Comment travailler sur les césures des vers de onze syllabes de Rimbaud ?
Nous avons quelques repères.
La première césure envisageable est celle plus ou moins traditionnelle après la cinquième syllabe et celle pratiquée par Marceline Desbordes-Valmore comme celle pratiquée dans Romances sans paroles de Verlaine. C'est celle qu'enregistre aussi Banville dans son Traité.
La deuxième césure est celle après la quatrième syllabe, puisque dès le projet avorté de Cellulairement et même au plan manuscrit dès la fin de l'année 1873 Verlaine écrivait "Crimen amoris" un poème dédié quelque peu à Rimbaud qui recourt à ce type de césure nouvelle. Verlaine va y recourir à plusieurs autres reprises et souvent dans des poèmes se référant quelque peu à Rimbaud.
La troisième possibilité est la césure après la sixième syllabe, ce qui revient quelque peu à une inversion du premier modèle : au lieu d'un hémistiche de cinq syllabes suivi d'un autre de six syllabes, nous aurions d'abord un hémistiche de six syllabes, ensuite un autre de cinq. Il s'agit d'un vers de chanson qu'on trouve, par exemple, dans les paroles composées par Emile Deschamps sur une Barcarolle de Mme Jules Mennessier-Nodier. Le texte a été publié dans la Revue des deux Mondes en 1831 :
Les strophes sont hétérométriques, mais respectent une distribution syllabique stricte.
Je cite les vers de onze syllabes :
Où les songes du soir descendent sur nousDes bords plus embaumés et des flots plus douxSous le saule en passant chantons de ces airsChantent les gondoliers à l'écho des mersLe temps fuit comme l'onde, aimons aujourd'hui ;A demain les grandeurs, la ville et l'ennui.
Face à cela, on sait que, quelles qu'en soient les raisons, les césures n'existent pas pour les vers de moins de huit syllabes et on n'a pas constaté l'existence d'un vers traditionnel avec une césure de plus de huit syllabes. Nous avons un vers de treize syllabes du XVIIe avec des hémistiches de cinq et huit syllabes.
Donc, dans les vers de Rimbaud, la césure ne sera pas sur les trois premières ou les trois dernières syllabes. Le refoulement des vers acrobatiques de une, deux ou trois syllabes participe de ce discrédit. A la limite, on peut envisager une césure après la troisième syllabe, le second hémistiche étant dès lors de huit syllabes seulement. On peut imaginer aussi la césure après la huitième syllabe, mais on remarque que les trois syllabes dégagées plus haut représentent la moitié des configurations encore possible dans l'absolu : 38 47 56 65 74 83. Trois cas sur les six à retenir.
Quel peut être l'intérêt pour Rimbaud dans un poème où les césures ne sont pas sensibles de pratiquer un vers de onze syllabes où la césure ne serait pas à sa place attendue (après la cinquième syllabe ?).
Le vers de onze syllabes est entre le vers de dix syllabes et le vers de douze syllabes. La césure de l'alexandrin est nécessairement après la sixième syllabe, mais le trimètre romantique comme leurre a fait parler de lui. Il y a une coïncidence intéressante. Il suffit de porter son attention à un repos après la quatrième syllabe pour que le lecteur hésite entre la lecture d'un décasyllabe ou d'un alexandrin. Il y a là une possibilité de jeu sur les perceptions de la longueur du mètre, et pas seulement sur la perception de la césure dans un vers dont la longueur est connue d'avance.
A partir du moment où le poète ne s'interdit aucune forme de césure et à partir du moment où il n'y a pas une majorité de vers à la césure régulière, existe-t-il d'autres recours pour identifier la césure ?
Le début du poème sert en principe à donner la mesure comme quand on lance un chant ou une interprétation musicale.
C'est ce qu'a fait Rimbaud dans le poème "Tête de faune", avec la répétition du vers 1 au vers 2 de "Dans la feuillée" qui s'impose nécessairement comme la mesure d'un hémistiche traditionnel de quatre syllabes. Et fatalement, ça vaudra pour tout le poème qui n'a que douze vers.
