'après la lecture du poème qu'il rencontrait le message plus prosaïque de la missive. Il est clair que Rimbaud a voulu que Banville ressente l'envoi d'un poème manuscrit dédicacé, tout en se pliant à son désir compulsif d'économie en transcrivant le texte de la missive sur le corps manuscrit du don de poème.
Mais ce mot final prend du relief, parce que, du coup, immédiatement après la lecture du poème nouveau, Banville se prend dans la figure des remarques un peu moins amènes, et dans ces remarques Rimbaud fait une double allusion au poème "Credo" de Richepin. Rimbaud cite le titre "Credo in unam" qu'il veut rappeler à la mémoire de Banville, et en ce sens on pourrait dire que le rappel du titre "credo" de Richepin est désormais involontaire de la part de Rimbaud, sauf que dans ces quelques lignes, Rimbaud ajoute une précision étonnante : "J'ai dix-huit ans". C'est faux, il n'a encore que seize ans et dix mois. Ce mensonge est connu et commenté : Rimbaud se vieillit, il cache une information visiblement un peu confondante. Mais, il y a plus intéressant à observer désormais, puisque le poème "Credo" a été composé par Richepin quand il avait seize ans et onze mois. Vous mesurez la coïncidence ? Rimbaud a envoyé le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" à Banville à seize ans et dix mois avec la même présentation que le poème manuscrit "Credo" que Richepin a remis à seize ans et onze mois à Izambard. J'ignore si Rimbaud avait une idée exacte de l'âge de Richepin, il a pu se fonder sur l'âge même du professeur Izambard de toute façon : "dix-sept ans et deux mois" en janvier 1866. Ceci dit, quelles qu'en soient les raisons, Rimbaud ne joue pas la coïncidence réelle sur sa lettre, puisqu'il dit avoir non pas dix-sept ans, mais dix-huit. De deux choses l'une, du moins si vous envisagez que Rimbaud s'ingénie à faire une référence impossible à identifier pour Banville au manuscrit de Richepin, soit Rimbaud croyait qu'en janvier 1866 Izambard et Richepin avaient plutôt dix-huit ans, soit il considère qu'il ne peut pas écrire moins de dix-huit ans dans une lettre à Banville, lequel a d'ailleurs publié son premier recueil précocement à dix-neuf ans. C'est d'ailleurs à se demander si la date de publication en 1842 des Cariatides n'était pas un des arguments sur la jeunesse qui justifiait d'essayer de se faire élever par la main de Banville en mai 1870. En tout cas, chassez la coïncidence par la porte, elle revient par la fenêtre, puisque dans cette lettre d'août 1871 Rimbaud après avoir qu'il a désormais "dix-huit ans" précise selon une logique mathématique implacable que l'année précédente il n'avait que dix-sept ans, donc l'âge même du don de "Credo" par Richepin à son ami Izambard. Dans de telles conditions, il est difficile de ne pas prendre au sérieux que, même si cela ne concerne pas Banville, la lettre qui est envoyée à celui-ci porte la marque de ruminations de Rimbaud du côté de sa relation compliquée avec Izambard. Je cite cette fin de lettre :

                 Monsieur et cher Maître,
           
            Vous rappelez-vous avoir reçu de province, en juin 1870, cent ou cent cinquante hexamètres mythologiques intitulés Credo in unam ? Vous fûtes assez bon pour répondre !
                 C'est le même imbécile qui vous envoie les vers ci-dessus, signés Alcide Bava. - Pardon.
                 J'ai dix-huit ans. - J'aimerai toujours les vers de Banville.
                 L'an passé je n'avais que dix-sept ans.
                 Ai-je progressé ?

Je rappelle qu'Izambard était plus concrètement lui aussi un "maître" pour Rimbaud et qu'il s'offusquait de l'appellation "Monsieur" en tête d'une lettre datée du 13 mai 1871, le mot "Monsieur" désignant l'odieux bourgeois ennemi des communards. On a bien une symétrie subreptice entre Banville et Izambard dans la pensée critique de Rimbaud.
