dimanche 3 août 2025

Revue critique de la lecture d'Une saison en enfer par le colonel Godchot : l'auto-dafé ? La confession assistée ?

Je poursuis ma revue de la plaquette L'Agonie du Poëte Arthur Rimbaud par le colonel Godchot, numéro 69 de la revue mensuelle Ma revue. Que de vu et revu depuis lors !
La plaquette a été publiée en 1937, et est postérieure à d'autres ouvrages du colonel Godchot sur Rimbaud, notamment son Arthur Rimbaud ne varietur. Il y a des éléments de contexte qui sont importants pour cette lecture. Le faux tableau de Jef Rosman représentant Rimbaud sur un lit d'hôpital n'a pas encore été découvert, mais plus important encore l'idée à l'époque c'est que Rimbaud a d'abord écrit les Illuminations, proses et vers, avant de conclure par le livre Une saison en enfer qui est donc perçu comme un adieu à la littérature.
La légende de la destruction des exemplaires d'Une saison en enfer est depuis peu discréditée avec la découverte en Belgique de tous les volumes en dépôt. Le colonel Godchot s'y attarde justement, puisque sa plaquette se compose d'une longue étude d'Une saison en enfer suivie d'une mise au point sur la prétendue destruction des exemplaires d'Une saison en enfer en quelques pages et d'un article intitulé "Mes adieux à Rimbaud" où le colonel Godchot parle d'abord en son nom puis joint celui de je pense, sa femme, Maryse Godchot, dont il cite un extrait de lettre d'un an antérieur.
Je vous parle de ça, non seulement parce que c'est des articles complémentaires qu'on peut étudier aussi du coup, mais parce qu'il s'agit aussi d'un écho à la structure même du livre Une saison en enfer.
En effet, l'article final "Mes adieux à Rimbaud" fait clairement écho par son titre à la section finale "Adieu" du livre Une saison en enfer. Et l'article qui précède intitulé "L'auto-da-fé d'Une saison en enfer ?" est aussi une sorte de mise en abyme avec le choix du mot "auto-da-fé" qui évoque le repentir religieux et en même temps les flammes dévorantes du châtiment infernal si on peut dire. Evidemment, le point d'interrogation précise que l'ouvrage n'avait pas été scrupuleusement détruit, mais on est quand même dans l'idée de la "belle gloire d'artiste emportée", et surtout on peut repérer que le colonel Godchot veut nous imposer une thèse.
Le colonel Godchot avec l'article "L'Auto-da-fé d'Une saison en enfer ?" continue ce qu'il fait déjà dans son étude d'Une saison en enfer. Il superspose la vie de Rimbaud et le récit du livre poétique lui-même, il travaille à bien les confondre. Et pour cela il joue ici à nouveau sur la phrase : "Mon sort dépend de ce livre" qui en tant que citation lance carrément l'article "L'auto-da-fé d'Une saison en enfer ?" et il faut bien mesurer à quel point nous avons affaire à un dispositif, puisque la plaquette s'intitule L'Agonie du poète Arthur Rimbaud - Une saison en enfer, ce qui veut dire que le colonel Godchot nous raconte la mort de Rimbaud en tant que poète dans sa plaquette en commentant l’œuvre ultime qui serait le récit à peine voilé d'hermétisme de cette mort littéraire. En clair, le colonel Godchot s'inscrit dans une logique d'apôtre qui explique le sens de la mort de Rimbaud, et le message de son livre de mort et confession.
Toutefois, à la lecture de l'article, le colonel Godchot ne donne pas vraiment de sens au fait que les exemplaires aient été sauvés, fait qui d'ailleurs n'empêcherait pas aujourd'hui de lire Une saison en enfer, puisque l'ouvrage a été publié grâce à un exemplaire remis à Verlaine.
En effet, la survie de tout le dépôt n'intéresse que les riches bibliophiles quelque part. Cela a jeté du discrédit sur paterne Berrichon et Isabelle Rimbaud, et le colonel Godchot ne se prive pas d'en profiter à son occasion.
En revanche, il convient de lire l'article entre les lignes. Le début de l'article cite donc la phrase "Mon sort dépend de ce livre", mais en rappelant que le projet était "en gestation", et au début du paragraphe suivant l'auteur conjugue son verbe à l'indicatif imparfait "proposait" pour bien marquer que le projet était antérieur à tout ce qui allait découler du coup de feu bruxellois : "Donc il se proposait, son manuscrit terminé, le seul qu'il eut ainsi conçu, de le donner à un imprimeur, de l'éditer, puis de le lancer." Et je vous cite la suite immédiate avec cette mention injurieuse pour Verlaine, mais quiu pose le problème du parti pris déformant du colonel Godchot :
 
