Je profite des deux premières parties déjà publiées de mon étude sur les recueils de Leconte de Lisle pour revenir sur l'article de Jean-Michel Gouvard : "Arthur Rimbaud et le vers romantique", publié en septembre 2024 dans le numéro spécial Rimbaud n°5 Les Romantismes de Rimbaud, dans la Revue des lettres modernes.
Comme je l'ai dit, l'article de Gouvard reprend des éléments de réflexion que l'auteur a mis au point dans un article de 2003. Dans la Théorie du vers, Cornulier reprend des critères qui existaient déjà auparavant chez Martinon et d'autres, il les affine, les justifie, mais l'idée clef c'est que les césures sont évitées au plan des enjambements de mots, au plan des "e" féminins et au plan des mots grammaticaux introducteurs d'une syllabe du type prépositions, déterminants et pronoms placés devant le vers (Exemple : "Tu", "lui" et "en" dans "Tu lui en parles"). Il y a un certain nombre d'autres mots qui devraient s'y ajouter, mais cela ne relève plus de catégories homogènes faciles à déterminer : il y un problème d'homogénéité de la catégorie des sept conjonctions de coordination qui est artificiellement enseignée jusqu'à présent : "Mais, ou, et, donc, or, ni, car", il y a des adverbes "ne" devant les verbes ou "Puis", il y a des conjonctions de subordination avec le mot "comme", le mot "si", etc. Pour élargir les critères, Gouvard a envisagé deux démarches : le soulignement spectaculaire d'un mot détaché à la césure, avant ou après, et il a envisagé les mots grammaticaux de plusieurs syllabes.
Il n'a pas tort de s'intéresser à ces critères-là, mais il y a quatre défauts précis dans sa démarche. Le premier défaut, c'est qu'il escamote le véritable apport de Chénier qui a influencé Vigny et Hugo maximalement, c'est le fait que grammaticalement nous avons des rejets de compléments du nom, d'adjectifs épithètes, des rejets d'un verbe par rapport à un sujet, des rejets de compléments du nom, et puis des rejets de compléments de lieux ou autres, à partir d'une désorganisation syntaxique interne aux hémistiches. Le deuxième problème, c'est que Gouvard n'a pas identifié la catégorie précise des rejets d'épithètes. Il s'en trouvait chez les poètes classiques, mais comme il se trouvait des configurations sur conjonctions et prépositions de plusieurs syllabes, et les rejets d'épithètes étaient rares et évacués. Gouvard semble considérer que la pratique des rejets d'épithètes n'a pas été réactivée par Chénier (et Malfilâtre) et il n'en fait paradoxalement rien pour définir la réalité d'un profil de vers romantique.
Le quatrième défaut de sa démarche, c'est qu'il identifie les procédés qu'il met en avant à une période romantique. Or, ça ne marche pas pour deux raisons. Premièrement, vu que ces audaces pour le XIXe étaient naturelles au XVIe siècle, voire au début du XVIIe siècle, il faut ajouter des éléments prosodiques pour différencier avec netteté la versification de la Renaissance et celle du XIXe : refus des "e" languissants à l'intérieur du vers au XIXe par exemple. Mais, surtout, la versification assouplie au XIXe siècle ne coïncide pas avec l'époque romantique, très brève au demeurant comparée à un classicisme qui s'est étalé sur plus de deux siècles de 1600 en à 1819. Lamartine et plusieurs poètes plus obscurs ne rentrent pas dans le moule du vers à la Chénier. Il y a des poètes emblématiques : Vigny, Hugo et Musset, des adhésions modérées avec notamment Sainte-Beuve. Même Borel et O'Neddy ne s'adonnent que parcimonieusement à ces audaces. Banville, Nerval, Gautier seront les romantiques de deux autres générations qui suivront l'évolution du vers de près, mais je rappelle qu'il y a un nombre conséquent de poètes de cette époque que nous ne lisons jamais et sur lesquels il faudrait se prononcer quant à leur versification : les frères Deschamps, Barbier, Hégésippe Moreau, Arvers, Brizeux et quelques autres. Or, l'exemple de Leconte de Lisle est intéressant, puisqu'en 1852 il est en-deçà des critères du vers romantique que Gouvard a défini à partir du modèle de Victor Hugo. Quant aux derniers critères, ils ne peuvent pas être parnassiens, puisque Baudelaire, Banville ne sont pas des parnassiens, mais des romantiques, et Hugo a donné le cours à ces audaces qui ont été imitées déjà dans la décennie 1830 par Desbordes-Valmore, Musset, Barbier et Borel, même si ce fut tout à fait ponctuellement.
