vendredi 15 août 2025

Revue critique de la lecture d'Une saison en enfer par le colonel Godchot : de Mauvais sang à Adieu sans les Délires ! Partie 1/2

Je reprends mon étude du livre du colonel Godchot sur Une saison en enfer. Il s'agit de la plaquette L'Agonie du Poëte Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer parue en 1937. J'ai déjà commenté la mise en abîme que supposait la relation des articles de la plaquette au livre même de Rimbaud, j'ai déjà commenté la partie introductive, ainsi que l'étude de la prose liminaire : "Jadis, si je me souviens bien..."
Je vais maintenant commenter les sections "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer", "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" et "Adieu", en laissant de côté "Alchimie du verbe" et "Vierge folle" que je traiterai séparément dans un prochain article.
C'est intéressant pour plusieurs raisons. Premièrement, les livres consacrés à l'étude d'Une saison en enfer ne sont pas nombreux, et la plupart du temps ils sont illisibles ou inutilisables : Yoshikazu Nakaji, Danielle Bandelier, Yann Frémy, Alain Jouffroy ou Coelho (je ne sais plus lequel des deux), Pierre Brunel, etc. Les livres récents d'Alain Bardel et Alain Vaillant ne sont pas du tout satisfaisants, ni même la partie que consacre Murat à ce livre dans son édition révisée de L'Art de Rimbaud. Il y a un regain d'intérêt pour l'article puis le livre de Margaret Davies, mais il ne s'agit là encore que d'un retour à une approche plus stable des enjeux du livre saison en enfer. La plaquette du colonel Godchot n'est jamais citée, et pourtant elle est ancienne et a influencé le reste. Deuxièmement, le colonel Godchot applique une méthode paraphrastique, et là l'intérêt est multiple. Le livre est relativement facile à lire, mais aussi la paraphrase met en forme, un peu sans le faire exprès, les moments où l'analyse sort de la signification littérale pour transposer une interprétation de l'ordre de l'intime conviction, et surtout le colonel Godchot applique une lecture biographique forcée. Et c'est justement ce qui se retrouve dans les livres récents d'Alain Bardel et d'Alain Vaillant. Tout se passe comme si Rimbaud ne faisait que transposer sa vie dans son récit, un peu comme Marcel Proust dans A la recherche du temps. Ni Proust, ni Rimbaud n'écrivent des autobiographies en tant que telles, mais ce n'est qu'au prix d'un relatif vernis fictionnel. C'est ça l'idée.
Moi, je veux bien. On peut penser cela de A la recherche du temps perdu et le propos peut se défendre jusqu'à un certain point dans le cas d'Une saison en enfer, sauf que, justement, en étudiant la méthode de paraphrase du colonel Godchot on va pouvoir dénoncer ce que la lecture d'Une saison en enfer comme une autobiographie voilée, semi-romancée, élude dans la vérité du texte rimbaldien.
 
Commençons par l'analyse de "Mauvais sang" qui court de la page 12 à la page 18 de notre plaquette.
Le titre "Mauvais sang" est flanqué d'une note lapidaire (1) qui nous invite à une lecture :
 
Comparez Richepin dans les Blasphèmes :
"O gouttes de mon sang ! Voilà donc votre histoire"
 Je vous avoir n'avoir pas lu ce recueil de 1884, vu que je ne pense pas que Richepin soit un génie littéraire, et je n'en ai pas eu le temps depuis ma découverte du texte de Godchot.
En tout cas, le colonel Godchot commence par une transposition biographique son analyse : le poète doit la génétique de ses yeux bleus à ses ancêtres qui seraient des descendants lointains des gaulois. Même au-delà de l'imprécision généalogique du propos, le commentaire est assez inepte. Les yeux bleus sont courants dans le nord de la France, ils ne sont pas une spécificité gauloise : il  y a les germains, les slaves, les baltes et quelques autres peuples où ils sont courants. Il y a une simplification du propos qui est assez dérisoire. Et dans la même phrase, le colonel Godchot lie cela avec l'idée que le poète de plaint d'hériter d'une "cervelle étroite" au plan de la carrière des lettres :
 
    Il débute par parler de son "Mauvais sang", de ses parents et de ses ancêtres, qui lui ont donné l’œil bleu et cette cervelle étroite qui fut cause de ses + pour la vie littéraire.
 