[...] Si le lancement donnait les bons résultats qu'il s'en promettait certes (car pourquoi l'eût-il fait imprimer ?), Rimbaud, débarrassé de Verlaine, se voyait enfin refaisant une entrée triomphale dans Paris où sa Saison lui frayait la voie, comme autrefois Le Bateau ivre, pénétrant de nouveau dans ce monde de la littérature, objet de ses vœux ! où il  aurait facilement fait oublier le souvenir de ses relations avec Verlaine à l'aide de nouveaux poèmes, de proses fulgurantes, sans soucis de la pauvreté, le succès lui assurant des collaborations fructueuses et forçant sa mère à lui donner des subsides [...]
Vous ne rêvez pas ! Le colonel Godchot écrit sans sourciller que Rimbaud était un génie littéraire dont il fallait simplement corriger le contenu. Pour le colonel Godchot, en gros, les écrits de Rimbaud sont géniaux de manière formelle, un peu comme on juge les devoirs scolaires, les compositions latines, il suffit que le contenu change et la gloire littéraire suivra. Il y a une sorte de gratuité de l'acte littéraire dans cette conception. On est frappé également par la formule "débarrassé de Verlaine" qui est appliquée au Rimbaud de mai 1873 même, pas au Rimbaud de la dispute qui a suivi peu de temps après entre Londres et Bruxelles.
Le colonel Godchot soutient que Rimbaud écrit Une saison en enfer avec l'optique de se débarrasser de Verlaine, et donc en le haïssant et cela justifierait d'identifier les pires horreurs dites sur Verlaine dans Une saison en enfer. Et cela nous vaut une lecture de "Vierge folle" comme une décharge de haine concentrée contre Verlaine.
Mais ce n'est pas tout. Vous constatez la perspective erronée du colonel Godchot si vous vous arrêtez à lire entre les lignes, puisque toujours sans sourciller celui-ci affirme que Rimbaud se serait refait une virginité auprès des poètes parisiens. Godchot se moque de l'interprétation de Clauzel où l'Epoux infernal est l'animus de Rimbaud et la Vierge folle l'anima, mais c'est ce que transpose Godchot lui-même en parlant de Verlaine et de Rimbaud, sauf que c'est Rimbaud l'équivalent cette fois de la Vierge folle. En effet, le colonel Godchot reproche à Verlaine son alcoolisme, ses frasques et son homosexualité, mais il n'en fait que des accidents de la vie de Rimbaud suite à une mauvaise influence de Verlaine. La nature de Verlaine est problématique, mais Rimbaud c'est le fils paysan ardennais qui a été dévoyé, et tout le monde veut se réjouir du retour possible de l'enfant prodigue.
Le colonel Godchot pourrait pardonner à Rimbaud ce qu'il ne pardonnera jamais à Verlaine. C'est ce qui ressort clairement de la lecture de sa plaquette.
C'est un peu un écrit janséniste...
La nature de Rimbaud n'est pas celle de Verlaine. Voilà ce qui nous est soutenu pour faire passer une différence de jugement pour en gros les mêmes actions.
Concernant le projet de publication, le colonel Godchot prête une alternative au projet rimbaldien. Soit le livre marche, soit le livre ne marche pas, et alors l'adieu a du sens quant à la formule "Mon sort dépend de ce livre", puisque ce serait un adieu en tant que tel.
Mais, là encore, il y a un décalage logique dans les propos. Rimbaud peut tout miser sur ce livre unique, il ne va pas écrire un "adieu" à la fin du livre en cas d'échec, puisque ce serait faire fi de l'autre terme de l'alternative, le succès. Le colonel Godchot nous donne alors à entendre que l'adieu aurait un double sens, l'adieu définitif ou l'adieu à la première vie littéraire avec Verlaine.
Toutes ces considérations sont fort peu convaincantes, et notons que le colonel Godchot prend un soin étrange à ne pas trop exhiber que l'adieu est un repentir édifiant, alors que tout indique que c'est bien la lecture à laquelle il résume l'ouvrage.
Le militaire militant raconte donc ce qu'on croyait savoir à l'époque des démarches de Rimbaud pour faire éditer Une saison en enfer, puis à défaut pour diffuser les exemplaires qui lui avaient été remis. Et notez que la plaquette du colonel Godchot, tirée à seulement 500 exemplaires, est sans doute aussi mince que ce qu'il pouvait se représenter du livre même d'Arthur Rimbaud qu'il avoue n'avoir pu voir de ses yeux, puisqu'il s'en remet aux descriptions de Lepelletier et d'autres.
Rimbaud aurait remis des exemplaires à Verlaine, Ponchon, Richepin, Pierre Dauze, Raoul Gineste et Delahaye. Pourquoi ces noms-là ? Pierre Dauze est en principe le plus improbable dans cette liste. On se demande aussi d'où vient la mise en avant de Gineste. Godchot précise en note que "M. Ponchon a daigné [lui] écrire qu'il n'en avait pas reçu." 
Et enfin le colonel Godchot dément les mensonges de Berrichon et d'Isabelle sur la destruction des exemplaires puisqu'on a retrouvé l'essentiel des livres chez le libraire, sauf que le colonel n'est même pas clair. Il ouvre la possibilité à l'idée que Rimbaud ait détruit les 50 exemplaires "dits d'auteur, ou de presse". Voici le passage précis de réfutation de la légende car il appelle un commentaire :
 