L'adresse pour répondre chez Bretagne ne permet pas seulement d'éviter que la mère ne confisque le courrier, elle crée aussi un certain flou sur la vie de ce prétendu jeune homme qui n'aurait pas sa boîte aux lettres et qui du coup ne vivrait pas non plus chez sa mère en tant que mineur. J'ignore si avec la question "Ai-je progressé ?" Rimbaud a conscience d'être à la limite du jeu de mots avec les verbes "croire" et "croître" présents dans son poème Credo in unam. En tout cas, il signale très clairement à son interlocuteur qu'il a bien compris les signes sociaux qui le discréditaient : jeune âge, ça compte beaucoup de passer de dix-sept à dix-huit ans ; origine provinciale, le ruban est dans le pré ; souci de ne pas déranger : "Pardon" et persiflage : "Vous fûtes assez bon pour répondre !" La prose se ressent encore de son sentiment d'humiliation : "Ai-je progressé ?", "le même imbécile", "Vous fûtes assez bon..." Jacques Bienvenu a développé une théorie qui me semble juste et même évidente sur le fait que Rimbaud a lu les premiers chapitres du traité de Banville où figure le mot "imbécile", et il va de soi que "Alcide bava" est un jeu de mots avec le nom mythologique d'Hercule et le verbe "baver" en impliquant une allusion aux poèmes mythologiques des parnassiens en général et de l'auteur des Exilés en particulier, mais on pense aussi à un dégonflement de la matière mythologique qui correspond aussi au passage de "Credo in unam" à la poésie nouvelle mais commerciale et bourgeoise si magnifiquement sublimée d'ironie dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", Bienvenu ayant aussi publié un article sur la signature "Alcide Bava". Et voici que cet extrait en prose permet désormais d'interroger une nouvelle révélation faite par Bienvenu, puisqu'on dirait clairement que le nouvel envoi à Banville sert à Rimbaud à passer la frustration vécue avec Izambard. Et en ce sens les allusions au poème inédit de Richepin n'ont rien d'anodin pour chanter l'éveil fraternel dans de futures biographies de Rimbaud, maintenant que l'autre n'est plus là. Notons que tout pouvant faire sens, j'ai déjà dit par le passé que quelqu'un avait relevé la présence du mot "abracadabrantesques" croisement des néologismes de Gautier "abracadabrant" et "abracadabresque" dans un livre encore récent d'un écrivain douaisien Mario Proth, livre qui datait d'ailleurs si ma mémoire est bonne de 1866 même, et livre qui faisait une revue des poètes français à travers l'histoire au nom d'une visée. Les rimbaldiens, ils m'ont dit oralement : "Mais on s'en fout de Mario Proth, c'est nul, ça n'a aucun intérêt !" Et ils ne relaient pas l'information ! Ils continuent du coup d'attendre le jour où on identifiera enfin un emploi par Gautier de l'adjectif "abracadabrantesques". Les rimbaldiens refusent de considérer que Rimbaud ait médité ses grandes idées à partir d'inconnus dérisoires, que ce soit Demeny ou Proth. Pourtant, Demeny a fait paraître après avoir connu Rimbaud un recueil intitulé Les Visions avec un poème liminaire "Les Voyants", sans qu'on ne puisse affirmer qu'il ait pillé l'idée à Rimbaud, puisqu'il s'agit d'un poncif romantique employé massivement par Hugo et tant d'autres, et puisque Rimbaud dit à Izambard et Demeny qu'il faut être "voyant" en sachant peut-être (c'est une hypothèse) pertinemment que Demeny prévoyait un recueil sur ce sujet et peut-être avec un tel titre. Izambard et Demeny sont liés à Douai, l'un plus que l'autre mais peu importe, Richepin a été élève à Douai et c'est ce qui a du sens pour Rimbaud avec le poème "Credo". J'en suis à me demander si Richepin et Izambard n'étaient pas au collège ensemble à Douai (excusez-moi si je n'ai jamais fait attention à ce point), et cela aurait été au même moment où un douaisien publie un livre avec la seule attestation connue à l'heure actuelle du mot "abracadabrantesques" avant son emploi par Rimbaud, mot que Rimbaud emploie dans un poème dont ceux qui en ont eu la primeur sont liés à Douai : Izambard le 13 mai 1871 et Demeny le 10 juin 1871, et le poème de Richepin mentionne la ville "Douai". Comme les rimbaldiens rejettent le provincial Mario Proth, Rimbaud appréhendait le rejet de soi comme provincial par Banville, lequel est né à Moulins, en province donc, mais la légitimité ne s'acquiert que par la montée à Paris, et cela veut dire que, dans ce monde d'hypocrites, on ne vous reconnaîtra qu'autant que vous ayez déjà quelques paliers de reconnaissance acquise.