On ne peut pas faire passer pour naturel le partage vers classique, vers romantique et vers parnassien. La théorie n'est pas fonctionnelle.
Je vais ajouter un autre problème sur le soulignement des mots d'une syllabe. Gouvard s'appuie sur une théorie aux critères imprécis qui souffre des contre-exemples chez les classiques.
Il y a enfin une idée que je soulève. Je rappelle qu'en principe pour bien écrire il y a une règle de refoulement des adjectifs dans la prose. Cette théorie pèse de tout son poids dans l'opposition entre les phrases longues des récits en prose de l'Ancien Régime et les récits en prose de l'époque romantique. Vous lisez une phrase longue de Charles Sorel, de Madame de La Fayette, de Scarron, de Lesage, vous allez avoir un enchâssement de verbes à l'infinitif, ou de verbes conjuguées, avec quelques noms, mais peu d'adjectifs, tandis qu'à partir de Chateaubriand et puis des auteurs du dix-neuvième siècle, vous allez avoir beaucoup d'adjectifs, beaucoup de compléments circonstanciels, beaucoup de subordonnées enrichies, et aussi vous allez avoir beaucoup de juxtapositions, beaucoup d'incises. Et c'est intéressant d'y penser quant à la manière de versifier de Rimbaud et de Victor Hugo, puisque le fait de fragmenter son discours, de créer sans arrêt des juxtapositions, de suspendre sa parole pour glisser une apposition, une incise, favorise une conception du vers où il y a moins ce ronronnement des hémistiches nettement formés d'un seul souffle de six syllabes. Les suspens sont inévitablement faciles à mettre en oeuvre dans cette manière d'écrire.
Là, on quitte le seul cadre de repérage des mesures. On médite aussi le rôle de la langue dans le naturel des enjambements au sein d'une pièce versifiée.
Maintenant, j'en arrive à la question des choix de certaines tendances qui peuvent différencier les poètes entre eux, et même les poèmes d'un même auteur entre eux.
Prenons "Les Etrennes des orphelins" !
Les deux premiers vers s'inspirent du poème "Les Pauvres gens" de Victor Hugo :
La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguementDe deux enfants le triste et doux chuchotement.
Il est nuit, la cabane est pauvre, mais bien close.Le logis est plein d'ombre, mais l'on sent quelque choseQui rayonne à travers ce crépuscule obscur.Des filets de pêcheur sont accrochés au mur.Au fond, dans l'encoignure où quelque humble vaisselleAux planches d'un bahut vaguement étincelle,On distingue un grand lit aux longs rideaux tombants.[...]