   Mais Paterne Berrichon, que l'on peut croire là-dessus, raconte que, le 1er novembre, après une scène de café, Rimbaud reprit "à grandes enjambées" le chemin des Ardennes. Et il ajoute : "Arrivé à Roche, il y jeta au feu le tas presque intact des exemplaires d'UNE SAISON EN VADROUILLE. Il brûla en même temps tout ce qui, de ses manuscrits antérieurs, se trouvait à la maison." [...]
   On retrouve là une de ces fausses documentations par Isabelle, sa femme, qui reçut, bien tard, un de ces camouflets auxquels le ménage était habitué. Car, à 13 ans, que pouvait comprendre une enfant, qui, à l'époque indiquée, devait se trouver, d'ailleurs, au Couvent de Reims et n'a pas pu assister à l'opération.
 Oui, "vadrouille", c'est une corruption de ma part pour voir si vous suivez...
Plus sérieusement, la mention soulignée "camouflets" nous fait voir que quelque part le colonel Godchot a des comptes à régler avec Paterne et Isabelle. En gros, le colonel Godchot n'a aucun besoin pour sa thèse de démonter cette légende de l'auto-da-fé, il cherche uniquement à développer cela pour railler Paterne et Isabelle, il a envie de déverser du fiel et rien d'autre. Puis, de rajouter un peu d'arguments pour montrer qu'il est fin : "Isabelle était au Couvent de Reims, elle ne pouvait pas témoigner."
Notez que Godchot veut bien croire Berrichon sur parole pour la scène au café et le retour, maisz que l'auto-da-fé est l'ajout que là il refuse. Je précise cela pour bien clarifier la lecture de la citation berrichonienne. 
Face au décousu de l'article produit par le colonel Godchot, nous revenons alors au récit du mauvais accueil que reçoit Rimbaud à Paris après le drame de Bruxelles, avec la scène du café Tabourey et le témoignage du poète Alfred Poussin, nom génial pour un auteur de "VERSICULETS".
C'est ainsi ce paragraphe qu'il convient maintenant de citer pour lier définitivement l'adieu littéraire à l'adieu biographique à la Littérature :
 
   L'échec était donc complet ! Et comme Rimbaud avait fait dépendre son avenir définitif du succès de ce livre, on comprend qu'il ait regagné Roche, aigri, son orgueil immense une fois de plus violenté, anéanti ; qu'il ait brûlé les exemplaires qui lui restaient d'Une saison en enfer et tous ses manuscrits ; et qu'à partir de ce moment tout ce qui avait constitué sa vie littéraire lui ait paru... dégoûtant.
 