Dans l'étude des poèmes en vers nouvelle manière de douze ou dix syllabes, j'ai établi des critères plus subtils. Par exemple, dans "Mémoire", les enjambements de mots ne concernent qu'un quatrain central, preuve d'une attention apportée à la césure, tandis que dans "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." les césures du type "ombel/les", "sau/les" et "sau/tent" sont évitées, tandis que les effets sont distribués à des endroits précis du poème pour correspondre à des calembours métriques en fonction du discours tenu. Qui plus est, le premier vers ne pose aucun problème de reconnaissance des hémistiches d'un alexandrin, d'autant que le premier est une reprise quasi à l'identique d'un hémistiche de début de poème des Feuilles d'automne. Cornulier perd son temps à ne pas admettre la lecture forcée de la césure pour "Famille maudite" alias "Mémoire" et pour "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." Quarante ans de perdu !
La remarque vaut aussi pour "Tête de faune"! Quarante ans de perdu.
Pour "Juillet" et "Jeune ménage", c'est moi et non pas Cornulier qui ait mis au point la méthode de relevé des césures similaires. Cornulier voulait bien me citer dans le Dictionnaire Rimbaud pour l'influence d'Amédée Pommier sur les vers courts de l'Album zutique, mais, dans le cas de "Juillet", il publie un article où il ne me cite pas et pourtant parle des symétries en césures. Je revendique le raisonnement et encore à l'heure actuelle je suis plus précis dans mes conclusions sur le poème.
Que ce soit dans "Famille maudite" ou "Mémoire", si on écarte "saules", "sautent" et "ombelles", les enjambements de mot sont tous les deux dans le sixième quatrain d'un poème en dix quatrains, nous avons une césure sur "maroquin" qui souligne le nom de pays étymologique "Maroc" au vers 21, avec un sens orientalisant évident dans une description de quête solaire, et nous avons la césure violente sur la préposition dissyllabique "après" au vers 24 dans un vers émietté qui on pourrait dire mime l'halètement comme certains vers de Racine en ses Plaideurs : "Folle, et noire, court, après le départ de l'homme !" Il n'y a pas de telle césure sur les vingt premiers vers, ni sur la suite des vers 25 à 40. Si Rimbaud ne tient aucun compte de la césure de l'alexandrin, c'est impossible d'avoir un résultat pareil.
Cornulier a eu quarante ans pour faire sa découverte, non trente, puisque ça fait longtemps que j'en parle déjà maintenant.
Dans le cas de "Juillet", si on écarte les césures à l'italienne du type "fesses", on a un seul enjambement de mot, sur un dissyllabe "station", même pas sur un mot de trois syllabes ou plus (synérèse à "station" à noter en passant, d'autant que la conscience prise de la césure la met en relief). Cette unique césure au milieu d'un mot pour la césure traditionnelle du décasyllabe a lieu au quatorzième vers d'un poème de vingt-huit vers. Plusieurs césures chahutées sont symétriques dans "Juillet" : deux fois le rejet "-bas" à la césure pour "très-bas" et "ici-bas". Plusieurs syllabes répétées de part et d'autre de la césure : "diables bleus", Fenêtre du duc", Au poison des escargots" (vers qui suit celui avec "du duc"), plusieurs césures lyriques à la Villon : "Plates-bandes" et "L'agréable" pour la succession des deux premiers vers, "La Juliette" là encore pour un début de quatrain, position repérable, "Bavardage". Et la fin du poème est nettement régulière dans le dernier quatrain, ce que conforte ces hémistiches en tête d'autres quatrains : "Puis, comme rose..." et "- Calmes maisons..." Alors, c'est sûr, on a une césure à l'italienne pour "guitare" comme pour "fesses" et à la fin des fins tout est permis, mais à la fin des fins le seul enjambement de mot est au milieu du poème, ce qui est impossible si Rimbaud n'a pas considéré que les vers avaient une césure après la quatrième syllabe. Et avec ce poème, j'introduis un concept : l'analyse des césures chahutées qui se faisant écho entre elles confirme paradoxalement la persistance de la césure qu'individuellement elle brouille.
Cornulier n'a pas fait cette mise au point. C'est moi qui l'ai faite.
Je fais la même analyse dans le cas de "Jeune ménage" et je suis bien précis, je ne me contente pas de dire que tel effet anormal a été fait exprès en regard de la césure traditionnelle. Ce n'est pas ça mon discours. Je pointe du doigt des faits convergents qui invitent à lire tout le poème avec une césure forcée. Je relève les symétries graphiques de césures lyriques à la Villon dans un seul quatrain, et j'en tire les conclusions qui s'imposent : "Plusieurs entrent, " Puis y restent !" La symétrie n'est pas que d'une graphie "-ent" pour une césure lyrique, vous avez une correspondance grammaticale forte des verbes doublée d'une correspondance thématique verbale tout aussi forte !