Je n'ai pas tout cité de ce qui pouvait être rapproché. Je me contente de souligner que "La chambre est pleine d'ombre" reprend : "Le logis est plein d'ombre", et que "vaguement" est déplacé à la rime. Et j'observe aussi la présence de cette forme "on sent" qui va apparaître plus loin dans "Les Etrennes des orphelins", puis dans "Credo in unam" et forme qui deviendra "L'enfant se sent" dans "Les Chercheuses de poux". Je pourrais aussi noter l'importance de l'idée du rayon qui se dégage dans la totale obscurité, "les longs rideaux tombants", mais je m'arrête là. Mon idée, c'est que les adverbes en "-ment", c'est un procédé typiquement hugolien. Je me suis dit que cela venait peut-être du poème "Les Pauvres gens", mais j'ai dû déchanter. Hugo ne joue qu'avec des adverbes de trois syllabes dans ce poème :
Aux planches d'un bahut vaguement étincelle,Comme il faut combiner sûrement les manœuvres !Aux rochers monstrueux, apparus brusquement. -
Il y a plusieurs noms se terminant en "-ment" dans le poème, et il y a une rime entre un nom en "-ment" et un adverbe en "-ment" dans "Les Pauvres gens", ce qui conforte l'évidente influence hugolienne sur tous les détails de conception des deux premiers vers des "Etrennes des orphelins" :
Et chaque battement, dans l'énorme universPas de pain de froment. On mange du pain d'orge.Aux rochers monstrueux, apparus brusquement. -Horreur ! l'homme, dont l'onde éteint le hurlement,Sent fondre et s'enfoncer le bâtiment qui plonge ;Pas même le clairon du dernier jugement ;Le refroidissement lugubre du tombeau !Et lui baisa sa veste avec emportement,Quelle nuit ! Un moment, dans tout ce tintamarre,
et une telle liste permet de considérer que Victor Hugo donne le la pour quelques vers créés par Rimbaud :
Aux portes des parents tout doucement toucher...Ils tressaillent souvent [...]On regardait souvent [...]Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Mais, outre qu'il faut noter l'enrichissement par "tout" pour "doucement", alors qu'Hugo reste dans un emploi modéré d'adverbes de trois syllabes, ce poème précis n'est pas celui duquel Rimbaud a rapporté l'idée de tendre au maximum l'adverbe jusqu'à englober tout un hémistiche :
Silencieusement tombe une larme amère
Principe que Rimbaud reconduit dans "Credo in unam" :
Majestueusement debout, les sombres marbres,
Et je pense qu'avec un peu de méthode il y a moyen d'identifier la source exacte de Rimbaud, soit un autre ensemble hugolien, soit un ensemble banvillien, etc.
Je vais me lancer en quête du modèle précis qui a joué un rôle déclencheur pour Rimbaud.
Je vais me lancer en quête du modèle précis qui a joué un rôle déclencheur pour Rimbaud.
Le poème "Ophélie" doit être intégré à cette enquête, notez le cas d'enrichissement comparable à "tout doucement" plus haut pour le vers suivant :
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles,
ce vers est-il sous influence d'Hugo, de Musset, de Banville ?
Nous retrouvons aussi l'emploi de l'adverbe en trois syllabes :
Ses longs voiles bercés mollement par les eaux :
mais ce qui m'intéresse, c'est que Rimbaud ne s'arrête pas au principe de l'adverbe de trois syllabes, il joue sur l'allongement à quatre, cinq, voire six syllabes, et c'est un fait que le poème "Les Pauvres gens" n'a pas pu jouer ce rôle de déclencheur.
Dans "Credo in unam", tel jeu sur la même terminaison en fin d'un nom :
Le grand fourmillement de tous les embryons,Le pur ruissellement de la vie infinie,
renvoie à un sentiment de pratique hugolienne que confirme un vers cité plus haut des "Pauvres gens" :
Le refroidissement lugubre du tombeau !
Cependant, Hugo joue ici sur une forme de rejet pour "lugubre" qui est admise des classiques : "lugubre du tombeau" est l'équivalent de "roussoyante du ciel" second hémistiche complétant "douce liqueur" dans un alexandrin de Mathurin Régnier. Je remarque que les vers de Rimbaud sont plus sages : "de tous les embryons" ou "de la vie infinie", mais je remarque surtout que les rejets d'épithètes en tant que tels ne sont pas pratiqués par Rimbaud, du moins à la césure dans "Les Etrennes des orphelins" ou les trois poèmes envoyés à Banville. En revanche, en remaniant les trois poèmes envoyés à Banville, Rimbaud introduira des rejets d'épithètes dans "Ophélie" et "Soleil et Chair". On a tout de même un rejet d'épithète à l'entrevers avec "Béante" dans "Les Etrennes des orphelins" :
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrureBéante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
Et signe que cela dérange quelque peu Rimbaud pour l'instant, c'est qu'un peu plus loin nous avons une équivalente phonétique et sémantique en attaque de vers, mais pour une épithète apposée :
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,Souriante, semblait murmurer quelque chose
L'écho de "murmure" à "murmurer" confirme un lien entre ces deux passages du poème, et cet écho par une apposition tend aussi à confirmer que les rejets sont pensés comme des décrochages énonciatifs impliquant des pauses ou repos dans la voix.