Vous ne rêvez toujours pas ! Le colonel Godchot, après avoir démenti Paterne, lui donne finalement raison. Rimbaud a détruit les exemplaires qu'il possédait et même ses manuscrits (ce qui est repris au témoignage d'Isabelle relayé par Paterne et ce qui reste entièrement à démontrer). Pourquoi ce ne serait pas la mère de Rimbaud qui aurait tout détruit de ce qui était conservé à la maison de la vie littéraire de son fils ? Le colonel Godchot va ensuite raconter que pour l'essentiel du lot les Berrichon ont menti puisque les exemplaires imprimés étaient demeurés non payés chez le libraire bruxellois.
Et ils ont survécu par la suite !
Mais je m'attarde sur le paragraphe clef que je viens de citer. Si on lit l'article, un paragraphe chasse l'autre, une idée chasse l'autre. Or, ici, on a le mot de la fin. Le colonel Godchot nous fait état d'un rejet de la vie littéraire qui fut celle de Rimbaud comme de quelque chose de dégoûtant. L'adieu d'Une saison en enfer est une répudiation des errements de cette vie littéraire. C'est la thèse de lecture de Godchot et cela se superpose à ce renoncement qui aurait eu lieu en novembre 1873 après que le livre ait été imprimé. Plusieurs fois dans sa plaquette, Godchot parle des prémonitions d'Arthur, et en voici une belle. L'Adieu d'Une saison en enfer était prémonitoire. Le problème, c'est que le colonel Godchot n'attribue pas seulement un caractère prémonitoire aux propos tenus dans "Adieu", c'est le sens explicite qu'il donne à ce récit final. Rimbaud aurait écrit en toute conscience qu'il allait bientôt prendre la décision radicale d'abandonner la vie littéraire. C'est un non-sens, mais un non-sens qui peut avoir un air de vraisemblance par l'idée de continuité d'un poète en bout de course depuis quelque temps déjà.
On est d'accord que le passage : "son immense orgueil encore une fois violenté, anéanti", consiste à fair revivre une énième fois à Rimbaud les atermoiements du livre qu'il vient d'écrire : "orgueil" dénoncé dans "Nuit de l'enfer", artiste rendu au sol dans "Adieu", comme si la Saison ne se terminait pas sur l'affirmation que, malgré les derniers relents, le poète était enfin guéri. Au nom des "derniers relents", le colonel Godchot se permet de jouer les prolongements et de faire passer cela pour du non contradictoire, alors que ça l'est, purement et simplement.
On va se pencher sur la lecture d'Une saison en enfer section par section, mais j'en finis tout de même avec cet article de fiel sur la question de l'auto-da-fé. Le colonel Godchot s'attaque à Paterne Berrichon, Isabelle Rimbaud et "la Melera" (sic !) pour avoir cherché à étouffer la découverte de monsieur Losseau des exemplaires d'Une saison en enfer, mais le dernier alinéa montre que Godchot s'accommode tout de même très bien de l'idée saisissante d'un Rimbaud détruisant son oeuvre :
 
   En résumé, Rimbaud n'avait pu détruire toute l'édition d'Une saison en enfer.
 
De fait, tout n'a pas été détruit, mais la légende d'Isabelle de l'auto-da-fé ne consiste pas à dire si oui ou non tous les exemplaires ont été détruits. Ce qu'a révélé la survie du lot, c'est qu'elle avait menti. Or, le colonel Godchot lui accorde la plus belle des portes de sortie. Elle n'aurait pas menti, elle aurait bêtement ignoré que la plupart des exemplaires était ailleurs, et Rimbaud aurait négligé de les détruire, peut-être parce qu'il était improbable que l'imprimeur ne les conservât bien longtemps en dépôt et surtout parce qu'il était impossible d'aller détruire ce qui n'était pas pleinement à soi.
En d'autres termes, le colonel Godchot est bien un partisan de la légende d'un Rimbaud détruisant ses exemplaires de la Saison et ses manuscrits... CQFD.
 
