mercredi 6 novembre 2024

"Doux portiers" à la rime ! La Femme de Rimbaud !

Le présent article consiste à apporter une conviction personnelle dans le débat.
Dans le poème "Les Premières Communions", Rimbaud décrit une fille de "doux portiers". Pourquoi avoir choisi cette profession-là ?
Avant d'en parler directement, je donne un peu des éléments de contexte utiles à la lecture du poème.
Le poème "Les Premières Communions" (je fais exprès de mettre des initiales automatiques, j'ai du mal à écrire "Mes Petites amoureuses" ou "Les Premières communions", et je ne suis pas un adepte du respect absolu de la philologie dogmatique), ce poème dis-je !, nous est connu par trois transcriptions manuscrites toutes de la main de Verlaine. La version de référence est celle du dossier paginé essentiellement établi par Verlaine et transmis à Forain, puis Millanvoye. Le poème est daté sur ce manuscrit lui-même de juillet 1871, alors qu'il doit s'agir d'une copie par Verlaine qui date des premiers mois de l'année 1872. J'en profite pour signaler l'absence d'études graphologiques essayant de dater les écrits de Verlaine en fonction d'une éventuelle évolution de son écriture. En tout cas, je n'en ai jamais entendu parler. En gros, à quelques mois de distance, la copie faite par Verlaine suppose l'idée d'un texte achevé, définitif et qui ne va pas subir de multiples variantes nouvelles de la part de l'auteur. Notez tout de même que le poème de "L'Homme juste" daté lui aussi de juillet 1871 offre des variantes remarquables au plan du dernier quintil, puisque nous avons la chance de posséder une version antérieure de ce poème. Donc, cela fragilise ce que je viens de dire sur l'état décisif de la copie faite par Verlaine. Il existe une deuxième version, considérée comme "médiocre" par Murphy, qui a été le support de la première publication du poème dans la revue La Vogue. Il faut être précis, le poème n'a pas été publié dans la plaquette des Poètes maudits, mais dans un numéro de la revue La Vogue en 1886, peu avant la publication des Illuminations sous la forme proses et vers. Ce manuscrit n'a pas disparu et est conservé à la bibliothèque Jacques Doucet. La copie semble avoir été établie par Verlaine en 1886 même. Or, si tel est le cas, Verlaine n'a pu produire cette copie qu'à partir d'un manuscrit auquel il a eu accès et qui a malheureusement disparu. Le texte publié par La Vogue est flanqué de coquilles par rapport au manuscrit correspondant. Enfin, il existe une troisième copie, longtemps connue comme incomplète, mais connue complètement depuis 2010, et cette copie a été la propriété de Jules Claretie, un correspondant de Léon Valade qui lui parlait de Rimbaud en octobre 1871 et un personnage important dans le monde des lettres à l'époque. J'aimerais beaucoup avoir une étude fouillée de cette troisième version manuscrite.
Antoine Fongaro a soutenu que le poème avait été recopié de mémoire par Verlaine, ce qui expliquerait les quelques variantes. Et Fongaro d'en faire des tonnes sur la mémoire éléphantesque des gens du passé. C'est parfaitement débile ! Oui, les gens du passé ont plus souvent étudié des poèmes par cœur qu'ils ont retenu toute leur vie, oui les gens du passé étudiaient souvent en apprenant par cœur et ils avaient bien raison, les pédagogues de l'éducation nationale ne comprenant comme d'habitude rien à ce que doit être l'enseignement, et bien sûr, quand on commence à s'efforcer d'apprendre par cœur, on a jusqu'à un certain point une compétence plus développée que ceux qui ne le font jamais. Mais, il ne faut pas s'exagérer cette capacité. Les gens ont un petit stock de textes appris par cœur en mémoire, et quand ils les ont en mémoire, c'est qu'ils s'y sont échinés à les retenir de mémoire intégralement. Enfin, Rimbaud ni Verlaine ne perdaient leur temps à apprendre leurs poèmes par cœur. A preuve, Verlaine parle dans une lettre à Rimbaud de mettre ses manuscrits en sécurité et il va de soi que Rimbaud passait plutôt à l'invention de nouveaux poèmes.
Rimbaud  a donc bien fait exprès de composer ce poème long étrange "Les Premières Communions" qui passe de sizains à des quatrains après une étage d'irrégularité dans la distribution des rimes des sizains, avec un changement de sujet qui ne coïncide pas non plus avec le changement de strophe, puis les sizains portent sur la campagne, sauf le dernier qui passe à une scène de ville poursuivie dans les quatrains. Benoît de Cornulier a publié l'étude de référence sur cette construction capricieuse du poème, on peut la retrouver dans son livre De la métrique à l'interprétation, Essais sur Rimbaud. Cornulier se réclame des articles antérieurs de Marc Ascione et Steve Murphy qui étaient opposés dans le débat aux articles successifs d'Antoine Fongaro qui a donc perdu la bataille interprétative à la longue.