Et parti sur cette base biographique forcée qui ne veut rien dire (cervelle étroite cause de maladresses pour se faire une vie littéraire ??), le colonel Godchot enchaîne en plaçant sur le même plan la prétention à "écorcher des bêtes" ou à "brûler les mauvaises herbes". Le colonel Godchot perd de vue la mise à distance de la considération symbolique, il prend ce qui est dit au pied de la lettre.
Je n'ai pas clairement compris pourquoi le colonel Godchot raille ensuite en note de bas de page Delahaye : à propos du "magnifique la luxure" Delahaye a dit que cette aspiration était compréhensible parce que Rimbaud était chaste à cause de "son intellectualisme dévorant". Certes, le propos de Delahaye est tarabiscoté et peu à sa place, mais la charge du colonel Godchot qui s'énerve parce qu'on a présenté Rimbaud comme chaste et non comme un coureur de jupons, c'est pas non plus très à sa place.
Passons. Le raisonnement biographique perdure en tout cas, Rimbaud ne veut pas travailler et quête la luxure, et les péchés capitaux, parce qu'il reproche à l'Eglise et à sa mère, qui lui est donc propre, d'avoir "trop voulu l'abrutir et le faire travailler." Ce n'est pas que ce que dit Godchot soit faux absolument, le problème c'est la fenêtre de lecture qu'il s'accorde et qui est restreinte.
Le texte de Rimbaud a plus de portée, a une visée plus ambitieuse qui peut intéresser le lecteur. La fenêtre de lecture de Godchot, c'est de nous intéresser à une destinée personnelle. On notera au passage que cette réduction à la destinée personnelle permet sur le long terme au colonel Godchot de considérer que la révolte de Rimbaud ne portant que sur les excès de son entourage il a tout de même une vie d'erreurs dont il a eu conscience. Il faut bien voir comment le détail du cadre de l'approche arrive à tout biaiser.
Evidemment, le colonel Godchot évite le problème de lecture de la phrase : "Après, la domesticité même trop loin", à une époque où il me semble que la correction "mène" n'était proposée nulle part. La paraphrase, quand elle cherche la concision du résumé, est aussi un moyen d'éviter de s'efforcer de tout lire : "Ni domestique, ni mendiant, ni criminel : il est intact, et c'est tout ce qu'il faut." Un jour, il faudra que je m'amuse à répertorier tous les verbes candidats pour rendre la phrase : "Après, la domesticité même trop loin" compréhensible. J'ai plein d'idées pour resserrer cette recherche, mais cet article sera fastidieux.
Reprenons l'étude de la paraphrase du colonel (deux boules de glace citron dans de la vodka). On voit que la restriction biographique devient abusive dans les moments où Godchot traduit et trahit le texte rimbaldien en supposant des références à la pratique d'écrivain (ce que vient pourtant de rejeter explicitement le poète d'ailleurs !). La "langue perfide", c'est les "écrits du poète". "Main à plume" ou pas "main à plume", il faudrait savoir ! La perfidie est celle de l'éthique particulière du voyant, telle qu'elle a été définie dans les lettres à Izambard et Demeny. Rimbaud s'est fait entretenir par d'autres et notamment par Verlaine, donc le récit est bien biographique. Et Rimbaud n'est pas noble, il tient tout de la déclaration des droits de l'homme. Donc le récit est biographique. Problème : la majorité des gens de l'époque ne sont pas issus de la noblesse et les descendants de nobles ne sont même plus tout à fait des nobles, même si en 1873 c'est peut-être encore trop tôt pour dire que l'affaire est pliée. Bref, le colonel Godchot vérifie la concordance biographique des propos au lieu de se demander ce que Rimbaud a d'intéressant à dire au sujet de l'histoire en cours. Je ne sais pas si vous percevez le biais réducteur que cela suppose.