Le second vers des "Etrennes des orphelins" suppose dans l'absolu un contre rejet en fin de premier hémistiche :
De deux enfants le triste + et doux chuchotement.
Cependant, de telles coordinations sont admises chez les poètes classiques : Corneille, Mairet, etc. Gouvard insiste, et il n'est pas le premier, sur le fait que les adjectifs sont d'une syllabe, surtout la mention "triste" à la césure, puisque c'est là qu'est le contre-rejet, contre-rejet dissyllabique "le triste" où on ressent le principe de la valorisation d'un mot d'une seule syllabe, car c'est comme ça qu'il faut décrire précisément l'effet. Le tour est hugolien. Rimbaud a dû repérer principe ailleurs que dans "Les Pauvres gens". Toutefois, l'emploi en suspens de "triste" à la césure vient directement d'un vers des "Pauvres gens" :
Jeannie est bien plus triste encor. Son homme est seul !
La césure détache l'adverbe "encor" rejeté dans le second hémistiche. Ce principe de placer "encore" dans le second hémistiche est admis par les classiques, mais sans supposer un point après "encore" où là on passe à un principe à la Chénier enrichi en principe hugolien.
Je remarque trois vers frappants dans "Les Etrennes des orphelins" :
Leur front se penche, encore, alourdi par le rêve,Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Seul le troisième vers correspond au rejet que je suis en train de commenter, mais l'adverbe "alors" est mis entre virgules, ce qui en fait grammaticalement un cas similaire à la mention détachée "le soir" du vers précédemment cité, et j'observe aussi que dans le premier vers cité, "encore" est à la fois devant la césure et encadré de virgules !
Pour moi, ce sont des indices psychologiques d'un poète encore hésitant dans la manière d'enjamber les césures.
L'adverbe "encor" est rejeté dans le vers où je relève l'adjectif "triste" en suspens à la césure. Il va de soi que dans le cas de Victor Hugo, c'est "encor" qui est en rejet, l'unité bien conclue du premier hémistiche étant envisageable : "Jeannie est bien plus triste", mais on sent que la réflexion de Rimbaud a tourné autour de ce vers à configuration particulière où en effet le monosyllabe "triste" est mis en valeur par l'étirement d'un mot vague "encor" en rejet au second hémistiche.
Je reviens aux formes adverbiales en "-ment". Dans "Credo in unam", le jeu sur "Majestueusement debout, les sombres marbres", est précédé par "Glisse amoureusement" où on a une mise en relief d'un mot d'une syllabe par contraste de l'adverbe de cinq syllabes qui complète l'hémistiche, et "debout" dissyllabe jouit aussi d'une opposition de masse avec l'adverbe "Majestueusement".
Je prévois de citer pas mal d'exemples de traitement d'adverbes en "ment" chez les poètes qu'avait pu lire Rimbaud au début de l'année 1870.
Toute notre réflexion est partie des deux premiers vers des "Etrennes des orphelins". Permettez que nous y revenions encore.
L'enjambement "le triste + et doux" fait quelque peu songer à ces trimètres que Victor Hugo pratique pour mieux souligner un effet de sens à la césure, sauf que Rimbaud, pourtant débutant, ne pratique pas des répétitions, il passe directement à un trimètre apparent sans répétitions qui en souligne la structure et qui lui donne une réalité :
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Rimbaud joue à l'occasion avec le modèle du trimètre, l'impression de la critique rimbaldienne, et Murat s'est prononcé en ce sens, c'est que Rimbaud n'est pas un adepte des cascades de trimètres apparents. Il y aurait ici un recours au trimètre favorisé par l'influence subreptice du modèle conscient pour Rimbaud qu'était Hugo. Mais, ce qui est frappant, c'est que le dernier vers des "Etrennes des orphelins" crée un effet de boucle avec le vers 2, puisqu'il possède un enjambement à la Chénier qui est unique sur tout le poème :
Ayant trois mots gravés en or : "A NOTRE MERE!"