Mais, au-delà de ce conflit, Cornulier, à la suite d'Henriette Châtaigné, a tranché pour la lecture du mot "Catéchiste". De manière étonnante, il était devenu habituel de prétendre que Rimbaud avait confondu le mot "Catéchiste" avec celui de "catéchumène". Et Cornulier précisait cruellement que "catéchumène" ne veut même pas dire "quelqu'un qui va aux cours de catéchisme", puisque le catéchumène est quelqu'un inscrit dans la démarche du baptême. Rimbaud avait bel et bien voulu écrire que la fille faisant sa première communion avait été distinguée au milieu du groupe du personnel adulte encadrant, les catéchistes. Quant à la répétition de mots, il y a deux arguments pour la minimiser : d'une part, la construction strophique rapprochée du poème "Lise" des Contemplations et d'autre part la recherche d'un effet subtil pour le sens.
Au plan strophique, Cornulier évoque en passant les quintils des Fleurs du Mal, et cela me semble d'autant plus essentiel que le quintil ABABA sur deux rimes se situe précisément entre le sizain sur deux rimes ABABAB et le quatrain de rimes croisées ABAB, mais surtout Rimbaud a envoyé en mai 1871 à Demeny le poème "Accroupissements" qui est précisément en quintils ABABA, il poursuit dans cette veine avec le poème connu partiellement grâce à Delahaye : "J'ai mon fémur !" et au mois de juillet 1871 même Rimbaud compose "L'Homme juste" en quintils ABABA. Et alors que Baudelaire pratiquait la répétition du premier vers en cinquième vers du quintil, Rimbaud passait à une absence de répétitions dans "L'Homme juste", "J'ai mon fémur !" et "Accroupissements". Et en même temps, Baudelaire altérait pourtant certaines répétitions de vers, n'altérant en revanche jamais la répétition à la rime. Ceci vient en renfort à l'analyse fournie par Cornulier.
Mais il y a un autre mot à la rime qui a pu faire débat, c'est le mot "portiers". Jean-Pierre Chambon a développé l'idée que "portiers" était un adjectif, lecture à juste titre dénoncée comme insoutenable par Steve Murphy en 1990. Pourquoi ce choix du mot "portiers" ? Le raisonnement absurde de Chambon vient d'un sentiment de gratuité quant à ce choix. Or, je prétends que Rimbaud s'inspire du poème "A propos d'Horace".
En juin 1871, Rimbaud a composé le poème "Les Sœurs de charité" pour développer l'idée qu'il avait formulée à Demeny dans sa lettre du 17 avril 1871 qu'il est des "misérables" qui ne trouveront jamais, femme ou idée, leur sœur de charité. Et le personnage féminin des "Premières communions" illustre l'idée du dévoiement chrétien de la Femme qui va empêcher à Rimbaud de trouver l'âme sœur.
Le 10 juin 1871, Rimbaud a envoyé un poème à Demeny intitulé "Les Poètes de sept ans" où une rencontre érotique est tout de même possible avec la fille des ouvriers d'à côté, même si cela effraie la Mère du poète.
Evidemment, la fille de la ville dans "Les Premières communions" pourrait être décrite en des termes généraux. Rimbaud n'avait pas besoin de s'imposer maladivement de donner une profession gratuite de "portiers" à cette jeune communiante.
Mais, cette façon de donner un âge "Les Poètes de sept ans", cela coïncide avec les poèmes biographiques où Hugo rappelle son âge. Dans "Lise", poème exploité par Cornulier pour justifier la répétition "Catéchistes" dans un sizain, nous avons précisément la rime "seize"/"aise"/"chaise"/"aise" au premier quatrain, dont Rimbaud a déjà fait quelque chose dans la pièce "Première soirée" où il a repris la rime "aise"/"chaise". Rimbaud semble quelque peu reprendre l'idée de mentionner un jeune âge dans le titre "Les Poètes de sept ans", ce qui correspond quelque peu au tout premier vers du poème "Lise" :
J'avais douze ans ; elle en avait bien seize.
L'idée d'une influence du poème "Lise" sur la répétition rimique "Catéchistes" a donc du sens. J'ajouterai que Pelletan et Rimbaud ayant identifié que le troisième des "Sonnets payens" de Silvestre et le titre de son premier recueil : Rimes neuves et vieilles, provenaient du poème "Vieille chanson du jeune temps" du premier livre des Contemplations, il existe un lien fort entre le poème "Lise" et "Vieille chanson du jeune temps", que l'héroïne Rose du second correspond à l'héroïne Lise du premier, et enfin quand Rimbaud compose le quatrain "Lys" qui parodie le troisième des "Sonnets payens" avec sa "Rosa" inversant le comportement de la "Rose" du poème hugolien, il me jure par les deux oreilles un écho frappant entre les titres "Lys" et "Lise".
Or, "Lise" et "Vieille chanson du jeune temps" font partie du premier des six livres des Contemplations intitulé "L'Aurore", et celui-ci contient des poèmes sur la révolte du poète à l'époque du collège.
Vous avez le couple de poèmes "Réponse à un acte d'accusation" et "Suite", puis le poème qui ici m'intéresse directement "A propos d'Horace" puis le poème "Quelques mots à un autre".
Je cite un extrait de "Réponse à un acte d'accusation". Hugo commence par accepter l'accusation portée contre lui en faisant entendre que c'est le contraire du déshonneur et puis il veut entrer dans les détails :