Les "souvenirs bibliques" deviennent des bribes personnelles qui n'intéressent que notre compréhension biographique du propos. C'est ça la démarche paraphrastique de Godchot.
Et quand Rimbaud dit qu'il ne se souvient pas plus loin que "cette terre-ci et le christianisme", le colonel Godchot explique avec un bon sens implacable que Rimbaud n'est jamais allé au Ciel. On comprend mal tout de même l'opposition entre "Ciel" et simple souvenir du christianisme, signe évident que l'interprétation est en l'état impertinente.
L'expression "Plus de vagabonds, plus de guerres vagues" est glosée de la sorte : "Actuellement, plus de peuples vagabonds faisant des guerres vagues" puisque "la race inférieure a tout couvert..." On a des interprétations qui referment de manière forcée les perspectives, on clôt le vase et si le vase est clos on est dans l'évidence.
Je veux bien, mais il faut étayer le propos, il faut m'expliquer pourquoi cette lecture s'impose... Pourquoi elle n'est pas concurrente d'une autre lecture ?
Le colonel Godchot acte que le poète ne veut pas s'expliquer avec des paroles païennes, mais il n'explique pas pourquoi, tandis que le passé chrétien est ramené à l'acte de la "mère" qui "le plongeait dans l'Evangile". Ce qu'il convient de ressentir aussi à la lecture de Godchot, c'est que du coup on a bien un texte biblique qui lui a été dépeint d'une manière séduisante qui ne l'a pas convaincu, mais le sentiment d'appartenance à la "race inférieure" n'est pas mis au passif de cette éducation trompeuse. Le colonel Godchot répète le constat du poète que l'appartenance à la race inférieure exclut l'accès aux promesses de l'Evangile, mais il ne voit pas que le poète s'attaque à une unité de discours dont le concept de "race inférieure" fait aussi partie. Toute la partie intellectuelle du discours de Rimbaud est laminée par l'interprétation biographique réductrice.
L'épisode sur la "plage armoricaine" est l'occasion de parler de la "course du Bateau ivre" : en guise de commentaire, ça ne mange pas de pain. Le lien est fait certes sur l'idée de quitter l'Europe, et donc il y a une justification, mais à part ça, ça sent le raccord à la va comme je te pousse.
Et le colonel Godchot catalogue déjà cet extrait de "Mauvais sang" comme prophétique. Rimbaud prophétise sa vie en Afrique. Le problème, c'est que, dans le texte, il n'est pas question d'une aspiration, d'une intuition, il est question d'une pose que le poète entend assumer à un moment où il est question de se révolter et donc de basculer en enfer, une pose qui fait donc partie nécessairement des pensées de celui qu'il a fallu dépasser pour s'extraire de l'enfer...
Le mot "hallucination" revient souvent dans la Saison et dans le commentaire de Godchot, ce qui explique nettement qu'il conteste le titre Illuminations pour Hallucinations, à une époque où les poèmes en prose étaient admis antérieurs à la Saison.
Le colonel Godchot n'hésite pas à imposer ce titre, comme le manifeste la citation suivante sans équivoque : "Déjà quand il écrivait ses Hallucinations..."
A propos du "vice", le colonel Godchot ne dit pas explicitement qu'il s'agit du vice héréditaire de ses oncles buveurs qui ont la bougeotte, mais à la lecture d'ensemble de son analyse de "Mauvais sang", c'est bien ce qui se dégage implicitement. A la page 13, il est question de la solitude du poète, et le colonel Godchot explique :
 