Bref, j'ai prouvé que "Mémoire" et "Qu'est-ce..." étaient deux poèmes en alexandrins selon le principe d'une lecture forcée des césures, j'ai prouvé que "Tête de faune", "Juillet" et "Jeune ménage" étaient deux poèmes en décasyllabes traditionnels selon le principe d'une lecture forcée des césures. Malgré tous leurs écrits depuis quarante ans, Roubaud, Cornulier, Bobillot, Gouvard et plein d'autres n'ont jamais fait cela. Maintenant, le principe universitaire, c'est : "Quels sont vos titres pour prendre la parole ? Je vous dirai quels sont vos droits !"
Telle est la vérité, mais pour un monde de merde...
Il reste un cas compliqué de vers de dix syllabes, la "Conclusion" de "Comédie de la Soif"! Je vous indique même le poème sur lequel vous pouvez faire avant moi l'étude décisive. Et je ne perds pas de vue que dans le cas de "Juillet" il y un vers problématique en nombre de syllabes "o iaio ia io".
Il reste alors quatre poèmes aux vers de onze syllabes. Pourquoi ces poèmes-là précisément seraient sans césure, alors même que dans la chronologie des compositions ils sont définitivement contemporains de poèmes en vers de dix et douze syllabes. "Larme" et "La Rivière de Cassis" datent de mai, "Est-elle almée !..." de juillet et "Michel et Christine" semble dater d'août 1872 et est proche de "Juillet" sur le "boulevart" du Régent.
Dans le cas de "La Rivière de Cassis", notons qu'il n'y a qu'une moitié des vers à étudier, tandis que "Est-elle almée?..." est une pièce en deux quatrains.
Est-ce qu'il y a d'autres moyens pour déterminer la présence d'une césure dans le cas de ces quatre poèmes ?
Appliquons le principe de la mesure donnée au début du poème, comme pour "Tête de faune" avec la reprise "Dans la feuillée" et "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." avec un alexandrin facilement identifiable doublé d'un emprunt à un alexandrin d'un poète connu.
Pour "Larme"', "Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises", spontanément se dessine l'idée d'une césure après la quatrième syllabe. Le vers est d'allure ternaire permettant l'embrouille entre décasyllabe et trimètre romantique, mais il est clair que le lecteur peut ressentir l'importance de la coupe grammaticale après la quatrième syllabe comme l'indice de départ d'une césure. Cela pourrait ne pas être confirmé, et vous me direz hâtivement que les vers 2 et 3 ne confirment pas cette lecture, sauf que le vers 4 y correspond parfaitement : "Par un brouillard d'après-midi tiède et vert." Et j'ajoute que si vous avez songé à soutenir qu'il y a deux cas possibles pour le premier vers, la réunion des vers 1, 4 et 6 discrédite clairement l'hypothèse d'une césure après "troupeaux" au premier vers.
Plusieurs vers de "Larme" flattent très clairement l'idée d'une césure unique après la quatrième syllabe :
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,Par un brouillard d'après-midi tiède et vert.Ormeaux sans voix, gazons sans fleurs, ciel couvert.
Pour les inattentifs, je précise que "des villageoises" fait quatre syllabes métriques (sans le "-es"), "tiède et vert" ou "ciel couvert" font eux trois syllabes chacun. En comparant ces trois vers, on peut procéder à de nombreuses éliminations d'hypothèses. Il en est une tarabiscotée qui peut demeurer en suspens. Imaginez un jeu de Rimbaud sur les échos du genre des rimes, et vous auriez en réalité une césure au milieu de "troupeaux". Après tout "oiseaux" rime avec "troupeaux" et "villageoises" reconduit le début de "oiseaux". La césure "troup/eaux" dans un poème où il est question de soif a du sens, il s'agirait d'une césure après la sixième syllabe et nous identifierions alors une césure qui sera évidente dans "Juillet" sur le trait d'union de "après-midi". On peut très bien imaginer un poème de Rimbaud avec des calembours métriques sur "eaux" et "midi", la soif, le soleil, patin couffin, quoi ?