[...]
Causons.
                 Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris ;
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j'ouvris
Les yeux sur la nature et sur l'âme, l'idiome,
Peuple et noblesse, était l'image du royaume ;
La poésie était la monarchie ; un mot
Etait un duc et pair, ou n'était qu'un grimaud ;
[...]

Hugo développe son propos avec toujours ce don des images saisissantes : des mots "Habitant le patois" ou "aux galères / Dans l'argot" ou "Déchirés en haillons dans les halles". Et Hugo se permet même un jeu magistral d'enjambement à la césure : à propos des mots mal-nés, "Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers ;" il faisait mine de rien, et ce rejet du "un" dans le vers hugolien est vraiment une finesse d'exception. Rimbaud a dû admirer ces images et cette versification subtile, mais il a pu aussi s'identifier, puisque Rimbaud est devenu un poète en langue française à partir d'une formation en vers latins qui le soumettait à un certain régime, mais dont il a fait une force pour s'émanciper en quelque sorte. Hugo décrit un paradoxe de sa jeunesse, en faisant l'impasse sur ce qu'il pensait en réalité à l'époque, la poésie n'avait pas pris le pli de la Révolution, puisque né en février 1802 Hugo nous parle de l'époque charnière de basculement du Premier Empire à la Restauration. Il y a une critique souterraine de la Restauration dans ce poème de Victor Hugo. Rimbaud, en s'identifiant, procède à des transpositions, et le sujet de plainte c'est l'enrégimentement religieux à son époque qui semble survivre à la chute du second Empire.
Et Rimbaud va révolutionner la poésie, idées et formes, comme le revendique Hugo dans "Réponse à un acte d'accusation", dans les poèmes de souvenirs de sa jeunesse que j'ai cités, mais aussi dans "Réponse à André Chénier" ou "Le poëme éploré se lamente..."
Hugo faisait des mots des êtres vivants, tout cela a un lien avec les visées du poème "Voyelles", mais pour m'en tenir aux "Premières communions", je dirais que le "mollet marquant" du Curé qui danse malgré l'interdit céleste dans le poème rimbaldien a quelque chose des vers 3 et 4 de "Réponse à un acte d'accusation quand Hugo dit qu'on lui reproche d'avoir foulé "Sous ses pieds" "l'ancien vers françois". Cela se termine en nuit, et dans "Suite" Hugo inversera le discours en "Fiat Lux". Le Curé est suivi par l'idée d'une nuit pirate aux cieux d'or débarquant... Je ne pense pas que mon rapprochement soit si arbitraire que vous voudrez bien le dire.
Mais, passons au poème "A propos d'Horace". Hugo s'y décrit à l'âge de mademoiselle Lise et fait un calembour sur le mot "rhétorique". Là encore, Rimbaud a de quoi s'identifier, puisque plus que quiconque, plus que Victor Hugo lui-même, Rimbaud est le poète qui passe directement des premiers prix en vers latins à une poésie d'exception en vers français, et dans une dynamique de révolte qui plus est :
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
En juillet 1871, Rimbaud avait précisément seize ans !
Et dans ses compositions en vers latins, Rimbaud a dû travailler sur des poésies d'Horace qui lui ont servi de modèle et où il charge le mauvais maître Orbilius. C'est précisément à ce genre d'exercice paradoxalement réalisé dans un cadre scolaire que Victor Hugo développe le discours du poème "A propos d'Horace" contre les pédagogues de son temps, et contre l'enseignement de vers d'Horace comme punitions, privations de liberté, etc.
Il va de soi que l'Education Nationale actuelle fait un peu vite ses choux gras d'une lecture au premier degré du poème hugolien, mais ce n'est pas le sujet ici. Ce qui importe, c'est de voir que Rimbaud peut d'autant mieux s'identifier au discours tenu par Hugo qu'il a composé des vers latins sur ce sujet. Je n'aime pas trop la notion d'identification du lecteur à un héros de récit, mais dans le cas présent il s'agit effectivement d'envisager des liens de cette nature, et cela rejoint le propos de la préface des Contemplations où la vie du poète est celle de tous.
Et, Hugo se plaint qu'à seize ans la retenue avec une punition sur des vers d'Horace, l'empêchait d'aller profiter d'une aventure amoureuse avec précisément "la fille du portier", le syntagme étant à la rime :

