lundi 16 septembre 2024

La grammaire des "Chercheuses de poux", épreuve préparatoire à une recherche du modèle lamartinien, racinien ou virgilien

Le poème « Les Chercheuses de poux » est composé de cinq quatrains. C’est le cinquième qui fait l’objet d’un triple rapprochement avec Lamartine, Racine et Virgile.

Le premier quatrain des « Chercheuses de poux » a une construction emphatique qui fait plutôt songer à Victor Hugo, nous avons deux vers d’une subordonnée qui exprime la quasi simultanéité : « Quand le front de l’enfant… » et puis sur les deux autres vers une proposition principale moulée dans un tour impersonnel : « Il vient près de son lit… » Il s’agit donc dans un style grandiloquent d’exprimer une réponse ou satisfaction immédiate. Il y a toutefois un bâillement d’énoncé, puisqu’on ignore si la réponse est voulue par l’enfant ou s’il s’agit d’une réaction vigilante des deux sœurs pour empêcher l’enfant de méditer son état de crise.

La grandiloquence est desservie par d’autres tours, l’expression allongée « le front de l’enfant » et non « le front » ou « le front tout enflé », etc.  Je n’ai pas les mots pour le dire à l’instant, mais « front de l’enfant » ça fait solennel. Nous avons l’hémistiche « plein de rouges tourmentes » qui appuie l’aspect déclamatoire de la phrase d’ouverture du poème, et on note l’équivoque possible « tourmentes » / « tourments » qui suggère une gravité, mais la désamorce par l’humour, « tourmentes » et non « tourments ». Malgré son style déclamatoire, ce premier quatrain est donc quelque peu ironique. Et malgré son style déclamatoire, il n’est pas exempt d’obscurités. L’enfant tourmenté fait appel au refuge dans des rêves imprécis, ce qui fait qu’on se demande si les deux sœurs sont hors du rêve, sont issues d’un rêve ou sont une déformation de la réalité. Ces ambiguïtés vont de concert avec une troisième : la lecture d’ensemble du poème peut être perturbée par l’énigme du premier quatrain, puisque nous avons trois horizons de lecture possible : soit les sœurs répondent à un appel de l’enfant et donc le satisfont, soit elles réagissent pour le museler et ne sont donc pas appelées par lui, soit sans se soucier du rapport clair entre les sœurs et l’enfant il convient de s’abandonner à son évident érotisme, que souligne déjà les vers 3 et 4. Cette troisième lecture serait de l’ordre d’un abandon à la séduction, qu’elle soit trompeuse ou non. Notons que « charmantes » à la rime a une reprise insistante avec « charmeur » à la rime du quatrain suivant. Le présent premier quatrain des « Chercheuses de poux » correspond à un héritage classique, mais ses ambiguïtés de construction et sa concision me font plutôt considérer intuitivement qu’il correspond à un art romantique d’après 1830.

 

Quand le front de l’enfant, plein de rouges tourmentes,

Implore l’essaim blanc des rêves indistincts,

Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes

Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

 

Pour les trois quatrains suivants, nous avons une juxtaposition longue strophe par strophe. Je m’explique ! Les trois quatrains commencent par les pronoms sujets de troisième personne : « Elles » et « Il ». Le pronom « Elles » ouvre le deuxième quatrain en traitant des deux sœurs, le pronom « Il » ouvre les troisième et quatrième quatrains (consécutifs forcément !) en traitant de l’enfant. Nous ne passons pas d’une strophe à l’autre avec des propositions subordonnées, des phrases exclamatives, des conjonctions de coordination. Nous avons trois quatrains sobrement alignés. Nous n’avons pas non un quatrain qui commencerait par un groupe nominal désignant l’enfant ou les sœurs sous forme d’une périphrase capable à elle seule de faire entendre que nous passons à une autre idée clef. Nous avons la sobre (je me répète) succession « elles », « il », « il ». Et cette sobriété est un fait remarquable en soi unissant trois quatrains. La symétrie ainsi soulignée permet de passer à un autre constat intéressant. Les trois quatrains sont de relation des sœurs à l’enfant. Et objectivement, à la lecture, on ne ressent pas cette impression de rêve que laisse supposer la mention « rêves indistincts » dans le basculement de proposition subordonnée à proposition principale dans le premier quatrain : « Elles assoient l’enfant… », « Il écoute… », « Il entend… » La correspondance sémantique entre les formes conjuguées « écoute » et « entend » vaut développement quasi anaphorique pour les troisième et quatrième quatrains. Les vers d’attaque des deuxième à quatrième quatrains fixent bien le rapport d’intimité entre les personnages : « Elles assoient l’enfant », « Il écouter chanter leurs haleines… », « Il entend leurs cils noirs… » (notez l’exploit au passage !). Mais il y a un autre fait à observer dans la symétrie des trois quatrains, centraux dans le poème, puisqu’ils sont le développement du poème si on peut dire, entre un unique quatrain d’ouverture et un unique quatrain de conclusion. Ce qui doit retenir notre attention, c’est que les trois quatrains sont tous construits sur un même patron binaire : tous trois offrent deux propositions distribuées au moyen d’une conjonction de coordination en « et ». La symétrie des vers deux à deux est claire pour les deuxième et troisième quatrains, puisque la conjonction « Et » est en attaque des vers 7 et 11. La structure se décale dans le cas du quatrième quatrain. La première proposition est écourtée, avec le rejet du coup brusque de l’adjectif « Parfumés », et la conjonction « et » lançant la seconde proposition figure neuf syllabes métriques trop tôt, au milieu du premier hémistiche du vers 14, le second vers du quatrième quatrain. Avant de dégager d’autres symétries, je vais mettre cette première symétrie de fond en vedette dans une citation colorée des trois quatrains :

 

Elles assoient l’enfant devant une croisée

Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs,

Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée

Promènent leurs doigts fins terribles et charmeurs.

 

Il écoute chanter leurs haleines craintives

Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,

Et qu’interrompt parfois un sifflement, salives

Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

 

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences

Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux

Font crépiter parmi les grises indolences

Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

 

N’en déplaise à notre orgueil, notre cerveau ne prend pas en charge toutes les perspectives de signification d’un texte à la lecture, c’est beaucoup trop exigeant. Le fait de souligner la construction symétrique binaire des trois quatrains permet d’amener des conclusions claires qui s’imposent, quand on a la chance d’un peu de recul par rapport à la performance de lecture immédiate. Nous avons un parallélisme fort entre « fouillis de fleurs », « longs miels végétaux et rosés » et « silences / Parfumés ». Nous pouvons mettre en relation l’idée d’un air bleu entrant par la croisée avec une odeur de fleurs en foule et celle des haleines floralement parfumées, mellifluentes des deux sœurs, et cela rejoint l’idée de « Silences parfumés » permettant à l’enfant de croire entendre le mouvement des « cils » féminins, cils en sa présence si on ne considère pas la scène comme un rêve.

Les premières positions soulignées en bleu soulignent quelque peu une réception passive de l’enfant : « Il écoute… », « Il entend… » La proposition : « Elles assoient l’enfant… » ne décrit pas une réception passive, mais il s’agit d’une action de mise en place. Les trois propositions soulignées en rouge décrivent des actions sensuelles entreprenantes avec un basculement significatif des doigts aux bouches avec retour aux mains. Le deuxième quatrain décrit la « promenade » des mains des sœurs dans l’abondante chevelure où se noyer de l’enfant. L’idée de noyade, que je reprends à un poème de Lamartine « A monsieur Léon Bruys d’Ouilly », est suggéré par la proximité du « bain » de fleurs de la croisée et par les mentions « lourds cheveux » et « rosée ». Le mot « rosée » est symétrique de « baigne un fouillis de fleurs » à deux égards : le nom « rosée » évoque un nom de fleur et il suppose aussi une liquidité de la chevelure justifiant la transposition de l’image du bain, même si c’est plutôt la chevelure qui est nettoyée ici que les mains des deux sœurs. Le troisième quatrain décrit non les mains, mais l’expression du désir sur les parties buccales des personnages féminins, ce qui confirme les intentions érotiques supposées des doigts charmeurs. Reste à déterminer si l’enfant se fait des illusions ou non. Le quatrième transforme la scène d’épouillage en phénomène grisant : « grises indolences » permet un calembour naturel et nous passons des « ongles argentins » aux « ongles royaux », signe de victoire érotique. Les doigts sont significativement « électriques et doux », après l’idée de la salive des « désirs de baisers ».

Mais la symétrie concerne aussi l’échange entre les parties que j’ai soulignées en bleu et les parties que j’ai soulignées en rouge. Dans le deuxième quatrain, nous avons une correspondance entre l’ouverture de la croisée à un air floral embaumé et le parfum des cheveux de l’enfant, ce deuxième quatrain tend à conforter l’idée que l’enfant ne se trompe pas le moins du monde sur l’intention érotique des sœurs.

Le troisième quatrain tourne autour du désir, l’enfant scrute les réactions des sœurs. Il perçoit les haleines qui participe de l’action d’épouillage et on enchaîne avec une seconde proposition qui consiste à s’interroger sur les intentions des sœurs. Cette interrogation va aussi dans le sens d’un désir érotique des sœurs, désir érotique partagé.

Le quatrième quatrain est remarquable pour sa touche fantastique auditive avec une symétrie entre l’enfant qui perçoit le bruit des cils noirs, ce qu’on peut trivialement traduire par « j’entends vos désirs », et le fait que les petits poux rendent un son en mourant : « crépiter », choix verbal qui fait mine de donner une réalité à l’expression « doigts électriques », mais cette action douce de tuer les poux ne devrait pas faire plus de bruit qu’un battement de cil.

Notez d’autres symétries dans ces quatrains. La distribution binaire des propositions est claire pour le deuxième et le troisième quatrain, avec le « Et » en attaque des vers 7 et 11. Cela permet de relever l’effet d’étirement descriptif des vers 6 et 10 : « Grand ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs » et « Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés ». Notons pourtant l’altération de la symétrie, puisque dans l’écho « rosés » et « rosée » entre le deuxième et le troisième quatrain suppose un déplacement : « rosée » est dans une partie en rouge ci-dessus, et « rosés » dans une partie bleutée. Cela confirme l’idée d’interpénétration des images de bain de fleurs entre croisée et chevelure au plan du second quatrain. Au quatrième quatrain, l’expression « battant sous les silences / Parfumés » à cheval entre deux vers au lieu d’occuper tout le vers 14 est bien pourtant le symétrique sémantique et thématique des vers 6 et 10 : « Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs », « Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés[.] » Avec le décalage structurel du quatrième quatrain justement, nous pouvons observer une autre symétrie qui passe de partie bleutée à partie en rouge, puisque nousavons une symétrie de construction entre « longs miels végétaux et rosés » et « doigts électriques et doux ». Je ne m’attarde pas ici sur la symétrie évidente d’un autre ordre entre les entrevers « salives / Reprises sur les lèvres » et « silences / Parfumés ». Tout ce que j’ai exposé ici vous paraîtra peut-être une démonstration un peu vaine de parallélismes soignés pour un gain dérisoire quant au sens d’ensemble du poème. On a compris la visée de sens à la lecture sans s’attarder à constater ces symétries, mais ici on revient sur l’art du poète et on est en quête d’une analyse esthétique digne des mots de Verlaine dans Les Poètes maudits. Le poème a l’air simple, l’essentiel est facile à comprendre, mais on entre dans la précision soignée de cette esthétique rimbaldienne.

Puis, je prépare une recherche des modèles possibles à l’organisation soignée du poème de Rimbaud, et là je ne vais pas faire une recherche facile sur ordinateur à partir de mots clefs ou à partir de séquences de lettres à retrouver à l’identique, ce dont j’ai donné l’exemple récemment dans une étude sur « Vu à Rome », il s’agit ici de lire les poèmes de Lamartine, Racine, sinon Virgile, et d’avoir la présence d’esprit de relever ce qui ressemble en schéma grammatical et strophique à ce qu’a exhibé Rimbaud dans « Les Chercheuses de poux », je verrai bien ce que ça peut donner comme résultats à l’usage.

Une autre symétrie concernant le quatrième quatrain doit être mentionné, nous avons deux groupes prépositionnels introduits par la même préposition « sous » : « Sous les silences / Parfumés » à cheval sur deux vers, et « sous leurs ongles royaux » qui forme un hémistiche, tout en étant avec le mot « ongles » une reprise sensible de la fin du premier quatrain : « aux ongles argentins ». Cela permet de rapprocher « la mort des petits poux » d’une idée de pâmoison des « cils noirs battant ». Notez aussi qu’avec la reprise du déterminant « leurs » et du son du digraphe « -oi- », l’expression « leurs doigts électriques et doux » délie le sens érotique et justement mortel de « leurs cils noirs battant ». L’électricité est aussi dans les battements des cils qui crépitent. Notez aussi ce qu’implique le choix « ses » pour « grises indolences », puisque le poème caractérise bien ici le ressenti de l’enfant.

Je rappelle que dans sa lecture de 1991 Steve Murphy plaide pour une attitude rebelle de l’enfant qui n’aimerait pas l’épouillage bourgeois des poux par les deux sœurs trop nobles (ongles tantôt argentins, tantôt royaux), ce qui veut dire aussi que Murphy perçoit l’enfant plein de poux comme une transposition de Rimbaud lui-même, avec de « rouges tourmentes » qui renverraient à la Commune. Force est d’admettre que cette lecture n’est pas naturelle, vu la tournure prise par mon relevé qui souligne sans arrêt des indices forts d’une complicité de désir entre les sœurs et l’enfant.

Quant aux variantes de l’extrait livré par Félicien Champsaur, il faut leur faire un sort rapide, hélas ! Je dis « hélas ! » parce qu’il est délicat d’affirmer s’il y a variante ou non de la part de Rimbaud. Une double erreur de déchiffrement est tout à fait envisageable. Champsaur ne cite que le deuxième et le troisième quatrain. La double variante ne concerne que les vers 9 et 10 :

 

Il écoute leurs haleines plaintives

Qui pleurent de longs miels végétaux et rosés,

[…]

 

Au lieu de :

 

Il écoute leurs haleines craintives

Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,

[…]

 

Certains éléments peuvent plaider pour des variantes authentiques de la part de Rimbaud. Nous sommes habitués à constater à peu près systématiquement des variantes quand nous avons accès à plusieurs versions d’un même poème. Le choix de « pleurent » permet de créer une répétition lexicale qui traverse pratiquement tout le poème, du vers 6 au dernier en tout cas : « pleurent » et « pleurer », et Rimbaud est friand du procédé. La variante « plaintives » est jouable au plan du sens. Toutefois, il est possible aussi que la leçon « fleurent » ait semblé indéfendable à Champsaur. Le verbe « fleurer » et le sens afférent ne viennent pas naturellement à l’esprit quand on déchiffre un manuscrit. Ils s’imposent à nous parce que nous sommes confrontés à l’évidence du texte imprimé et possédons un unique manuscrit autographe de référence qui ne laisse planer aucun doute. Bref, impossible de déterminer si oui ou non la variante « pleurent » est authentique. Notons tout de même que le parallélisme floral était important pour Rimbaud qui concentre sur la version autographe les trois appels en ce sens de « fleurent », « végétaux » et « rosés ». Une confusion graphique « pl » au lieu de « fl » est envisageable. Et elle n’est même pas exclue dans le cas de « craintives » et « plaintives », entre la séquence « cr » et la séquence « pl ». Rimbaud a-t-il renoncé à une suite de deux digraphes "pl-" en tête de mots : "plaintives" et "pleurent", en renonçant à une expression trop claire de l'idée des pleurs, à une idée d'attitude gémissante ? ou bien Champsaur a-t-il confondu à deux reprises des digraphes distincts : "cr" et "fl" en un unique digraphe "pl" qui obstruait son esprit pendant l'effort de déchiffrage du manuscrit ? Une étude est à faire sur les variantes de lettres à l’intérieur d’un mot dans les poèmes de Rimbaud connus par plusieurs versions. Il se trouve que « Paris se repeuple » est une composante essentielle du débat, d’où l’intérêt pour vous un jour de me demander d’enfin mettre la main sur un chargeur adéquat et sur l’appareil photographique où j’ai un précieux enregistrement de la transcription manuscrite de strophes de « Paris se repeuple ». On se demande à quoi on paie les universitaires, et aussi à quoi ils passent leur temps. Enfin, bref !

J’en arrive au cinquième quatrain des « Chercheuses de poux », celui qui est rapproché de l’idée d’un « beau balancement » soit lamartinien, soit racinien, soit virgilien par Verlaine, celui qui fait aussi l’objet d’un commentaire sur la subtilité de sa construction grammaticale imprécise.

 

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,

Soupir d’harmonica qui pourrait délirer ;

L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses,

Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

 

La comparaison avec Virgile peut difficilement concerner la construction des enjambements à la césure et à l’entrevers dans des alexandrins. Il conviendra plutôt d’étudier le balancement grammatical. Mais faisons un sort tout de même à la question métrique. Vous avez pu constater que le poème « Les Chercheuses de poux » ne contient pas une seule césure acrobatique sur un mot d’une syllabe : préposition, déterminant, conjonction, pronom placé devant un verbe. Nous n’avons également aucun rejet d’adjectif épithète à la césure, ni de complément du nom, ni de compléments verbaux, des rejets typiques du romantisme, avec influence de Chénier et relais assuré par Vigny et Hugo. Cependant, deux rejets d’adjectifs épithètes sont pratiqués à l’entrevers : « croisée / Grande ouverte » et « silences / Parfumés ». Nous avons aussi une suspension caractérisée des deux syllabes de « salives », le rejet ne portant plus cette fois sur l’adjectif équilibré dans son hémistiche « Reprises sur la lèvre ».

Le fait de cumuler les rejets à l’entrevers plutôt qu’à la césure, je le perçois comme moins audacieux, dans la mesure où il n’y a pas de jeu sur les hésitations du lecteur comme c’est le cas à la césure. Rappelons que les rejets de compléments du nom, de compléments du verbe et les rejets d’épithètes sont quasi totalement absents de la poésie classique et ont connu un retour en grâce avec trois poètes du dix-huitième siècle : Malfilâtre, Chénier et Rouher. Chénier et Rouher ont été exécutés le même jour sous la Révolution. Quant à Malfilâtre, il faut bien préciser qu’il ne commet les rejets qu’entre les vers, pas à la césure, et il ne fait que deux rejets audacieux sur toute sa longue traduction des poèmes de Virgile : un rejet d’épithète souvent cité dans les histoires de la versification : « Lamentables » et un rejet de complément du nom que je ne saurais citer exactement de mémoire, du genre : « Troupeaux / De Cée ». Les deux rejets sont à l’entrevers, pas à la césure.

Cornulier et Gouvard ne sont pas pleinement compétents pour parler de césures romantiques, ils pourraient l’être, mais ils posent mal le débat historique : ils ne maîtrisent pas cet aspect fondamental de l’évolution métrique dans la décennie 1820, quand Vigny s’inspire de Chénier sans le dire et déclenche une envie de le suivre en allant plus loin de la part de Victor Hugo. Il n’y aucun rejet d’adjectif épithète de la part de Victor Hugo avant 1824 et aucun de la part de Lamartine avant 1825, bien qu’ils aient déjà publié pas mal de poèmes l’un et l’autre.

Gouvard considère à tort que la versification romantique par opposition à celle du Parnasse consiste en des contre-rejets acrobatiques de deux syllabes au lieu d’une.

Toutefois, le contre-rejet de deux syllabes a aussi son importance. Et dans le poème « Les Chercheuses de poux », nous avons deux rejets à la césure après des prépositions de deux syllabes « parmi » et « selon » :

 

Font crépiter parmi ses grises indolences / […]

 

L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses, / […]

 

Ces deux vers peuvent être hugoliens ou parnassiens, mais ils n’ont rien de lamartinien ou racinien, même si Racine recourt au moins une fois au procédé dans un vers de son Iphigénie (Acte III, scène 6, Achille) :

 

Lui, votre père ! Après son horrible dessein,

Je ne le connais plus que pour votre assassin.

 

La modulation est intéressant dans les vers de Rimbaud, notamment au plan du dernier quatrain avec le ralentissement expressif possible de la lecture pour le mot « selon » qui peut marquer le suspens de la méditation, le balancement va de pair avec la fermeture au premier hémistiche suivant de la formule « sans cesse », les deux vers finaux du poème étant par ailleurs saturés par une assonance en « s » rappelant le mot « sifflements » qui concernaient les désirs supposés des deux sœurs.

Passons maintenant au plan grammatical. Dois-je rechercher une tournure aussi frappante que le présentatif « Voilà que… » dans les vers de Lamartine. Ce côté exclamatif apparaît sous une forme moins voyante dans le poème « L’Isolement » : « Là, le lac immobile… » et surtout la série anaphorique reprise à un sonnet célèbre du recueil L’Olive de Joachim du Bellay : « Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire, / Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour, / […] » La mention verbale « enivrerais » conforte la pertinence éventuelle du rapprochement, puisque Rimbaud parle de « vin de la Paresse ». Nous avons une modalité exclamative comparable entre les deux poèmes. Je vais continuer à chercher en ce sens. L’apposition sur tout un vers va m’amener aussi à chercher des exemples chez Lamartine ou Racine : « vin de la Paresse, / Soupir d’harmonica qui pourrait délirer[.] » Vous me demanderez pourquoi je vais partir à la recherche de tels détails à comparer alors qu’il faut cibler la seule question du balancement, mais c’est que si le balancement est caractérisé comme lamartinien, racinien ou virgilien, c’est qu’il y a une foule convergente d’indices qui crée le style du balancement. Des balancements, tous les poètes en font. Le balancement est-il dans l’étoffement d’une base aussi dérisoire que « Sourdre et mourir » ? Est-il dans la construction des échos : assonance en [s] et échos d’initiales syllabiques diffus comme « Soupir » et « Sourdre » ? Est-il dans la juxtaposition thématique des vers deux par deux, avec un passage du vin de la Paresse à ce que ressent l’enfant, et un glissement un peu délicat du singulier au pluriel de « vin de la Paresse » à « lenteur des caresses » ? Verlaine insiste sur un manque de conjonction, sur un caractère suspensif de l’énoncé. Je vais partir en quête de tremblés de facture dans les vers de Lamartine, puis de Racine. Et dans le cas de Racine, je privilégierai Bérénice comme point de départ des investigations.

Peut-être que ça ne donnera rien pour « Les Chercheuses de poux », mais ce sera toujours pour moi une expérience enrichissante.

A bientôt !

dimanche 15 septembre 2024

Verlaine parlait d'un balancement lamartinien, racinien et virgilien même de la fin des "Chercheuses de poux" !

Dans sa rubrique des Poètes maudits consacrée à Rimbaud, Verlaine faisait quelques remarques sur l'intérêt littéraire des "Chercheuses de poux".
Dans la continuité de ce qu'il venait de dire sur les qualités picturales à la Goya et à la Murillo des "Effarés", Verlaine introduisait son public à la lecture des "Chercheuses de poux", en parlant d'une œuvre d'un "Goya lumineux et exaspéré, blanc sur blanc avec les effets roses et bleus et cette touche singulière jusqu'au fantastique." Verlaine plaçait tout de même le poète au-dessus du peintre : "Mais combien supérieur toujours le poète au peintre et par l'émotion haute et par le chant des bonnes rimes !"
Le commentaire est un peu étrange entre des peintures non précisées bien que se référant à un unique artiste et un poème. Pourquoi Rimbaud composerait-il un poème qui puisse se réclamer de deux peintres, puis d'un seul de ces deux autres peintres, puis des poèmes ne se réclamant d'aucun de ces deux peintres, tandis que les peintres seraient toujours la même personnalité artistique quelle que soit l'abondance et le renouveau de leur production artistique ? Cela n'a aucun sens. Il va de soi que Verlaine suppose que le lecteur va identifier des images cliché de Goya ou de Murillo, et des image propres à l'époque où il écrivait sa recension (1883). Le discours de Verlaine permet de préciser un peu ses intentions. Le poème "Les Chercheuses de poux" serait du Goya, mais en plus lumineux et, note subtile, en plus exaspéré. Je me demande combien de lecteurs lisent les lignes de Verlaine en se faisant une représentation d'une peinture de Goya en plus lumineux avec des signes plus tangibles d'une exaspération artiste...
Verlaine parle de techniques picturales qu'il applique à la manière de Rimbaud : "blanc sur blanc avec les effets roses et bleus". Qu'est-ce que cela veut dire par rapport à Goya ? Qu'est-ce que cela veut dire par rapport aux "Chercheuses de poux" ?
Le rose et le bleu sont bien présents dans "Les Chercheuses de poux", mais cela se perd quelque peu dans l'ensemble comme l'atteste le relevé suivant : "rouges tourments" (à la rime), "essaim blanc des rêves indistincts", "ongles argentins" ((à la rime), "l'air bleu" (à la césure), "la rosée" (à la rime, mais mention de couleur indirecte), "longs miels végétaux et rosés" (à la rime, mais la mention de couleur est cette fois effective), "cils noirs", "grises indolences" (à la rime).
Dans ce relevé, de manière certes confuse, je rapproche l'équivoque "rosée" et "rosés" du propos technique suivant de Verlaine : "(application) blanc sur blanc avec des effets roses et bleus". Certes, il y a "l'air bleu" et les "miels végétaux et rosés", mais il y a aussi le "chant des bonnes rimes" pour citer Verlaine avec d'un quatrain à l'autre le passage du nom "rosée" à l'adjectif "rosés". Plus précisément, "rosée" est à la rime au vers 7 et "rosés" est à la rime au 10. Deux mots de deux autres rimes distinctes ponctuent les vers 8 et 9 : "charmeurs" et "craintives", mais il n'en reste pas moins que d'un quatrain à l'autre nous avons un écho significatif entre une rime féminine ("croisée"/"rosée") et une rime correspondante en cadence masculine ("rosés"/"baisers"). Les rimes à base du phonème vocalique "é" sont trop faciles en français, elles sont surabondantes et sont appuyées notamment par une foultitude de participes passés ou adjectifs d'origine verbale. C'est pour cela que les poètes étaient obligés de recourir à la consonne d'appui en ce qui la concerne. Mais, ici, d'un quatrain à l'autre, nous avons la même consonne d'appui en [z] et, surtout, une homophonie complète, "rosée" et "rosés", en-dehors de l'opposition entre cadence féminine "-e" et cadence masculine (pas de "-e").
La négligence des rimes faciles est paradoxalement propre à la poésie classique, et à cet égard l'échange entre ces deux quatrains des "Chercheuses de poux" peut justifier une comparaison pour la grâce négligée des rimes avec soit Racine, soit Lamartine. Faut-il dès lors s'interroger plus avant sur la malignité de ces rimes au plan du sens ? si "rosée" entre dans "rosés" adjectif qualifiant des "miels" émanant des haleines des sœurs,  nous avons une anticipation de l'idée érotique du désir de pleurer qui clôt le poème et qui est aussi à la rime, "pleurer" étant le dernier mot du poème. Et, "croisée" peut prendre un sens érotique inattendu dans un rapprochement avec "baisers". Je précise que puisque nous parlons à la suite de Verlaine d'un "chant des bonnes rimes", nous avons un parallèle fascinant entre "désirs de baisers" et "désir de pleurer".  Les deux segments de cinq syllabes ne varient pour l'oreille que d'une syllabe et une consonne (d'appui) : "bais-" et "pleur-". Pour l'orthographe, il faut ajouter une opposition entre la marque du pluriel et son absence dans le cas du mot "désir", ce qu'on peut élargir à l'opposition du nom "baisers" au verbe "pleurer" : "ou désirs de baisers" et "un désir de pleurer".
Ce n'est pas tout !
Le poème "Les Chercheuses de poux" est composé de cinq quatrains de rimes croisées. Rimbaud devait exhiber dix rimes en tout. Or, à trois reprises, il a eu recours à la rime en "-é", deux fois en cadence masculine ("rosés"/"baisers", "délirer"/"pleurer"), une fois en cadence féminine ("croisée"/"rosée"). Les rimes sont répandues sur trois des cinq quatrains du poème, plus précisément sur les deuxième, troisième et cinquième. Le troisième quatrain est le centre du poème. Nous avons un effet de consécution du second au troisième quatrain, mais ça ne s'arrête toujours pas là. La première rime en "-é-" du poème est celle en cadence féminine : "croisée"/"rosée" au second quatrain. Elle apparaît aux vers 5 et 7, et vous constatez qu'elle n'est pas la rime dominante du quatrain. La rime qui fait le quatrain est celle des vers 6 et 8 : "fleurs"/"charmeurs". Le mot "charmeurs" conclut le second quatrain.
Gardez à l'esprit ce mot "charmeurs", je vais y revenir dans quelques instants. Je termine sur la rime en "-é-". Les deux rimes en "-é-" en cadence masculine se trouvent au troisième et au cinquième quatrain, milieu et fin de poème, et un parallélisme d'écho est appuyé par une répétition d'ampleur : "désirs de baisers" face à "désir de pleurer". Le parallélisme est renforcé par le fait que cette fois nous avons à chaque fois la rime des vers pairs, la rime qui conclut les quatrains et les fixe : "rosés"/"désirs de baisers" et "délirer"/"désir de pleurer". Même sans remarquer qu'il y a deux, voire trois rimes en "-é-", votre esprit ne peut pas passer à côté de la symétrie évidente des deux fins de quatrain : "désirs de baisers" et "désir de pleurer" de toute façon. La rime finale est une rime entre deux verbes à l'infinitif : "délirer"/"pleurer", et l'écho est accentué par la syllabe initial du nom "désir", syllabe initiale dont la voyelle est un "é".
Un lecteur contemporain nous affirmerait d'ores et déjà que dans le pluriel "baisers" on reconnaît le verbe "baiser" en lui prêtant un sens obscène actuellement prédominant, mais nous éviterons de tomber dans ce piège à ce niveau-là de notre réflexion.
Face à un constat aussi évident d'un parallèle voulu entre "désirs de baisers" et "désir de pleurer", nous avons déjà relevé un autre jeu de bascule similaire, mais plus discret, entre le nom "rosée" et l'adjectif "rosés". Les trois rimes sont nettement liées entre elles par des procédés de reprises. "Sur la lèvre" ai-je envie d'ajouter.
Mais ce n'est toujours pas tout.
Je vous disais de garder à l'esprit le mot "charmeurs" à la rime au vers 8. Il fait écho à "charmantes" à la rime au vers 3. Nous passons à quatre rimes étroitement liées entre elles par des phénomènes de reprises. Peut-on aller au-delà ? Cela devient difficile à un moment donné, et il est inutile de chercher à prouver que toutes les rimes sont liées entre elles dans le poème de Rimbaud ? Il ne faut pas chercher à établir des liens systématiques à s'en donner mal à la tête. Ceci dit, entre le troisième et le quatrième quatrain je remarque que des échos sont entretenus au-delà des rimes elles-mêmes. Je n'hésite pas à rapprocher les mots "silences" et "salives" tous deux à la rime. Certes, ils le sont dans deux quatrains distinct, mais ils ne sont séparés que par un seul vers : "salives" est à la rime au vers 11 et "silences" au vers 13, et dans les deux cas nous avons un jeu de glissement à l'entrevers : "salives / Reprises sur la lèvre" et "silences / Parfumés". Si j'hésite à peine à comparer "haleines craintives" et "grises indolences", en tout cas, nous avons un écho entre les coordinations adjectivale pour "longs miels végétaux et rosés" et "leurs doigts électriques et doux", qui permet de ressentir un écho entre les fins des troisième et quatrième quatrains : "désirs de baisers" et "mort des petits poux". On vient de faire entrer le quatrième quatrain dans le tissage des reprises qui unissent toutes les parties du poème entre elles.
Et ce n'est pas tout. Toujours pas !
Dans les propos de Verlaine cités plus haut, il était aussi question d'une touche singulière allant jusqu'au fantastique, ce dont je n'ai pas parlé. Je devrais m'arrêter ici pour dire ce que c'est que le "blanc sur blanc, avec des effets roses et bleus" dans les peintures de Goya, ce que c'est aussi que cet accès au "fantastique". Mais, tiré par l'analyse des rimes, je dois suivre le chemin qui m'entraîne et citer le retour de Verlaine sur le poème après qu'il l'ait cité dans ses Poètes maudits. Et voici ce qu'il écrit :
   Il n'y a pas jusqu'à l'irrégularité de rime de la dernière stance, il n'y a pas jusqu'à la dernière phrase restant, entre le manque de conjonction et le point final, comme suspendue et surplombante, qui n'ajoutent en légèreté d'esquisse, en tremblé de facture, au charme frêle du morceau. Et le beau mouvement, le beau balancement lamartinien, n'est-ce pas ? dans ces quelques vers qui semblent se prolonger dans du rêve et de la musique ! Racinien même, oserions-nous ajouter, et pourquoi ne pas aller jusqu'à cette confession, virgilien ?
Verlaine décrit directement l'intérêt des vers de Rimbaud au plan de la performance esthétique, il célèbre sa capacité à tourner une expression, à trouver un équilibre magique dans la formulation de la phrase : "manque de conjonction", "suspendue et surplombante", "légèreté d'esquisse", "tremblé de facture", "beau balancement lamartinien". C'est de la critique comme tout le monde peut l'aimer, de la critique littéraire à laquelle il n'a rien à redire... Et pourtant, il y a dans ces quelques lignes une pointe de démarche de recherche des sources : "lamartinien, racinien, virgilien".
Je vais en parler, mais pour y arriver je vais passer par la question des rimes, ce qui va avoir une conséquence à la lecture. En effet, quand vous lisez cet extrait de Verlaine, vous avez déjà passé outre à l'idée du "chant des bonnes rimes" et vous séparez le constat de "l'irrégularité de rime" de l'invitation à ressentir le "beau mouvement", "beau balancement".
Or, on va faire ça ici différemment. D'abord, on prend la peine de repérer ce qu'est cette "irrégularité de rime de la dernière stance". Le mot "stance" est employé pour "strophe", je ne m'y attarde pas spécialement. L'irrégularité de rime est l'opposition de marque du pluriel entre "Paresse" et "caresses". Pour des raisons complexes et qui ne sont pas de l'ordre de l'accord du singulier et du pluriel, la rime est entre "Paresse" et "caresses" était proscrite. Soit les deux mots sont au singulier, soit ils sont tous deux au pluriel. On peut remarquer que la rime "Paresse"/"caresses" est soutenue au dernier vers par une assonance à la césure : "Sourdre et mourir sans cesse". On comprend l'idée d'un "tremblé de facture", entre le solennel "vin de la Paresse" flanqué d'une majuscule ostentatoire et le pluriel "caresses", autrement dit on comprend que le "tremblé de facture" de l'émotion haute (pour citer Verlaine) est plutôt du côté de la recherche d'effet sur "vin de la Paresse" que sur le mot "caresses". Certes, le singulier apparaissant en premier, il n'y a aucun effet immédiat sensible, c'est à la lecture de "caresses" que l'irrégularité de rime se révèle à nous. Notons que cette irrégularité de rime va de pair quelque peu avec le constat fait plus haut que nous passons du pluriel de "désirs de baisers" au singulier du "désir de pleurer".
je vais vous frustrer : je n'ai pas encore toutes les réponses, mais je pense que j'ai bien délimité le terrain des investigations futures.
Dans toute la réflexion qui précède, on comprend que Verlaine sait que les rimes ont été particulièrement travaillées dans ce poème quand il parle du "chant des bonnes rimes", et on comprend qu'il ne le fait pas sans une pointe d'humour puisque de prime abord les rimes ici sont assez négligées. Nous avons trois rimes en "-é-", une rime finale de deux verbes à l'infinitif : "délirer" / "pleurer", une symétrie sévèrement appuyée : "désirs de baisers" et "désir de pleurer". Nous avons une variation de rime pour deux mots de la même famille : "charmantes"/"charmeur". Rimbaud ne va pas jusqu'aux rimes de terminaisons grammaticales identiques, cas à part de "délirer"/"pleurer". L'adjectif "craintives" n'a pas été flanqué d'un autre adjectif avec cette terminaison, nous avons la rime "craintives"/"salives".
Bref, jusqu'à un certain point, au plan des rimes, la comparaison avec Racine et Lamartine se justifie.
Racine écrivait des pièces de théâtre en alexandrins où nous rencontrons beaucoup de rimes faciles, et beaucoup de rimes identiques rapprochées les unes des autres. Et Lamartine, malgré les débuts du romantisme, appartenait encore à ce monde-là dans la pratique des rimes.
Rimbaud rime moins facilement que les exemples caricaturaux que nous pourrions extraire des poésies de Lamartine et de Racine, mais la valorisation du "é", les choix non pas de rimes mais de mots à la rime "charmantes" avec terminaison en "-antes" ou "craintives" avec terminaison en "-ives", il y a quelque chose d'une pratique sonore affectée du côté des rimes de la part de Rimbaud dans ce poème. Ajoutons au passage qu'en exhibant l'irrégularité de rime du dernier quatrain, Verlaine crée un parallèle involontaire avec l'unicité de la rime masculine du sonnet "Voyelles", l'un des six seuls poèmes cités dans la rubrique "Arthur Rimbaud" des Poètes maudits.
Verlaine fait de l'irrégularité de rime "Paresse"/"caresses" un argument subtil pour l'expression du sens du poème. Il sous-entend que tout cela a été mûrement réfléchi et qu'il y a une intention derrière.
Pour le quatrain final, l'irrégularité de rime et le manque de conjonction sont deux composantes du beau balancement lamartinien.
Evidemment, Virgile ne composait pas des rimes, puisque la langue latine avec son système de déclinaisons rend quasi complètement absurde l'idée. Le balancement peut s'étudier au plan grammatical, et il conviendrait de faire une enquête du côté des œuvres de Lamartine, Racine et Virgile pour fixer les pièces qui peuvent avoir servi de modèle à Rimbaud, pour opérer des comparaisons fructueuses.
Vous me direz que Rimbaud n'a pas forcément pris modèle sur un extrait de Lamartine, Racine ou Virgile. C'est Verlaine qui parle ici en inspiré et le fait qu'il voyage entre trois possibilités prouverait que son propos n'a rien d'assuré. Il parle tout de même de "confession" dans le cas de Virgile. Notez que l'adjectif "virgilien" correspond à ce que disait Verlaine de la fin "suspendue et surplombante" du poème de Verlaine par son "tremblé de facture". Le même commentaire peut être fait de son placement de l'adjectif "virgilien" dans sa propre phrase. Notez par ailleurs qu'en parlant du "charme du frêle morceau", Verlaine semble citer les deux rimes du poème "charmantes" et "charmeur".
Ce n'est pas tout.
Nous savons, par Steve Murphy, que le poème "Les Chercheuses de poux" réécrit des passages du poème "Le Jugement de Chérubin", et j'ai renforcé les liens de poème à poème depuis l'étude déjà ancienne de Steve Murphy. 
Il faut désormais ajouter au dossier la nouvelle Elias que Mendès a publiée en 1868 et qui avait échappé à toute recension.
Mais, et Murphy le rappelait déjà dans son étude de 1991, Catulle Mendès qui dénigre la poésie de Rimbaud dans son Rapport fait un sort à part au poème "Les Chercheuses de poux", et il se trouve que dans son roman à clefs Dinah Samuel Félicien Champsaur imagine une lecture des "Chercheuses de poux" par un peintre devant Catulle Mendès (je passe sur les travestissements des identités), lequel félicite ce poème d'un mauvais poète. Ce passage de Champsaur a eu une première version publiée dans la presse en 1880, et le peintre à identifier n'était plus Paul Cézanne, mais Renoir. Mais, le fait notable, c'est que Champsaur parle lui aussi d'un style "racinien", alors que ni en 1880, ni en en 1882, il n'a pu avoir connaissance du texte des Poètes maudits paru à la toute fin de l'année 1883.
Je cite l'extrait de la version du passage dans le roman Dinah Samuel. L'équivalent de Cézanne, Paul Albreux, déclare que Rimbaud est le plus grand poète du monde, ce qui fait rire Catulle Tendrès, alias Mendès, sous sa barbe. Cézanne lit alors un poème de Rimbaud, "Les Chercheuses de poux", et la compréhension sexuelle est mise en avant avec l'équivalent verlainien "nuance" de la nouveauté des peintres impressionnistes si on peut dire (même si en réalité les techniques n'ont rien à voir entre poésie et peinture) : "deux sœurs nubiles" et "nuance les langueurs de bébé". Champsaur ne cite que les troisième et quatrième quatrains du poème, puis il décrit la réaction amusée son Paul Albreux, et il est explicitement question de "rimes raciniennes" :
    Albreux, s'abandonnant aux souvenirs provoqués par ces rimes raciniennes, de sa voix qui traîne marmotte une élégie : - Qui de nous n'a éprouvé une indicible volupté à sentir des mains féminines caresser sa chevelure en promenant sur le crâne, en pattes d'araignées, les papilles délicates des bouts de doigts ? [...]
Le mot "élégie" fait songer à certaines qualifications connues pour la tragédie connue de Racine Bérénice. Il se trouve que le 14 juillet 1871 Verlaine a envoyé à Léon Valade une lettre avec un post scriptum qui contenait une parodie de deux dizains enchaînés à la manière des "Promenades et intérieurs" suivie d'une parodie des "Princesses" de Banville avec un sonnet intitulé "Bérénice". La parodie des Promenades et intérieurs est à l'origine de la surabondance de dizains de Rimbaud, Valade et d'autres dans l'Album zutique, tandis que le poème "Bérénice" a été retravaillé par Verlaine qui en a envoyé une deuxième version dans une lettre à Emile Blémont datée du 22 juillet. On parlait de l'unique rime masculine finale de "Voyelles", de l'irrégularité de rime au dernier quatrain des "Chercheuses de poux", et voilà que le sonnet "Bérénice" retravaillé et qui est une parodie de Banville contient un défaut de rime inspirée d'un exemple antérieur d'un sonnet sans rime au dernier vers du recueil Philoméla de Catulle Mendès.
Je citerai les pièces du dossier dans un prochain article d'ici quelques jours.
Vous commencez à découvrir des indices troublants qui permettent de relier Mendès, Banville et Racine au sujet des "Chercheuses de poux". Cette histoire d'un "chant des bonnes rimes" a tout pour inviter Banville à la danse. Désormais, c'est fait.
Qui était Champsaur ?
Le Champsaur est une haute-vallée du département des Hautes-Alpes qui fait partie par exception du bassin de l'Isère, et non de la Durance. Elle a un hymne officieux, une version trafiquée d'une chanson du groupe anglais Queen : "We are the Champsaur, we are the Champsaur / Of the world..." Et On y voit des marmottes, mais elles ne chantent pas d'élégies.
Trêve de plaisanteries.
Félicien Champsaur est né dans les Basses-Alpes et il est monté à Paris en quête de succès, genre Rastignac et Rubempré, sauf qu'il sent trop la bêtise pour faire un personnage de roman intéressant. André Gill a lancé la carrière du bonhomme en 1877 et Champsaur a tenu un rôle dans la rubrique des Hommes d'aujourd'hui avant que Verlaine ne lui succède.
Champsaur a été un proche des hydropathes, Goudeau et consorts. Champsaur et Rollinat sont les deux détesteurs de Rimbaud qui eurent accès à des manuscrits alors inédits de Rimbaud. Rollinat cite dans sa correspondance le "Sonnet du trou du cul" et participe aux Dixains réalistes. Champsaur était un écrivain productif. Posant en baudelairien, Rollinat détestait Rimbaud et Verlaine, et la même chose vaut pour Champsaur comme on le voit par les citations faites plus haut. Champsaur était anticommunard. Au moment de l'amnistie, en 1879-1880, il agressait Rochefort dans la rue, ce qui est paradoxal pour une personne lancée et couvée par André Gill. Il y a eu un regain de lectures de poésies de la génération parnassienne en 1880, époque qui anticipe le succès des Poètes maudits et du Chat noir, des lectures étaient faites du côté de la rue du Moulin rouge, son nom m'échappe à l'instant, au bas donc de Montmartre.
Tout ça, je l'ai repéré en lisant des journaux de l'époque, et cela nous rapproche des citations inédites de vers de Rimbaud en 1883 et 1885.
Champsaur savait que les admirateurs des "Chercheuses de poux" parlaient de "rimes raciniennes", mais il n'était pas dans la confidence visiblement.
Il avait peut-être entendu Verlaine lui-même en parler. Peut-être que Mendès avait eu connaissance des "Chercheuses de poux" à l'époque même où Rimbaud et Verlaine étaient ensemble à Paris entre septembre 1871 et mars 1872, sinon avant le 7 septembre 1872.
Il y a quelque chose à chercher du côté de Racine sans doute. Remarquons que pour Virgile Verlaine parle d'une confession. Virgile écrivait en latin, la recherche pourrait être plus compliquée.
Enfin, il y a le cas de Lamartine.
J'ai acheté cette semaine à la librairie La Comédie humaine à Avignon un roman de Delphine de Girardin le roman La Canne de M. de Balzac (justement !) et en le parcourant j'ai été surpris et scandalisé par la présentation mal faite d'un poème incrusté dans un des derniers chapitres. Les éditeurs n'ont pas respecté les règles d'émargement différentes pour les alexandrins et les vers de six syllabes. Je citerai cela dans un article à part, et j'en ferai un outil intéressant pour revenir sur un sujet rimbaldien. Mais il y a un autre poème cité dans ce roman, un poème inédit de Lamartine, poème qui n'est plus inédit, puisqu'il a été inclus aux Nouvelles Méditations poétiques à partir de la réédition remaniée de 1848. Ce poème est en octosyllabes, donc peu de chances d'y trouver le "beau balancements lamartinien" modèle et source pour Rimbaud. Mais ce qui est intéressant, c'est le thème de la main passée dans les cheveux...
Le poème porte pour titre sa dédicace : "A Monsieur Léon Bruys d'Ouilly". Je ne sais pas comment on peut s'appeler "Bruys d'Ouilly", mais nous avons encore ici une preuve des étendues infinies du possible. La note apportée au roman nous apprend que le poème a été publié en tant qu' "épître inédite" en tête de Thérèse, roman en vers paru en 1836, et roman effectivement de Léon Bruys d'Ouilly au nom qui douille.
Je n'ai pas encore lu le roman de Girardin, j'ai d'emblée voulu connaître la teneur des poèmes en vers intégrés. J'ai lu la note avant de lire le poème, donc je n'ai pas joué à découvrir si c'était du Girardin ou d'un poète d'époque. L'autre poème est de Girardin elle-même.
Enfin, bref ! Je vous cite les passages qui sont thématiquement intéressants à rapprocher de la pièce de Rimbaud, en passant sur le côté duo et les "herbes parfumées", ou sur le fait de "Chercher nos jeunesse fanées" :
Et je pensais, par aventure,
En contemplant cet or mouvant
De ta soyeuse chevelure,
Où ses baisers pleuvaient souvent :

"Charmant visage, enfance heureuse !
"Sans prévoyance et sans oubli,
"Que jamais la gloire ne creuse,
"Sur ce front blanc, le moindre pli.

[...]

"Que jamais ses serres de proie
"N'éclaircissent avant le temps,
"Ces cheveux où ma main se noie,
"Feuillage épais de tes printemps !

[...]

Plein d'ivresse et d'inquiétude,
En écoutant grandir ta voix,
Je repense à ta solitude,
A ton enfance au bord des bois.

Pleure ton fils, ô ma vallée !
[...]
Il y a un gros morceau à réfléchir, ce n'est pas une partie de plaisir pour un rimbaldien, je vais faire comme tous, aller me coucher !

lundi 9 septembre 2024

"Vu à Rome" face au recueil 'Les Lèvres closes'

Le poème "Vu à Rome" ne reprend-il rien au recueil Les Lèvres closes dont il est déclaré la parodie par Rimbaud lui-même ?
La réécriture la plus manifeste d'après mon enquête concerne les vers 7 et 8 de "Vu à Rome", la deuxième moitié du second quatrain :

[...]
Où se figea la nuit livide
Et l'ancien plain-chant sépulcral.

Les mots à la rime ont forcément une importance particulière, pas besoin d'un enseignement de Banville pour y penser.
L'adjectif "livide" a des connotations très nettes. Il ne s'agit pas d'un mot indifférent à tout type de registre poétique, c'est un terme fortement orienté, aimanté, etc. Ce n'est pas un mot neutre, ni anodin.
L'adjectif "livide" est employé à cinq reprises dans la version finale des Lèvres closes qui date de 1872, mais trois de ces cinq occurrences figurent dans la sélection des contributions de Dierx au premier Parnasse contemporain de 1866. Je cite les cinq occurrences :

Livide, il se dressa debout dans les ténèbres ; ("Lazare", vers 2 : ici le personnage est qualifié de "livide" dans un décor de "ténèbres" assimilable à la "nuit", dans "Vu à Rome", c'est la nuit elle-même qui est "livide".

Fermant les yeux, j'allais dans la nappe livide, ("La Révélation de Jubal", VIII) La "nappe livide" désigne les "eaux déchaînées" qui tombent d'un "ciel de plomb" et il est question d'une "vision", ce mot de "vision" déjà présent dans le titre "La Vision d'Eve" d'un poème d'un autre recueil offre une passerelle avec le quelque peu hugolien "vu" de "Vu à Rome". Il va de soi que de "vision" à "vu" il y a un mouvement de désacralisation. L'abandon à la "nappe livide" signifie aussi l'acceptation d'un sort mortel, la "nuit livide" étant liée à l'expérience de l'approche de la mort dans "Vu à Rome".
Le mot "livide" au singulier est à la rime dans les deux poèmes ici rapprochés.
Dans "Vu à Rome", "livide" rime avec "Thébaïde" qui vient antérieurement au vers 5. Dans "La Révélation de Jubal", le mot "livide" rime avec "vide" qui vient plus loin. Nous sommes dans une épreuve surhumaine avec la mer qui remplit le vide, une épreuve pour un ascète de Thébaïde. On peut noter aussi que "nuit" et "nappe" commencent tous deux par la même consonne initiale "n".

Il entre en leur pensée, et sous sa chair livide ("Dolorosa mater")
Ici, "livide" rime à nouveau avec "vide", mais le mot "vide" apparaît avant "livide" cette fois. Il est question de "mondes suspendus à jamais dans le vide". Une Thébaïde est un lieu désertique où on s'affronte à une solitude profonde. C'est un peu une confrontation avec le vide que je sache.
Le lien entre les mots "Thébaïde" et "vide" n'a rien d'absurde.

Leur râle entrechoquant les ramures livides ("Soir d'octobre")
Nous avons un troisième emploi à la rime, certes au pluriel, mais pour un poème qui comporte "soir" dans son titre un avant-goût donc de la nuit, et le mot rime à nouveau avec "vides" lui aussi cette fois au pluriel évidemment.

Les trois occurrences de "Lazare", "Soir d'octobre" et "Dolorosa mater" figurent dans la sélection restreinte du Parnasse contemporain de 1866.
Il n'y a que deux occurrence supplémentaires dans le reste du recueil.
Citons enfin la dernière occurrence : "livides" au pluriel qui rime cette fois avec "avides" le précédant, l'avidité étant aussi une idée d'épreuve pour un ascète de Thébaïde. Avec le mot "Thébaïde", Rimbaud a réussi à faire se croiser les idées des adjectifs "vide(s)" et "avide(s)" des performances rimiques de Dierx.
Cette cinquième occurrence figure dans le poème intitulé "Jamais" et l'adjectif "livides" qualifie des "cieux", ce qui nous rapproche clairement de l'expression "nuit livide" de "Vu à Rome".
Et j'ai vérifié, les cinq poèmes contenant les cinq occurrences se trouvent tous dans l'édition originale de 1867 des Lèvres closes.
On peut me raconter tant qu'on veut que les "cieux livides" et la "nuit livide", c'est banal, mais il y a un moment où il faut savoir admettre les faits. Rimbaud n'a pas menti, il a bien extrait un adjectif caractéristique de l'esthétique ambiancée des poèmes dierxiens.
Dois-je lancer sans délai la recension du mot "livide" dans le recueil Poèmes et poésies. Nous verrons cela ultérieurement. Notons que le second Parnasse contemporain contient des poèmes du premier recueil de Dierx. Je n'ai pas encore étudié les raisons de ce chassé-croisé, comme je n'ai pas encore vérifié l'éventuelle participation de Dierx au volume Sonnets et eaux-fortes.
Le mot "nuit" étant inévitablement plus banal, ma deuxième recherche doit porter sur la forme verbale "se figea". Je choisis de chercher les formes "fig" pour "figer" et "fix" pour "fixer". Si j'écarte une mention "figure", je ne relève que deux mentions verbales "figer", et surtout une seule mention de la forme pronominale "se figer". Et comme par hasard, cette unique mention se rencontre dans le poème "Lazare", le premier poème de la série de Dierx du Parnasse contemporain de 1866, "Lazare" étant le deuxième poème des Lèvres closes mais en même temps son vrai départ après une pièce intitulée "Prologue". Quand on procède par ordre, on sait déjà que "où se figea la nuit livide" concentre deux emprunts au seul poème "Lazare", poème sur la résurrection vécue comme un accablement, sujet soulevé d'évidence par l'odeur pestilentielle fourrée dans des narines de corps momifiés.

Et le sang se figeait aux veines du plus brave, / [...]

Je relève par acquit de conscience la deuxième occurrence :

Quand sous tes seins, figés alors entre tes bras,
S'élargissait un vide aux voûtes taciturnes ;
[...]
Il s'agit d'une citation de "La Chanson de Mâhall" qui figure aussi dans l'édition originale de 1867 des Lèvres closes. Et nous avons une mention nouvelle du "vide" en prime. Il n'y a pas une ironie du vide dans "Vu à Rome" par hasard : "sécheresse mystique", tout ça, tout ça ?
Je relève sept occurrence de la forme "fix" pour des mots de la même famille de "fixer" et "fixement". Le relevé n'est pas inintéressant en soi, puisque la fixité exprime volontiers le figement dans les pièces concernées.
Il y a 42 occurrences de la forme "nuit" dans le recueil. D'après un rapide survol, il s'agit exclusivement de formes au singulier ou au pluriel du nom "nuit(s)". Je n'ai pas relevé la forme verbale "nuit" sauf inattention de ma part.
Le relevé est lui aussi particulièrement intéressant. Nous avons des énumérations où "nuit" et "solitude" se joignent, nous avons l'emploi de "couvert" qui justement va avec une mention de "nuit", couvert de silence et de nuit". Vous avez une "nuit" "où la voix se perdait", ce qui correspond en idée à "où se figea la nuit livide / Et l'ancien plain-chant sépulcral". Je cite là un extrait de "La Révélation de Jubal". Nous avons droit à des "abîmes de nuit", à des "anges de nuit" qui traînent de "lourds suaires", une "nuit" qui embrasse un être "de son épais linceul", avec une reprise immédiate en tête de vers similaire au cas du mot "Nez" dans "Vu à Rome" :
Et la nuit l'embrassa de son épais linceul,
Nuit telle qu'un vivant n'en peut jamais connaître.
Il s'agit de deux vers du poème "Le Rêve de la Mort", pièce du recueil de 1867 toujours, et la mention suivante du mot "nuit" dans le poème est tout aussi significative dans un rapprochement avec "Vu à Rome" :
La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage ;
puisque l'immondice schismatique est comparablement filtré dans les narines ("introduit" en "poudre fine") pour un résultat opposé.
Citons l'ultime occurrence qui se trouve dans le poème conclusif du recueil de 1867 : "Marche funèbre" :
La nuit funèbre étend ses suaires immenses.
Il n'y a pas d'occurrence de "plain-chant" dans le recueil de Dierx, mais la forme "plain" révèle des mentions intéressantes de soit le nom "plaine" soit des mots de la famille de "plainte", c'est ces derniers cas qui sont intéressants à relever car il s'agit d'air plaintif, de soupir de plainte, etc., ce qui nous rapproche de l'idée d'un plain-chant sépulcral. De toute façon, j'ai montré que les chants douloureux de la Nature étaient des sortes de "plain-chants sépulcraux" dans les poèmes de Dierx et que la métaphore se déployait sur tout un poème parfois. Et cela concerne le premier Parnasse contemporain de 1866.
Je m'épargne pour l'instant le relevé de la forme "chant", je passe à "sépulcr". Je relève quatre occurrences.
La première reconduit une forme conjuguée de "filtrer", intéressant, n'est-ce pas ?

Mais le sépulcre en moi laissa filtrer ses rêves, nous sommes dans les premiers quatrains du "Prologue" seulement !
La deuxième occurrence est dans "Lazare", on revient à ce poème pour la troisième fois "livide", "se fige[r]" et "sépulcre", et "nuit" est aussi impliqué. "Lazare" est clairement cité dans "Vu à Rome", la question ne se pose pas : "Revenant du sépulcre où tous étaient restés." J'hésite à relever la construction de la relative pour une idée de mort : "où tous étaient restés", "où se figea la nuit livide", on va encore me taxer de rapprochements aventureux.
Evidemment, "sépulcre" figure aussi dans le sonnet "Journée d'hiver" avec l'amorce de l'adjectif "anciens" antéposé à "sanctuaire", lequel nom "sanctuaires" sert de relais intermédiaire pour lier "ancien" et "sépulcre". C'est évident que dans "ancien plain-chant sépulcral" on a une allusion au dernier tercet de "Journée d'hiver" :
Songe aux échos muets des anciens sanctuaires.
Sépulcre aussi, rempli de cendres jusqu'au bord,
[...] songe aux morts !
L'immondice schismatique c'est une façon de songer aux morts en s'occupant d'eux. La quatrième occurrence, c'est l'adjectif "sépulcrale" lui-même à la rime et cela dans le dernier poème du recueil "Marche funèbre". Rimbaud accorde l'adjectif au masculin, mais on a compris la citation voulue de "Marche funèbre" :
Le sol frappé résonne en rumeur sépulcrale.
Enfin, il y a huit occurrences de mots de la famille de l'adjectif "ancien", le relevé est là encore intéressant avec "anciennes visions", "ancien orgueil", "anciens désirs", l'oubli du "martyre ancien", l'idée que "La mort a des secrets plus anciens que la tombe !" et un "ancien secret des métempsycoses".
Vous notez bien que Léon Dierx n'emploie pas l'adjectif "ancien" pour parler trivialement de "vieilles chemises" et de personnes du troisième âge... Il a des constantes en phase avec le discours tenu dans le ramassé "Vu à Rome".
Si maintenant les rapprochements ne vous paraissent toujours pas convaincants, c'est à désespérer là !
J'ai d'autres idées encore d'investigation, mais je dois passer ma vie et mon énergie à vous prouver que j'ai raison sur chaque détail.
Vous prétendez savoir d'évidence la valeur relative de mes propos, vous prétendez savoir d'évidence la direction à donner à une étude sur un poème, vous prétendez savoir d'évidence ce que doit être ou ne pas être la ligne interprétative d'un poème, et à l'usure sur plusieurs années je fais ce qu'aucun rimbaldien n'a su faire, ce qu'aucun rimbaldien n'a été capable de prendre en route en en appréciant la pertinence. Je vous montre par A plus B que vous cachez des difficultés sous le tapis.
Vous me parlez comme à un chien, vous me donnez un os en récompense pour me nourri d'os à moelle tête si j'ai fait un truc qui vous apporte, vous êtes du genre à vous dire que je ne ramène des résultats que par obstination, persévérance, application à l'étude, alors que vous seriez naturellement brillants. Je précise que JAMAIS un rimbaldien ne m'introduit en tiers dans un débat dont un article peut rendre compte. Je ne suis cité que pour des résultats factuels, ce que je pense on s'en fout. J'ai fait du bon travail de Médor qui peut vous être utile, mais à partir du moment où sur plusieurs années vous n'avez pas voulu de mon résultat, vous n'avez pas voulu reprendre un travail que je laissais pourtant en jachère et qu'à la fin je montre que j'avais raison depuis le début, mais qu'il fallait organiser ça en un tout abouti, c'est bien qu'il y a une faille dans l'édifice d'assurance des pontes officiels.
Moi, je l'attends la mise au point sur la prose liminaire d'Une saison en enfer. Ce que j'ai à dire ça n'a pas l'air de se résumer à de l'immondice schismatique.
Le jour où un mec qui vous déplaît exhibe le manuscrit retrouvé des "Veilleurs", vous faites quoi ? Vous niez la découverte pendant quinze ans jusqu'à ce que ce ne soit plus tenable ?
Moi, mon travail sur l'Album zutique n'est pas reconnu à sa juste valeur, l'énorme quantité de mises au point sur "Voyelles" passe à l'as, mon travail phénoménal sur Une saison en enfer est daubé, sauf qu'on ne trouve rien à me répliquer. Sur la versification, mais sans être meilleur en rigueur méthodique que Cornulier, je suis allé plus loin que lui dans les conclusions, dans les découvertes. Sur les manuscrits, j'ai fait des mises au point décisives pour devoir supporter la rigolomania d'un Marc Dominicy sur "L'Homme juste". On va nier jusqu'à quand que les manuscrits des poèmes en prose on a des interventions non de Rimbaud mais de la revue La Vogue. Et la photo de la copie manuscrite de deux strophes de "Paris se repeuple", ça ne vous intéresse pas ? Vous ne vous demandez pas de qui est l'écriture ? Je ne l'ai toujours pas publiée, mais personne ne me l'a jamais demandée.
Et il faudrait que je garde mon calme.
La photographie du "Coin de table à Aden", qui me vaut une partie de mes ennuis, vous n'êtes pas mécontents qu'elle ne soit plus acceptée. Il y avait des gens qui savaient et dont le silence était comme acheté parmi les rimbaldiens.
Tout ça doit cesser !
Le plaisir des études rimbaldiennes, il est vécu personnellement quand on trouve un résultat, alors tous les résultats qui m'ont été pillés, certes c'est frustrant, mais les étapes de plaisir de la découverte c'est moi qui les a vécues de toute façon. On peut me piller, je continue tout le temps à produire. Je ne m'éteins pas, je n'ai pas d'inquiétude à ce sujet tant que je suis vivant.
Oui, s'emparer de la réputation de dire des trucs décisifs sur Rimbaud, ça aide des carrières, mais bon moi mon plaisir il est de comprendre Rimbaud et il est dans l'exaltation de savoir me confronter aux difficultés.
Et quand j'avance péniblement des résultats flous, je ne renonce pas tout de suite sous prétexte que je suis encore loin du compte. Et si on me trouve lent, pourquoi personne de rapide ne rebondit sur le début des mes enquêtes en me dérobant définitivement la vedette ?

L'été belge en juillet 1872

Aux mois de juillet et d'août 1872, Rimbaud et Verlaine voyageaient en Belgique. Ils ont quitté Paris le 7 juillet et ont dû traverser la frontière belge autour du 10 juillet. Les deux poètes sont dans la capitale belge le jour du 21 juillet et cela depuis quelques jours, puisque Mathilde informée par courrier se rend à ce moment-là à Bruxelles pour tenter de ramener Paul à leur vie maritale commune. Le 22 juillet, Verlaine embarque avec Mathilde jusqu'à la frontière franco-belge, là où il l'abandonne en demeurant à quai au départ du train. Et il part rejoindre Rimbaud. Les deux poètes reviendront loger à Bruxelles autour du 9 août avec une indication de provenance de la ville de Charleroi. Nous savons qu'en juillet et août 1872 Rimbaud et Verlaine ont également fait des escales à Walcourt, Malines et Liège. Verlaine a parlé d'un passage à Liège dans ses témoignages, et nous avons trois poèmes sur Walcourt, Charleroi et Malines dans la section "Paysages belges" des Romances sans paroles. A l'écrasante majorité, les spécialistes de Rimbaud et Verlaine pensent que Rimbaud et Verlaine se sont arrêtés à Walcourt puis Charleroi au tout début de leur séjour belge autour du 10 juillet, avant de se rendre une première fois à Bruxelles. Mais, puisqu'il est attesté que Rimbaud et Verlaine arrivaient de Charleroi lors de leur retour à Bruxelles le neuf août, il n'est pas exclu que nos deux poètes soient passés à Walcourt et Charleroi entre le 22 juillet et le 9 août 1872. On peut aussi se demander si Rimbaud et Verlaine ne sont pas allés aussi à Liège entre le 22 juillet et le 9 août, même si nous pressentons que les passages à Malines et Liège dateraient du mois d'août.
A l'époque, la ville de Walcourt n'était pas excentrée comme elle l'est aujourd'hui. Rimbaud et Verlaine ont pris la ligne de chemin de fer d'époque qui reliait Walcourt et Charleroi à des fins d'exploitations des mines de charbon. Ils ont fait un pèlerinage dans deux villes ouvrières clefs. Cette ligne de chemin de fer peut flatter l'idée d'un passage initial vers le 10 juillet en provenance de France. Tout le problème vient de nos inconnues sur les trajets séparés de Verlaine et Rimbaud à partir du 22 juillet avant qu'ils ne se rejoignent, Liège étant tout à l'est de la Wallonie, dur tout de même de croire que du 22 juillet au 9 août Verlaine ait fait un voyage de Quiévrain à Liège, avec retour à Walcourt, puis montée sur Charleroi, ou qu'il ait fait un voyage de Quiévrain à Walcourt, puis Charleroi, puis Liège, puis Charleroi. Il faut tenir compte des quelques lignes de chemin de fer de l'époque. Ce qui est certain, c'est que nos deux poètes sont passés à Charleroi entre le 22 juillet et le 9 août, et que de Charleroi à Walcourt il y avait un train qui les conduisait directement, le poème "Walcourt" évoquant une station, une visite coup de coeur, et non un séjour avec nuitées.
Mais revenons à nos moutons avec le premier séjour bruxellois.
Rimbaud et Verlaine ont résidé à Bruxelles sur une période de quelques jours avant le 22 juillet et il n'est pas à exclure que Verlaine ait rejoint Rimbaud à Bruxelles le 22 juillet pour descendre ensuite sur Charleroi, rapidement ou après quelques autres jours passés dans la capitale.
Le retour à Bruxelles le 9 août ne nous intéresse pas, puisque le poème de Rimbaud décrivant le "boulevart du Régent" s'intitule "Juillet".
Le poème a deux éléments biographiques décisifs. Verlaine et Rimbaud décrivent en juillet le boulevard du Régent, ce qui nous fait songer à la date anniversaire du 21 juillet pour le serment constitutionnel de Léopold Ier. Le 21 juillet ne deviendra fête nationale belge qu'en 1890, mais par la force des choses la date avait déjà une valeur commémorative, et Rimbaud parle bien du "boulevard du Régent", lieu lié à la révolution belge initiale et bien sûr à la résidence du roi avec le palais royal précisément.
L'autre point biographique, c'est que Rimbaud parle d'un "bleu de Sahara" ce qui suppose donc une période particulière de beau temps en Belgique.
Dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, il est déjà question du beau temps et du ciel bleu dans les numéros des mois de mai et juin 1872. Toutefois, ce discours sied pour n'importe quelle période de beau temps à la fin du printemps et au début de l'été. Puis, le beau temps en mai et en juin ne suppose pas automatiquement le beau temps du mois de juillet.
J'essaie avec mes modestes moyens de me faire une idée du temps qu'il faisait à Bruxelles en juillet 1872.
On peut imaginer dans l'absolue que "ton Bleu presque de Sahara" relèverait de l'ironie voltairienne, au contraire le ciel serait couvert, voire pluvieux, mais intuitivement j'ai toujours plutôt fait confiance au poème.
Voici en tout cas le fruit de mes rapides recherches sur internet.
Voici un premier lien (cliquer ici). Il s'agit d'une chronique météorologique parisienne pour l'année 1872 où nous pouvons lire l'information clef suivante :
20 au 28 juillet 1872 : Vague de chaleur, notamment le 26 juillet 1872. Probable importante vague orageuse le 29 juillet 1872.
Cette fenêtre englobe le 21 juillet, et comme Rimbaud et Verlaine ont quitté Bruxelles soit le 22 juillet même, soit dans les jours qui ont suivi, on voit se renforcer l'idée d'un poème en liaison avec la commémoration du serment de Léopold Ier dans la ville de Bruxelles. Je n'affirme rien, mais je constate que cette hypothèse que j'ai déjà formulé par le passé reçoit de nouveau un certain crédit. Qui plus est, Rimbaud, seul, a dû s'occuper, tandis que Verlaine entamait le départ en train avec sa femme le 22 juillet.
On peut penser qu'il faisait déjà très beau avant le 20 juillet à Bruxelles, mais on a une coïncidence forte entre un constat de vague de chaleur inhabituelle et la mention "Bleu presque de Sahara" dans le poème de Rimbaud.
Le lien ci-dessus évoque aussi des "remontées très chaudes" en France les 3 et 4 septembre, ce qui conforte l'idée d'un été chaud cette année-là précisément.
Je passe à un second lien (cliquer ici). Il s'agit cette fois d'un article d'un savant belge, Quetelet, paru en 1875 dans les Mémoires de l'académie royale de Belgique qui rend compte d'observations météorologiques pour l'année 1872. Nous avons dans cet article un tableau significatif : "Température moyenne de 1872". Nous avons une température moyenne pour chaque mois de l'année 1872 et pour six villes belges (Bruxelles, Gand, Liège, Ostende, Chimay et Anvers) et nous avons une colonne comparative "Température moyenne à Bruxelles de 1833 à 1862", sur une période de trente années donc. Il faut ajouter que pour les six villes et pour la moyenne de 1833 à 1872 nous avons aussi une moyenne annuelle en bas de tableau. L'auteur commente rapidement ce tableau, mais nous pouvons le faire nous-même. La moyenne annuelle des températures relevées à Bruxelles pour l'année 1872 est de 11,61 degrés, tandis que la moyenne pour la période de trente années est de 9,82 degrés. Quetelet relève cet écart de 1,79° en faveur de l'année 1872. Les écarts sont particulièrement sensibles pour les cinq premiers mois, ce qui intéresse l'auteur de l'article puisqu'il en tire des conclusions sur la feuillaison et floraison des diverses plantes dans le pays. Mais, nous, ce qui nous intéresse, c'est le mois de juillet. Or, pour être exact, les écarts sont importants pour les mois de janvier à avril inclus, jusqu'à quatre degrés en février, puis il sont plus faibles pour mai et juin : 12,74 contre 13,07 en mai avec une inversion (Quetelet n'aurait pas dû inclure "mai", puisque le mois de mai 1872 a une température moyenne moins élevée que la moyenne établie pour ce mois de 1833 à 1862. Nous observons une quasi égalité pour le mois de juin, une moyenne de 17 degrés en 1872 contre une moyenne de 16,8 degrés sur trente ans, mais cette fois c'est de nouveau à l'avantage de l'année 1872. Puis, pour le mois de juillet, nous un écart qui s'approche des trois degrés : 20,64 pour l'année 1872 contre une moyenne plus ancienne de 17,89 degrés. Cela fait 2,75 degrés d'écart, ce qui est conséquent et on peut supposer que la moyenne sur la seule période du 20 au 28 porteuse d'une vague de chaleur exceptionnelle, accentuerait cet écart.
Je vous épargne la revue des derniers mois de l'année. Seul le mois de mai 1872 fournit une moyenne inférieure à l'étalon représentatif. Pour la seule année 1872, notons aussi que le mois de juillet a une chaleur plus accentuée que les mois voisins de juin et août, respectivement des moyennes de 17 et 17,58 degrés.
Nous avons donc comme jamais de fortes raisons de penser que le poème "Juillet" de Rimbaud commémore une présence biographique sur le boulevard du Régent autour des 20-22 juillet, on peut envisager aussi une présence jusqu'au 26 juillet dans l'hypothèse d'un retour de Verlaine sur Bruxelles après avoir quitté son épouse.
Je passe maintenant à un troisième lien, un historique de relevés météorologiques pour la ville d'Uccle, tout près de Bruxelles, à quelques kilomètres seulement.
On pourrait passer du temps à comparer les tableaux année par année, mais on va faire simple et on consulter les tableaux de la seule année 1872 : (cliquer ici).
Nous avons un tableau "Valeur des températures mensuelles à Uccle pour 1872" qui confirme la poussée particulière au mois de juillet, même si les valeurs chiffrées sont ici inférieures à celles de l'article de Quetelet : moyenne de 18,2 contre 14,7 en juin et 16 en août. Le tableau sur les précipitations confirme que le mois de juillet fut celui avec le plus de ciel bleu cette année-là.
Une recherche serait à faire aussi sur les orages, sachant que Quetelet, cité plus haut, a répondu à une sollicitation d'Urbain Le Verrier et a fondé en 1867 un réseau belge d'observation des orages. Cela intéresse la délimitation de l'épisode de ciel bleu en juillet 1872 sur la Belgique, avec l'idée de possibles orages autour du 29 juillet. Verlaine a daté son poème "Malines" d'août 1872, et Rimbaud lui fait cortège avec la pièce "Michel et Christine" où il est question non seulement de railway, mais d'orages. La ligne Bruxelles-Malines de l'époque avait une valeur historique, c'était la première ligne de chemin de fer belge, et même la toute première ligne de chemin de fer inaugurée et créée en-dehors de l'Angleterre. La distance entre Bruxelles et Malines est assez courte, Rimbaud et Verlaine ont dû simplement profiter d'une journée pour visiter Malines. Si on part du principe qu'ils ne sont revenus à Bruxelles que le 9 août, il y a à chercher, du moins en ce qui concerne "Michel et Christine" les journées d'orage en Belgique pour le mois d'août. Les escales à Walcourt et Liège ne correspondent pas nettement à l'idée d'un plat pays de prairies comparable à la Sologne. Je pense qu'il y a moyen de resserrer les hypothèses sur la datation de la composition de "Michel et Christine" à partir de bonnes données météorologiques, puisque ce n'est pas être spécialement imprudent que de penser que les orages ne furent pas exclusivement fictionnels et propres au poème de Rimbaud en ce mois d'août 1872.
Voilà, en tout cas, de l'enquête littéraire et biographique comme vous n'êtes pas habitués d'en avoir.