Et Rimbaud parle du nombre de vers de "Credo in unam" : "cent ou cent cinquante hexamètres", il utilisait des valeurs similaires dans sa lettre à Demeny où il parlait de ses "Morts de Paris" et de ses "Amants de Paris", deux poèmes qui nous sont hélas définitivement inconnus (s'ils ont existé, ce qui reste tout de même probable). Le poème est en rimes plates (à une corruption près commentée par Benoît de Cornulier), ce qui fait que le chiffre de cent cinquante est possible. Tout en quatrains, le poème "Le Bateau ivre" compte cent vers. Il atteint ce chiffre rond de "cent hexamètres" tout en étant aussi quelque part un exercice de progression d'une poésie mythologique adossée à des modèles romantiques ou parnassiens et des références antiques à une poésie créant sa propre mythologie en allant bien au-delà de la satire funambulesque de "Ce qu'ont dit au poète à propos de fleurs", poème en quarante quatrains : 160 octosyllabes. Quarante quatrains : vous commencez à sentir le persiflage du nombre de vers académique : quarante quatrains ou cent alexandrins dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et "Le Bateau ivre" ? Vous sentez la dimension que nos réflexions sont en train de prendre ? On est en train de constater par des observations faites à la loupe que Rimbaud ruminait toutes les frustrants manques de reconnaissances qu'il accumulait dans sa vie, tant avec Izambard qu'avec Banville. Vous imaginez que du coup le poème "Le Bateau ivre" s'inscrit dans cette dynamique d'un poète qui veut progresser pour effacer le ressenti humiliant des réponses condescendantes initiales d'Izambard et Banville. Vous le voyez bien que, Rimbaud, quand il écrit à Banville, il pense encore à l'humiliation subie avec Izambard, alors même que réussir à séduire Banville rendrait dérisoire le mépris insultant d'Izambard !
Que ça plaise ou non aux rimbaldiens, il ne faut pas négliger les relations de Rimbaud à la lecture de Richepin, de Mario Proth ou de Paul Demeny. Ces rimbaldiens, ils sont habitués à vivre en cercles d'universitaires qui snobent leurs élèves, les intervenants qui n'exercent pas une profession au moins de médecin et d'avocats, et ils appliquent cette conception de l'entregent à un Rimbaud de quinze ans et demi. Ils s'imaginent que Rimbaud, étant un génie reconnu de toute éternité, même si à son époque ça n'avait rien d'officialisé, il ne vivait pas comme des expériences le triturant dans sa chair les rencontres avec des gens de province qui lui parlaient de ces inconnus Mario Proth, Paul Demeny et Jean Richepin. Le niveau de pédanterie des rimbaldiens est sidérant et en parfaite contradiction avec leur objet, pardon ! sujet d'étude. De toute façon, les rimbaldiens universitaires, ils ne lisent comme poètes que Rimbaud et Baudelaire, tout le reste il le méprise, puisqu'ils sont déjà condescendants avec Victor Hugo. Ils écrivent ce mépris partout dans leurs articles. Après Rimbaud et Baudelaire, les autres poètes ne sont que tolérés, y compris Hugo, Mallarmé et Verlaine.
Mais ils ne s'excuseront jamais pour avoir méprisé le mot "abracadabrantesques" dans un ouvrage du douaisien Mario Proth. Ils vont finir par le recenser passivement, sans expliquer quelles furent leurs belles méditations sur ce sujet épineux durant les années de délai qu'ils se sont accordées.
Enfin, bref !
Je continue !