[...] car son père et sa mère ne comptent pas, et ses oncles maternels, les ivrognes et les gens à bougeotte que sa mère a cherché à cacher, non plus. [...]
 
Pince sans-rire, Godchot a mis "maternels" en italique. Même si le poète est seul, le poète aurait hérité de ces gaulois-là, les oncles maternels, et à la page 14, le colonel Godchot force la lecture de "Comédie de la soif" où il est question des "grands parents". qui l'invitent à boire. Godchot remet sur le devant du récit les "ancêtres buveurs (ses oncles)".
Nulle question d'oncles dans "Mauvais sang". Notons que les rimbaldiens s'ingénient à donner au mot "vice" un sens personnel : homosexualité, onanisme maladif, etc., etc. En réalité, le texte a une structure générale des plus limpides, où on comprend que le vice est le fait d'être de "mauvais sang" et de "race inférieure" et qu'il s'agit d'une lecture du discours social chrétien rabaissant de son époque. Il n'y a rien là de sorcier.
Quand le poète se pose à lui-même des questions, le colonel Godchot ramène cela à quelque chose de prosaïque : la mère, "Elle veut que je travaille ?" Puis, la suite de la paraphrase ne fait que redire le texte en accéléré, se contentant d'une compréhension en surface. Le poète revoit son enfance de forçat ou songe à ses fugues, et basta ! Voilà pour le commentaire !
Le colonel Godchot fixe alors un autre point d'ancrage biographique, en identifiant dans les propos de révolté politique des références à son adhésion à la Commune, Commune résumée au fait de faire "flamber le ciel", résumée à ses incendies finaux en gros.
Certes, il est normal de songer à la Commune, mais ça dispense un peu vite d'étudier le texte lui-même. Notez ceci : dans "Mauvais sang", vous avez ces images de boue dans les villes et de richesses qui brûlent. Dans "Alchimie du verbe", vous avez un appel au général à détruire la ville, et dans "Adieu" le poète se dirige enfin vers les splendides villes. On sent bien que cela est ironique. Mais, en fait, dans "Alchimie du verbe", la dernière phrase mange la solution de la suite du récit : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté", phrase qui est la remise en cause de l'acte initial d'une beauté injuriée une fois assise sur les genoux du poète, une beauté qui a provoqué la fuite et la révolte du poète. Or, le poète revient au monde, quitte l'enfer, et va entrer dans les "splendides villes". Il s'agit bien évidemment du retour à la beauté que le poète peut désormais souffrir. Le poète est bien sûr ironique, mais il revient au seul monde dans lequel il est loisible de vivre. Et "saluer la beauté", ça ne veut pas dire "exalter la beauté", cela veut dire que le poète a la patience des rapports civiques avec elle. L'art n'est qu'une sottise, pourquoi s'énerver ?
Le colonel Godchot entrevoit la référence communarde, mais sa lecture ne va pas plus loin, il ne pose qu'un jalon d'interprétation biographique. Il ne domine pas sa lecture d'ensemble du livre.
A propos du passage sur les nègres, là encore le colonel Godchot suppose la référence prophétique, la vie à "Harrar" écrit alors abusivement avec deux "r" au lieu d'un seul (Harar). Rimbaud dit : "J'entre au vrai royaume des enfants de Cham", le colonel Godchot croit légitime de commenter de la sorte : "C'est là, en effet, parmi les nègres du Harrar et de Somalie qu'il dirigea sa vie et qu'il finira presque ses jours." Qu'est-ce que c'est que ce commentaire ? Le poète ne parle pas de la fin de sa vie dans "Mauvais sang" et il met en récit qu'il va ensuite sortir de l'enfer. Le plan biographique dispense Godchot de préciser les intentions de l'auteur. Le message du texte est évacué, comme si la mise en relation systématique du récit avec des faits biographiques avait un sens articulé en soi.