Beaucoup de commentaires de ce poème soutiennent contre l'avis d'époque d'Isabelle Rimbaud et Paul Verlaine que cette fin est grinçante. Steve Murphy a donné un certain tour à cette lecture satirique, mais la lecture de Murphy est contestée, notamment par Yves Reboul et son compte rendu d'époque (1990-1991), et pourtant Cornulier est revenu à la charge en comparant l'écriture en majuscules "A NOTRE MERE" d'un passage grinçant en majuscules au dernier vers du poème "L'Expiation" des Châtiments.
Personnellement, je ne vois pas pourquoi Rimbaud s'acharnerait sur ces deux enfants, et je ne crois pas du tout que Rimbaud était marxiste. Il était anarchiste, libertaire et il avait une sympathie d'époque pour les ouvriers, selon un socialisme quarante-huitard qui n'est pas confondable avec le marxisme.
Lecture en trimètre ou non de ce dernier vers, en tout cas, le rejet "en or" est exhibé comme expressif.
Ensuite, le mouvement du poème est très clair. Certes, nous avons un suspense sur le fait que la mère soit morte ou non, et certes nous retrouvons l'idée que le logis n'est pas réchauffé qui est comparable au froid du "Dormeur du Val" qui ne ressent rien des parfums à ses narines. Mais, dans "Le Dormeur du Val", il est bien question de quelqu'un qui dort et que la Nature peut encore secourir. Et le cas est plus explicite encore dans "Les Etrennes des orphelins". Le poète a plaint ces enfants de ne pas avoir le secours maternel et il a précisé que ce secours maternel permettait d'avoir des visions blanches pour bien dormir, et dans la suite du poème nous avons au sein du lourd sommeil un "ange des berceaux" qui se manifeste et fait vivre aux orphelins un "rêve maternel" réjouissant de "visions blanches" puisqu'ils sont transportés dans un "paradis rose", et il me semble clair que cela équivaut à un basculement de "petits" qui "sommeillent tristement" à des petits qui ont une espérance dans l'au-delà.On passe bien à des "enfants, tout joyeux" qui ont "jeté deux cris", et le motif de l'or était dans les souvenirs des enfants se mélangeant à une idée solaire et on ne peut nier au dernier vers que le "en or" c'est la pensée en or envers la défunte mère, et c'est le don de leur amour qui passe par cet or. On peut toujours imaginer une lecture à la Maupassant où tout l'espoir qui reprend est cassé par une claque finale comme dans La Parure. Mais, dans le récit La Parure, il y a une punition d'orgueil et de vanité. Ici, le poème ne se termine pas sur le constat que la mère est morte fait par les enfants eux-mêmes, alors que si la fin du poème doit être malheureuse ça ne doit pas être le lecteur qui seul reçoit une confirmation de la mort de la mère, il faudrait que les enfants réalisent que leur mère est morte. Le poème se finit par un don et ne dit pas que la visite de l'ange des berceaux était fausse.
En tout cas, le "en or" est un rejet remarquable du poème qui ne doit pas être écarté de l'interprétation.
A propos du traitement des adverbes autour de la césure, je relève enfin ce vers très particulier :
On entrait !... Puis alors les souhaits,.... en chemise,
La césure suit la suspension de "alors", inversion du cas de "encor" à propos de Jeannie dans le vers cité plus haut des "Pauvres gens". Ce vers est particulièrement vague et décousu. Nous avons du sens net dans les trois premières syllabes : "On entrait", mais tout le reste est en suspension, assez dissolu. J'en ferais le vers le plus romantique des "Etrennes des orphelins", pas vous ?
Ce vers est aussi à rapprocher du suivant :
Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre mère ?"
Rimbaud s'inspire de quel poète pour placer ainsi à la césure : "Puis alors" et "Quand donc" ?
Je considère qu'il y a d'autres enquêtes qui restent à mener, je pense vous montrer très clairement les bonnes pistes de réflexion.
Chaque poète a ses tendances. Par exemple, dans sa traduction en vers de La Divine Comédie, j'ai remarqué que Louis Ratisbonne pratiquait souvent un enjambement ou "rejet" à la césure du type "plus loin".