***
 
Passons maintenant à la lecture par Godchot des sections d'Une saison en enfer au-delà du prologue que nous avons précédemment commenté.
Le colonel Godchot adopte le principe de la paraphrase.
Pour commenter un texte, il y a un petit peu deux grands principes. Ou bien on fait un commentaire composé ou bien on suite le déroulement du texte : analyse linéaire ou paraphrase. Mais, en réalité, si on adopte la démarche qui consiste à suivre le déroulement du texte, il est toujours bon d'au moins placer quelques éléments de supervision du texte. Il faut au moins parler de sa structure, il faut quelques moments de recul pour donner une vision d'ensemble.
Et c'est ce que ne fait pas le colonel Godchot.
Je vais le faire à sa place pour le prendre en défaut, mais aussi pour montrer une autre subtilité de cette plaquette décidément étonnante.
En gros, Rimbaud a composé son livre avec un propos introducteur qui chronologiquement est postérieur à l'écriture des sections titrées, il détache de "hideux feuillets" donc quand il parle dans la prose liminaire cela a une valeur récapitulative et ses raisonnements sont au-delà du récit.
Evidemment, il y a tout le problème de la relation à Satan, alors que le poète va raconter comment il est sorti de l'enfer. Comment peut-on être sorti de l'enfer si on dédie son livre à Satan ?
Je ne traiterai pas ce sujet ici, puisque Godchot ne s'y confronte pas lui-même.
Passons maintenant à l'organisation des sections.
Nous avons l'enchaînement suivant : "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer", "Délires I Vierge folle / L'Epoux infernal", "Délires II Alchimie du verbe", "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" et "Adieu".
Il faut ajouter que s'en fiant aux brouillons Godchot rappelle que le titre initial de "Nuit de l'enfer" était "Fausse conversion". Il y a un nouveau problème d'ensemble posé par ce titre alternatif "Fausse conversion" qui fait entendre que quelque chose sonne faux dans la "Nuit de l'enfer", mais là encore ce ne sera pas notre sujet du jour.
Godchot identifie tout de même le début de "Mauvais sang" comme un départ : "Il débute par parler de son "Mauvais sang" [...]" Donc, le colonel Godchot, sans s'en rendre bien compte apparemment, ne prend pas les "feuillets détachés" pour un ensemble décousu, mais comprend qu'ils ont été sélectionnés pour former un récit articulé. Là où le bât blesse, c'est que le colonel Godchot n'identifie pas les premières sections de "Mauvais sang" comme une enquête sur les origines.
Le colonel Godchot suit la progression du texte, mais il va enchaîner la lecture sans trop prendre garde au décrochage chronologique que supposent les deux "Délires".
En clair, le poète suit une progression chronologique dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", puis d'un coup il s'arrête et fournit deux récits qui sont chronologiquement contemporains et parallèles à ce qui a été dit dans "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer". Il s'agit d'un retour en arrière par aspects. "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" sont un récit d'ordre général, "Vierge folle" est un peu un récit en parallèle selon l'aspect du compagnonnage infernal, et "Alchimie du verbe" est un peu le récit de l'activité littéraire que laissait de côté le déroulement de "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", puis à partir de "L'Impossible" le récit général initial reprend jusqu'à son terme.
Délires I et II sont un peu des à-côtés du récit pour décrire des aspects importants de cette vie saisonnière en enfer.
Tous ces aspects structurels ont échappé au colonel Godchot comme ils échappent largement aux commentateurs ultérieurs, même s'ils semblent un peu plus s'intéresser à parler de la distribution des sections les unes par rapport aux autres.
Mais il y a une mise au point majeur que les rimbaldiens ne font jamais et où là encore ils ne font rien de ce que je peux apporter d'essentiel.
J'ai expliqué que les brouillons connus de "Mauvais sang" se limitaient aux quatrième et huitième sections du texte définitif, et que ces deux sections étaient enchaînées, ce qui veut dire que le récit des sections 5 à 7 a été inséré de manière forcée dans le récit préexistant dont témoigne le brouillon. Ce procédé d'insertion est comparable d'ailleurs à l'insertion des deux "Délires" entre "Nuit de l'enfer" et "L'Impossible" qui auraient pu se suivre l'un l'autre.
J'ai déjà souligné que "L'Impossible" reprenait des développements de "Mauvais sang" avec des reprises quasi terme à terme.
Or, quand j'ai souligné que le brouillon de "Mauvais sang" avait été scindé en deux parties, j'ai souligné que la première partie était la quatrième donc le milieu et l'autre partie la fin de "Mauvais sang", et j'ai ajouté que chaque partie faisait allusion à la formule célèbre de Napoléon et connue sous cette forme légèrement apocryphe : "Impossible n'est pas français". Vous avez la phrase : "La terreur n'est pas française" dans la quatrième section, puis la phrase : "Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !" Et justement le récit premier reprend avec une section intitulée "L'Impossible". Je n'essaie même pas de me précipiter et de tout de suite prétendre que le mot "terreur" fait allusion à la Terreur, etc. Non, je m'en tiens à la lettre du texte, et les rimbaldiens n'en font rien.
Moi, je trouve ça extraordinaire. Je ne croyais pas que les ânes volaient en escadrons avant de faire des études rimbaldiennes.
Enfin, bref !
Cette structure échappe complètement à Godchot. En revanche, le fieffé colonel a repéré l'échange à deux voix qui se love dans Une saison en enfer avec le récit sur l'Epoux infernal. Et Godchot a remarqué la phrase : "Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer [...]", et ce que je voulais vraiment vous mettre sous les yeux, c'est qu'en même temps que le colonel Godchot ignore les rapports structurels qui relient les sections entre elles et notamment "L'Impossible" à "Mauvais sang", il s'est amusé, sans le dire explicitement, à reprend la phrase d'ouverture de "Vierge folle" pour lancer son analyse de la section "L'Impossible" :
 