Le colonel Godchot se permet alors de platement paraphraser le texte qui est interprété au premier degré : "il mange les morts", "il se livre alors à des bamboulas frénétiques". Et cela nous vaut le commentaire que la ponctuation signale à l'attention comme ému : "C'est de la folie !!!"
Ce qui n'est pas vu, c'est la mention en discours du mot "nègre" qui rejoint les mentions en discours "race inférieure", "mauvais sang" et "vice". Le mot "nègre" est repris avec sa charge injurieuse au discours d'époque pour évidemment frapper d'absurdité ceux qui le véhiculent, empereur et compagnie.
Je parlais récemment d'une symétrie étonnante entre un livre de Louis-Ange Pitou et celui ici commenté de Rimbaud, parallèle comique des titres : "Voyage forcé à Cayenne" et "saison en enfer", parallèle de la prétention du témoignage "Pas une famille que je ne connaisse", "pas une famille [à laquelle je ne puisse expliquer le genre de vie ou mort de leurs chers disparus", parallèle aussi du retour à la vie normale où on se demande sur qui s'appuyer, sur quels amis...
Or, si pour le reste, les deux récits n'ont rien à voir, il y a aussi un extrait sur les noirs rencontrés en Amérique qui est intéressant. Je ne l'ai pas noté, mais en substance Louis-Ange Pitou dit qu'il ne leur en veut pas, parce qu'ils sont comme les humains et peuvent se laisser aller à des passions exacerbées. La phrase était à retenir, parce que derrière le jugement humain il y avait cet écart étonnant où les nègres étaient comme des humains. Le texte de Rimbaud joue très précisément avec ce même écart. Tout cela échappe complètement à la lecture du colonel Godchot. Oui, objectivement, le colonel Godchot a compris le sens littéral, mais il manque ce sentiment du jeu sur la langue. Pour le colonel Godchot, "tu es nègre" reste une métaphore et une opposition entre deux états de la vie humaine, alors que Rimbaud joue avec l'opposition humain/non humain qu'il ne prend pas à son compte, mais dont il se sert en guise de sarcasme dévaluateur.
D'ailleurs, la paraphrase de Godchot dit moins que l'empereur aussi est digne du royaume des enfants de Cham que Rimbaud s'identifie à un sauvage par provocation et même folie, ce qui consiste à renoncer à expliciter les intentions du discours de Rimbaud.
Pour avouer qu'il ne peut tout interpréter, le colonel Godchot exploite ensuite un tour de passe-passe, il se justifie en citation par anticipation un passage du récit "Alchimie du verbe" : "Nous assistons maintenant à des hallucinations dont ils s'est réservé sans doute la traduction." Et il faut bien mesurer que le mot "hallucinations" suppose un référence aux poèmes intitulés  Illuminations, biais qui est censé donner une cohérence minimale suffisante à la thèse de lecture de Godchot.
Je vous avoue que je n'ai pas envie de m'attarder sur les passages où Godchot répète tel quel le texte de Rimbaud. On a tout de même un passage de paraphrase qui est intéressant à relever, il s'agit d'un paragraphe assez bref où les emplois conjoints du pronom "on" et du verbe "prouver" permettent d'établir une relation avec le passage de la prose liminaire sur l'inspiration :
 