La fin de la lettre à Banville d'août 1871, vu qu'elle contient une phrase interrogative conclusive : "Ai-je progressé" est clairement, jusqu'à sa forme ramassée, une manière d'allusion à la fin de la lettre envoyée en mai de l'année précédente. Certes, la lettre de 1870 a une première partie en prose assez conséquente qui précède le don des trois poèmes, mais la symétrie est sensible entre la fin de la lettre de 1870 et celle de 1871 :

        Si ces vers trouvaient place au Parnasse contemporain ?
        - Ne sont-ils pas la foi des poètes ?
        - Je ne suis pas connu ; qu'importe ? les poètes sont frères. Ces vers croient ; ils aiment ; ils espèrent : c'est tout.
        - Cher maître, à moi : Levez-moi un peu : je suis jeune : tendez-moi la main...
L'usage des tirets en attaque de plusieurs alinéas est quelque peu surprenant, intéressant, mais le caractère ramassé du mot interrogatif final de la lettre de 18712 fait clairement écho à cette présente fin ramassée de la lettre de 1870. La preuve que c'est voulu de la part de Rimbaud, c'est que si en 1871 il cite le titre "Credo in unam", place à un "assez bon pour répondre", c'est qu'ici il parlait de "foi" et de vers qui "croient". On a des interrogations similaires aussi, puisque le "Ai-je progressé ?" est l'équivalent de la présente sollicitation qui veut dire : " Ne trouvez-vous pas que mes vers sont assez bons déjà en soi pour que je sois publié ? " Et on a même une correspondance pour l'inquiétude de l'âge : "je n'avais que dix-sept ans" contre "je suis jeune : tendez-moi la main..." Notez que cette expression fait étonnamment écho au "pas une main amie" de la fin du livre Une saison en enfer. Vous voulez identifier du biographique dans Une saison en enfer, là vous en avez un bel exemple ?
Et si vous en avez marre de mes idées qui fusent, pas de chance, je vous en offre encore une belle. Rimbaud demande à être publié dans le second Parnasse contemporain dont la publication par livraisons court depuis 1869 et le premier a été publié en 1866, l'année même du don du poème de Richepin à Izambard quand ils étaient tous deux lycéens les yeux brillant du désir d'un avenir littéraire ! Rimbaud connaissait à peine Izambard et du coup le poème de Richepin qu'il s'empressait de tout faire pour les coiffer au poteau : "Oui, ton ami lycéen brillant élève à Douai, Richepin, t'a fait don d'une pièce où il exprime son "credo" de poète, mais vous n'avez pas songé à être publié dans le volume du Parnasse contemporain qui allait paraître quelques mois plus tard, eh bien, moi, les poèmes que je te fais lire aujourd'hui, cher Izambard, tu vas les lire dans quelques mois dans le nouveau tome du Parnasse contemporain, puisque j'ai l'opportunité de vivre moi votre occasion manquée (j'imagine qu'Izambard a dû dire à Rimbaud ; "tu vois le poème que m'offrait un ami lycéen l'année même de la parution du Parnasse contemporain ?") et je me ferai parrainer par le maître Banville dont le premier recueil a été publié à dix-neuf ans, je ne l'humilierai pas trop puisque je n'aurai publié à seize ans trois poèmes, et j'ai déjà une publication quoique insignifiante à quinze ans avec "Les Etrennes des orphelins"." Voilà, il avait un bel orgueil, le Rimbaud ! Les rimbaldiens, ils ne l'auraient jamais supporté, aucun rimbaldien connu ou pas connu n'aurait supporté de rencontrer Rimbaud en 1870. C'est une évidence. La question ne se pose même pas en fait.
Et évidemment, on va passer maintenant au début en prose de cette lettre et continuer de relever les liens avec le poème de Richepin.
Le poème s'intitule "Credo" et il expose en quatre huitains d'octosyllabes (je viens de le remarquer, mais il y a encore un parallèle à faire entre quatre huitains d'octosyllabes (4/8/8) et quarante quatrains d'octosyllabes (40/4/8)) une conviction personnelle que le poète oppose à un credo religieux qui dominait la société de son époque. Rimbaud reprend le modèle dans "Credo in unam", il place le mot "Credo" lui-même, et il oppose un credo d'amour au credo de la religion chrétienne. La religion chrétienne est censée être une religion d'amour avec un credo d'amour, donc l'opposition est ironique. Le modèle d'exposition de l'idée de la part de Richepin reste désespérément sommaire et prosaïque ; il croit en un Dieu unique et éternel qui prône l'amour en s'opposant au jésuite, au cagot, aux vendeurs d'eau bénite. Rimbaud rejette directement Dieu lui-même et fait passer une opposition différente entre Vénus, Déesse de l'amour idéalisée sur le modèle lucrécien, et le Dieu chrétien.