La lecture avec une césure après la quatrième syllabe est plus naturelle, moins alambiquée, parce que l'effort cérébral pour aller chercher la césure séparant "troup/eaux", il est un peu raide, non ?
Le premier vers du troisième quatrain : "Tel j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge" confirme cette tendance de césure plutôt naturelle après la quatrième syllabe. La césure du premier vers du dernier quatrain : "L'eau des bois se perdait sur des sables vierges" est un calembour sur verbe pronominal identique à la césure du quatrain de "Mémoire" "se quittent" placée précisément entre les deux uniques enjambements du poème. Vous prenez l'ensemble du poème "Larme", les césures sur enjambement de mots ne portent que sur "accroupi", mais ça correspond à un préfixe, ce que conforte la variante "à genoux", que sur "pêcheur" où envisager une mise en relief du suffixe. Plusieurs autres césures ne sont pas inconcevables chez les poètes "réguliers" de l'époque : "Quelque liqueur + d'or". Notez d'ailleurs que la suite "-eur d'or" est décalée de "liqueur d'or" à "pêcheur d'or", indice fort d'un travail de brouillage sur une césure pensée comme telle, non ?
Prenons "Est-elle almée ?..." Sans même penser à un hémistiche, c'est ainsi que ce poème sans titre est généralement cité. Là encore, l'ensemble des vers favorise pleinement une lecture avec une césure après la quatrième syllabe : "Souffler la ville énormément florissante !" Notez que dans ce vers l'adverbe au centre évoque sans doute à dessein le pensivement de Banville dans le trimètre de "La Reine Omphale" : "Où je filais pensivement la blanche laine". On a bien une volonté d'amener le lecteur à hésiter sur la reconnaissance d'un trimètre romantique, ce qui veut dire que la frontière après la quatrième syllabe est pensée stratégiquement ici par Rimbaud. Il ne faut pas être spécialement intelligent pour identifier dans "Et aussi puisque" une césure où désormais la conjonction toute entière est placée avant la césure. Rimbaud passe à une nouvelle étape dans la provocation.
Vous avez tant de mal que ça à comprendre que pour le deuxième vers Rimbaud a idnetifié une césure acrobatique à faire sur les mots qu'on attache après le verbe : "Se détruira-t-elle comme les fleurs feues..." ? Moi, pas ! Je comprends tout de suite l'intention, je comprends tout de suite la mise en relief du pronom "elle" détaché à la césure. Rimbaud casse l'adjectif "splendide" à la césure, vous ne vous en remettez pas, au lieu d'envisager un calembour métrique sur la notion de "splendeur". C'est difficile d'associer un chahutage métrique à une mise en relief d'un mot intense par définition ? Ah bon ?
Ecoutez ! On prend un café ensemble et on en parle de "Est-elle almée ?..." Vous allez m'expliquer ce que vous ressentez comme poésie et non comme prose dans ces deux quatrains. Non ? Vous ne voulez pas ? Vous avez peur ?
Repassons au mois de mai 1872 avec "La Rivière de Cassis", neuf vers de onze syllabes contemporains des seize du poème "Larme". Appliquons le repérage des seuls enjambements de mots :
La Rivière / de Cassis roule ignoréeLa voix de cent / corbeaux l'accompagne, vraieAvec les grands / mouvements des sapinaiesTout roule avec / des mystères révoltantsDe donjons vi/sités, de parcs importants ;Les passions mor/tes des chevaliers errants :Que le piéton / regarde à ces clairevoies :Soldats des fo/rêts que le le Seigneur envoie,Faites fuir d'i/ci le paysan matois
Notez que le premier vers est facile à envisager avec une césure lyrique, surtout pour les lecteurs de Villon, puisque la saturation "de Cassis" suppose un rejet un peu lointain de l'éventuelle césure. Mais libre à vous de me démontrer que la césure est après "Cassis" ou au milieu du mot "Cassis" ou après la préposition "de". En tout cas, là j'ai les neufs vers rassemblés, je remarque une césure que Gouvard appellerait romantique sur "avec", deux contre-rejets d'épithètes "cent" et "grands". Je remarque que "mouvement" est peu de temps après en rejet après la préposition "sans" dans "Juillet" "Boulevart sans mouvement ni commerce," et la césure "sans" est banalisée à l'époque. Les assonances "cent"/"grands" et "mouvements" favorisent bien cette idée de césure. La césure à l'italienne concerne le très significatif adjectif "mortes". Je ne constate pas plusieurs césures sur un mot grammatical d'une syllabe. Certes, il y a trois mots bien découpés à la césure éventuelle que je propose, mais vous avez remarqué l'astuce pour les deux derniers vers : "forêts" et "ici" ? Faites fuir d'ici la césure, rendez-nous les forêts. C'est marrant comme ça coïncide avec un calembour métrique qui englobe les deux vers... Je dis ça, je dis rien ! C'est les universitaires qui ont les titres pour dire comment il faut lire ces vers... Le mot "visités" correspond en calembour métrique à l'effet fantôme et j'en note le redoublement du "i" de part et d'autre de la césure potentielle ce qui se retrouve dans le dernier vers de onze syllabes avec l'adverbe "ici", et j'observe que dans "Juillet", ce mot est mobilisé pour une césure décalée sur le trait d'union avec la forme "ici-bas".