  On veut lui prouver aussi que "l'amour divin seul octroie les clefs de la science", que "la nature n'est qu'un spectacle de bonté."
 C'est un peu dommage de ne pas insister sur la relation entre ce passage et celui de l'invitation à la charité, puisqu'ici il est question des "clefs de la science" et de la "nature" comme "spectacle de bonté" et donc "festin" "où s'ouvraient tous les coeurs". Un truc intéressant est dit, mais ce n'est qu'en passant. Je ne crois même pas qu'une majorité de lecteurs ait fait spontanément le lien avec "j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien", "La charité est cette clef" et "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !". Je serais même à me demander si le colonel Godchot a eu clairement conscience que son verbe "prouver" citait la prose liminaire...
Le colonel Godchot ne s'attarde pas à décrire les deux amours qui sont très clairement l'articulation de l'amour divin et de l'amour terrestre dans le concept chrétien de la charité.
Godchot cite aussi avec à propos "Les Premières communions" et son "Christ" "éternel voleur des énergies", mais on est surpris que le colonel Godchot parle de "vieilles idées anti-cléricales" qui "reparaissent". Pourquoi dire que ce sont des idées qui reparaissent comme par intermittences, comme si le poète s'en était déjà défait, puis qu'elles reprenaient le dessus ?
Pour la phrase : Je veux la liberté dans le salut", le colonel Godchot impose une traduction immédiate et sans appel : "je veux être libre de chercher le salut ailleurs que dans le Christianisme". Le problème, c'est que si le colonel Godchot commente, c'est que le sens n'est pas supposé aller de soi. Il répond comme un maître accompagnant un élève qui a des difficultés, sauf qu'il donne une solution qu'il ne prend pas la peine de justifier, de prouver à ses lecteurs.
Ce n'est pas inintéressant, ni faux tout ce que dit ici Godchot, mais il verrouille un peu vite ses affirmations péremptoires. Il fait planer un sentiment d'évidence qui, en réalité, ne va pas de soi.
Pour moi, spontanément, "je veux la liberté dans le salut", ça veut dire que le salut doit aller de pair avec le profit de la liberté.
Pourquoi le colonel Godchot m'impose-t-il une lecture autre que celle qui me vient spontanément à l'esprit ? Il a peut-être raison, mais je veux des preuves, je veux qu'il me convainque.
A-t-il seulement songé à la lecture spontanée que je peux avoir de cette phrase ?
La critique littéraire, c'est souvent plus intéressant quand on connait les autres points de vue de manière à en débattre et à ne pas s'aveugler sur son sentiment d'évidence.
Notons aussi que dans l'alinéa suivant : "La vgie est une farce, une parade que tous doivent mener !" Godchot impose par le choix du mot "parade" des présupposés sur la lecture du poème en prose intitulé "Parade". Bref, le lecteur est pris dans un réseau immédiat de relations textuels et il ne pourra s'en défaire que dans les moments où il sentira que le discours critique déraille.
Pour la toute fin de "Mauvais sang", le colonel Godchot qui pourtant connaît l'existence des brouillons ne songe à aucun instant que "outils" est une coquille pour "autels", tous les rimbaldiens ont fait de même jusqu'à ma mise au point de 2009. Regardez comme la paraphrase fait passer pour naturel le texte hermétique de départ : "Il reste en arrière abandonnant outils, armes..." On le voit, la paraphrase est ici pas mal affaire de tours de passe-passe. On donne une apparence moins hermétique, moins rugueuse au plan du sens, au texte de Rimbaud. Un petit bidouillage, et l'interprétation semble toute naturelle.
Le colonel Godchot commente jusqu'à la dernière ligne, mais il n'y aucun recul critique sur l'ensemble de la section. La dernière phrase est analysée pour ce qu'elle dit, et en réalité tant bien que mal, mais pas pour sa valeur conclusive d'une section du livre Une saison en enfer. Il n'y a aucun retour critique sur la progression d'ensemble du texte.
On passe alors  à "Nuit de l'enfer" avec le rappel du titre antérieur : "Fausse conversion", et nous n'aurons pas ici la thèse plus tardive que la nuit de l'enfer serait l'échec de la conversion au Christ. Toutefois, étrangement, le colonel Godchot choisit un tour verbal qui suppose une grande légitimité au titre initial : "Nuit de l'enfer (qui devait s'intituler FAUSSE CONVERSION)", le choix verbal "devait s'intituler" ne signifie pas que le titre final est à remettre en cause, mais il met en gloire le titre initial.
Godchot insiste à nouveau sur la mère et l'école ("férule de la mère", "surveillance de M. l'abbé Gillet") et il insiste sur la nécessité pour lire "Nuit de l'enfer" de se référer aux textes bibliques plus que jamais, plus encore que pour les "Hallucinations", autrement dit les Illuminations. La figure de Tobie sur son fumier revient à plusieurs reprises dans son étude, c'est celle qui lui paraît le mieux convenir, il cite aussi volontiers Jérémie.
Le colonel Godchot explicite brièvement le propos sur le sentiment de damnation : "Je me crois en enfer, donc j'y suis", "voilà l'horreur de l'éducation religieuse".
Le commentaire ne prend pas de risques et exploite les mentions les plus explicites et limpides du récit. Cela ne vaut pas commentaire des détails du texte, c'est simplement le préalable rassurant avant d'analyser les subtilités du discours.
 Le colonel Godchot abuse alors des majuscules dans ses citations : "JE SUIS ESCLAVE DE MON BAPTÊME." Rimbaud veut atteindre au néant par un crime pour échapper à cette damnation éternelle, blablabla.
On peut noter en marge de l'analyse du colonel Godchot qu'il est paradoxal de souhaiter échapper à la damnation éternelle par une condamnation pour crime. La condamnation pour crime envoie au néant, pas à la damnation éternelle. Il y a une vraie perfidie d'athée à cet endroit du texte...
Mais cela le colonel Godchot ne l'envisage pas.
Voici comment il commente en revanche l'intervention de Satan dans ce contexte :
 