La récitation du "credo" valant expression de la foi, il est à remarquer que Richepin emploie le mot "foi" à la rime dans son poème, tandis que dans sa lettre du 24 mai Rimbaud glose le titre "Credo in unam" en tant que "Credo des Poètes", ce qui semble déjà anticiper l'opposition entre "poésie subjective" de Richepin l'ami d'Izambard qui parle en son nom, et "poésie objective" où le "Je" est relié à l'expression de la foi universelle des poètes. Et à la fin de la lettre de 1870, Rimbaud demande au sujet des trois poèmes s'ils ne sont pas l'expression de la "foi des poètes", expression équivalente donc au mot "credo" dans sa forme latine toute liturgique. Encore un rapprochement patent donc entre le poème de Richepin et tout ce que Rimbaud développe autour de "Credo in unam".
Et donc il ne nous reste plus qu'à identifier les possibles allusions aux vers de Richepin eux-mêmes !
Je relève la rime "lyre"/"délire" au singulier. Hou que je crois qu'on peut faire des rapprochements avec des poèmes de Rimbaud à ce sujet... Hou!... Hou!... Excusez-moi, je me perds, mon bateau est saoul !
Il y a l'amour, il y a la dimension florale. D'ailleurs, dans la lettre de mai 1870, il est question de la Nature qui croît et qui exprime l'amour et "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", c'est un peu la dérision d'une fausse idée poétique de la croissance amoureuse imagée par des fleurs...
Je crois en Vénus est une réécriture plus riche de possibilités et de vie de l'expression "Je crois... à l'Amour", "Je crois à l'Amour..." qui attaque en mot de ralliement encore un peu vain les deux premiers vers du poème de Richepin. L'amour qui enflamme chez Richepin devient directement soleil chez Rimbaud avec tous les développements symboliques afférents. Le sang qui bouillonne devient même la sève végétale de la Nature dans le poème de Rimbaud. On a une différence d'envergure assez évidente entre les deux poètes. Il est vrai que Rimbaud profitait de la coïncidence d'époque avec les devoirs sur Lucrèce et son devoir primé "Invocation à Vénus" où il plagia sans se faire prendre une traduction parnassienne d'actualité de Sully Prudhomme ! Encore une fois, relevez la constante : Rimbaud pouvait dire à Izambard qu'à quinze ans et demi il se faisait passer pour l'auteur d'une création largement adossée au travail d'un des poètes les plus nommés de son époque, même si Rimbaud était déjà persuadé de sa relative médiocrité.
On remarquera que Richepin gâche son poème dès le cinquième vers avec cette allusion prosaïque qui vient trop tôt et tombe comme un cheveu sur la soupe à une sorte de Ninon, à une Lisette qui ne croit pas à l'amour du poète ou plutôt qui ne lui est pas fidèle et se cherche des prétextes. Le début du deuxième huitain de Richepin fait évidemment office de tremplin pour Rimbaud, puisqu'on passe de l'idée assez sommairement exprimée, assez banalement et prosaïquement exprimée : "la Poésie, / Qui fait l'homme plus grand qu'un roi", alors que Rimbaud fait du Hugo grandiloquent efficace dans un phrasé oral rudimentaire : "L'Homme est roi !" Toutefois, ce style hugolien simple et efficace ne sera atteint que dans la version remise à Demeny, dans la version remise à Izambard, cela reste supérieur à du Richepin, mais c'est aussi moins mémorable :
S'il accepte des dieux, il est au moins un Roi !
C'est qu'il a plus l'Amour, s'il a perdu la Foi !