Dans "Credo in unam", j'ai dégagé l'idée que Rimbaud semblait se concentrer sur des variations autour d'un effet quand il souligne un mot d'une syllabe : "Glisse amoureusement", "Etale fièrement l'or de ses larges seins"), et j'ai dit que dans ces deux vers les adverbes en "-ment" jouaient un rôle, puis nous avions le rejet de deux syllabes face à un adverbe hémistiche : "Majestueusement debout, les sombres marbres", et le vers des "Etrennes des orphelins" : "Silencieusement tombe une larme amère" confirme que Rimbaud méditait cela depuis quelque temps.
Quand il remanie "Credo in unam" qui devient "Soleil et Chair", Rimbaud crée un nouvel effet de relief de mot d'une syllabe devant la césure :
Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Ce remaniement joue sur une répétition qui n'apparaissait pas dans le vers régulier originel, et il faut comparer cette mise en relief au rejet à l'inverse du mot "homme" dans les césures d'un sonnet tel que "Morts de Quatre-vingt-douze..."
J'ai déjà relevé de telles mises en vedette du mot "homme" autour de la césure. Là encore, il conviendra de citer les modèles potentiels jusqu'à cerner le ou les vers précis qui ont servi de tremplin à Rimbaud.
En tout cas, nous nous éloignons d'une théorie où analyser les vers de Rimbaud comme correspondant naturellement à une époque, avec un petit épinglage de ce qui est plus avant-gardiste.
Les études métriques doivent reprendre la main en se concentrant sur l'objectivation critique des récritures. Les sources expliquent plus subtilement les vers de Rimbaud que des convictions chronologiques sur un état du vers.
Et cette lacune, je la ressens à la lecture des travaux de Cornulier ou Gouvard.
Pour l'instant, sur les adverbes en "-ment" de six syllabes, l'idée d'une influence vient plutôt de vers des Cariatides, mais je peine encore à trouver ce qui emporte l'adhésion.
RépondreSupprimerHugo utilise plus volontiers le nom en "-ment" que l'adverbe en "-ment" pour créer un effet de masse 5/1 dans un hémistiche, exemple le début du Sacre de l'aurore avec "éblouissement", On a bien dans La Légende des siècles un "superbement hideux" à rapprocher de "Belle hideusement" dans "Vénus anadyomène", et j'ai relevé "Rôde éternellement" à la fin du poème "Le Parricide", mais les adverbes n'ont pas ce petit plus d'énonciation des vers de Rimbaud et Banville. Hugo reste dans une solennité de base pour les adverbes.
Après, j'ai trouvé des adverbes hémistiches dans Les Cariatides de Banville : "Inexorablement", etc. Mais ça ne ressemble pas trop aux exemples rimbaldiens en idées. Puis, Rimbaud privilégie la forme "-eusement" : Majestueusement, amoureusement, Silencieusement.
Ma recherche va continuer. Le poème "Les Baisers de pierre" m'offrent d'autres éléments de réflexion sur le "là" ou le rejet "et doux".
Je cherche, je cherche.
ça se confirme ! Hugo ne recourt pas volontiers à la forme "-eusement", je ne la rencotnre même pas. J'ai épluché Orientales, Voix intérieures, Rayons et ombres, puis qui sont postérieurs aux Cariatiades Les Contemplations et La Légende des siècles de 1859, je ne trouve pas d'adverbe hémistiche, j'ai trouvé "Evanouissement" un nom vers de dix syllabes à la fin des Contemplations, j'ai repéré "passe éternellement" dans Orientales, une coordination d'adverbes à cheval sur la césure, plusieurs effets 1/5 pour éblouissement, un superbe "et machinalement" à la fin des Contemplations, mais pas de "voluptueusement", "délicieusement", "joyeusement", "amoureusement", "majestueusement", "Heureusement" dans les vers d'Hugo, un "dédaigneusement" dans une didascalie de Cromwell. En revanche, il y a plein d'adverbes en "-eusement" chez Banville, et plusieurs adverbes-hémistiches : "Voluptueusement", "Délicieusement", notamment dans Les Exilés et un "Glisse amoureusement" dans les Stalactites. Les Exilés, Les Cariatides et les Stalactites sont les sources de cette manière de Rimbaud : "Silencieusement tombe une larme amère", "Majestueusement debout, les sombres marbres," et bien sûr "Glisse amoureusement le grand cygne rêveur" qui reprend "Glisse amoureusement la blancheur des beaux cygnes," des Stalactites.
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