   [...] Toi qui trouve ignoble cette idée de feu auquel on serait condamné ! Assez de tes erreurs et de ta magie !
 
 J'ai moi-même galéré par le passé à la compréhension du récit "Nuit de l'enfer". D'un article à l'autre, de 2009 à 2010, je remettais en cause mon adhésion à l'idée que le poison était la conversion chrétienne. Ici, nous avons une nouvelle intervention d'un Satan qui se récrie, comme dans la prose liminaire. J'ai expliqué contre l'ensemble des publications rimbaldiennes antérieures, Margaret Davies comprise, que Satan se récriait dans la prose liminaire contre le refus de mourir, tandis que le rejet de l'inspiration comme clef du festin et les rêves du festin ne concernaient pas l'affrontement à Satan et à sa couronne de pavots. Ici, c'est un peu pareil. Satan dénonce la colère du poète comme "affreusement sotte" parce que pour échapper à la damnation il aspire au néant par la condamnation à mort, suite à une loi humaine, et non pas transcendantale.
Mais trêve à ce débat. Poursuivons avec le discours paraphrastique de Godchot lui-même.
Si on retire la répétition du texte sur un mode allégé, la thèse de Gdochot, c'est que "Nuit de l'enfer" décrit des hallucinations du poète qui sont causées par une "lutte horrible entre sa foi ancienne et la raison", ce qui aurait de quoi rendre jaloux tous les artistes. Le colonel Godchot ne commente pas cet étrange télescopage où le poète prend la peine de dire que ces hallucinations sont le problème, mais rendent jaloux.
Et si on se rappelle que le colonel Godchot plaide une composition commencée à peine en mai et interrompue jusqu'au retour à Roche après l'incident bruxellois, on ne peut manquer de relever l'application forcée de cette thèse à la lecture du récit "Nuit de l'enfer" :
 
   Voyez-vous notre Rimbaud dans sa chambre, de Roche, excité comme toujours, dans son orgueil de voyant [...]
 
 Les rimbaldiens ne semblent pas voir en quoi ça pose problème. Pour moi, c'est tellement évident. En tout cas, quoi que vous pensiez pour l'instant, notez déjà que le colonel Godchot est un faux opposant à la légende d'Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon sur l'auto-dafé d'Une saison en enfer. J'ai déjà commenté l'article sur le sujet qui suit dans la plaquette que nous analysons, et j'ai déjà souligné que le colonel Godchot faisant mine de reprocher le mensonge sur la destruction des centaines d'exemplaires imprimés concédait l'idée que Rimbaud avait dû détruire par le feu tout ce qu'il avait sous la main à Roche après le mois d'octobre 1873. Considérant ce point, vous pouvez constatez que le colonel Godchot a forgé sa compréhension du texte dans le lit biographique fixé par Isabelle et Paterne, puisque la légende d'un Rimbaud enfermé dans une chambre à Roche et criant, rageant comme en proie à des hallucinations, c'est une pièce maîtresse de la biographie imposée par les époux Berrichon-Rimbaud. Cette pièce maîtresse continue d'irriguer les lectures rimbaldiennes à notre époque, comme l'attestent les livres de 2023 de Vaillant et Bardel.
L'opposition du colonel Godchot à Isabelle Rimbaud sur ces points est en réalité complètement superficielle et même illusoire.
Je n'ai pas vraiment beaucoup de choses à dire sur la paraphrase concernant "Nuit de l'enfer", tant cela se contente de dire le texte autrement, en évitant d'approfondir quoi que ce soit.
Je vous cite juste les derniers alinéas qui ont une valeur de conclusion ou bilan, d'autant que le texte de Godchot n'est pas très accessible :
 