Ces deux vers seront nettement améliorés dans la version remise à Demeny où ils seront même plus proches en idée de ce que dit le poème de Richepin. Notez que dans le poème de Richepin comme dans celui de Rimbaud, les mots "roi" et "foi" riment ensemble. Ey la rime qui suit immédiatement dans le poème de Richepin est précisément cette rime "délire"/"lyre". Le mot "lyre" à la rime est présent dans "Credo in unam" mais couplé avec "sourire". Le mot "Gloire" employé avec une majuscule au début du troisième huitain du poème de Richepin est employé à la rime dans "Credo in unam", mais un sens particularisé et du coup distinct quoiqu'en écho : "Héraklès, le Dompteur, et comme d'une gloire,..."
On peut confirmer la pertinence du rapprocher, puisque Richepin dit de cette "Gloire immortelle" en laquelle il croit qu'elle prend les hommes sous son aile pour en faire précisément des héros et des dieux. On rejoint le motif de l'homme qui est un roi et même un dieu (version de "Soleil et Chair") et Héraklès est présenté en héros amoureux qui se couvre "comme d'une gloire" avec la peau du lion de Némée qui entend tâter de la tigresse.
Par rapport à tout ce que nous avons dit plus haut sur les frustrations de Rimbaud, la fin du troisième huitain a aussi une résonance particulière, puisque Richepin dénonce les "chercheurs de renommée". C'est précisément des a priori contre les gens sans renommée que Rimbaud se plaint dans ses relations à Izambard, Banville et quelques autres. Et ces gens chercheurs de renommée se croyaient dans les cieux nous dit Richepin, alors que le poème de Rimbaud ne manque pas de proclamer que l'homme est au cieux s'il a la foi amoureuse en Vénus, et tout cela dans une opposition au discours contempteur de la religion chrétienne, sauf que chez Rimbaud, au-delà du talent dans la facture des vers, il y a une mise en place des idées autrement percutantes que dans le schéma assez poussif du poème de jeunesse de Richepin. Il sera mieux inspiré quand il fera l'équivoque des roses naîtront d'un étron dans sa Chanson des gueux, mais le poème "Credo" n'est évidemment pas flatteur pour Richepin en comparaison de ce qu'est capable de faire Rimbaud. Il paraît que "Credo in unam" c'est une méprisable marqueterie de poète débutant qui admire niaisement et sans savoir-faire différents modèles de poèmes célèbres des romantiques et des parnassiens, sans aucune originalité dans les idées. Parce que c'est ça qu'il pense de "Credo in unam" l'essentiel des rimbaldiens...
Non ? Je mens ? Ouais, faites-moi mentir sur le coup, ça vaudra mieux.
Le dernier quatrain de Richepin célèbre un dieu d'amour, le Dieu chrétien auquel il se maintient alors, mais notez qu'il lui applique la métaphore solaire ("dore") et l'idée aussi d'une âme remplie comme un corps qui serait poussé à ses limites par une force intérieure irrépressible : "dont le regard emplit et dore / Notre âme...", mot "âme" avec lequel fait calembour le titre "Credo in unam".
Et si la pointe du poème de Richepin est médiocre, assez mal amenée : je ne crois pas à ces cagots qui prennent "Dieu pour un vrai sourd", outre qu'on peut penser à "Silences traversés des Mondes et des Anges" quand on a l'intelligence comme moi de rapprocher "Voyelles" de "Credo in unam", ce que j'ai fait dans mon article "Consonne" de 2003, il faut songer que dans "Credo in unam" Rimbaud se plaint des hommes, même laïcs, qui sont aveugles à la révélation d'amour de Vénus. On passe de la surdité prêtée à Dieu à l'aveuglement des hommes sans foi d'un poème à l'autre. Rimbaud emploie le mot "Aveugle"' dans "Les Soeurs de charité", pas dans "Credo in unam", mais il parle bien de l'idée de cécité morale des hommes, et il couple même précisément le fait d'être aveugle et le fait d'être sourd dans le vers suivant : "Et va, les yeux fermés, et les oreilles closes !"
Et vous me ferez plaisir de remarquer que le vers que je viens de citer précède le couple de vers avec "Roi" et "Foi" à la rime.
Voilà, je vais m'arrêter sur ces huitains de Richepin. Je n'ai pas relu "Credo in unam" pour rédiger cet article, j'ai laissé parler les résonances en moi, et j'allais simplement vérifier les vers.