                     L'IMPOSSIBLE
Ecoutons ce cri du désespoir, celui qui, dans toute l'oeuvre de Rimbaud, m'a le plus ému et secoué.
Ah ! cette vie de mon enfance [...]
En clair, cette plaquette dont les rimbaldiens ont oublié l'existence contient non seulement des sources évidentes à leurs convictions erronées, c'est un peu parfois la source de leurs pensées, soit qu'ils l'ont lu sans le citer, soit qu'ils ignorent que des idées sont répétées depuis longtemps, mais ce qui est génial aussi, c'est que le colonel Godchot a composé sa plaquette au moyen de plein de mises en abyme, le procédé gidien alors récent, et s'est mis en scène dans la superposition des voix Vierge folle / Verlaine, Rimbaud, Godchot... Et le choix de la paraphrase participe de la confusion des plans.
Nous sommes maintenant fin prêts à attaquer la question de l'étude paraphrastique section par section.
Dans un prochain article, je traiterai de l'ensemble du récit sans les délires. Ce titre peut être lu comme un calembour, mais ce n'est même pas l'intention au départ. Je vais lire l'étude de Godchot section par section en gardant pour une étude à part les cas plus singuliers des deux "Délires". Godchot est sommaire quant à "Alchimie du verbe" et la paraphrase de "Vierge folle" est au coeur de sa thèse et a un caractère particulier aussi. Section par section, Godchot cite le texte de Rimbaud et l'entremêle de ses commentaires ou pire de petites articulations qui se font passer en douce pour un résumé qui va de soi. Mais, dans "Vierge folle", Godchot cite abondamment des extraits d'un livre sur Rimbaud de Clauzel, livre avec l'idée que la Vierge folle n'est pas Verlaine et que Rimbaud fait plutôt discuter deux formes opposables de son âme. Cette fois, Godchot abandonne la paraphrase puisqu'il a une thèse adverse qu'il lui tient à coeur de réfuter.
C'est pour cela que je considère comme pertinent de traiter dans un prochain article de toutes les autres sections et de laisser le commentaire des deux Délires pour un article final.
Le présent article représente déjà un certain temps de lecture, il a son unité, je pense que je peux m'accorder une pause maintenant. Je suis pressé de parler de la suite, mais ces pauses permettent aussi de mûrir ma réflexion. Rien ne se perd, tout se construit.
En parlant de "confession assistée", vous comprenez aussi que je parle de la perversion de la paraphrase du colonel Godchot, on épluchera donc cela de plus près dans le prochain article.
 
A suivre !

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