mardi 5 août 2025

Article "speed" 2 : dans la biographie de Pierre Petitfils...

Sur son blog Rimbaud ivre, Jacques Bienvenu vient de mettre en ligne un article "La Lettre de Valade à Blémont" où nous lisons ceci au sujet de la très hypothétique lecture que Rimbaud aurait pu faire au dîner des Vilains Bonshommes du 30 septembre 1871 : "On a longtemps cru que notre poète avait lu le Bateau ivre. On se basait sur le témoignage de Delahaye, mais la critique récente ne le pense plus avec de sérieux arguments."
Il se trouve que j'ai fait l'acquisition de la biographie de Pierre Petitfils que selon d'anciens recoupements je pense être celui qui est à l'origine de la légende de la récitation du "Bateau ivre" au repas du 30 septembre 1871.
Mon livre est en parfait état, comme neuf. Il possède un envoi manuscrit sur la page de faux titre : "A monsieur Henry Bonnier, en bien cordial hommage, Pierre Petitfils". Le nom "Henry Bonnier" me disait quelque chose, ce n'était pas un parent de "Pierre Elzéar Bonnier" tout de même. J'ai trouvé sa fiche sur Wikipédia, il s'agit d'un critique littéraire. Il est né à Lavelanet et mort en 2021 à Apt. Lavelanet aussi me dit quelque chose, puisque j'ai déménagé la dernière fois de l'Ariège à la région d'Avignon moi-même.
 

 
    Sur les revers de la jaquette, vous avez la promotion suivante de l'ouvrage : "Voici, pour la première fois, dans toute sa rigueur et pleinement exhaustif, résultat de trente années de recherches, ce qu'on peut appeler désormais le dossier de Rimbaud. Cette étude, au fil des événements et des témoignages directs, venant à la suite d'ouvrages privilégiant le message rimbaldien ou l'énigme, le voyant ou l'aventurier, le révolté ou le prophète d'une nouvelle vie, nous invite à une autre lecture du personnage dégagé de toutes ces récupérations, de toutes ces interprétations antagonistes.
     Sachant quel genre de pavé il lance dans la mare, Pierre Petitfils nous avertit, non sans humour, qu'il a voulu montrer et non démontrer, et que le moment était venu "d'une biographie dont l'ambition se borne à l'exactitude et à la clarté". Dans ce domaine, c'est presque une révolution. Rimbaud est entré dans le mythe avant d'entrer dans l'Histoire. Satan adolescent pour les uns, mystique à l'état pur pour les autres. Et tous de s'en faire une couverture ou un porte-drapeau. [...]
Humilié dans le domaine médical par une journaliste de L'Express, Jean-Jacques Lefrère a voulu se refaire par une suite de biographies sur des acteurs littéraires : Rodolphe Darzens, Lautréamont et bien sûr Rimbaud. Et d'évidence, le discours de Lefrère sur son projet d'exactitude loin des hagiographies est tout entier issu de la lecture des accroches du livre de Pierre Petitfils. D'ailleurs, il y a un autre parallèle avec l'encart de documents iconographiques qui trône en belles pages blanches brillantes au milieu de la biographie de Petits fils, sans oublier la relation des deux titres, Rimbaud pris par Petitfils, Lefrère passant à Arthur Rimbaud. Après, je ne certifierai pas que les noms "Petitfils" et "Lefrère" appartiennent à une série de cartes gagnantes au jeu des sept familles.
Dans la famille Rimbaud, je voudrais le petit-fils. Le petit-fils ? Oui, Pierre.
Dans la famille Rimbaud, je voudrais le frère. Frédéric ? Non, Jean-Jacques.
 
Une recension de la biographie de Petitfils serait pas mal instructive. Cela fourmille d'erreurs qu'on n'imagine pas possibles de nos jours.
Au chapitre V, page 131, Petitfils s'appuie justement sur le témoignage de Delahaye qui est cité entre guillemets : "La veille de son départ [...]" Et nous passons bien sûr au mode du dialogue qui fait partie de la citation de Delahaye :
 
   - Voilà, dit-il, ce que j'ai fait pour leur présenter en arrivant.
   "Et il me lut le Bateau ivre. A l'audition d'une aussi éclatante merveille, je célébrai à l'avance [...]
 Dans cette citation volontairement brève, admirez l'idée d'une "audition", car l'idée d'une audition d'un poème de Rimbaud par Rimbaud lui-même, rapportée par un témoin, est un fait rare en soi, et on passe de l'audition privée à l'audition publique dans la thèse d'une lecture du même poème, le même mois de septembre, au dîner des Vilains Bonshommes.
 Au chapitre VI, pages 138-139, voici ce qu'invente Petitfils dans le corps d'un ouvrage appartenant au genre de la biographie, et c'est cette invention qui, sans recul, passe pour une vérité de nos jours parmi le public rimbaldien :
 
   Ce fut une soirée mémorable, agrémentée d'une surprise, car, au dessert, on vit le jeune inconnu assis près de Verlaine - qui l'avait présenté comme un poète ardennais plein de promesses - se lever et réciter d'une voix un peu saccadée son "Bateau ivre". Admiration, étonnement, stupeur paralysèrent les convives.
   Par bonheur pour nous, Emile Blémont était absent ce soir-là. Cela nous a valu un compte rendu "à chaud" que lui fit son ami Léon Valade, un poète bordelais, dans une lettre datée du 5 octobre 1871 :
 
 
    ... Vous avez bien perdu de [...]
 Vous remarquez que la phrase nominale : "Admiration, étonnement..." est parfaitement symétrique et équivalente à la phrase de Delahaye : "A l'audition d'une aussi éclatante merveille, je célébrai à l'avance.." Petitfils va jusqu'à imiter la progression narrative du témoignage de Delahaye en la transposant au contexte d'une réunion publique de lettrés.
Le biographe remplit les trous et voilà comment se forment les nouvelles vérités, puisque du nouveau sur Rimbaud on veut.
Notez que Petitfils prend à témoin la lettre de Valade à Blémont, laquelle ne dit pas que Rimbaud a lu "Le Bateau ivre", ni qu'il a lu quoi que ce soit devant tout le monde ou devant quelques-uns. Tout est imaginable. Il a pu faire circuler un manuscrit ou quelques-uns. On a pu lire à sa place. Cela a pu se passer à plus petit comité en ce qui concerne les lectures, une fois que Verlaine a fait un discours à la salle pour introduire son protégé. On sait par le témoignage d'Armand Silvestre que le poème "Les Effarés" est un bon candidat. On peut aussi estimer que certains ont parlé de poèmes de Rimbaud qu'ils avaient lu dans les jours précédents.
Je pense à d'autres poèmes que "Oraison du soir" probablement non encore composé le 30 septembre : "Les Premières communions" en particulier, sujet ambitieux et scabreux à la fois. Une composition précoce du "Sonnet du Trou du Cul" est envisageable, mais avec des réserves. Le poème zutique "Les Remembrances du vieillard idiot" pourrait faire écho à une divulgation des "corruptions inouïes" des "Premières communions" le 30 septembre, c'est l'impression que j'ai.
En tout cas, ce que disait Petitfils sur la lecture du "Bateau ivre", ça n'engageait que lui.
Quant à Delahaye, il mentait effrontément.

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