Peut-être que je ferais de nouveaux rapprochements en lisant directement "Credo in unam" ? Il faut aussi relire "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" dans le même esprit.
Dans son article, Bienvenu soutient que Rimbaud n'avait pas parlé de son envoi à Banville, en doublant cela d'une autre hypothèse selon laquelle il n'aurait pas souhaité que l'inspiration de Richepin soit identifiée. Je pense différemment. L'inspiration de Richepin est dérisoire face à ce que Rimbaud arrive à créer, je précise que ci-dessus nous n'avons pas du tout parlé de tout ce qu'il y a à dire sur la complexité de "Credo in unam". Et nous ne savons pas clairement à quel point Izambard a pu ignorer l'envoi d'une lettre à Banville. Izambard n'en a jamais parlé, mais il a pu oublier ce fait passé. Puis, Rimbaud a remis "Soleil et Chair" à Demeny, et même sans le titre "Credo in unam" Izambard verrait l'expression d'un credo, les répétitions "je crois", l'image du roi, la rime "roi" et "foi", et l'opposition au christianisme, et Izambard aurait dans la foulée identifier les références à Leconte de Lisle, Musset, et compagnie. En revanche, il n'est pas idiot de penser que Rimbaud a pu taire à Izambard sa lettre à Banville pour lui réserver la surprise au cas où Banville aurait fait honneur à ses poèmes, voire aurait engagé la publication sollicitée...
Oui, Rimbaud a probablement dissimulé qu'il écrivait à Banville à Izambard. Les témoignages méprisants d'Izambard sur le tard tendent à prouver qu'il n'était pas fort au courant des contacts de Rimbaud avec des poètes parisiens, avec Banville, mais surtout avec André Gill, Jean Aicard, et forcément Paul Verlaine qui l'hébergea un peu trop vite à Paris en septembre 1871 que pour pouvoir prétendre ne l'avoir jamais connu que par lettres interposées un mois auparavant...
Enfin, bref !
J'ai dû oublier dans mon long déroulé de dire que dans "Alcide Bava" on retrouve le vers : "Mon coeur bave à la poupe" dont Izambard eut la primeur, suite sans doute à débats houleux entre le maître et l'élève, et je reviens sur le début de la lettre de 1870 à Banville pour confirmer une énième fois la tendance de Rimbaud à parler à quelqu'un comme s'il continuait une querelle avec un autre. J'ai déjà fait de longs articles qui ont essuyé des soupirs dédaigneux et condescendants des rimbaldiens sur le fait que la lettre du 15 mai à Demeny était une réponse décalée à Izambard et que c'était parce qu'Izambard avait détruit une partie de son courrier que nous attribuions à Demeny une discussion privilégiée. Or, ici, on voit que même quelqu'un d'important à l'époque parmi les poètes, Banville, subit sans pouvoir s'en rendre compte l'expression de la rancoeur de Rimbaud à l'égard d'un professeur poète de province dont le tort n'est pas d'être un inconnu de province, mais un esprit fadasse non fait pour la gloire littéraire.
Vous croyez que c'est invraisemblable d'être comme ça, ben non vous voyez bien que Rimbaud est ainsi fait...
Et là ceux qui pensent encore que Rimbaud doit être épargné par la critique des sources, parce qu'il ne saurait s'abaisser à s'inspirer de la lie de l'humanité, il va falloir sérieusement revoir votre copie. On vous montre du doigt comme Rimbaud fonctionne, comment il conçoit même sa poésie, on vous explique même que, justement, il s'inspire de la médiocrité pour mieux construire sa supériorité, et pour mieux donner l'exemple par la comparaison que lui sait complexifier la poésie à une point sublime.
Rimbaud, ce n'est pas un poète qui écoute la musique aux voix "autotunées", informatique et sans instrument, sans complexité mélodique, sans complexité harmonique, de ces vingt-cinq à trente dernières années...
Ce n'est pas un con, c'est un gars intelligent (j'ai failli dire "mec", mais ça c'est réservé à Macron pour les hommes qu'il envoie au casse-pipe en Ukraine).