Pas besoin de mille ans d'études pour considérer que fort probablement "Larme", "La Rivière de Cassis" et "Est-elle almée ?..." (33 vers de onze syllabes en tout) ont une césure après la quatrième syllabe et que c'est pour cela que Verlaine a consacré un vers pris dans cette mesure à Rimbaud avec "Crimen amoris".
Oui, essayez une contre-enquête, mais à tout le moins il vous faudra admettre que je vous aurai donné la méthode pour la contre-enquête elle-même...
Non ?
Il reste "Michel et Christine". Pour la première fois, la césure après la quatrième syllabe n'est pas pleinement naturelle : "Zut alors si..." Tout de même, une césure sur "si" c'est un peu comparable à une césure sur "dans" au premier vers de "Rêvé pour l'hiver". Cornulier n'a même pas inclus la conjonction "si" comme interdite par les classiques à la césure après tout, alors que la préposition "dans" l'était.
Toutefois, il y a un très grand nombre de vers dans "Michel et Christine"' qui peuvent naturellement se lire avec une césure après la quatrième syllabe. C'est tout particulièrement le cas des deux premiers vers du deuxième quatrain, comme si après un départ embrouillé c'était le second quatrain qui donnait la mesure d'ensemble du poème :
Ô cent agneaux, de l'idylle soldats blonds,Des aqueducs, des bruyères amaigries,Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons,[...]
Le troisième vers part sur une césure lyrique, mais vu la pression des deux vers précédents, une lecture à la Villon ne va guère poser problème. Certes, au quatrième vers, "toilette" est à cheval sur la prétendue césure, mais vous prenez le vers "Des aqueducs, des bruyères amaigries," et vous remontez au vers 3, il n'y a pas une symétrie qui vous frappe et qui vous fait considérer que la césure lyrique s'impose pour le vers 3 rétroactivement :
Dans les saules, dans les vieilles cours d'honneur
"Rétroactivement" n'a aucun sens en lecture immédiate, mais là on est dans l'analyse à tête reposée qui reprend tout. On comprend désormais quand on relit le poème que la préposition "Dans" correspond au début des hémistiches du vers.
Oui, il pourrait y avoir des contre-exemples dans le même poème "Michel et Christine", mais je ne peux pas m'éparpiller, je vous montre qu'un profil naturel de césure après la quatrième syllabe d'un vers de onze syllabe rimbaldien s'impose encore une fois, et elle s'impose pour tous les poèmes à vers de onze syllabes qui nous sont connus de Rimbaud. Il n'y a pas un moment où vous acquiescez à la mise à jour ?
Mais moi, Seigneur ! voici que mon Esprit vole,
Certes, on peut exhiber tantôt des coupures nettes après la quatrième syllabe, tantôt après la cinquième syllabe, tantôt après une autre syllabe, mais bon, c'est marrant comme moi qui lis énormément de vers et qui ait l'habitude des césures chahutées de Victor Hugo, de Banville, de Baudelaire, des parnassiens, etc., j'arrive là-dedans, et je me dis que séparer le complément du nom "de lune" pour "clair de lune" ou détacher le déterminant "leurs" pour "leurs fronts", c'est du poncif évident pour le poète qui a écrit un an auparavant "Les Assis". Reprenons le vers que je viens de citer en supposant que le mot "voici" débute le second hémistiche de sept syllabes du vers. C'est le vers 13 du poème, il lance le quatrième quatrain, ce qui renforce l'effet de mesure 47 que j'ai soulignée pour les deux premiers vers du deuxième quatrain. On a bien une mesure qui occupe des positions de relief. Mais, deux vers auparavant, dans le troisième quatrain, au vers 11, à un vers d'intervalle seulement pour le dire autrement, selon ma lecture on a une césure sur le mot grammatical "quand" acceptable pour un romantique et le mot "voici" était déjà en attaque d'hémistiche selon mon principe de lecture :
Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,
Rimbaud joue sur la référence à l'alexandrin hugolien et sans doute l'idée de "voici" qui pourrait être placé avant la césure, sauf que le second hémistiche ne sera que de cinq syllabes. La provocation supérieure, c'est que la césure n'est même après "voici", elle est après "quand" avec un effet d'oralité des plus évidents à mon jugement de lecteur amateur.
Et ce n'est pas tout, toujours dans le troisième quatrain, à son premier vers, nous retrouvons avec le mot "pasteur" cette césure sur suffixe en "-eur" que nous avions dans "pêcheur" à la fin de "Larme". "Seigneur" recalé à la césure lui fait écho dans une sorte de jeu de réponse du premier vers du quatrième quatrain au premier vers du troisième quatrain.
Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre,
Comme par hasard, le verbe "s'engouffre" vient flatter l'idée que le mot manteau "pasteur" chevauche la césure.Dans le vers suivant :
Après les cieux glacés de rouge, sous les
il y a deux possibilités ou un rejet cliché du complément "de rouge", césure après la sixième syllabe, ou bien rejet tout aussi cliché de la forme participiale "glacés" après la quatrième syllabe. Quelle option préférez-vous ? Cela doit se dégager de toute une appréciation d'ensemble des vers du poème.
Je parlais de l'adverbe "énormément" dans "Est-elle almée ?" Vous me direz que dans ce vers aussi on peut hésiter entre une césure après la quatrième et la sixième syllabe : "Souffler la ville énorm/ément florissante !" Certes, mais revenez-en aux dominantes perceptibles des huit vers en question. En tout cas, l'autre adverbe en "-ment" dans les trente-trois vers de onze syllabes connus de Rimbaud, c'est "lentement" dans un vers de "Michel et Christine", et cette fois oui je vais adopter une lecture sur le moule de "pensivement" dans "La Reine Omphale" de Banville, parce que je pense bien que c'est une citation faite exprès :
Chevauchent lentement sur leurs pâles coursiers !
On a un sensible calembour métrique de franchissement lent de la césure, non ?
Maintenant, il y a plus haut une idée qui vous blesse, celle des décalages d'une même configuration.
De quel droit, je vais dire que "-eur d'or" est tantôt conforme à une césure de rejet habituel du complément "d'or" et tantôt du type heurtant d'une césure audacieuse sur un simple suffixe en "-eur" peu signifiant. Et comment je peux oser proposer une césure sur le pronom enclitique "elle" dans "Se détruira-t-elle..."
Heu ? Vous connaissez et appréciez Verlaine ?
Voici le début du poème "Colloque sentimental" qui clôt ses Fêtes galantes :
Dans le vieux parc solitaire et glacé,Deux formes ont tout à l'heure passé.[...]
Vous pouvez lire la suite du poème, il est en décasyllabes avec une césure après la quatrième syllabe : "Dans le vieux parc", "Deux formes ont", "Leurs yeux sont morts", "Et l'on entend", etc.
Je cite le quatrième distique :
Te souvient-il de nos amours anciennes ?Pourquoi voulez-vous donc, qu'il m'en souvienne ?
Verlaine fournit le modèle de césure que j'identifie au second vers de "Est-elle almée ?..." dont le premier vers favorise à jamais la lecture 4/7.
Est-elle almée ?.... aux premières heures bleuesSe détruira-t-elle comme les fleurs feues....