   Quelles extravagances ! Et dire, vraiment, qu'on doit perdre tant de temps pour montrer aux autres les insanités, les vésanies d'un tel être, alors que tant d'exégètes se creusent le cerveau pour vous prouver que c'est splendide et le triomphe de la divinité.
   Non, c'était vraiment l'enfer pour cette pauvre cervelle livrée à la voyance !
   Une Saison en Enfer !
 Le commentaire construit ici des hommes de paille ! Doit-on croire que ceux qui interprètent comme une repentance chrétienne Une saison en enfer lisent "Nuit de l'enfer" comme un récit édifiant et non une description des tortures de l'enfer ? Il y a un vice logique dans l'attaque sarcastique de Godchot, mais on peut comprendre entre les lignes que le colonel Godchot sous-entend que l'écriture est elle-même torturée, puisque Godchot adhère à la thèse d'Isabelle Rimbaud que le récit est écrit dans un état de trouble mental dont l'écriture est le reflet immédiat. C'est cela que semble vouloir dire le colonel Godchot et à cette aune il choquera finalement moins les lecteurs soucieux de récupérer chrétiennement Rimbaud que les lecteurs qui pensent que Rimbaud calcule son récit en se moquant bien de revenir au christianisme. Dans la lecture du colonel Godchot, ici nous lisons à l'état  brut des troubles mentaux qui seront dépassés à la fin.
 
 Je fais le choix de faire une pause ici dans mon compte rendu. Je reprendrai avec les quatre récits "L'Impossible", "Matin", "L'Eclair" et "Adieu" pour suivre le projet que j'ai initialement annoncé. Nous aurons enfin un article de mise au point sur les deux "Délires".
Notez que dans mon compte rendu j'introduis de temps en temps des éléments de lecture qui viennent de mes réflexions personnelles et que je n'ai jamais vu nulle part. Et je prends le temps de les justifier et j'en profite pour établir le contraste avec la lecture paraphrastique et biographique forcée qui, au-delà du colonel Godchot, façonne toute une partie de la compréhension de l’œuvre jusqu'à nos jours.
Notez aussi que je soulève des questions sur la légitimité de certaines formules dans l'élaboration de la paraphrase. Je ne suis pas pour un refus pur et simple de la paraphrase, mais j'en étudie les aspects problématiques, et je rappelle que la paraphrase permet de montrer clairement des raccourcis interprétatifs qui sont aussi à l'oeuvre dans des ouvrages analytiques plus élaborés qui ne correspondent pas à de la paraphrase.
Or, la lecture immédiate d'un texte hermétique suppose forcément des raccourcis paraphrastiques forcés, et à un niveau plus élevé de débat on retrouve le terrain de la pragmatique en littérature. Le texte littéraire a une dynamique pour se faire comprendre, sauf que certains écrits plus hermétiques se retrouvent à avoir un public qui ne fait pas les bonnes inférences, mais qui s'en contentent très bien.
Et ça, mine de rien, c'est passionnant pour les réflexions à venir sur la question de la lecture.
 
Sur ce, à très bientôt pour la suite.
Allez et je vous souhaite de ne pas sortir le dos maçonné pour la parade sauvage en franc-maçon et franc macroniste franchement con ! Bye bye !

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