[...]
Or, j'avais justement, ce jour-là, - douce idée
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, -
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
[...]
Et le poète se décrit rêvant "dans une colère bleue", parlant d'un "Eden" amoureux, et non d'une idylle. Et vu qu'il est question des "buttes Saint-Gervais", il dit entendre en lui "Les vagues violons de la mère Saguet", autrement dit l'opposition grivoise des cabarets à l'éducation castratrice et forcément religieuse.
Difficile de ne pas faire le rapprochement avec le discours des "Premières communions", non ?
J'aime à comparer "perdre un tel jour ! le perdre tout entier !" et la répétition "Au Grand Jour" d'un sizain à un quatrain dans le poème sur la jeune communiante de Rimbaud. Rimbaud n'a pas conservé "entier" pour la rime, puisque "portiers" rime avec "Riches Quartiers" et "bénitiers". Puis-je avancer un lien par étymologie entre "Quartiers" et "entier" ? En tout cas, la mention "fille du portier" me semble bien suffire pour expliquer ce choix de profession pour les parents de la fille torturée des "Premières communions".
Ma proposition n'est pas dressée comme une preuve absolue, mais telle est ma conviction. Je n'avance tout de même pas cela sans arguments convergents. Notez-le bien !

EDIT 22h30 :

J'ai oublié de citer deux vers dont les mots à la rime sont "fossiles" et "imbéciles" flanqués tous deux d'un point d'exclamation, parce que je considère que dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, même si c'est avec un certain écart, Rimbaud les reprend, et si je dis "reprend", c'est qu'il le fait suite à une lecture du poème hugolien en question. Il s'agit des vers 5 et 6 du poème "A propos d'Horace" :

Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car avec l'air profond, vous êtes imbéciles  !

Je rappelle que dans "A propos d'Horace" même, il est question de gens qui en sont encore à l'A, B, C, D du coeur humain, avec un franchissement haletant de la césure comme l'a commenté Cornulier et comme  l'implique la ponctuation par des virgules, on épèle péniblement les lettres :

Ils en sont à l'A, B, C, D, du cœur humain !

Rimbaud parle ce langage coloré en principe mal venu en poésie dans sa lettre à Demeny : "les vieux imbéciles" avec leur "signification fausse du moi" puis l'état d'académicien "plus mort qu'un fossile!"
Pour indice d'une réflexion qui va dans le bon sens, je me suis rendu compte un peu plus tard que, non seulement, nous avons la mention "fille de doux portiers" à la rime dans "A propos d'Horace", ce qui correspond à "Les parents semblent de doux portiers", puisque nous avons une équivalence axiale entre les mots "parents" et "fille" en plus du recours au même titre professionnel, même si nous glissons du singulier au pluriel, et non seulement nous avons un calembour possible entre "entier" et "Quartiers", mais le mot "charmille" à la rime dans "Les Premières communions" l'est aussi dans "A propos d'Horace", mais au pluriel, et il y rime avec "jeunes filles", alors que le singulier de Rimbaud rime avec "famille" et "fourmille" en concernant le Curé de campagne du début et donc la première partie sur les églises de villages du poème "Les Premières communions" :
On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille[.]

Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
les rires étouffés des folles jeunes filles,
[...]
Rimbaud a pu adapter à plusieurs égards ce passage dans son poème. le début des "Premières communions" décrits des "marmots" qui, "Ecoutent, grasseyant les divins babillages, / Un noir grotesque dont fermentent les souliers[.]" A quoi s'oppose le découpage de lumière du soleil à travers les vitraux et les feuillages. Nous retrouvons l'opposition entre l'enfermement en retenue et l'appel enchanteur de la vie au grand air qui est dans le poème hugolien. Et la charmille est payée au Prêtre pour qu'il permette aux enfants "brunissants" de profiter précisément de l'extérieur et à l'effet bénéfique du soleil. Les filles qui vont à la messe dans les campagnes sont contentes de se faire traiter de "garces" par les garçons, lesquels "guel[e]net d'effroyables chansons". Et l'air qui apporte au Prêtre un peu fou le "nasillement des danses" en l'invitant à danser passe par la charmille à n'en point douter.
La rime qui suit "charmilles"/"jeunes filles" dans "A propos d'Horace" n'est autre que la rime "bois"/quelquefois" :
[...]
Les doux chuchotements dans l'angle obscur des bois,
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
[...]
La référence à l'esclave latine me fait quelque peu tiquer dans un poème de revendication de plus de liberté de la part d'un élève, c'est une dr^^ole de façon de dénoncer la tyrannie des anciens pédagogues, mais en tout cas la rime est reprise en sens inverse par Rimbaud dans "Les Premières communions". Le poème "Les Premières communions" rassemble donc déjà quatre mots à la rime du poème "A propos d'Horace" : "portier(s)", "charmille(s)", "bois" et "quelquefois", sachant qu'il y a un calembour latent entre "entier" et "Quartiers" et que "jeunes filles" devient un thème si pas une rime des "Premières communions". Le poème "Les Premières communions" est plus long que "Le Bateau ivre" en nombre de vers, et "A propos d'Horace" est une pièce d'une certaine étendue, mais tout de même "portier" et "charmille" sont en principe rares à la rime, et la reprise des deux mêmes mots pour une rime "bois"/"quelquefois" suppose aussi une certaine rareté. Qui plus est, deux rimes sont successives dans "A propos d'Horace", ce qui fait que nous avons trois mots à la rime repris par Rimbaud sur un court passage de quatre vers, et ce passage est à peu de distance de la rime "portier"/"entier" : seulement seize vers ou huit rimes d'écart. Dans "Les Premières Communions", nous avons "charmille" à la rime au vers 23, "portiers" à la rime au vers 46, "Quartiers" étant à la rime au vers 44, et nous avons la rime "quelquefois"/"bois" aux vers 66 et 68, sachant que la pièce rimbaldienne compte 136 alexandrins, autrement dit les reprises au poème hugolien se concentrent dans la première moitié du poème, 68 est la moitié de 136. Dans "A propos d'Horace", poème de 214 alexandrins, les mots à la rime qui nous ont intéressés jusqu'ici tiennent dans les quarante premiers vers, y compris la rime "imbéciles"/"fossiles" mise en relation avec des passages de la lettre du 15 mai à Demeny. Vous avez beau penser une fois que je les cite que les vers de Rimbaud n'ont rien à voir, vous ne pouvez pas vous dispenser d'une réflexion sur la recherche cérébrale de rimes de la part de Rimbaud :
[...]
Les mystiques élans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvreté des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois[.]
Je précise encore que si Rimbaud ne reprend pas "jeunes filles", nous avons la mention "petite fille" dans le sizain, non de la "charmille", mais des "portiers", mention d'une "petite fille" et elle a des "yeux tristes" opposés aux "rires étouffés", tandis que l'adjectif "doux" qui qualifie les "chuchotements" suivant immédiatement la mention des "folles jeunes" filles" qualifie les "parents" de cette fille : "doux portiers".
Hugo parlait de sa "colère bleue" vécue par son rêve d'évasion, Rimbaud parle de "sommeil bleu".
Malgré le modèle antérieur de "Vénus anadyomène", je remarque une symétrie d'entrevers et une ressemblance rimique entre "se cabre" et chez Hugo (vers 41), tout de suite après donc les reprises "charmille(s)", "bois", "quelquefois", et "cambre" chez Rimbaud (vers 77), ce qu'une rime interne entre les deux extraits "s'irrite" et "s'agite" transforme en sentiment d'une influence probable d'Hugo sur Rimbaud :

Myrtale aux blonds cheveux qui s'irrite, et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre ;
[...]

Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre les rideaux bleus
[...]

 Nous avons d'autres correspondances plus diffuses avec les occurrences "vision(s)" et "nudité(s)" :

La vision la prit des candeurs du dimanche; (Rimbaud)

Les alliers s'emplissaient pour toi de visions[.] (Hugo)

Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues, (Hugo)

Du linge dont Jésus voile ses nudités. (Rimbaud)
Et je citais un vers d'Hugo où une comparaison parlait des "golfes de Calabre", et voilà que le verbe "se creuser" qui s'y appliquait vient sous la plume de Rimbaud :

Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds[.]

J'hésite à comparer sémantiquement les deux rejets d'épithètes :

L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois.

Pour servir dans le siècle odieux, où nous sommes,
[...]

Hugo reproche aux pédagogues de mettre une "soutane" aux dieux, là encore ça favorise un rapprochement.
Le mot "livre" est également à la rime dans les deux poèmes :

Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre
[...]

J'ai cité plus haut la suite du quatrain et donc la rime avec "cuivre", puisqu'il s'agit du quatrain qui reprend précisément la rime "bois"/"quelquefois" à Hugo.

Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillard ivres,
[...]
Et cela précède de peu un rejet de l'épithète "vierges" à la césure dans ce que j'appelle un faux-trimètre, je cite la suite immédiate des deux vers que je viens de citer :
[...]
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ;
Et vous faites sans peur, sans pitié, sans regrets,
A la jeunesse, aux cœurs vierges, à l'espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil opium rance !
[...]
Rappelons que la deuxième partie des "Premières communions" raconte le pourrissement d'une âme qui a "bu son vainqueur", le Christ dans un mal-être où le désir religieux à tourner à l'impudicité et à une sorte de viol.
Evidemment, ce propos n'appartient pas au poème hugolien, Rimbaud passe à une autre forme de révolte.
La fin du poème "A propos d'Horace" se termine en prophétie qui ressemble à la fois par son futur à la fin des "Soeurs de charité" et par son dernier vers : "Ô nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !" à "Voyelles", et je relève la mention de rejet du passé "fade" que Rimbaud emploie aussi de manière plus provocatrice dans son poème blasphématoire de juillet 1871 : "le lit n'étant pas fade". Je relève aussi l'idée de faire boire les âmes, l'abondance de mentions de l'adjectif "doux", la formule "Un jour" d(étachée par un retour à la ligne et suivi de la rime "sage"/"cage" que je rapproche de la mention "divins babillages" des "Premières communions".
Je ferai un autre article sur les échos des "Premières communions" avec "Voyelles", "Les Chercheuses de poux" ou "Accroupissements".
Je vais aussi étudier si le poème "Les Premières communions" n'a pas des liens étroits avec d'autres poèmes des Contemplations, sinon de Victor Hugo.
J'ai une observation prosodique en ce sens avec le vers "Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle," puisque nous avons une chaîne "...rbr...", "br..l...", "bl..." et pr...ll" qui fait fortement songer aux jeux sur les consonnes combinées à certaines voyelles du poème IV du premier livre "L'Aurore" des Contemplations :
Le beau lac brille [...] et de vie et de bruit;
[...]
E t tous deux ont avril, qui rit dans le ciel clair;
[...]
Le vieux antre attendri [...]
Le vent lit [...]
[...]
Qui formidable, brille et flamboie et bénit,
[...]
 A suivre encore et encore et toujours.

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