vendredi 15 août 2025

Pourquoi Lucrèce dans "Credo in unam" et "Invitation à Vénus" ?

Je viens de parcourir en librairie le livre de Pierre Vesperini intitulé Lucrèce. Il n'y est pas question de Rimbaud, mais vous allez voir que le peu que j'ai lu a de l'intérêt.
Les rimbaldiens passent très vite sur la traduction du début du De natura rerum de Lucrèce et dans la foulée sur les indices d'une présence de Lucrèce dans le poème "Credo in unam". Mesurons toutefois que le poème "Credo in unam" n'est pas un poème lucrécien en tant que tel. Il y a une veine de départ, mais Rimbaud n'est pas du tout en train d'affirmer les principes du courant philosophique reliant Démocrite et Epicure. Rimbaud reprend surtout l'idée de mettre Vénus au centre du monde et de lui faire le principal éloge, en écartant les autres dieux.
Le sujet est mythologique et Rimbaud réagit, en composant "Credo in unam", à plusieurs poèmes de Lamartine, Leconte de Lisle et Banville, avec ce qui avait été assez mal décanté une réplique suivie au "Rolla" de Musset.
Mais, quand on dit cela, tout a l'air d'aller de soi, Lucrèce étant un prétexte à un exposé mythologique personnel. Puis, Rimbaud rebondit sur un sujet scolaire, il lui a été demandé en classe de traduire le début du De Natura rerum, il a forcément travaillé en classe sur ce texte, il a plagié la traduction de Sully Prudhomme et comme cela est passé inaperçu il a été primé et publié dans une revue d'époque sur les productions d'élèves.
Or, en lisant le livre de Vesperini, il se confirme que Lucrèce n'a pas une grande importance pour les poètes romantiques, ni pour les maîtres des parnassiens que furent Baudelaire, Banville, Gautier et Leconte de Lisle. Lucrèce était un auteur sulfureux, rejeté par l'Eglise, mais il demeurait une image d'Epinal. Selon Vesperini, il avait aussi le mérite d'offrir des vers latins qui n'avaient pas la manière classique de Virgile, Horace et consorts. En gros, puisque les romantiques réagissaient contre le classicisme, il pouvait sembler normal de préférer aux auteurs latins les plus réputés, aux Géorgiques de Virgile, des auteurs moins glorifiés : Plaute, Lucrèce et Catulle. Toutefois, Victor Hugo cite toujours de préférence les classiques latins : Horace, Virgile, etc. Lucrèce ne fait pas partie de la bibliothèque de Hauteville House et Sainte-Beuve méprisait pleinement le De natura rerum.
Le succès du livre de Lucrèce vient des universitaires à partir environ de 1850, dans la mesure où les découvertes scientifiques en astronomie, géologie, etc., donnait un lustre nouveau aux propos de Lucrèce. Et, fait intéressant, c'est Victor Duruy qui, en 1866, rendit obligatoire l'étude en classe de rhétorique de Lucrèce, malgré de vives protestations. Lucrèce est imposé par esprit scientiste d'époque. C'est le discours de Vesperini, mais aussi d'un auteur du début du vingtième qu'il cite et qui se nomme Fusil. Victor Duruy a visité un établissement où Rimbaud fut élève peu avant 1870, j'ai oublié lequel, mais c'est dit dans la biographie de Lefrère chez Fayard. Et ce qui m'a impressionné, mais sans que je ne puisse rien en faire, c'est que Fusil que ne fait que citer Vesperini sur le rôle des universitaires dans la promotion de Lucrèce à l'époque imite visiblement le texte de Rimbaud que je suppose il a lu : "Les temps sont venus (pour Lucrèce)" (pas pris de notes à ma lecture) et "l'homme saura" avec "saura" en italique. 

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