J'en profite pour rappeler que récemment j'ai mis en liaison le poème "Ophélie" avec un poème des Nuits d'hiver de Murger, auteur que les rimbaldiens ne daignent citer, sans le lire, que pour les Scènes de la vie de bohème. En revanche, à cause de l'écho des terminaisons de l'indicatif futur simple, lier "Sensation" à "Demain, dès l'aube...", ah oui, ça c'est important, hein ! ça c'est évident, hein ! Est-ce que ça l'est tant que ça ?
Et donc dans ce poème "Credo in unam" où se trouvent des vers qui ont d'ailleurs une ressemblance formelle avec des vers érotiques d'Henri Cantel, Rimbaud surpasse le modèle étriqué de Richepin à ses dix-sept ans, et dans sa confession à Banville on sent le persiflage de la fausse naïveté sur les vers qui sont du printemps, sur ce quelque chose qui monte en lui. On a déjà une idée du sarcasme du titre "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et sans doute aussi un sarcasme contre Richepin qui parle de Lisette dans son credo d'amour un peu au ras des pâquerettes, et je remarque un glissement cruel pour Richepin, puisque de l'expression à la rime "Dieu que j'adore" Rimbaud reprend le verbe pour dire à Banville qu'il adorera toujours les deux déesses, Muse et Liberté. Et vous y songez que, depuis le temps que je vous dis, que "Voyelles" parle du regard d'une allégorie féminine reliant la Vénus de "Credo in unam", la Raison, Being Beautous, etc., entre elles, vous avez là une nouvelle preuve, puisque je découvre dans "Credo", source d'inspiration pour "Credo in unam" un regard Dieu qui dore Notre âme, avec expression en rejet en tête du vers suivant, en manière d'excroissance du complément "Notre âme". Le "rayon violet de Ses Yeux", il est fécondant ou non ? Ce n'est pas une lumière ultime digne de la référence solaire qui vient emplir nos âmes et si pas les dorer leur apporter les nuances subtiles de sa propre singularité ? Rayon doré, rayon violet : même combat !
Vous lirez peut-être "A une Raison", "Voyelles", "Aube", "Being Beauteous", etc., différemment, maintenant que vous voyez tout ce que posait le poème "Credo in unam" et le discours tenu à Banville, et vous pouvez apprécier que Rimbaud connaissait sa première lettre à Banville par coeur, puisque non seulement il se rappelait lui avoir déclaré "j'ai presque dix-sept ans", mais quand en 1871 il écrit : "j'aimerai toujours les vers de Banville", il joue à faire un sous-entendu : même si je vous fais du rentre-dedans parce que vous n'êtes pas fichu de cerner ma valeur, j'aurai toujours le sentiment que vos vers sont emplis de l'esprit des dieux Muse et Liberté.


Post scriptum : je n'ai pas recopié le poème, parce que je voulais profiter de ce que Murphy n'ait pas encore déchiffré le manuscrit pour coiffer tous les rimbaldiens.
Ah oui, j'ai oublié la comparaison avec la lettre du 10 juin : est-ce bien une dédicace "A Monsieur Paul Demeny" au-dessus des "Poètes de sept ans". Dès le début de mon article, je prévoyais pourtant d'en parler. Tant pis, vous aurez une petite suite.
Et j'ai déjà une observation à corriger. Rimbaud a écrit dès la première lettre à Banville qu'il avait "presque dix-sept ans", première lettre qui contient la pièce "Credo in unam". Du coup, il était bien obligé pour maintenir la supercherie de parler de ses dix-huit ans l'année suivante. En revanche, cela invite à penser que dès la première lettre à Banville Rimbaud jouait à s'identifier à Richepin, à l'âge de Richepin, "presque dix-sept ans", et les dix-sept ans concernaient aussi Izambard, et cela conforte à nouveau l'idée que dans un vers tel que : "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", Rimbaud ne parle pas de lui-même en se vieillissant. Il peut s'inclure partiellement, mais il ricane du motif des dix-sept ans printaniers de Richepin, d'Izambard, tout comme il assiste à Douai aux amours du poète Paul Demeny avec une fille de dix-sept ans qu'il a mise enceinte à peu près au moment du séjour de Rimbaud.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire