Il est nouveau, docteur Rimbaud !
Qu'est-ce qu'on peut entendre par là ? Quand j'étais enfant, comme beaucoup d'autres, je connaissais cette petite phrase : "Il est minuit, docteur Schweitzer !" Je ne comprenais pas ce que ça sous-entendait. J'ignorais la provenance d'une telle citation. Je ne savais même pas qui était le docteur Schweitzer, j'ignorais même qu'il n'était pas qu'un personnage de fiction. Je ne savais rien de rien. C'est même une sorte de connaissance littéraire qui est allée en s'éteignant, car il n'en fut nulle question au collège et au lycée. C'était comme un truc perdu dans mon enfance, un souvenir de mes aînés comme quand on me parlait d'Eddy Merckx que je n'ai pas suivi directement. Puis, un jour, j'ai découvert que cette phrase cabalistique était le titre d'une pièce de théâtre, un drame en deux actes et des Pourrières. Il s'agissait d'un texte d'un écrivain français et catholique Gilbert Cesbron. Cet auteur donnait à d'autres de ses écrits le tour d'une phrase moitié anodine, moitié étonnante : Il est plus tard que tu ne penses, Libérez Barabbas ou C'est Mozart qu'on assassine. Ce dernier titre est toutefois une citation de Terre des hommes de Saint-Exupéry. Gilbert Cesbron est finalement tombé dans l'oubli. Je dois avouer qu'à lire sa pièce Il est minuit, docteur Schweitzer, ce n'est pas vraiment surprenant. C'est une pièce qui a eu son actualité en 1951, et voilà tout. Ceci dit, son titre est resté, et comme les gens l'utilisent, on prétend que ça ne veut rien dire d'autre que le fait d'annoncer minuit aux gens avec une emphase comique. Dans la pièce, cela a un peu plus de profondeur tout de même.
Le héros de la pièce Albert Schweitzer est un personnage réel qui a survécu au drame de Cesbron. Le drame de Cesbron est censé se dérouler au Gabon au commencement de la Première Guerre Mondiale. Schweitzer n'est pas catholique, c'est un protestant qui participe du mouvement de la théologie libérale. Il est Alsacien, ce qui en fait un personnage d'origine française mais administrativement allemand et donc placé sous les drapeaux allemands, avec une double casquette pour la culture. Il se retrouve face à un personnage inspiré de Lyautey et quelques autres, dont un certain Leblanc dont le nom est évidemment signifiant dans le contexte d'hôpital dans les brousses du Gabon. Personnage aujourd'hui controversé à cause si j'ai bien compris de son paternalisme, le véritable Albert Schweitzer est mort en 1965, cinquante après les faits imaginés dans la pièce et quatorze ans après les premières mises en scènes de celle-ci. Toutefois, la première réplique de la pièce est formulée par le personnage de Marie, sur laquelle se projette l'idée chrétienne, mais elle n'est pas le personnage pieux que son nom fait attendre, mais bref, sa première réplique, c'est le titre de la pièce : "Il est minuit, docteur Schweitzer !" Cela contribue à la coloration de deuil immédiate qui s'installe, et quand on sait qu'il y a pour le théâtre classique français une règle d'unité de temps limité à vingt-quatre heures Schweitzer fait entendre une perspective inquiétante pour lui-même quand il dit : "Un mendiant qui meurt demain, son temps est mille fois plus précieux que le mien !"
Or, si le premier acte de la pièce commence à minuit, le second acte de la pièce commence le lendemain à onze heures du soir. On devine que le second acte doit représenter l'écoulement d'une heure de temps. Et Schweitzer est alors condamné à mort et doit l'être par Leblanc qui aura la dernière réplique, laquelle ne sera que la reprise de la phrase initiale de Marie la veille, phrase qu'il n'a pourtant pas entendue : "Il est minuit, docteur Schweitzer !" Et cela sonne alors comme une sentence de mort. Puis, le rideau se ferme.
Voilà, vous mourrez moins incultes, mais bon vous mourrez quand même !...
Que dire de plus ? Je vais reprendre ma série sur les "lettres du voyant", je vais dans la prochaine partie rendre enfin compte dans les détails de la préface de Sully Prudhomme à sa traduction du premier livre de De rerum Natura de Lucrèce.
Pendant ce temps, vous reprendrez bien un peu de cet arrière-goût d'automne...
Il est nouveau, docteur Rimbaud !
Il est nouveau, docteur Rimbaud !
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