Nous avons deux poèmes courts en rimes plates, l'un artificiellement exhibé en distiques, l'autre artificiellement exhibé en quatrains, l'un en vers de dix syllabes, l'autre en vers de onze syllabes. Les deux poèmes correspondent à une même fin dégrisante de nuit de "fêtes galantes" avec la même note interrogative pour les vers qui nous intéressent. Mon modèle souligne que les deux poèmes ont aussi de premiers hémistiches de quatre vers. Verlaine a pratiqué la césure sur un trait d'union d'enclitique rejetant l'enclitique "-vous" dans le second hémistiche avec sa queue de comète : "donc". On est d'accord ? Vous n'allez pas me soutenir béatement que le vers de Verlaine a une inversion 64 des hémistiches à l'italienne, puisque ce n'est pas attesté dans la versification française. Cela reste à prouver dans le cas de vers que personne ne lit de Voltaire, et pour le reste cette inversion n'existe pas dans la tradition française, ni même ailleurs dans les vers de Verlaine.
Mais c'est le décalage de la césure qui vous intéresse.
Eh bien, en septembre 1871, à l'adresse même de sa belle-famille chez laquelle il accueille Rimbaud au même moment, Verlaine a terminé une comédie en vers à la Banville. Je vais citer un alexandrin, il n'y aura pas de débat sur une inversion 46 en 64, sur une concurrence 46 ou 55. L'alexandrin a une césure après la sixième syllabe, deux hémistiches de six syllabes, et n'ayez crainte il n'y aura pas lecture virtuelle en trimètre. Ce vers est partagé entre deux personnages : je mets un (R) pour Rosalinde et un (M) pour Myrtil pour minimiser l'impact des noms de personnages à la lecture :
(R) Parlez-moi. (M) De quoi voulez-vous donc que je cause ?
Vous avez une preuve de décalage à la césure, et la césure passe directement entre la base "voul-" du verbe et sa terminaison ou conjugaison en "-ez". "De quoi voul... ez vous donc que je cause ?"
Si vous n'aimez pas la césure avec rejet du suffixe "-ez", éventuellement une lecture avec plutôt un relief du "vou" : "De quoi VOUlez-VOUS donc", allez porter vos récriminations à la tombe de Verlaine ! La césure est indiscutable.
Dans "Larme", vous avez donc le premier vers :
Quelque liqueur d'or fade et qui fait suer !
La césure détache le complément du nom "d'or", ce qui ne choque personne.
Puis vous avez, et j'insiste ici : dans le même poème, le vers :
Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages,
où cette fois la césure détache le suffixe "-eur" aussi brutalement que dans le vers cité de la comédie "Les Uns et les autres".
Vous voulez d'autres preuves ?
Victor Hugo a pratiqué la césure après la forme "jusqu'à" dans certains de ses alexandrins, notamment dans un vers des Châtiments de 1853 :
Il a banni jusqu'à des juges suppléants ;("Un bon bourgeois dans sa maison")
Et ce procédé est repris par Mendès dans son recueil Philoméla, et précisément dans le poème "Le Jugement de Chérubin", cible de référence pour le poème "Les Chercheuses de poux" :
Viens ! pour dormir jusqu'à l'aurore purpurine,
Et Verlaine va décaler cette césure dans un alexandrin du "Sonnet du Trou du Cul" :
Des Fesses blanches jusqu'au cœur de son ourlet.
La césure n'est pas placée après "jusqu'au", mais au milieu de cette forme : "Des Fesses blanches jusqu'/au cœur de son ourlet." Eh oui, c'est un effet métrique particulièrement comique. Et dans le poème "Birds in the night", Verlaine rejoue cette césure dans un contexte de vers de dix syllabes de chanson à deux hémistiches de cinq syllabes :
Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure,
Lisez le poème, vous verrez rapidement qu'il n'est pas en 46, mais bien en 55. Belle rouerie de Verlaine qui fait des reproches à sa femme avec une césure qui est un rappel d'une blague sexuelle entre lui et Rimbaud.
Dans "Est-elle almée ?..." j'identifie une autre forme de décalage avec le vers suivant :
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Vous croyez que la césure masquée est ailleurs qu'après "puisque" ?
Moi, pas !
Dans "Le Bateau ivre", Rimbaud joue à faire chevaucher la forme "à travers" régulièrement placée en entier devant la césure grâce à sa fusion dans une locution conjonctive : "lorsque".
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles,
[...]
Vous en voulez encore d'autres des preuves ?
Ah ! vous n'êtes pas sûr ! Eh bien, restez avec les indécis ! Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
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